Le 17 juin, le Maréchal annonçait qu’il allait falloir cesser le combat ; le 22, l’armistice fut signé avec l’Allemagne et le 24 avec l’Italie. Alors, désireux d’entrer dans l’Histoire, le sous-ministre lança, de Londres, le 18 juin, un appel que les Français furent très rares à entendre en ces temps d’exode et qui les invitait à continuer la guerre. Pratiquement personne, aucun chef militaire ni aucun homme politique, n’y répondit ; l’Appel était un échec ! Suprême humiliation pour l’orgueilleux Charles, qui s’affola : il se trouvait à Londres totalement isolé et le gouvernement français le sommait de rentrer sous peine d’être jugé comme déserteur !
Ce fut à ce moment-là qu’il jugea utile de réécrire son « Appel du 18 juin ». Il fallait un texte où Charles apparût comme l’homme qui avait tout compris avant tout le monde et qui n’hésitait pas à appeler à une rébellion contre le gouvernement français. Ainsi, le texte de l’appel que l’on dit du 18 juin, écrit après coup, est-il un faux… Tout le monde croit donc que DeGaulle a dit, dès ce jour-là, à la radio de Londres, cette phrase de rébellion : « Des gouvernements de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique, oubliant l’honneur, livrant le pays à la servitude. Cependant rien n’est perdu. »
HOMME “PROVIDENTIEL”
Il n’est pas possible que le “général” eût écrit le 18 juin un texte où se trouvaient si allègrement confondus armistice et capitulation, alors que, le 20 juin encore, il écrivait très respectueusement au général Weygand : « Je n’ai aucune autre résolution que de servir en combattant… » La question était qu’il ne disposait d’aucun moyen de communication pour regagner la France et que Churchill aurait refusé de lui donner un avion. « La dissidence de la « France libre », écrit Gérard Bedel, est donc née sous la contrainte de l’Angleterre, vérité que s’efforce de masquer l’imposture de la version officielle actuelle […] Si De Gaulle avait pu rejoindre Bordeaux, comme il en avait manifesté l’intention le 20 juin, il n’y aurait probablement jamais eu ni de saga ni de fabulation gaulliste. » C’est de ce faux « Appel du 18 juin » que naquit la légende de l’homme “providentiel”, entretenue par tous les media et par tous les manuels scolaires…
CHEF RÉVOLUTIONNAIRE
Puis le « chef de la France libre » lança le 30 juillet un appel à la résistance, ou plutôt à la dissidence, à tous les gouverneurs et administrateurs de nos colonies. « Tout était en place pour une guerre dans la guerre, une guerre franco-française au sein du conflit mondial, dont le responsable était l’homme de Londres », explique l’auteur. Les quatre années suivantes allaient montrer que DeGaulle n’était pas un chef de guerre, mais un politicien ambitieux avide de pouvoir, diffamant sans cesse le Maréchal, visant au transfert de souveraineté de celui-ci à lui-même, s’emparant de notre Empire, territoire après territoire, menant des actions subversives sur le sol français : sabotages, attentats, maquis…, faisant assassiner l’amiral François Darlan (1881-1942), lequel préparait la rentrée dans la guerre de l’Empire lié au gouvernement du maréchal Pétain.
DeGaulle fut un parfait révolutionnaire : il vit avec plaisir les communistes entrer dans la Résistance après avoir été, au service de l’URSS, les alliés du nazisme et entraîner la « France libre » sur la voie de la guerre civile par laquelle ils espéraient pouvoir dominer la société française lorsque l'Allemagne serait vaincue. Après la Libération, c'est à dire la prise de pouvoir par DeGaulle, les communistes allaient s’opposer à lui, mais, premier mouvement de Résistance, ils étaient devenus le premier parti de France et ils marquèrent encore longtemps la politique de la Libération de leur idéologie sanguinaire.
PAS DE HALTE POUR LA GUERRE CIVILE
La faute la plus impardonnable de « l’homme du 18 juin 40 » fut d’avoir le 25 août 1944 éconduit l’amiral Paul Auphan (1894-1982) chargé par le maréchal Pétain de rechercher à Paris avec les représentants de la Résistance une solution pour que la transmission du pouvoir se passât sans guerre civile. Les bombardements s'intensifiaient, la résistance communiste se livrait à un terrorisme qui provoquait des représailles allemandes, des soulèvements prématurés étaient lancés par le maquis, tandis que les Américains avançaient, que les gaullistes rebaptisés « commissaires de la république », s’emparaient à la course de tous les rouages de l’État et que le Maréchal était emmené le 20 août par les Allemands en captivité à Sigmaringen. DeGaulle entra donc dans Paris “libéré” le 25 août, puis forma son nouveau gouvernement le 31 avec deux ministres communistes.
LA HONTE DE L’ÉPURATION
Ce furent alors les heures honteuses de l’Épuration (1944-45) de sinistre mémoire pour bon nombre d’entre nous et au sujet de laquelle, il suffit, je crois, de rappeler ces paroles du terroriste Pierre-Henri Teitgen (1908- 1997), ministre de l’Intérieur, le 6 août 1946, qui déclarait sans vergogne : « Vous jugerez sans doute que, par rapport à Robespierre, Danton et d’autres, le garde des Sceaux qui est devant vous est un enfant. Eh bien, ce sont eux qui sont des enfants, si on en juge par les chiffres ». « La Révolution de 1944-45 fut la plus vaste et la plus profonde depuis 1789 », a écrit Pierre Gaxotte [Pierre Gaxotte : Histoire des Français. Flammarion, 1972]. On voulut éloigner des postes de commandement et d’influence les Français qui avaient préservé la France traditionnelle, les notables traditionnels, les anticommunistes, l’ensemble de la vraie droite. Et les conséquences pèsent encore…
DeGaulle n’allait garder le pouvoir que dix-huit mois durant lesquels, avec ses ministres communistes, dont le déserteur Maurice Thorez (1900-1964), il fit procéder à une foule de nationalisations et à l’élaboration du plan Langevin-Wallon qui, arrachant aux parents leurs responsabilités dans l’éducation de leurs enfants, reste encore, pour le malheur des familles, le texte de référence en matière éducative. Puis DeGaulle, se plaignant du régime des partis qu’il venait lui-même de remettre en place, abandonna l’État en pleine crise politique et économique, mais il ne cessa pas pour autant de se comporter en politicien hargneux et ambitieux jusqu’à ce qu’en mai 1958, la déconfiture de la IVe république lui offrît, à lui et à ses compagnons, une occasion de se réemparer du pouvoir.
Il osa alors se présenter comme le seul homme d’État capable de garder l’Algérie à la France ; on ne connaît que trop la suite : la politique criminelle d’abandon de nos départements d’Afrique du Nord, l’homme “providentiel” se couchant devant les terroristes fellaghas, les criminels accords d’Évian (19 mars 1962), encore des troubles et des violences en pagaille, nos fidèles harkis sacrifiés, les meilleurs de nos officiers fusillés…
Je vous laisse, chers lecteurs, le soin de lire l’analyse minutieuse que Gérard Bedel nous livre des faits de basse politique politicienne et électoraliste de la dernière scène de la tragédie gaullienne, des “affaires” qui la souillèrent, de la calamiteuse politique culturelle confiée à André Malraux, lequel abandonna la culture aux gauchistes marxisants, de la révolution de Mai-68 que DeGaulle n’avait pas vu venir, du rétablissement de l’ordre, une fois de plus par le “Sauveur”, sentiment qui ne dura pas au-delà d’un succès électoral dû à la peur du désordre. Un référendum raté suffit alors à abattre le chêne, qui abandonna le pouvoir le dimanche 27 avril 1969, à minuit, un an et demi avant sa mort le 9 novembre 1970.
CHARLES LE DÉRISOIRE
[Pour reprendre une expression très appropriée d’André Figueras, dans un livre de 1979]
Quand on achève la lecture du magistral ouvrage de Gérard Bedel, on comprend qu’il est plus facile d’exposer ce que n’est pas le gaullisme que ce qu’il est. Il ne reste aujourd’hui qu’un mythe né, semble-t-il, d’un contact quasi mystique entre le peuple français et le personnage providentiel. Montage qui s’effondre quand on considère que la France, en 1944, s’est trouvée dans le camp des vainqueurs, mais que la victoire ne fut pas sienne et ne fut pas celle du “peuple”. Il n’en reste pas moins que, fondé sur un lien exceptionnel, et mensonger, entre le chef historique et le peuple, le gaullisme n’est en rien monarchique, mais profondément démocratique et s’inscrit dans la ligne de la Révolution de 1789, ou plutôt de 1793 ; son chef a toujours été plus sangniériste que maurrassien. Gérard Bedel préfère désigner ce curieux régime comme un césarisme où se mêlent goût de l’ordre et idéologie démocratique, volonté de progrès social — il y eut un gaullisme de gauche ! — et complicité avec la Haute Finance, laquelle conserva le contrôle de la république, car toute démocratie est ploutocratie. Mais De Gaulle gouverna essentiellement par la manipulation des masses : « Doué d’un remarquable talent oratoire, acteur-né, DeGaulle a su dominer les foules par le prestige de la parole », dit très justement Gérard Bedel.
L’indépendance de la patrie est l’une des facettes du mythe gaulliste, mais il s’agit d’une indépendance beaucoup plus affirmée qu’accomplie : « La guerre mondiale et la liquidation de nos possessions d’outre-mer, dont il était pour beaucoup responsable, avaient amoindri notre pays, mais DeGaulle renouait avec la grandeur en claironnant notre indépendance face aux deux “grands”, en particulier face aux États-Unis qu’il défiait sans risque », ajoute notre auteur. Juste un vague “souverainisme”… Il ne saurait non plus être question de nationalisme, puisque DeGaulle n’eut jamais le souci de garder la France dans son identité intégrale et que la société qu’il envisageait n’était pas la société française traditionnelle. Sa patrie était mythique et seul lui-même prétendait la connaître et la comprendre.
Bedel se livre à une très instructive étude des variations de la famille gaulliste, où l’on voit que le monocrate DeGaulle, qui n’avait pas de doctrine et n’eut pas de successeur désigné ne voulut pas, contrairement aux Capétiens, inscrire son action dans la durée, si bien que, après lui, son œuvre s’effilocha au gré des contingences électorales, des cohabitations, des quinquennats et maintenant des primaires ! Le gaullisme n’est plus aujourd’hui qu’une référence historique, un gage d’honorabilité républicaine ; chacun y prend ce qu’il veut, et la Ve république est un bateau ivre.
Le gaullisme n’a fait qu’entretenir chez les Français l’illusion paresseuse d’une « bonne république » et a ainsi contaminé toute la droite dont la pensée ne cesse de tituber entre les contradictions de cette fausse mystique. Grâces soient rendues à l’ami Gérard Bedel pour ce livre de nature à réveiller les Français, à les guérir de cette « maladie sénile », pour enfin pouvoir penser clair et marcher droit, en se donnant, librement, un véritable cerveau.
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