"En cette année néfaste, torride, grosse d'un avenir terrifiant", « La Faculté de l'Inutile », une lecture qui s'impose alors que la Macronie sombre dans la dictature… L'Inutile c'est le droit… bafoué par une justice exécutrice des basses œuvres du pouvoir, tout en assouvissant les fantasmes de juges dévoyés…
« … Quant à cette peu réjouissante histoire, elle est arrivée l'an cinquante-huit après la naissance de Joseph Vissarionovitch Staline, le génial guide des peuples, c'est-à-dire l'an mil neuf cent trente-sept après la naissance de Jésus-Christ, année néfaste, torride, grosse d'un avenir terrifiant. »
« La Faculté de l'inutile » c’est bien sûr la faculté de droit ainsi considérée par procureurs et policiers… une faculté de droit superflue depuis la rédaction du code pénal soviétique aux chefs d’inculpation larges et flous… Iouri Dombrovski en fera la pénible expérience… Son héros Zybine la vit pour nous… « La Faculté de l'inutile », le dernier roman de Iouri Dombrovski, un roman autobiographique, une critique libérée du système stalinien…
Même quand, par extraordinaire, elle épargne, la terreur reste absurde…
Libéré, Zybine débarque dans un monde lunaire. Seules deux larves l’accueillent : un Neumann [le procureur] révoqué, peut-être sur la voie du salut parce que l'épreuve suprême l'attend ; et Kornilov [le mouchard], détruit par la trahison. Lina est partie. Dacha aussi. Même Tamara. De Clara, il n'est plus question. Dans un univers dévasté, la liberté a perdu sa raison d'être… Âme errante, le héros, après boire, s'assied sur un banc de square. Neumann et Kornilov l'y rejoignent. Kalmykov, le peintre fou qui œuvre pour la Galaxie, fixe sur un bout de carton ce Christ minable entre deux larrons grotesques. Et, commente Dombrovski, cette pochade demeurera « pour les siècles des siècles », tandis que la Terre « entre dans les zones d'ombre » du Zodiaque.
Le roman semble s'achever sur une caricature ricanante de lui-même.
Alors, en une phrase, une coda inattendue ramène les trois thèmes clés : celui de la terreur racontée (« Cette peu réjouissante histoire est arrivée… ») ; celui du protagoniste des ténèbres (« l’an cinquante-huit après la naissance de Joseph Vissarionovitch Staline… » ; et celui du protagoniste de lumière (« c’est-à-dire l'an mil neuf cent trente-sept après la naissance du Christ… »). Pour conclure sur un accord aux grondements d'apocalypse : « année grosse d'un avenir terrifiant ». C'est la leçon suprême, celle qui à la fois éclaire et a sous-tendu l’œuvre entière : le destin russe concerne tous les hommes.
Et c'est à cause de cette dimension universelle que, dans le flot des livres suscités par le phénomène dit stalinien, ce roman étrange, étouffant, chaotique, sabré d'éclairs, pareil à un ciel d'orage dans la steppe kazakhe, est peut-être le chef-d’œuvre qui résistera le mieux à l'érosion du temps.
Postface de Jean Cathala, traducteur en français de "La Faculté de l'inutile", Paris, octobre 1978
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