Voici la succession des évènements, que je vous propose schématiquement.
Le capitaine Allard commande un quartier tout près de la frontière tunisienne. Pas loin d'un cantonnement de fellagas, implanté en territoire tunisien, près de Sakiet-Sidi-Youcef.
Dans la nuit du 10 au 11 janvier 1958, il est instruit par ses supérieurs, d'une tentative de passage de la frontière par un détachement rebelle. Il reçoit l'ordre de monter une embuscade et d'intercepter ce détachement. Pour cet officier, ce n'est pas un problème.
C'est un militaire aguerri qui dispose d'un effectif de soldats français du contingent, entraînés et expérimentés. Il réunit une troupe sélectionnée de 43 hommes. Pour ces combattants courageux et bien préparés, c'est un effectif suffisant pour monter une embuscade. Mais surprise ! Notre troupe tombe sur une force de 300 fellouzes. Pratiquement trois compagnies fortement armées. En réalité, le traquenard existe bien : mais ce sont nos soldats qui tombent dedans, car le renseignement qu'on leur a transmis, camoufle un piège. Un piège tendu par le FLN et la Tunisie. Dans quel but ?
Dans le but exclusif de faire du bilan, c'est-à-dire de provoquer des pertes parmi nos soldats.
Ces 300 fellouzes qui ont passé la frontière, jouissent d'une logistique digne d'une armée conventionnelle : liaisons radio et renseignements fournis par l'armée tunisienne. 300 hommes véhiculés par des camions de la garde nationale tunisienne jusqu'à la frontière. L'accrochage est dur. Des renforts sont demandés d'urgence par le commandement français. Ils parviennent sur place. Les "fells" sont repoussés avec de lourdes pertes mais ils sont protégés dans leur fuite vers la Tunisie par des tirs de mitrailleuses et de mortiers qui partent des crêtes tunisiennes. 14 de nos soldats sont tués et retrouvés horriblement mutilés.
Mais un élément anormal est enregistré : quatre hommes ont été emportés, prisonniers par le FLN. Citons trois noms : Richomme, Decourtreix, Feuillebois.
Retenons les noms de ces trois fils de France. Insistons sur cette anomalie opérationnelle : pourquoi ramener des prisonniers en Tunisie ? L'accrochage a été dur. Les "fells" ont eu le temps de massacrer, d'émasculer et d'éventrer 14 soldats français. Pourquoi s'encombrer de prisonniers ? Nous verrons l'usage tactique majeur qui sera fait de trois de ces quatre malheureux soldats.
À la suite de ce drame, le colonel Duval, commandant l'aviation du corps d'armée de Constantine, ordonne un renforcement des opérations de reconnaissance sur la Tunisie. Il faut à tout prix préciser d'où viennent les assassins de nos soldats. Il faut si possible découvrir le lieu de détention de ces infortunés prisonniers. Précisons que durant ce mois de janvier 1958, les forces armées tunisiennes ont manifesté une agressivité anormale contre nos avions. Le 13 janvier, un de nos appareils est abattu par un tir de DCA. Il faut préciser que ces tirs de DCA constituent une véritable provocation. Car en cas de survol d'un territoire national par des appareils étrangers, les tirs de défense aérienne devaient obéir à toute une procédure prévue par les Nations Unies. Or, les avions français n'étaient pas agressifs : ils relevaient les informations pour mettre nos soldats à l'abri d'embuscades.
Le général Jouhaud, commandant l'aviation en Algérie, demande à son supérieur, le général Salan, de solliciter du chef d'état-major général de l'armée, le général Ély, l'autorisation de déclencher un raid de riposte. Le général Ély ne peut transmettre un tel ordre sans l'accord préalable de son gouvernement. Il donne néanmoins et rapidement son feu vert pour un raid de représailles. Ce qui signifie que le gouvernement de la IVème République est d'accord.
Le raid contre la base ennemie de Sakiet-Sidi-Youcef, se déroule le 8 février 1958. Il est mené par une escadrille française composée de onze B25, six Corvair, huit Mistral. La base est détruite.
D'après le général Jouhaud, plusieurs dizaines de fellagas sont tués.
D'après le service d'information de Bourguiba ne sont tués que des femmes, des enfants, et des combattants FLN blessés.
J'ai tendance à accorder plus de crédit à la relation de Radio-Tunis. En effet, ce raid étant le résultat d'une provocation montée de toutes pièces par une collusion FLN-Bourguiba, il paraît impensable de concevoir qu'un effectif de combattants valides ait été volontairement exposé aux bombardements et au mitraillage de nos avions. Ce que recherchaient nos ennemis, c'était exhiber des victimes innocentes. Des victimes sacrifiées par Bourguiba pour les besoins de cette conjuration. Cette opération connaîtra d'ailleurs de la part de Bourguiba, une exploitation démentielle. "Un crime contre l'humanité !", "un crime contre l'honneur !". La France est mise en accusation ! Bourguiba appelle à la haine contre la France. Il réclame des sanctions contre cette agression impérialiste.
Cette opération de Bourguiba est immédiatement couronnée du succès espéré : les Anglo-saxons osent proposer leurs "bons offices !".
Colère à Paris !
Colère en Algérie !
Cette intervention de l'étranger dans nos affaires est intolérable !
L'ambiance est telle qu'à Alger des manifestations s'organisent. Pour aboutir finalement au gentil défilé du 26 avril 1958. Un défilé qui regroupe les associations d'anciens combattants et des mouvements nationaux. Alger gronde. Alger gueule. Mais Alger "ne se déclenche pas". Tout se déroule "dans le calme et la dignité". Cette dernière expression connaîtra une fortune littéraire. Elle signifiera désormais qu'une manifestation se déclenche pour n'aboutir à rien. Elle évoque surtout une notion d'incapacité, d'impuissance, de ridicule.
Mais le plus déçu de tous, c'est le commandement FLN ! Il lui faut donner un coup d'accélérateur. Ces Algérois sont vraiment trop mous ! Quand vont-ils se décider à faire la révolution ? Car il faut absolument qu'un coup de force se déclenche à Alger. Le coup de force qui va permettre à la prévision de Bourguiba de s'accomplir : un coup de force déclenché pour De Gaulle qui, lui, se chargera de soumettre l'Algérie à la volonté du FLN.
Tout s'accomplit le 9 mai 1958. Le FLN publie à grand renfort de communiqués, la nouvelle de "l'exécution" de trois soldats français : René Decourtreix, Robert Richomme, Jacques Feuillebois. L'exécution s'est déroulée le 30 avril 1958. Quatre jours après la manifestation jugée trop molle du 26 avril. Quatre soldats, qui avaient été faits prisonniers lors de l'accrochage du 11 janvier 1958, avaient été jugés par un tribunal militaire FLN. Celui-ci acquitta le quatrième prisonnier français. Ce qui permet au FLN, le plus sérieusement du monde, de démontrer son objectivité dans le jugement de ces "criminels de guerre".
À Alger, un sentiment d'horreur nous étreint furieusement. Une douleur qui se transforme en bouffée de haine. Nous réclamons justice. Nous réclamons vengeance. Nous fonçons dans la rue. Alger explose. Alger se mobilise en masse pour venger nos soldats assassinés. Pour mettre à bas un gouvernement qui "baisse culotte" devant les terroristes !
Il ne m'appartient pas, dans le cadre de cette étude, de revenir sur les évènements du 13 mai 1958. Mais ce qu'il faut souligner, c'est le potentiel de réaction en Algérie et en France, que va éveiller l'assassinat de trois soldats français.
En 1958 il existait encore en France et en Algérie, une volonté de ne pas subir. Une volonté de faire payer les assassins de notre peuple. Une volonté de ne jamais accepter que des soldats prisonniers de guerre, fussent tués par nos ennemis FLN.
Mais tout évoluera très vite. Sous De Gaulle on verra comment fut accepté le lynchage des Pieds-Noirs à Oran, le 5 juillet 1962. Comment fut accepté l'assassinat de dizaines de milliers de harkis. Comment fut accepté, en toute bassesse l'assassinat de centaines de militaires français prisonniers de guerre qui ne furent jamais rendus par le FLN… après le cessez-le-feu.
En deux ans de gaullisme, la combativité de la France et la réactivité des hommes de France ont été mises sous l'éteignoir pour satisfaire, sans la gêner, à une honteuse politique d'abandon.
"Le délestage économique du débouché algérien".
Après le passage de De Gaulle à Alger, où il avait été appelé par la naïveté algéroise, le général peut donc reprendre ses anciens contacts à partir de l'hôtel Matignon, tout d'abord.
À l'Élysée, silence radio. Le président Coty n'a rien à dire.
En réalité, ce que je viens d'écrire n'est pas exact. Ce ne sont pas "des contacts" que l'on remet en route. Il s'agit cette fois "de négociations" que l'on entame. Au nom du gouvernement français, dont le président du Conseil est De Gaulle.
Des négociations dans le but d'aboutir à un cessez-le-feu en Algérie. On s'emploie à "baisser culotte" devant le FLN. À hisser le drapeau blanc. En effet, comme l'a souligné Ferhat Abbas, c'est celui qui sollicite sans cesse l'arrêt des combats qui doit hisser le drapeau blanc.
Voici le modus operandi. De Gaulle contrôle un gouvernement. À partir de celui-ci des manœuvres silencieuses, clandestines, vont être planifiées dans un premier temps, puis mises en route. Le nouveau chef du gouvernement de la IVème République dispose de la compétence d'un excellent chef de cabinet. Georges Pompidou. Ancien fondé de pouvoir de la banque Rothschild. Pompidou, je le répète, en accord avec le secrétaire d'État aux affaires algériennes René Brouillet, dont l'adjoint est Bernard Tricot, "prépare l'exploitation d'un document rédigé depuis le mois de juin 1958".
Il s'agit du "document Pompidou". Sont précisées toutes les étapes des négociations à entreprendre pour un cessez-le-feu. Un lieu géographique est prévu pour le déroulement de ces négociations. Il s'agit de Barcelone.
Rappelons que De Gaulle a été installé au pouvoir pour sauver l'Algérie française ! Nous sommes au début de l'été 1958. L'acte de décès de l'Algérie française est cependant tout prêt.
En Algérie, c'est toujours un gigantesque délire hallucinatoire. L'Algérie française est chantée partout. Les maquis FLN se tiennent cois. Les généraux Salan et Allard, obtiennent des ralliements spectaculaires.
J'essaie, à titre personnel, d'informer mes confrères, mes amis, mes patients de la réalité du piège mortel que les gaullistes sont en train de mettre en place. Je souffre de voir cette élite algéroise accepter son lynchage collectif avec la candeur idiote d'arriérés mentaux. C'est la force de l'amour qui me fait rester en Algérie. De l'amour de cette terre. L'amour que je porte à ce peuple pied-noir. Malgré la trahison que je ressens, que je vis dans la plus profonde intimité de ma personne, j'ai la prescience qu'un nouveau destin merveilleux peut s'élaborer encore pour la France à partir de l'Algérie française !
Et je ne peux rien faire d'autre que ce constat : trois outils majeurs sont en train d'être forgés ou mis en œuvre, pour rendre exécutoire l'assassinat de la France sud-méditerranéenne, voulu et programmé par De Gaulle.
Le premier outil : c'est le document Pompidou qui veut atteindre un seul but : le cessez-le-feu. J'insiste, il s'agit ni plus ni moins que d'un acte de décès de la France en Algérie qui, dès le printemps 1958, mettra De Gaulle en action.
Le deuxième outil : il s'agit de l'interlocuteur avec lequel on va discuter. Le partenaire de l'abandon. De qui s'agit-il ? De l'ennemi en exil : le FLN.
Depuis le mois d'août 1956, celui-ci est représenté par un commandement bicéphale :
- Le CNRA : Conseil National de la Révolution Algérienne,
- Le CCE : Comité de Coordination et d'Exécution.
Cela fait un peu brouillon ! De Gaulle réclame de l'ordre : "s'il-vous-plaît messieurs ! Devenez un gouvernement !" C'est ainsi que le GPRA, Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, voit le jour le 18 septembre 1958. Dix jours avant le referendum mortel du 28 septembre de la même année. En effet, comment ne pas relever la coïncidence historique, à quelques jours près, de la naissance de la Vème République d'une part, avec la naissance du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne d'autre part !
Le GPRA est présenté officiellement à la presse internationale, au Caire, le 19 septembre 1958. Le général De Gaulle se fait représenter officieusement à cette cérémonie. Deux émissaires français sont présents effectivement : Jean Amrouche, écrivain et Abderrahman Farès. Tout semble en ordre. On peut négocier enfin avec un véritable gouvernement et surtout avec le chef de ce nouvel exécutif : le pharmacien de Sétif, Ferhat Abbas, qui s'exhibe devant le monde diplomatique, comme l'interlocuteur choisi par la totalité des protagonistes.
De toute évidence, tout cela n'est pas suffisant. Il faut, d'urgence, forger un troisième outil. Un officier de liaison, chargé du contact étroit entre le GPRA et le dernier gouvernement de la IVème République dont le président du Conseil est encore le général De Gaulle. Cet officier de liaison doit être compétent, discret, fiable et surtout, convaincu de l'indépendance de l'Algérie. Un agent qui soit en même temps un partisan inconditionnel du FLN et soumis à l'allié majeur de celui-ci : le général De Gaulle.
"Mais ne cherchez plus mon général ! Cet homme vous l'avez ici à Paris. Il habite Porte de Vincennes, avenue Daumesnil, au n° 269. Il s'agit d'Abderrahman Farès !".
Farès, ancien notaire de Koléa, petite ville située tout près d'Alger, ancien président de l'Assemblée Algérienne, vit à Paris. Il veut se mettre au service du général De Gaulle. On occulte généralement, qu'il faillit faire partie du dernier gouvernement de la IVème République, au moment même où De Gaulle fut appelé à la présidence du Conseil par René Coty, sous la pression des Algérois décérébrés et des militaires chloroformés. En effet, Guy Mollet, que De Gaulle a nommé ministre d'État sans portefeuille, propose au nouveau chef du gouvernement de nommer aussi Farès ministre d'État sans portefeuille.
Mais Farès est discipliné. Il demande des instructions au FLN qui lui intime l'ordre de ne pas accepter. Farès obéit à ses chefs du FLN. De Gaulle ne lui en tient pas rigueur. Il en fait un chargé de mission officieux. Clandestin même. Le troisième outil donc, dont la fonction unique mais capitale est d'assurer les pré-négociations entre De Gaulle, Pompidou et René Brouillet d'une part, Ferhat Abbas et le GPRA d'autre part, après la naissance de ce dernier, le 18 septembre 1958.
Ferhat Abbas, au début de l'été 1958, et le 18 septembre 1958, n'est pas encore chef du gouvernement algérien puisque celui-ci n'existe pas à cette date. Mais tout le monde sait qu'il est l'interlocuteur choisi par De Gaulle qui lui-même est l'interlocuteur choisi par le FLN. Donc celui-ci intronise tout logiquement Ferhat Abbas, certainement de mauvais gré, dans le but de mener ces négociations au meilleur résultat possible. Mais alors qu'en 1956 Ferhat Abbas rencontrait Boumendjel à Berne, durant l'été 1958 il rencontre Farès à Montreux, en Suisse. Farès, le troisième outil, va porter le titre dès cette période, du "pèlerin de Montreux".
Farès fait partie de ces notables algériens qui ont su faire du double jeu un trait majeur de leur personnalité politique.
Nous savons cependant d'une source irréfutable et officielle puisque c'est lui-même qui l'écrit, que dès le début de la guerre d'Algérie il entretient des relations suivies avec les chefs terroristes. Je n'évoque pas ici des leaders de la révolution algérienne. Je fais référence à ceux qui commandent de tuer.
Il rencontre Ouamrane, le colonel Ouamrane, le chef de la Willaya 3. Il obtient un contact avec Sadek, le futur colonel Sadek qui tient un rôle important au sein de la Willaya 4. Il s'agit d'un cadre FLN qui dénonça l'implantation du maquis de Laban et de Maillot aux hommes du Bachaga Boualem et par voie de conséquence, aux forces de l'ordre. C'était au mois de juin 1956.
Il est en contact fréquent et répété avec Ibrahim Bachir de l'association des ouléma, ennemi mythique de la France. C'est lui qui, le 1er novembre 1954, rappelons-le, déclare au Caire que la lutte est déclenchée "pour le triomphe de l'arabisme et de l'islam".
Il obtient une entrevue avec Larbi Ben M'Hidi, le chef de la ZAA. Celui qui déclara avant sa mort : "Vous voulez la France de Dunkerque à Tamanrasset, je vous prédis, moi, que vous aurez l'Algérie de Tamanrasset à Dunkerque". Nous voilà donc prévenus. Je sais que je rappelle cette phrase depuis des milliers de fois ! Mais il n'est pas inutile de s'en imprégner.
Farès tient à rencontrer personnellement, en pleine casbah, Yacef Saadi et Ali la Pointe, responsables d'attentats meurtriers dans la ville d'Alger.
Qu'on ne s'y trompe pas : ces contacts sont mis en route à la demande de Farès. Car il lui faut donner des gages à ceux qui sont capables de tuer ou de faire tuer.
Il leur explique qu'il se situe dans leur combat. Qu'il est aux ordres du FLN. Il leur démontre qu'il est en train de trahir la France. Il tient à s'assurer de leur appui. Pour cela, il fait allégeance à la terreur anti-française.
À Alger, il était très proche de Jacques Chevallier, le maire FLN d'Alger. Il était très près de celui-ci qui avait organisé, dans les locaux de la mairie d'Alger, un véritable bureau d'appui de la ZAA. Il était très près de cet autre qui, de la mairie d'Alger, alimentait en fausses cartes d'identité les tueurs du FLN. Il s'agit de Lebjaoui. Celui-ci, chef de service à la mairie d'Alger, sous les ordres du maire renégat, utilisait un appariteur, Rabah Adjaoui. Ce dernier transmettait de faux papiers parfaitement valables à Ben M'hidi et à ses agents. Sous la pression des évènements, Lebjaoui est obligé de plonger dans la clandestinité. Il quitte Alger. Le FLN lui commande alors d'organiser la Fédération de France du FLN. Curieux cursus professionnel de cet homme qui le conduira de la Mairie d'Alger à la Fédération de France du FLN !
Il rencontre Farès à Paris, dans le 17ème arrondissement, rue Legendre, tout près du parc Monceau. Il est arrêté le lendemain de cette rencontre ainsi que tout le réseau qu'il venait de monter. Donc, "le bon Farès" ne reste pas les bras croisés. Il a choisi son camp.
Arrive le 13 mai 1958. Le général De Gaulle prend le pouvoir. Farès, à plusieurs reprises, va bénéficier de l'incroyable privilège d'entrer en contact personnel avec le général De Gaulle. Celui-ci, nous l'avons dit, l'utilisera comme son troisième outil, "le pèlerin de Montreux" chargé de maintenir des relations suivies avec Ferhat Abbas. Il se lance dans une recherche permanente de nouveaux contacts avec les leaders du FLN qui séjournent en Europe. Car, comme il le faisait à Alger en 1956, il lui faut donner des gages de sa fidélité au combat FLN. C'est ainsi qu'il rencontre Ben Tobal, un des co-responsables du massacre du 20 août 1955 à El Halia et aux mines d'Aïn Abid, dans le nord-est constantinois.
Pourquoi cette débauche de rencontres de la part d'un homme qui, plus tard, assumera les fonctions de président de l'Exécutif Provisoire en Algérie ?
Parce que Farès, le troisième outil de De Gaulle, éprouve le besoin de prendre des garanties. Il craint que ne lui arrive la mésaventure tragique que connut Benabylès, au lendemain du discours du 16 septembre 1959, prononcé par De Gaulle. Benabylès, ami de Farès et de Ferhat Abbas, a compris après ce discours que De Gaulle va irrémédiablement abandonner l'Algérie à l'ennemi FLN. Jusqu'à ce jour, Benaylès était un élu "Algérie française". Convaincu de la volonté irrévocable de De Gaulle de tuer la France en Algérie, il sollicite de Ferhat Abbas, un poste dans le gouvernement en exil. Il s'apprête à remplir ses nouvelles fonctions et s'acheminer vers l'étranger pour rejoindre Ferhat Abbas. Il est tué dans l'Allier.
Par qui ?
On a voulu imputer cette exécution aux services secrets français, qui l'auraient puni ainsi de sa volte-face. Mais le général Jacquin est formel. Il précise en substance :
"C'est faux ! C'est Ben Tobal qui l'a fait flinguer par un tueur qui, après l'opération, reste caché en France". Caché ? Mais où donc ?
À Lyon, chez le Primat des Gaules, tout près de l'archevêché, au Prado.
Mais pourquoi l'exécution d'un homme d'une telle valeur qui, par-dessus le marché, s'est rallié aux ennemis de la France ?
Parce que le colonel Ben Tobal a pris ombrage de ces fonctions importantes qui commencent à être attribuées à des transfuges de l'Algérie française. Les places, c'est pour les combattants des premiers jours ! Et Farès… redoute pour lui, une tragédie identique.
Parmi les promoteurs gaullistes de la nouvelle carrière de Farès, on redoute un drame :
"ils ne vont tout de même pas nous le tuer, celui-là aussi !".
Comment assurer 24 heures sur 24 une protection efficace de Farès contre un tueur ?
Mais c'est facile ! On va le foutre en taule !
On arrête Farès à son domicile, durant le premier trimestre 1962. On lui signifie, en s'efforçant de ne pas rire, une inculpation "d'atteinte à la sûreté intérieure de l'État". On l'incarcère à Fresnes.
On le libère quelques jours plus tard, après le cessez-le-feu du 19 mars 1962. Après la défaite consacrée historiquement et officiellement par la capitulation d'Évian.
Il est reçu par De Gaulle :
"Alors mon cher président, bien reposé ?" lui demande en riant le général De Gaulle en évoquant le séjour à Fresnes de celui qui est déjà nommé Président de l'Exécutif Provisoire en Algérie. Voilà comment Farès réussit à survivre au danger dont il se croyait menacé. Il pourra venir encore une fois exercer ses talents en Algérie. Talents faits de duplicité et de roublardise.
Évidemment, on aura noté que le général De Gaulle était passé de Matignon à l'Élysée. Entre temps, le projet Pompidou tel qu'il apparaissait dans le fameux document Pompidou de juin 1958, était tombé dans l'oubli car le FLN n'a pas accepté de se rendre à Barcelone, à cette date, pour amorcer une étude sérieuse des conditions d'un cessez-le-feu déjà sollicité par De Gaulle.
Farès apparut quelques fois découragé devant les difficultés que rencontrait apparemment De Gaulle pour perdre la guerre. Celui-ci, alors qu'il était encore président du Conseil, se chargea de lui remonter le moral. Il lui aurait dit :
"Ne vous en faites pas Farès, bientôt je chanterai leur chanson". À propos de cette anecdote, de cette "citation" on relève des disparités dans son évocation. J'ai lu qu'effectivement De Gaulle a déclaré à Farès ce que je viens d'écrire. D'après Farès lui-même, le président de la République aurait déclaré à l'écrivain Jean Amrouche : "alors, vous voulez que je la chante votre chanson ?".
Il semble que le terme de "chanson" soit utilisé à maintes reprises quand De Gaulle évoque le destin qu'il réserve à l'Algérie française. Ce qui aujourd'hui reste indiscutable, c'est qu'il n'a jamais cessé de chanter la même chanson que le FLN. Il va la chanter avec conviction, avec enthousiasme, à la manière d'une action de grâce, d'un alléluia. Ce qui ne l'empêcha pas de déclarer pendant cette même année, au cours d'une émission télévisée : "quelle hécatombe connaîtrait l'Algérie si nous étions assez stupides et assez lâches pour l'abandonner !"
Le 4 novembre 1960, De Gaulle n'hésite pas à prononcer les termes de République Algérienne.
Ce 4 novembre 1960 est un vendredi. Je précise même que c'est le week-end qui précède l'ouverture du procès des Barricades d'Alger. J'ai donc l'honneur d'écouter ce discours de l'intérieur de la prison de la Santé, avec mes autres camarades détenus, bien évidemment.
La surprise est très forte dans les sphères gouvernementales. Un véritable ébranlement.
Paul Delouvrier, délégué général du gouvernement en Algérie, convoque d'urgence ses quatre principaux collaborateurs, pour le lendemain 5 novembre à Alger. Qui sont les collaborateurs convoqués par Paul Delouvrier ce jour-là ?
- Tout d'abord Coup de Fréjac : il est directeur de l'information. Une brillante personnalité de la Vème République. Héros des opérations clandestines de la Résistance. Coup de Fréjac est aux ordres de son idole, il est un inconditionnel du général De Gaulle. Quelles sont ses fonctions réelles ? Museler l'information en Algérie, organiser la censure. Interdire aux Français d'Algérie de s'exprimer.
- La deuxième personnalité convoquée est Jean Vaujour : c'est le chef de cabinet du délégué général du gouvernement. En 1954, il avait assumé les responsabilités de directeur de la sûreté nationale en Algérie. Il avait reçu des offres de services de la part d'un rebelle anti-français. Celui-ci, contre la somme d'un million de francs de l'époque, s'était proposé de lui livrer toute l'implantation FLN dans les Aurès. Mitterrand, ministre de l'Intérieur, fut le destinataire principal du "rapport Vaujour du 23 octobre 1954". Document célèbre que les historiens évoquent avec fréquence. Ce rapport, dont Mitterrand ne tint pas compte, démontre que l'on s'est employé, avant tout, à ne pas interdire le déclenchement de la guerre d'Algérie. On aurait pu la tuer dans l'œuf, on ne l'a pas fait.
- Troisième personnalité, il s'agit de François Coulet : brillant personnage. Brillant officier de réserve réactivé. Pendant la guerre d'Algérie, il commande une prestigieuse unité : celle des parachutistes de l'air qui avaient été créée auparavant par le général de Maricourt. Ses convictions, sa formation auraient dû faire de lui un défenseur ardent, efficace, acharné même de l'Algérie française.
Il l'est effectivement jusqu'en 1958. Mais De Gaulle arrive ! Son dieu ! Ce dieu dont il a décidé d'être le prêtre ! Ses convictions vont subir une mutation radicale. Une obéissance inconditionnelle. Aveugle. Exclusive. Il participe avec enthousiasme à l'assassinat de la France en Algérie. Il quitte l'armée. Quelles fonctions peut exercer un homme de cette valeur auprès du grand commis de l'État qu'est monsieur Paul Delouvrier ? Il est directeur des affaires politiques, c'est-à-dire qu'il exerce en réalité les fonctions d'un commissaire politique gaulliste.
- Le quatrième personnage convoqué ce 5 novembre 1960 est André Jacomet. Conseiller d'État, il assume les responsabilités de secrétaire général de l'administration. Ce qui fait de lui le patron de tous les fonctionnaires d'Algérie. C'est un gaulliste. Mais ce samedi 5 novembre, André Jacomet semble frappé par la grâce. Il n'accepte pas le discours du 4 novembre. L'Algérie lui est-elle montée à la tête ? Le message "Algérie française" s'est-il manifesté soudain dans son esprit comme un impact de la lumière divine ? En tout cas il lâche une bombe. Il ose affirmer que le sort de la France ne peut pas être lié au sort d'un homme, fut-il le général De Gaulle !
"Pour moi la France ce n'est pas De Gaulle ! De Gaulle ce n'est pas la France !" a-t-il le cran de déclarer en langage dépourvu d'ambiguïté.
Fureur noire à l'Élysée ! De Gaulle exige du Conseil d'État qu'il se réunisse en commission pour statuer comme il se doit sur ce qui reste de carrière à monsieur André Jacomet. Le Conseil d'État siège en commission le samedi 12 novembre, sous la présidence de monsieur Parodi, monsieur Gazier, un notable socialiste, assumant les fonctions de secrétaire général. Le Conseil d'État refuse la révocation d'André Jacomet !
Nouvelle crise de colère à l'Élysée ! Le président va prendre l'initiative de révoquer lui-même un conseiller d'État. Le lendemain dimanche, 13 novembre à Alger, Paul Delouvrier convoque Jacomet. Il lui fait part de la décision présidentielle et le gratifie d'un redoutable commentaire :
"Vous avez obéi à votre conscience au lieu d'obéir à votre devoir ! C'est abominable !"
La phrase est merveilleuse. Pour être gaulliste avant toute chose, il ne faut pas avoir de conscience ! Il faut obéir, un point c'est tout ! Un comportement régalien va plonger un capital intellectuel énorme de femmes et d'hommes politiques, dans une véritable déréliction idéologique. J'entends par là qu'ils vont se trouver amputés de leur idéal. Ils vont être coupés de leurs repères. Ils vont étouffer en eux-mêmes les enthousiasmes qui les avaient propulsés dans ce combat pour la Patrie qui se déroulait en Algérie. On en fera des porte-bidons, des potiches de la Vème République. "Pour De Gaulle, par De Gaulle, avec De Gaulle". Ils continuent, pour certains d'entre eux, aujourd'hui encore à se déclarer fidèles au gaullisme involutif et décérébrant.
Ce comportement régalien outrancier était motivé chez De Gaulle par une exigence tactique. La sécession définitive des départements français d'Algérie et du Sahara. Cette exigence tactique s'inscrivait à son tour, nous l'avons souligné avec abondance, dans une stratégie.
Une stratégie dont il faut affirmer qu'elle est frappée aujourd'hui du sceau de l'interdit. C'est un tabou historique. On ne veut pas en parler.
Stratégie qui s'identifie au dessein d'une fraction dominante du capitalisme financier moderne. Fraction qui a décidé que la recherche d'une valeur ajoutée plus forte aux investissements, exigeait la mise en route d'un nouveau plan opérationnel. Accepter une guerre, la commanditer, quelles que fussent les conséquences dramatiques pour les populations qui allaient subir ces conflits.
Puis la perdre.
Comme sous l'effet de la fatalité historique.
Pour aboutir au délestage économique de l'Algérie, c'est-à-dire supprimer la charge financière imputable au coût social et sanitaire des populations d'Algérie de toutes confessions.
Il a donc fallu choisir un tacticien hors pair. Un exécuteur de prestige supérieur qui allait se charger de mener à bonne fin cette conduite opérationnelle. La mort d'un morceau de France, là-bas en Algérie. De Gaulle fut investi de ce pouvoir en exécution d'une conjuration internationale : celle qui avait détecté en lui l'homme indispensable à la mort de la France sud-méditerranéenne.
Plongé dans la défaite du 19 mars 1962, défaite voulue et accomplie par De Gaulle l'auxiliaire majeur et décisif du FLN, ou plutôt l'élu secret du FLN, notre pays semble souffrir aujourd'hui d'une mise en danger de son intégrité nationale.
Les "rothschildiens" à travers les "pompidoliens" ont installé De Gaulle au pouvoir en 1958. Pour l'accomplissement du délestage voulu par le Grand Argent. Étape décisive de l'actuelle révolution mondiale : c'est ainsi que se concrétise historiquement l'assassinat de l'Algérie française.
Ces mêmes pompidoliens, totalement dépourvus d'états d'âme, n'ont pas hésité à mettre en œuvre, par eux-mêmes, le renvoi de De Gaulle, leur pion majeur. Son expulsion du pouvoir par l'intermédiaire du peuple français, en 1969, lors du referendum de cette année-là.
De Gaulle avait cependant tenu son rôle pendant onze ans avec une redoutable efficacité : le rôle d'un prestigieux décisionnaire de l'assassinat de la France Sud-Méditerranéenne, en collaboration opérationnelle étroite avec l'ennemi FLN.
Il avait été détecté depuis 1943 au plus tard, comme "l'homme des circonstances" ont-ils écrit.
L'homme des circonstances qui réussit à convaincre les Français de subir et d'approuver une "décision paradoxale". Car nombreux sont les gaullistes qui ont écrit en 1992 : "le paradoxe de la paix en Algérie est connu, cultivé même par certains partisans du général et de sa mémoire". Propos curieux, s'il en fut, que je soumets à votre réflexion. La liquidation de l'Algérie française paraissait d'une finalité tellement incroyable, voire inimaginable, que seul De Gaulle était apparu en mesure de l'imposer aux Français ! Et que crèvent nos harkis, nos civils, nos femmes et nos enfants, et des centaines de nos soldats français prisonniers de guerre !
Ce n'est pas la haine qui m'anime. Ce n'est pas la préoccupation de glorifier notre combat livré envers et contre tout qui m'impose de connaître au mieux la signification réelle de la mort de l'Algérie française. De préciser à outrance l'identité du concepteur tactique, de l'organisateur opérationnel majeur, du responsable historique de l'assassinat partiel de la France. En effet, comme l'écrit Bainville, "les faits parlent d'eux-mêmes". Il suffit de regarder et surtout, il suffit de voir. Encore faut-il être capable de voir.
L'islamisme conquérant, que je ne confonds pas avec la religion musulmane, tire tout logiquement un immense profit né de la décérébration gaulliste, qui a plongé certains hommes politiques, aujourd'hui encore, dans un comportement histrionique chronique.
La Croix et la France sont devenues les deux objectifs prioritaires à vaincre par les nouveaux envahisseurs de l'Occident.
Docteur Jean-Claude PEREZ
Nice, avril 2014
Auteur du livre "ATTAQUES ET CONTRE-ATTAQUES"
aux Éditions Dualpha - BP 58, 77522 COULOMMIERS CEDEX
- Histrionisme : "Attitude théâtraliste en relation avec une pathologie profonde, durable et invalidante du cerveau et de la conscience." Cette définition est une définition médicale. Car depuis 20 ans au moins, en médecine on refuse d'employer le terme d'hystérie. Ce terme a été remplacé par histrionisme. La définition que je vous propose est une définition d'un aspect majeur de l'hystérie.
- 1er RTA : Premier Régiment de Tirailleurs Algériens
- 1er BTA : premier Bataillon de Tirailleurs Algériens
- ORO : Organisation du Renseignements et des Opérations de l'OAS dont j'étais responsable à l'échelon national
- B.E.L. : Bureau d'Étude et de Liaison : dernière appellation officielle des services spéciaux français opérant en Algérie
- 3ème RPIMA : 3ème Régiment Parachutiste d'Infanterie de Marine
- CCI : Centre de Coordination Inter-armes, une des appellations des services secrets militaires en Algérie
- ZAA : Zone Autonome d'Alger
Source : http://www.seybouse.info/seybouse/infos_diverses/mise_a_jour/maj139.html
Éléments bibliographiques