"Moi, Khaled Kelkal"… un superbe roman de Salim Bachi… Un roman que tous ceux qui aiment l'Algérie devraient expressément lire… Une méditation inattendue sur les crimes gaullistes et leurs métastases… Des crimes qui ne concernent pas seulement les Harkis, les Européens ou les Juifs séfarades… mais tous ceux qui alors vivaient en Algérie, et à présent tous leurs enfants… La détresse de tous ces Beurs déracinés, le désarroi de tous les Algériens restés sur leur terre natale soumise à la loi de corrompus du "nouvel État démocratique et populaire" est tout aussi proche de la nostalgie orpheline de ceux qui alors ont voulu malgré tout défendre une Algérie qui aurait été proche de la France… Dès lors Khaled Kelkal est une victime du gaullisme comme ceux qui en 1995 ont été atteints dans leur chair par son désespoir… Une attitude criminelle de politiciens français qui ne s'est toujours pas éteinte… La mise à mort de Mohamed Merah et celle des victimes que l'on voudrait lui imputer sont aussi à porter au passif du gaullisme… Sans les crimes de DeGaulle et son racisme atavique Mohamed Merah n'aurait pu être manipulé ni par de supposés islamistes ni par les services spéciaux français et en être la proie… Que penser des agressions systématiquement commises contre des Arabes… L'assassinat de Mouammar Kadhafi… L'agression actuelle contre la Syrie… De concert avec cette haine raciste des Arabes, se perpétuent mensonge, duplicité, hypocrisie… Que penser de ce magistral discours d’aveu sans doute écrit par la belle plume d’Henri Guaino et lu avec une application obséquieuse en présence de quelques fils de Harkis par un président gaulliste aux abois… Décidément les gaullistes d'aujourd'hui restent les dignes héritiers de leurs prédécesseurs… Vivement qu'ils disparaissent à jamais du paysage politique français…
Un passage du livre de Salim Bachi : "Moi, Khaled Kelkal"… à méditer… avant d'aller voter, pour ceux qui malgré tout en auraient l'intention :
Quelques années plus tôt, on m'aurait guillotiné. Mais les temps changent et une balle dans la tête suffit à présent à vous juger. La peine de mort ne prend plus la peine d'être capitale. Elle est minimale et passe à la télévision. C'est d'ailleurs la raison d'être des terroristes : faire peur, redonner un visage à la mort.
Pendant ce bel été 1995, la mort prit mon visage de gamin de 24 ans, sorti du bois de Vaulx-en-Velin, une banlieue lyonnaise où creva toute une génération de gosses. J’y ai grandi comme une âme en exil, solitaire et vague, à la recherche de la lumière qui enflamma mon enfance. On ne retrouve rien des origines : elles se perdent dans les remous du temps et de la mémoire. Il a fallu la prison pour que je fasse la part des choses et m'invente ainsi une nouvelle mythologie. Rien de paradoxal à cela. Enfant je percevais déjà que les histoires de mon père et de ma mère sur l'Algérie ne signifiaient plus rien et, en définitive, appartenaient au domaine du rêve ou de la fable.
Ils avaient été chassés du paradis, selon eux, parlaient d'y retourner, enchantaient leur mémoire, se lamentaient de ne plus y être, se plaignaient sans cesse et n'agissaient plus, emprisonnés par leurs fantasmes. Je savais que nous ne reviendrions jamais. Nous nous contenterions du paysage morne de la cité le restant de notre vie. Jamais je n'aurais pu leur faire entendre raison tant ils se complaisaient dans leur prison de souvenirs, dorée comme des matins calmes et chauds où les martinets, croissants furtifs et noirs, ponctuent le ciel en Algérie.
Nous retournions en enfance chaque été. Pendant un mois, nous régressions vers cette région de l'âme qui ressemble à une caverne où s'agitent des spectres. Mon père chargeait la voiture ; et nous descendions à Marseille pour prendre le bateau. Après une nuit sur la mer Noire, nous arrivions à Alger où il fallait passer des heures à la douane. Véritables suspects, parias du nouvel État démocratique et populaire, nous étions fouillés comme des criminels. Il fallait déballer valises, sacs, explorer les recoins de la voiture, démonter les roues parfois. Déjà le rêve s'effilochait devant l'attitude des douaniers et des flics qui maraudaient en nous donnant des ordres, rendant notre arrivée au paradis infernale. Nous n'avions alors qu'une hâte, revenir en France, à Vaulx-en-Velin.
Le pire était atteint lorsque nous retrouvions les gens de notre famille qui nous regardaient avec des yeux ronds et gourmands comme si nous étions les envoyés du Père Noël. À présent, je les comprends, ils vivaient la terrible période de l'Algérie fière et pauvre, assise sur son tas de pétrole mais incapable de nourrir sa population.
C'était l'époque de la révolution agraire. Il n'y avait plus au marché que des carottes ou des pommes de terre : un continent de patates socialistes. Pas de lait, pas de viande, de la purée pour l'année. Pareil pour les chaussures, les chemises, les pantalons. Des entreprises d’État fabriquaient le même modèle, à l’infini. Les chemises ressemblaient à des camisoles, les pantalons à des sacs, les chaussures à des sabots. Les critiquer revenait à s'en prendre à l'étoile qui se levait sur l'Afrique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire