Plusieurs associations d'exilés d'Algérie et de défense de la mémoire de leurs victimes ont appelé à un rassemblement national à Paris, le lundi 26 mars 2012, pour commémorer le cinquantenaire de la fusillade de la rue d’Isly, à Alger. L’atrocité de cet événement avait confirmé, de façon brutale, l’inanité des pseudos accords d’Évian, applicables depuis le 19 mars précédent, et le cynisme du pouvoir politique français, déterminé à bâillonner par tous les moyens la protestation des Pieds-Noirs abandonnés par la métropole.
Trois points de rassemblement étaient prévus, porteurs d’une forte symbolique nationale : messe à Notre-Dame de Paris, à midi ; cérémonie au Mémorial national de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie du quai Branly, à 14h30 ; réanimation de la flamme et dépôt de gerbe à l’Arc de Triomphe, à 18h30.
Notons l’absence de toute caméra et le silence total de la presse écrite et audiovisuelle sur ces rassemblements. Mais trois raisons de réconfort: la foule nombreuse, soigneusement filtrée, emplissant la nef de la cathédrale, isolée des bas-côtés à cet effet ; la participation officielle de soldats et de fanfares rendant les honneurs au quai Branly et à l’Étoile ; la présence d’une personnalité officielle, le délégué aux rapatriés, à l’exclusion de toute autre personnalité politique.
Pourtant pas le moindre message de compassion de S.E. le Cardinal Vingt-Trois lors d'une messe concélébrée par le Recteur de la cathédrale de Paris avec deux prélats fortement liées à notre histoire : Mgr Jean-Yves Molinas, natif de Zéralda et Vicaire général du diocèse de Toulon-Fréjus, et Mgr Pierre Boz, archimandrite du rite melchite catholique et auteur de Fragments d’Histoire des chrétiens en Algérie.
Le moment le plus poignant de cette cérémonie religieuse, qui se déroula sous les auspices de la statue de Notre-Dame d’Afrique, fut sans contexte l’homélie de Mgr Molinas qui évoqua la tragédie des dernières semaines de l’Algérie française en traçant, étape par étape, un parallèle saisissant avec la liturgie du jour, la fête de l’Annonciation, à laquelle il rattacha la venue du Christ et sa montée inéluctable vers le Golgotha. Jamais on n’entendit, dans un lieu saint, prononcé par un homme d’Église, une telle dénonciation de l’abandon de l’Algérie, ses suites tragiques, et un tel réquisitoire contre ceux qui auraient pu, qui auraient dû, éviter tant de morts. Jamais, non plus, on n’entendit, sous les voutes de Notre-Dame, prononcer, haut et fort, les noms de nos martyres de l’Algérie française, fusillés pour avoir été fidèles à la parole donnée : Piegts, Dovecar, Degueldre, Bastien-Thiry. Personne n’oubliera la force accusatrice avec laquelle Mgr Molinas clama, en forme de conclusion, les dernières paroles du Christ : « Père, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! »
Lire l'article de Danielle Pister-Lopez dans son intégralité : Alger, 26 mars 1962 – Paris, 26 mars 2012 : cérémonies à Paris
26 mars 2012 à Notre-Dame de Paris :
Mgr Jean-Yves MOLINAS |
Mgr Jean-Yves Molinas est né à Alger en 1947, jeunesse à Zéralda et lycée à Ben-Aknoun. Après avoir travaillé dans le secteur privé, puis public, il répond à une vocation qu’il savait sienne depuis l’enfance. Il est ordonné prêtre catholique le 26 juin 1988 pour le diocèse de Fréjus- Toulon. Curé de paroisse durant dix ans, il est nommé vicaire général pour ce diocèse en septembre 1999 et prélat d’honneur de sa sainteté le Pape Benoît XVI, en avril 2009. Il a écrit un livre autobiographique : « D’une rive à l’autre » paru à la Société des écrivains.« D’une rive à l’autre » : Ce livre est un cri d’amour et de souffrance. Un amour quasiment extatique à l’égard de l’Algérie où l’auteur est né. Il est vrai que ce pays sait charmer, dans le sens fort du terme, ceux qui y naissent ou qui s’y aventurent. Jean-Yves Molinas décrit dans cet ouvrage l’attachement passionnel qui le lie à sa terre. Véritable matrice qui reçoit la vie pour la modeler, l’élever, la combler mais aussi parfois la dévorer. Ce pays n’est-il pas le lieu où, malgré la violence et la cruauté, s’entremêlent l’amour et la haine ? Après une introduction qui n’est que l’ébauche d’une réflexion sur ce thème, l’auteur nous livre, simplement, le témoignage d’une vie pleine de sentiments, d’émotions, de joies et de pleurs qui l’on étreint dans l’accomplissement de ce passage d’une rive à l’autre.
Homélie de Monseigneur Jean-Yves Molinas, vicaire général de Toulon
En ce temps de carême, et alors que nous approchons de la célébration de la passion de notre Seigneur, nous sommes invités à découvrir à quel point, par son incarnation, le Christ est venu épouser la condition humaine. Homme parmi les hommes, il s'est chargé de toutes leurs souffrances pour leur apporter le salut et la vie éternelle.
Toute l'histoire humaine est prise en compte par ce Dieu fait homme qui, en naissant à Bethléem et en mourant sur le Calvaire à Jérusalem, a manifesté à tout homme un amour sans limite.
Or, pour nous Pieds-Noirs, au plus fort de la tourmente, dans le combat ô combien inégal qui nous laissait seuls face à tous, on aurait pu croire que même Dieu s'était détourné de nous. Jamais, au grand jamais il n'en fut ainsi. Dieu notre rocher, Dieu notre salut ne nous a pas abandonnés, et c'est en Lui, en Lui seul que nous voulons enraciner notre espérance. Mais encore, faut-il accepter de suivre le Christ en chacun des pas qu'il a posés durant sa vie terrestre.
Alors, aujourd'hui, en priant pour les victimes du 26 Mars 1962 et pour toutes les victimes de la Guerre d'Algérie, méditons sur cette présence du Christ tout au long de l'histoire du petit peuple pied-noir.
En ce jour l'Église célèbre l'Annonciation faite à Marie…
Une toute jeune femme du peuple d'Israël est choisie pour permettre la réalisation du projet de Dieu. Cette jeune femme habite Nazareth, et elle s'appelle Marie.
L'ange Gabriel lui apparaît et lui demande si elle veut donner son assentiment à Dieu. Marie est confiante. « Qu'il me soit fait selon ta Parole ! » répond-elle. Une joie profonde envahit le cœur de Marie. Elle se donne totalement à son Créateur. Son avenir est désormais éclairé du seul soleil de Dieu.
L'histoire de l'Algérie Française va se dessiner sur un métier à tisser dont les fils vont être tirés de l'au-delà de la Méditerranée. Des hommes et des femmes venus de France, d'Italie, d'Espagne, de Malte, d'Allemagne, d'Alsace, d'Irlande ont reçu l'annonce d'un pays à construire, d'une terre à conquérir. Souvent poussés par la misère ou par la guerre, ils vont quitter leur terre natale dans l'espérance de bâtir une nouvelle vie, avec pour seule arme le courage que donne la Foi. Ils vont se livrer à cette terre inconnue et, bientôt, ils vont l'aimer, lui sacrifiant tout dans la sueur, le sang et les larmes.
Marie accepte de participer au projet de Dieu. Au cœur de la nuit de Bethléem va naître cet enfant qu'elle appellera Jésus - ce qui veut dire « Dieu sauvé » - L'enfant-Dieu ne va pas naître comme les puissants de ce monde entourés de faste, de sécurité, de gloire humaine. Non, Jésus va naître dans une étable, car lorsque Joseph et Marie arrivent à Bethléem il n'y a plus de place pour eux. Et ce sont les plus pauvres, ces marginaux que sont les bergers qui sont invités par les anges à reconnaître en cet enfant, l'infini de Dieu.
Ce sont aussi les pauvres, les exilés qui vont faire naître l'Algérie, à force de travail, d'abnégation, de sueur et de larmes. Peu à peu vont naître ici et là des îlots d'humanité sur une terre hostile, de petits villages qui vont donner vie à des contrées sauvages. Et puis il y a la rencontre entre les différentes composantes de la population européenne et celles du pays, qu'elles soient arabe ou berbère. Chacune s’enrichit de l'autre ; les différences ne sont pas fatalement des obstacles mais participent à la naissance d'un nouveau peuple, d'une nouvelle race. À travers la naissance de ce nouveau pays, il y a aussi la résurrection de l'Église d'Afrique du Nord, celle des grands saints comme Saint Augustin, Sainte Monique, Saint Cyprien, Sainte Félicité et Sainte Perpétue... et tant d'autres, tous Berbères.
Israël attendait le Messie promis par Dieu. Tout le pays était dans l'attente fiévreuse du sauveur et pourtant il n'a pas été reconnu. Le monde ne veut pas de la vérité proclamée par Jésus. Une vérité implacable, qui ne peut s'accommoder d'aucune espèce de combine ou d'arrangement. Mais les hommes qui ont en charge la conduite du peuple d'Israël n'acceptent pas la vérité. Jésus dérange, Jésus révèle la face cachée des âmes.
Alors ses ennemis vont intriguer, comploter dans l'ombre, abuser de la faiblesse du peuple, lui mentir, le manipuler pour le détacher de Celui en qui, le jour de son entrée triomphale à Jérusalem, ils reconnaissent le Messie, le Sauveur d'Israël. Les lâches vont agir dans l'ombre. Le moment venu, grâce à la trahison de Judas, ils s'empareront de Jésus pour le faire condamner après une mascarade de procès.
L'Algérie Française a connu la trahison. Des pharisiens et des scribes qui sont d'un autre temps mais qui ressurgissent toujours dans l'histoire de l'humanité pour accomplir les œuvres les plus basses, veulent sa mort. Tous les moyens sont alors bons pour abattre ceux qui ne veulent pas plier.
Le terrorisme, durant des années, va tout faire pour creuser irrémédiablement un fossé entre les deux communautés, le terrorisme dont les victimes sont aussi bien européennes qu'arabes ou kabyles à partir du moment où elles s'opposent à l'abandon de l'Algérie Française.
Jérusalem : Jésus est donc arrêté. Il faut maintenant qu'Il soit condamné et surtout qu'Il soit réduit au silence. Surtout qu'Il ne parle plus. Et la meilleure façon pour y arriver c'est de le tuer.
1962, l'Algérie connaît des journées terrifiantes, notre petit peuple lutte de toutes ses forces. Chaque jour des dizaines de victimes tombent dans les rues, dans les campagnes. Cette résistance devient insupportable au pouvoir qui a décidé de se parjurer et d'abandonner coûte que coûte cette terre. On négocie avec les égorgeurs. Le quartier de Bab-el-Oued à Alger est encerclé, mitraillé, bombardé. Des habitants sont abattus à bout portant. Interdiction d'évacuer les blessés ni les morts. Une manifestation pacifique de soutien se met en place.
Jérusalem : Jésus est humilié, flagellé, couronné d'épines, il faut le discréditer aux yeux de tous. Le mensonge, la veulerie, la lâcheté obtiendront la condamnation à mort de l'innocent. On va donc charger Jésus de sa Croix. Cette foule qui l'avait, quelques jours auparavant, accueilli dans la liesse et l'exaltation, va maintenant se retourner contre Lui, l'insulter, lui cracher au visage. Jésus est seul face à tous, soutenu par Marie sa Mère dont le cœur est transpercé par le glaive de douleur prophétisé par le vieillard Siméon. Presque tous ses disciples ont fui. Pierre L'a même renié.
Alger : Le pouvoir décide de frapper un grand coup. Un piège est tendu à ceux qui veulent témoigner de leur solidarité avec les assiégés de Bab-el-Oued. Arrivés devant la Grande Poste et au commencement de la Rue d'Isly, les manifestants désarmés ne se doutent pas qu'ils sont pris dans une véritable nasse. Les fusils mitrailleurs ouvrent le feu, des dizaines de personnes tombent à terre, le feu continue longtemps malgré les cris et les appels au secours. Puis, le silence. Des corps, nombreux, restent étendus sur le macadam. Certains regroupés comme pour former une rosace funèbre.
Jérusalem : Jésus, dépouillé de ses vêtements, a été cloué sur la Croix. Il invoque son Père: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ».
Alger : Des cris montent vers le ciel. La stupeur, l'incompréhension. Pourquoi mon Dieu, pourquoi ? Les survivants errent, hagards, abattus.
Ce jour-là, l'Algérie a été assassinée.
Jérusalem : Du haut de sa Croix, Jésus confie sa Mère à Jean le disciple bien-aimé. Puis s'adressant à Marie: « Femme, voici ton fils ». Il lève alors son regard vers le ciel et implore : « Père, pardonne-leur. Ils ne savent pas ce qu'ils font. »
Alger : Du haut de la colline qui domine Alger, Notre Dame d'Afrique pleure sur ses enfants martyrs.
Jérusalem : Rapidement, avant que ne commence le sabbat, Jésus doit être descendu de la Croix. Marie le reçoit dans ses bras. Ses amis le prennent et le déposent dans un tombeau.
Alger : les victimes du 26 mars sont amenées dans des hôpitaux, dans des morgues. Les familles cherchent les leurs parmi les cadavres nus, déposés à même le sol. La raison défaille, les cœurs cessent de battre, la douleur est sans nom !
Jérusalem : Un coup de lance inutile a transpercé le cœur de Jésus alors qu'Il a rendu son esprit à son Père.
Algérie : Un coup de lance inutile est asséné à ce pays martyr le 5 juillet à Oran. Des milliers de victimes.
Les exécutions de Degueldre, Piegt, Dovecar et Bastien-Thiry, elles aussi inutiles ;
« il » aurait pu les épargner.
« PÈRE, PARDONNE-LEUR. ILS NE SAVENT PAS CE QU’ILS FONT ! »
Père Jean-Yves MOLINAS
* *
*
*
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire