Le 2 mars 2010, décès à Paris de François Sentein. Ami de Jean Genet, il avait, à la demande de Jean Cocteau, mis au point le tapuscrit de Notre-Dame des Fleurs. Dans ses Nouvelles minutes d’un libertin (1942-1943) paru en 2000, il avait noté sa visite rue Amélie, le 15 juin 1943, au cours de laquelle Robert Denoël lui avait raconté qu'ayant pris le manuscrit de Voyage au bout de la nuit dans le train, en 1932, il s'était dit : « Tu vas au désastre… À Dijon, avait sauté au téléphone pour dire à l'imprimeur de tout arrêter. - Trop tard, lui avait-on répondu : c'est presque fini. »
Un grand ! Minutes d’un libertin, Nouvelles Minutes d’un libertin, Minutes d’un libéré… Quel bonheur cette lecture des Minutes de François Sentein, témoin disparu d'une époque furieuse, trois tomes du "brouillon" d’un journal de jeunesse écrit entre 1938 et 1944. François Sentein est né le 20 avril 1920. Minutes, librement esquissées, la seule forme où l’insatisfaction et le désir de perfection ne viennent pas paralyser la création : « … Il faut lire celles-ci comme des esquisses, essais ou brouillons de l’article que l’on pourrait faire si… et que, le lendemain ou un demi-siècle plus tard, on retrouverait fixées pendant la nuit au marbre de la composition : choses vues, gens entendus, aventures vécues ou rêvées dans les rues d’une vie qui est une promenade – qu’on avait oubliées et qu’on lit comme des nouvelles ».
Quant au libertin, il faut aller en chercher la juste définition dans le Grand Larousse encyclopédique : « un homme sans ambition, occupé de cultiver son esprit et de se connaître soi-même ».
En cette occupation, le plaisir ne joue pas un petit rôle. Car Sentein ne vit jamais dans le plaisir l’ennemi de la vérité, qui est le vrai but que l’homme de qualité impose à sa liberté, mais son plus parfait accomplissement. Et de citer Vauvenargues : « La plus grande perfection de l’âme est d’être capable de plaisir », et Bossuet prêchant devant Louis XIV : « Ce plaisir sublime de soulager les misérables (…) Ah, que ce plaisir est saint ! Ah, que c’est un plaisir vraiment royal ! Sire, Votre Majesté aime ce plaisir. » François Sentein confesse que si Maurras l’a converti à la monarchie, ce n’est pas par le système abstrait en lequel on caricature trop souvent sa pensée, mais parce qu’elle était la seule, au contraire, à prendre en compte une chose aussi concrète que le plaisir, citant « la phrase, d’une simplicité évangélique », qui le décida pour lui : « Vous croyez que l’on fait des enfants, détrompez-vous : on embrasse sa femme ».
De même la monarchie le convainc-t-elle non par sa supposée perfection, mais par la place qu’elle laisse au hasard et au péché originel (« Le péché originel pour tous, voilà mon égalité, voilà ma démocratie »), qui fait d’elle une sorte d’« anarchie cohérente » qui, n’étant pas fondée sur la raison ni sur un principe abstrait, est le régime qui demande le moins d’adhésion à l’individu, et donc le laisse dans la plus grande liberté possible. Liberté qui est aussi celle du souverain, au rebours de l’élu ligoté par ses intérêts : « Qu’est-ce qu’un fils de roi, sinon quelqu’un qui n’a rien fait pour être roi ? Le seul en qui puissent être couronnées un jour, par hasard et par bonheur, des qualités d’intelligence, d’imagination, de sensibilité, de noblesse, de désinvolture, qui lui ôteraient, autrement, l’envie et lui interdiraient l’espoir de la moindre carrière électorale, du moindre sous-secrétariat d’État… Et nous nous prosternons devant ce miracle. Notre pensée politique monarchiste c’est l’intrusion de la grâce dans la société, qui est le domaine des droits c’est-à-dire en définitive du droit du plus fort. »
Ainsi, au fil de notations éparses, Sentein dévoile-t-il une philosophie de l’existence qui doit tout au réel et rien aux nuées, et qui trouve dans la tradition l’espace le plus large où déployer sa liberté, comme l’appui qui donne toujours une longueur d’avance : « ma politique : la tradition libératrice ».
De même, ce libertin exilé d’une religion catholique qui condamne sa sensibilité, et dont les Minutes ne dissimulent rien, ne cédant ni à l’impudeur, ni à l’hypocrisie, témoigne de l’admiration qu’il garde pour cette foi catholique dont il continue de défendre la justesse. Ce catholicisme qui, loin d’étouffer la liberté, la stimule, lui donnant ses raisons – chantant ainsi les anciens cantiques « avec leur appel de mystère qui étonne la raison et rend intelligent ».
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Pierre Van Ommeslaeghe présente le livre de David Van Reybrouck : "Contre les élections" :"Le grand intérêt de ce livre est qu’il montre le sérieux et les avantages du tirage au sort pour nos pays. Loin d’être une idée issue d’esprits farfelus, le principe d’une représentation au moins partielle des citoyens fondée, comme pour les jurys populaires, sur le hasard est à prendre au sérieux…"
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