Tu sais j'écris comme un médium fait tourner les tables, avec horreur et dégoût. Je n'aime pas, je n'ai jamais aimé écrire. Je trouve d'abord la posture grotesque ― Ce type accroupi comme sur une chiotte en train de se presser le ciboulot, s'en faire sortir ses chères pensées ! Quelle vanité ! Quelle stupidité ! Ignoble ! Je ne m'en excepte pas !
J'ai écrit pour sortir d'embarras matériel ― rien que le mot écrire me fait vomir ― ce prétentieux vocable : « Il écrit ! » À fesser ! Immonde ! Le malheur a voulu que la nature me refuse un don expérimental, scientifique et me donne ce tour hystérique émotif ― Don ? c'est beaucoup dire ― Poète encore comme Lamartine ou musicien comme Mozart… Mais jaboteur ? confidentieux… pouah !
Shakespeare prétend que nous sommes de la même étoffe que nos rêves. Le mien n'était pas d'écrire des romans ! foutre ! Je le fais comme une bourrique qu'on fouette ! Cela me fait mal à la tête ― m'empêche de dormir ― me fait bourdonner ― bref c'est un sale supplice dégoûtant. Ma vocation était médicale ― mon idéal : Semmelweiss ou même Axel Munthe ― mais Céline ? foutre quel pauvre fatigué raté ! On ne m'en dira jamais autant de mal que j'en pense ― on ne saura jamais le chagrin qu'il m'a fait !Lettre à Albert Paraz , 11 septembre 1949
Louis-Ferdinand Céline
Carnets de Voyages en Syrie avec la Communauté syrienne de France
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