Premièrement, la Syrie n’est pas réductible à un affrontement religieux entre sunnites, minorités religieuses et chiites. C’est probablement le seul pays arabe dans lequel les minorités savent pouvoir compter sur la relative solidité du régime de concorde civile imposé par les autorités. Il y a une unité nationale dans ce pays tout à fait différente des pactes artificiels existant ailleurs, ce dont sa stabilité atteste. Dit autrement, ni les chrétiens – melkites, grecs orthodoxes, latins, etc… – ni les sectes islamiques, ou les Druzes, n’ont intérêt à voir le régime tomber. Qu’ils puissent le souhaiter, c’est autre chose…
Ensuite, l’opposition n’existe pas en Syrie ; il ne suffit pas d’avoir des agitateurs, fussent ils démocrates, pour renverser un régime. Il n’y a ni factions politiques organisées, ni expérience concluante depuis un siècle : lorsque la France a mis en place le protectorat dans les années vingt, elle constata, à la manière libyenne, comme Lawrence – qui s’y cassa les dents- l’efficacité des factions à s’entredéchirer. Il faut être occidental pour oublier la valse des coups d’État jusqu’à l’arrivée d’Assad, fin des années 60. Aucun syrien n’en veut.
Il n’y a pas, troisième réalité, de minorité au pouvoir, aussi énorme que cette affirmation paraisse : dire que les Alaouites sont au pouvoir contre la majorité sunnite est un truisme, une non réflexion sur le pouvoir. C’est à peu près aussi idiot que de dire que les Junkers commandaient l’Allemagne jusqu’à la fin du premier conflit mondial. Les Alaouites ont organisé la bureaucratie, l’appareil militaire et de renseignement, le contrôle des idées et de la presse. Mais ils ne l’ont pas fait seuls (les idiots utiles démocratolâtres devraient se souvenir que Michel Aflak, père du baasisme, était chrétien…) mais en s’alliant. Si l’oligarchie est aussi corrompue et cruelle qu’ailleurs, il faut avoir vu les politiques syriens pour comprendre que rien ne bougera. Rifaat et Khaddam sont deux personnages, tel Janus, illustrant la réalité du système syrien. On est très loin de Khadafi, Moubarak, ou Ben Ali… Le qualificatif employé ad nauseam de « minoritaire » pour 20 % de la population est caricatural. Le Premier ministre syrien est sunnite. Qui connait la vraie opposition syrienne, celle de Joumblatt et des autorités religieuses qui, avant et après les Printemps syriens (en 2000, puis régulièrement depuis) essaient, en vain, de structurer une opposition crédible et unie ?
Reste la permanente comparaison entre Assad père et fils et le propos de boutiquiers faisant du second le jouet des clans au pouvoir, de la vieille garde des Tlass et consorts, aux nouveaux hommes influents… Le jeu du pouvoir syrien existe et rend la donne plus complexe que les poncifs éculés. Bachar peut être moins influençable qu’on ne le dit, ne serait ce que parce qu’évoluer et conserver le pouvoir comme il le fait réclame une certaine dose d’adresse.
L’islamisme aura peu de prises dans ce pays, pour la simple et bonne raison que, passé au fil de l’épée durant les massacres qui culminèrent à Hama en 1982, la Syrie n’est pas une terre d’extrémisme. Les Chiites y sont très puissants, et personne n’a estimé que les émules de l’Iran tiraient les fils…
La Syrie résiste à des grilles de lectures simplistes. Le Liban est une de ses provinces, et son alliance avec l’Iran ou ses bonnes relations avec la Turquie suffisent à faire comprendre que toucher la Syrie, c’est enclencher le jeu des alliances locales selon la logique… de 1914 en Europe centrale.
Alors, la Syrie est elle invincible ? Évidemment pas. Mais surement pas selon les schémas libyen, égyptien ou même jordanien, lorsque ce pays était menacé.
Il est commode de haïr les états, mais le découpage issus des accords Sykes Picot a plaqué sur un agglomérat de tribus jamais unies le schéma étatique avec ses vertus : armée, religion d’État, renseignements. État, laïcité et cohésion « nationale » ne sont pas des mots creux dans ce pays.
Dernier point, et non le moindre : personne ne sait réellement ce qui se déroule en Syrie. L’information n’est pas fiable et seules les officines de renseignements doivent avoir une idée de cette réalité. La puissance des Moukhabarat se compare à celle de la Stasi, ses méthodes aussi. Lorsqu’une personne sur trois travaille à surveiller les deux autres, ce qu’aucun occidental ne peut comprendre, personne ne bouge. Et un demi million de personnes dans les rues, c’est toujours seize autre qui eux, sont d’un silence assourdissant, et pas uniquement par peur du régime, mais aussi par peur du chaos.
La menace du chaos est bien plus paralysante et conservatrice que l’invocation de la liberté… il n’y a aucune information fiable et crédible sur ce qui se passe dans ce pays, et la France se montre particulièrement influençable et manipulée dans ce dossier, via des médias totalement incompétents.
Où donc se nicherait l’intérêt de la France dans la déstabilisation de ce pays ? Il est à peu près inexistant. Sauf à estimer qu’après avoir investi dans des pays aussi solides que la Grèce ou l’Italie (…), le système bancaire français adopterait une stratégie à la chinoise, en ciblant les pays dans lesquels existe du potentiel de développement ; c’est cependant faire fi des analyses de risques.
Les intérêts économiques ? La Syrie est pauvre en matière premières, hormis quelques petits gisements de pétrole et de gaz à Deir Ez Zor.
Il reste… la Grande politique. Cet éternel vœu de consolation de la disparition de nos ambitions moyen orientales – par des atermoiements permanents et nos erreurs de représentation régulière - vaudrait résurrection d’une action française, par le truchement libanais, et, qui sait, sur le flanc turc avec lequel nous partageons au moins la laïcité (à prendre au second degré) : cela n’est pas sérieux.
L’expérience américaine, l’écoute de nos militaires – qui eux, ne se trompent pas sur les risques présentés par les opérations extérieures – militent en faveur d’une cessation de cette action intempestive de déstabilisation rappelant les meilleures heures de l’Union soviétique…