Qui ne risque rien n'est rien… sur le chemin de Damas, alors que les opinions ont cédé face aux faits…
on ne le dit assez : un âge n'en chasse pas un autre, tous les âges qu'on a vécu coexistent à l’intérieur de soi, ils s'empilent, et l'un prend le dessus au hasard des circonstances.

samedi 3 septembre 2022

Pour un voyage dans le temps en Thaïlande… une référence !



Une invitation à découvrir le blogue de deux passionnés de la Thaïlande, vivant aujourd'hui en compagnie de leurs épouses thaïes quelque part en Isan :


Puisqu'il y est avant tout question d'histoire, quelle meilleure occasion que de découvrir ce blog à travers un article qui nous concernera tous, le voyage en Thaïlande mais un voyage aux temps jadis, au Siam…
Bonne découverte !… Et n'oubliez, chaque dimanche matin un nouvel article…




Claudius Madrolle (1870-1949) : De Marseille à Canton, guide du voyageur,
publié en 1902 par le Comité de l'Asie française :
Indo-Chine, canal de Suez, Djibouti et Harar, Indes, Ceylan, Siam, Chine méridionale
(en téléchargement libre sur Gallica)


Le voyageur curieux – et argenté – qui parcourait le monde dans les premières décennies du siècle dernier et au siècle précédent n’était pas sans ressources. Il avait naturellement en poche l’incontournable guide Baedeker le plus souvent en anglais ou en allemand, parfois en français. On ne part pas alors visiter le monde sans son Baedeker en poche. Malheureusement pour celui qui voulait visiter le Siam et ne parlait pas la langue de Goethe, la seule édition concernant le pays, « Indien » incluant les Indes, la Birmanie, la Malaisie, Java et le Siam n’a été publiée à Leipzig qu’en 1914 en allemand, toutefois "Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande.over-blog.com" n’a pas pu la consulter. Mais nous avons notre « Baedeker » français, Claudius Madrolle, qui concurrençait avec avantage Baedeker puisqu’il le faisait en français. Trois de ses publications concernent le Siam mais seule celle de 1902 nous concerne (1). Il a pour nous un avantage exceptionnel par rapport aux guides allemands, c’est que – indépendamment des précisions historiques, linguistiques et culturelles puisées aux meilleures sources, les érudits de l’École française d’Extrême-Orient, Georges Coédès en particulier – et d’une solide bibliographie, Madrolle a systématiquement arpenté lui-même les sites qu’il nous décrit, dans des conditions inconcevables aujourd’hui comme nous allons le voir.


Claudius Madrolle (22 juillet 1870 - 16 juin 1949), par Nadar



Claudius Madrolle, Dictionnaire biographique international des folkloristes, des voyageurs et géographes
1, Dictionnaire international des folkloristes contemporains…
Tome premier (1894) / sous la direction de Henry Carnoy, page 141
(en téléchargement libre sur Gallica)

 

Qui visite alors le Siam ? Ceux qui y sont appelés par leurs fonctions, les missionnaires au premier chef qui ont le mérite d'avoir appris la langue avant leur arrivée et bénéficient d'une structure d'accueil. Les employés de la mission diplomatique et quelque employés de sociétés françaises. Il y a 205 Français au Siam en 1902. Ceux qui participent à des missions d'exploration, d'architecture, d’archéologie bénéficient de l'appui des autorités coloniales indochinoise, guides, porteurs, interprètes, escorte armée parfois. Les autres sont de riches oisifs avides de découvrir le monde et ont des relations puissantes.  Le comte Ludovic de Beauvoir accompagne le Duc de Penthièvre en 1878, le Prince Henry d'Orléans en 1892, ils seront reçus par le roi. Noblesse oblige… Isabelle Massieu en 1901, oisive, curieuse et riche, même si elle n'est pas reçue au Palais royal elle l'est à l'Ambassade avec déroulement du tapis rouge. Madrolle est riche, explorateur et cartographe, "Grande-et-petites-histoires-de-la-thaïlande" a donné quelques éléments sur sa vie dans un précédent article (2).
 

Isabelle Massieu

Comment voyager alors au Siam ?

Par route ? Que nous dit Madrolle encore en 1926 ? « Routes : Le Siam ne possède pas encore de routes comparables à celles de l'Indochine ou de la Malaisie. Il n'est même pas possible de sortir de Bangkok en automobile. Cependant, quelques voies routières ont été aménagées dans certaines provinces. Dans l'est, Khorat est le point de départ d'une série de pistes routières rayonnant vers le nord-est où il serait imprudent de s'aventurer avec une automobile ». Ces pistes ne sont praticables que 6 mois de l’année et les trajets doivent s’effectuer alors par voie d’eau ou en char tiré par des buffles dont la vitesse est de 2 kilomètres à l’heure.


Char à buffles, provinces d'Isan, en1906
[Musée de Korat]


Zone d'hébergement pour les voyageurs venant de Bangkok avant d'atteindre Dong Phaya Yen
Actuellement, il s'agit du district de Pak Chong, province de Nakhon Ratchasima.

[Musée de Korat]


En chemin de fer ? En 1902… le réseau s’étoffera dans les années suivantes. De Bangkok, une ligne de 20 kilomètres part vers le sud jusqu’à Paknam. Une autre rejoint Khorat sur 265 kilomètres et 10 heures de trajet. Une autre enfin à 90 kilomètres de Bangkok rejoint Nakhonsawan. La ligne vers Rachaburi et Petchaburi est alors en construction.

Hors Bangkok, la structure hôtelière est inexistante, il ne reste que la solution de s’installer dans une sala peu confortable. Lorsque Madrolle ira visiter le site archéologique de Phimaï, il nous apprend que depuis la construction d’un vice-consulat à Khorat, le vice-consul héberge ses compatriotes voyageurs.

L'innovation la plus frappante à Korat était le consulat français. Il n'y avait pas de protégés français, et il n'y avait pas de commerce français ;
mais un très charmant consulat a été construit pour remplacer le précédent bâtiment occupé par le consul et son interprète, où nous étions reçus avec hospitalité…
La vie du consul doit être singulièrement solitaire, car il n'a pas la distraction du travail pour occuper son esprit…
(Herbert Warrington SMYTH « Five Years in Siam from 1891 to 1896 », Vol. 1, John Murray, London, 1898 p. 249).

Une excursion à Phimaï… il y a un siècle

Les voyages de Madrolle tiennent plus de l'exploration que du tourisme proprement dit : une rigoureuse préparation et des guides locaux indigènes et interprètes restent souvent indispensables ; la fatigue et les maladies, monnaie courante.

Carte des itinéraires vers le Siam et la Chine établie par Madrolle



Mais avant de visiter le Siam, encore faut-il s’y rendre. Il n'y a que la voie maritime…

Et il faut obligatoirement passer par Saïgon. En 1902, la Colonie reste difficile d'accès. Seules trois compagnies de navigation offrent le voyage de Marseille à Saïgon, soit les Messageries Maritimes, la Compagnie nationale de navigation et les Chargeurs Réunis, qui font la navette mensuellement. Autrement, il faut avoir recours aux navires étrangers pour se rendre d'abord ailleurs en Extrême-Orient (Singapour, Hong Kong, Yokohama) et ensuite attraper la connexion d'une compagnie obligatoirement française ; aucune compagnie étrangère n'offre d'escale à Saïgon ou Hanoï. Les services sont en général bimensuels.

Publicité : Chargeurs réunis
(L’Indochine : revue économique d’Extrême-Orient, janvier-février 1935)

Saïgon. — L'Hôtel Majestic. À gauche, l'agence des Chargeurs réunis
Coll. Olivier Galand
www.entreprises-coloniales.fr/empire/Coll._Olivier_Galand.pdf

 

Le trajet depuis Marseille serait le suivant d'escales en escales puisqu'il faut faire le plein de charbon : - de Marseille à Port-Saïd : 1510 miles – de Port-Saïd à Suez : 87 miles (arrêt pour débarquer le pilote du canal), - de Suez à Djibouti : 1284 miles – de Djibouti à Aden : 133 miles - de Aden à Colombo : 2093 miles – de Colombo à Singapour : 1570 miles – de Singapour à Saïgon : 648 miles ; soit un périple d'environ 7325 miles marins soit à peu près 13565 kilomètres [source :Voyage maritime, 1924 – Premier voyage en Indochine – S/S Angkor].

On découvre Tintin expliquant à Milou les escales du voyage jusqu’à Shangaï. Pour Milou l’aventure s’annonce comme un long ennui.
Cette lenteur, si elle semble ravir Tintin, fait ronchonner Milou : « Encore une escale !… À quand le terminus ? […]
Ça n’en finira jamais ! […] Tu trouves ça gai, toi, ce bateau qui avance comme une tortue et où il ne se passe jamais rien… »


Madrolle nous donne un devis significatif : il faut beaucoup de temps et beaucoup d’argent ! Le voyage dure jusqu'à Bangkok un peu moins d'un mois et le prix du passage aller-retour, nourriture et logement, est en première classe de 2 813 de nos anciens francs et de 1 913 en seconde. Les navires comportent 4 classes, les deux dernières étaient probablement destinées aux transports de troupes. Le passager de 1ère classe a droit à 150 kilos de bagages, les autres à 75.



En première classe tout au moins une cinquantaine de cabines avec toutes les installations modernes : grand salon, cabines à deux couchettes, cabines pour dames seules, fumoir, salles de bain, glacière.


Paquebot-Poste Laos : la descente des 1ères
Encyclopédie des Messageries maritimes



Paquebot-Poste Laos : le fumoir
Encyclopédie des Messageries maritimes


L’étude de divers comparateurs dont celui de l’INSEE qui est probablement le meilleur nous apprend que ce bon vieil ancien franc que nous avons connu pèserait aujourd’hui (2021) 4,06 euros.



Le voyage en première classe vaudrait donc aujourd'hui environ 11 420 euros… et en seconde près de 7 800 euros.

Quels sont les salaires ou émoluments à Paris au début du siècle dernier ? Une cuisinière gagne 350 francs par an, un domestique, 500 francs, les garçons de café ne sont payés qu’au pourboire. Pour ceux qui ont eu la chance d’avoir suivi des études et d’exercer une profession plus privilégiée : un instituteur débutant gagne 875 francs annuels, un juge débutant 1 833 francs l’an, dans la justice, le traitement moyen est de 5 000 francs par an. Le prix du voyage le rend donc inaccessible au commun des mortels.

Madrolle y ajoute 100 francs de faux frais (406 euros) tout au long du voyage. Qui, fut-il - haut magistrat - à la condition qu’il en ait les loisirs, consacrera 6 mois de ses revenus à ce voyage ?

Avant l’arrivée à Saïgon, signalons deux monnaies ayant cours dans ces contrées lointaines. Le bath s’appelle alors le tical, sa contre-valeur peut être estimée  à 1,50 franc soit environ 6,10 euros, – bien que ce soit sujet à variation.


La piastre indochinoise, la fameuse piastre d’argent est également sujette à variations mais on peut l’estimer en moyenne à 1,75 francs soit un peu plus de 7 euros.



Ces données restent toutefois incertaines d’autant plus que ces dates sont anciennes, on peut les retenir mais avec une incertitude de plus ou moins 20 % ; elles nous donnent cependant une bonne approximation.

Arrivé à Saïgon, le voyageur devra prévoir d’y rester un « certain temps » puisque Bangkok est desservie par la compagnie de navigation « Messageries fluviales de Cochinchine » seulement deux fois par mois.



Saigon – Le “Donaï” des Messageries fluviales à l’appontement


Le trajet est d’environ deux jours et demi avec deux escales dans la Colonie et une autre à Chantaboun avant l’arrivée à Bangkok. C’est un trajet de plus de 1 500 miles, ne l’oublions pas. Madrolle nous donne – en dehors des curiosités à visiter dans la ville, quelques prix : par exemple, au Grand Hôtel continental de Saïgon la pension dans une chambre confortable coûte de 3 à 4 piastres soit entre 21 et 28 euros. Le prix du trajet est de 200 francs en premières classes et 120 en secondes (812 et 487 euros).


Saïgon - Hôtel Continental… depuis 1880 !

 

Arrivé à Bangkok, le courrier français jette l'ancre entre la Légation de France et la Douane siamoise. Les douaniers montent à bord. On devra faire visiter ses bagages et solder les droits d'entrée avant d'être autorisé à les faire débarquer. Les armes sont souvent une cause d'ennuis. De nombreuses barques entourent le vapeur pour conduire à terre passagers et colis.
Madrolle signale au premier chef l’Hôtel Oriental dont les tarifs ont bien changé depuis lors : la pension coûte de 10 à 18 ticals soit environ 40 et 73 euros et 26 ticals pour un couple (105 euros), il voyage en général avec son épouse.

Hôtel Mandarin Oriental : publicité d'un guide de Bangkok, 1915


Par comparaison, pour le voyageur qui doit s'embarquer à Marseille, Madrolle signale Grand Hôtel de Noiailles, alors le plus luxueux de la ville dont le prix des chambres varie de 4 à 16 francs (de 16 à 65 euros) et les repas de 4 à 6 francs (24 euros).

 

Grand Hôtel Noailles-Métropole, Marseille


Il est une formalité signalée : pour pénétrer dans le Palais royal ou dans la plupart des principaux monuments (pagodes), il faudra une autorisation spéciale demandée par l'intermédiaire du consulat. L’hôtel choisi a le mérite d'être mitoyen de la Légation française. Pour circuler dans la ville, on peut pour ses loisirs louer une voiture à deux chevaux pour la journée à 8 ticals soit 33 euros. C’est probablement le transport choisi par Madrolle pour sa visite – émerveillée - de Bangkok. Pour l'époque, ce qu’il en dit ne se trouve que rarement sinon jamais ailleurs. Accompagné d’un guide, probablement fourni par l’hôtel, en dehors des marchés, il visite - nous dit-il [vue 50 page 166 et suivantes], "les principales curiosités : fleuve, Palais royal et Vaht Phra-Kéo, Vaht Maha-tat, Vaht Poh, Vaht Sikket, Vaht Cham (sur la rive droite), les marchés dont le Sampeng"


La ville royale et son palais



Wat Phra Kaeo


Wat Mahatat



Wat Poh



Wat-Saket


Wat Arun
Selon la description de Madrolle, le "Vaht Cham" serait le Wat Arun [vue 50 page 166 et suivantes]
Madrolle mentionne également  à proximité de ce wat un fort qu'il nomme "Fort Cham" et qui correspondrait au fort Wichaï Prasit.


Sa déception commence sur les klongs où l’on voyage tant mais qui ne remplissent que partiellement leur rôle d’égout collecteur quand la marée est haute mais nullement quand elle est basse, la vue et l’odorat sont offensés. La Venise de l’Orient y perd son charme. Bangkok est une ville qui pue, on pisse et on défèque partout, jusqu’aux portes des temples et des bâtiments royaux. Les klongs qui servent d’égouts y sont le vecteur essentiel des épidémies endémiques de typhus et de choléra.




Il est permis de penser que lors de son séjour conjugal à Bangkok, Madrolle a passé quelques jours dans les fastes de l’Hôtel Oriental…



Un en-cas au Mandarin Oriental en 1911


Une visite à Ayuthaya s’impose : 70 kilomètres, il conseille le voyage par le fleuve en louant une chaloupe à la journée et en prenant la précaution de prendre ses vivres. Le trajet occupe de 7 à 9 heures à l’aller et 5 à la descente, de 20 à 25 ticals environ 80 ou 100 euros.

Le trajet en chemin de fer, deux ou trois heures, est moins pittoresque et moins onéreux ; trois ticals pour les premières, deux pour les secondes et un pour les troisièmes (12, 8 et 4 euros).

Le touriste est immédiatement attiré par les ruines de l'ancienne capitale, tristement abandonnées aux ravages du temps. Il faut les découvrir dans l'épaisse et vigoureuse végétation qui les a envahies et, en présence de leur importance, on demeure étonné de la facilité et de l'indifférence avec laquelle ce peuple siamois abandonne de si beaux édifices pour porter ses affections sur de nouvelles constructions. Quelqu'un a dit qu'au Siam on n'entretient pas les pagodes ; quand elles menacent ruines, on en construit de nouvelles. Cette réflexion de Madrolle est judicieuse et toujours d’actualité mais – faut-il le préciser – si un bon bouddhiste préfère construire plutôt que rénover, c’est pour la raison essentielle qu’il y gagnera plus de mérites pour sa prochaine vie.


En 1891, Lucien Fournereau est envoyé par le Musée du Trocadéro au Siam
Le Siam Ayuthia / [mission] Fournereau ; conférence donnée par Fournereau, 1891


Madrolle donne un devis global pour un séjour de deux mois en Indochine… Au coût de 1 500 francs (6 000 euros) pour le voyage de Marseille à Saïgon s'ajoute celui du voyage et du séjour à Bangkok et les « faux frais  », son estimation s'élève à 4 000 francs (16 000 euros). Si l’on remplace les 500 francs de séjour en Indochine par quelques jours à Bangkok, la note restera sérieuse.

Nous ignorons combien de « touristes » recevait le Siam en 1902… Une enquête du Touring club de France fait état d'un maigre cumul de 150 touristes qui débarquent annuellement en Indochine en 1913.

Vers le tourisme « de masse » ?

Le développement de l’aviation ne va toutefois pas ouvrir la Thaïlande au grand tourisme. S’il y eut des vols ponctuels en direction de l’Indochine avec escale à Bangkok, la première ligne commerciale fut créée par Air-Orient et sera ensuite reprise par Air France. Les conditions même de ce vol laissent à penser que les passagers ne l’empruntaient pas par plaisir mais par obligation.


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La ligne aérienne française d'Extrême-Orient
Bulletin de l'Agence économique de l'Indochine (1er janvier 1934), pages 463 à 466
Source : gallica.bnf.fr / CIRAD
Quand voyage ne se confondait pas avec tourisme…
et que Damas était sur le chemin de Bangkok !


Air-Orient : Plan de vol et horaires



 L'Extrême-Orient, avec ses foules humaines et ses richesses naturelles, constitue un énorme marché qui reste l'un des objectifs des nations blanches, engagées dans les voies de la colonisation et de l'industrialisation.

En ce siècle de progrès technique vertigineux, où la distance paraît presque abolie, l'essor de la Navigation aérienne a permis de tendre entre l'Europe et le Pacifique un réseau de lignes de transport rapide.

Quatre puissances européennes, l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas rivalisent actuellement sur les routes aériennes de l'Extrême-Orient, tandis que les États-Unis d'Amérique organisent l'aviation chinoise.


  * * *

Sur la voie aérienne du Nord, qui va de Berlin à Pékin à travers l'Allemagne, la Pologne, la Russie et la Chine, c'est une société sino-allemande, l’Eurasia, qui cherche à créer un service régulier. Malgré ses efforts, elle n'a pu encore aboutir, en raison des obstacles physiques et politiques rencontrés sur son itinéraire. L'extrême rigueur du climat en Sibérie et en Asie Centrale, la nature désertique et inhospitalière d'une grande partie du trajet, la résistance de certaines populations à toute pénétration étrangère ont entravé jusqu'ici la réalisation des projets allemands.
Les routes aériennes d'Extrême-Orient, par le sud de l'Asie sont mieux outillées. Plusieurs itinéraires traversant l'Europe du Nord-Ouest au Sud-Est sont fréquentés par les avions occidentaux qui atteignent l'hémisphère du Pacifique en survolant ensuite l'Asie Mineure, la Perse, l'Hindoustan et l'Indochine.
Sur ces itinéraires fonctionnent, chacun une fois par semaine dans les deux sens, trois services aériens, de l'Angleterre, de la France et des Pays-Bas, qui assurent la liaison entre la Métropole et les lointaines colonies de ces trois nations.

La ligne anglaise de la Cie Imperial Airways réunit Londres à Singapour en huit jours : elle dessert l'Égypte, l'Irak, l'Empire des Indes et la Malaisie anglaise. Ce service sera bientôt prolongé vers l'Australie par celui de l'Australian Empire Airways, allant de Singapour à Port Darwin.
Les avions d’Air France, sur la ligne France-Syrie-Indochine, font en huit ou neuf jours la traversée Marseille, Beyrouth, Saïgon.

La ligne hollandaise exploitée par la Cie Royale de transports aériens (K. L. M.) réunit Amsterdam à Batavia en 7 jours par l'Europe Centrale, les Balkans, l'Asie Mineure, la Perse, l'Inde anglaise, le Siam, la Malaisie, Sumatra et Java.

  * * *
La France et la Grande-Bretagne, qui ont des possessions et de très gros intérêts économiques en Chine, s'efforcent d'y faire aboutir leurs lignes aériennes d'Extrême Orient.

C'est dans ce but que la ligne française, dirigée uniquement jusqu'ici vers Saïgon, va bifurquer de Bangkok sur Hanoï, d'où elle doit se prolonger vers Hongkong et Canton.

C'est également pour réaliser une liaison avec la Chine méridionale, où elle possède le grand emporium de Hongkong, que l'Angleterre tâche d'organiser à travers la péninsule indochinoise une ligne de Chine s'embranchant sur celle de l'Australie à Rangoon ou à Singapour.

Ce prolongement au-dessus du territoire chinois de lignes d'aviation européennes présentent de sérieuses difficultés beaucoup plus politiques que techniques.

Le survol de la Chine exige, en effet, des négociations ardues avec Nankin et Canton, c’est-à-dire avec des gouvernements soucieux à l'extrême de sauvegarder leur prestige et de ne rien concéder à une puissance étrangère sans garantie de réciprocité. D’autre part l’organisation de ces nouvelles lignes se heurte aux positions acquises depuis assez longtemps en Chine par d'autres nations blanches et en particulier par les États-Unis.

Les Américains qui ont une grosse influence à Nankin ont pris, techniquement et financièrement, une part très active à l'organisation de l'aviation chinoise. Ils exercent pratiquement la direction de la C. N. A. C. (China National Aviation Corporation) qui a créé plusieurs services aériens à l'intérieur de l'immense territoire chinois, encore très en retard au point de vue des communications terrestres et ferroviaires.

Parmi les lignes sino-américaines en voie de fonctionnement ou d'organisation, on peut citer celles de Shanghaï-Chunking, de Shanghaï-Canton, de Shanghaï-Tien-Tsin par Nankin pour la C. N. A. C., de Canton-Lang Tchéou pour la Southern Aviation Co, la Société sino-allemande Eurasia a créé de son côté un service régulier de Canton à Hankéou.

  * * *
Après cet exposé d'ensemble, qui était nécessaire pour déterminer les buts et les conditions de notre effort aérien vers le Pacifique, nous allons examiner sommairement l'historique, l'itinéraire, l'exploitation et les réalisations prochaines de la ligne française d'Extrême-Orient.

Historique — L'établissement d'une ligne aérienne longue de 12 000 kilomètres, fonctionnant régulièrement à travers la mer et la montagne, le désert et la jungle, en dépit des difficultés du climat tropical, représente, on le comprend, une longue série d'efforts considérables au triple point de vue technique, financier et diplomatique. Il s'agit, en effet, non seulement de l'équipement de l'infrastructure par les États que survole la ligne, des négociations internationales préparant le trafic régulier, mais aussi de la construction et de la mise au point, pendant de longs mois, d'appareils offrant toutes les garanties nécessaires de rapidité, de vitesse, de puissance, de confort et de sécurité.
Dans ces conditions on s'explique que notre ligne d 'Extrême-Orient exige encore, pour répondre à l'activité des concurrents étrangers, de nouveaux efforts succédant à ceux que les compagnies françaises subventionnées ont accompli depuis neuf années.
Ces neuf années peuvent se diviser en cinq années de préparation, de 1926 à 1930, et quatre années de réalisation, de 1931 à 1934.

La préparation commença aux deux extrémités de la ligne, en Méditerranée et en Indochine. En Méditerranée, la Société Air Union Lignes d'Orient assurait le fonctionnement de la ligne de Syrie (Marseille à Beyrouth) prolongée en 1930 jusqu'à Bagdad. En Indochine, une Société d'études fondée en 1926, devenue en 1928 Air Asie, préparait par des vols d'essai l'organisation de la ligne.

Dès 1929, fonctionne deux fois par mois un service aérien postal Paris-Saïgon, assuré d'Amsterdam à Bangkok par les avions de la Cie hollandaise K. L. M., de Bangkok à Saïgon par ceux d'Air Asie.

L'année 1930 voit redoubler les efforts en vue de l'organisation d'une ligne française. Air Union Lignes d’Orient et Air Asie fusionnent en une seule société : Air Orient. La mission Noguès-Allègre reconnaît le parcours total en vue du fonctionnement commercial du Service.

Au début de 1931 commence la phase de réalisation. Air Orient organise un service postal français entre Marseille et Saïgon qui fonctionne deux fois par mois sous pavillon français et deux fois par mois à l'aide des avions hollandais de la K. L. M. entre Bagdad et Bangkok.

En 1932, le Service devient entièrement français et hebdomadaire sur toute la ligne.

En 1933, la création de la Cie Air France, qui se substitua à Air Orient sur le trajet Marseille-Saïgon, marque une étape décisive dans la voie de la concentration des moyens.

En 1934, la durée du parcours, qui était de 11 jours en 1929, est réduite à 8 jours en été et à 9 jours en hiver. Le Service permet le transport en toute sécurité, et à des prix très abordables, des passagers, de la poste et des messageries. 

* * *

Itinéraire — La route aérienne qui conduit de France en Chine par la Méditerranée et l'Asie Méridionale est, sans nul doute, une des plus magnifiques et des plus captivantes que l'on puisse suivre, magnifique par la variété et le pittoresque des contrées visitées, captivante par les souvenirs et les ruines d'un passé gigantesque.
À notre époque éprise de sport et ivre de vitesse, chacun sait que l'avion transporte à une allure foudroyante le voyageur avare de son temps que ses affaires appellent à l'autre bout du monde. On se rend peut-être moins généralement compte des possibilités qu’offrent les escales semées sur la grande route d'Extrême-Orient aux gens moins pressés, penseurs, artistes, lettrés et touristes.

Pour l'homme, quelles que soient sa race et sa formation, qui est capable d'études sérieuses ou de loisirs intelligents, n'est-ce pas une joie incomparable de pouvoir évoquer, aux lieux qu'ils ont remplis de leur gloire, les grandes figures et les peuples illustres et de chercher à comprendre l'âme mystérieuse des races lointaines.
N'est-ce pas sur cet itinéraire qui relie en quelques jours l'Occident et l'Orient, si longtemps séparés, si brusquement rapprochés par les inventions modernes que se dressent en foule, devant notre esprit, les fantômes du passé et les problèmes de l'heure présente.

* * *

Suivons par la pensée cette route du ciel, qui domine tour à tour la Méditerranée et le Levant, la Mésopotamie et la Perse, les Indes et l'Indochine, et dont les grandes étapes s'appellent Marseille, Naples, Athènes, Damas, Bagdad, Allahabad, Calcutta, Bangkok, Saïgon, Hanoï.
Sous nos yeux éblouis défilent la Méditerranée, berceau de la civilisation gréco-romaine et du christianisme, ces fondements de l'âme occidentale ; Marseille et Naples, grandes cités assises dans des paysages enchanteurs, au milieu des vestiges de l’Antiquité ; Corfou, île de rêve ; et Athènes, ville de Minerve, évocatrice de sagesse et de beauté.

Ensuite vient la Syrie, porte de l'Orient, carrefour des peuples et des religions, où les Francs des Croisades laissèrent une immense renommée et où leurs descendants s'efforcent d'établir la paix et la prospérité.

Après la traversée d'un immense désert, nous apparaît l'Irak, avec Bagdad, la capitale des Califes, proche des ruines fameuses de Babylone et de Ninive, vestiges des empires fameux de Cambyse, de Cyrus et d'Alexandre. Le voyageur longe ensuite confortablement les côtes brûlées de la Perse que suivit péniblement, il y a deux mille ans, l'expédition d'Alexandre.

Sur les traces du conquérant, nous pénétrons dans les Indes orientales, entamées par l'Occident depuis quatre siècles, soumises par ses nations les plus vigoureuses au cours du siècle dernier.

C'est d'abord l'Inde britannique : le Nord-Ouest avec Allahabad et Delhi, où triompha l'Islam des Mogols, l'immense vallée du Gange, fleuve sacré, Calcutta, célèbre capitale du Bengale. Avec ses villes surpeuplées et ses foules bigarrées, ses monuments et ses sites merveilleux, ses montagnes et ses fleuves énormes, ses forêts et ses jungles ; l'Hindoustan reste pour l'homme d'Occident le pays séduisant du Mystère.
C’est enfin l'Indochine, abordée par la Birmanie anglaise, avec les étapes d'Akyab et de Rangoon. L'avion survole ensuite le Siam, le Royaume des Thaïs, avec sa capitale Bangkok, pittoresque et romantique, où vont bifurquer les deux lignes desservant l'Indochine française.

La ligne du Sud survole les ruines d'Angkor, une des plus étonnantes révélations de l'art Khmer, et aboutit à Saïgon, la perle de l'Extrême-Orient.

La ligne du Nord traversera le Siam, la vallée du Mékong, le Laos français, sereine et poétique contrée, les sommets souvent nuageux de la grande Chaîne Annamitique, passera à Vinh, dans le Nord-Annam, pour aboutir à Hanoï, capitale du Nord Indochinois, assise sur les bords du Fleuve Rouge.

Exploitation — L'exploitation de notre ligne d'Extrême-Orient s'effectue dans les conditions ci-après pour le service d’hiver 1934-35 (1er novembre au 31 mars)…

Le transport des passagers et du courrier est assuré :
1° de Marseille (Marignane) à Beyrouth par des hydravions ;
2° de Beyrouth à Damas (Syrie) par des autocars ;
3° de Damas à Saigon par des avions trimoteurs.


* * *

Les départs peuvent avoir lieu de Londres ou de Paris, ces capitales étant reliées à Marseille par les lignes d'Air France n° 476 (Paris-Londres) et n° 477 (Paris-Marseille). Départ quotidien (sauf le dimanche) de Londres à 9 heures, de Paris à 11 heures, arrivée à Marseille à 14 heures 45.

De Marseille à Saïgon s'échelonnent 16 escales visitées comme suit en service d'hiver :
1er jour - Naples (coucher ;
2e — Corfou, Athènes (coucher) ;
3e - Castelrosso, Beyrouth, Damas (coucher ;
4e — Bagdad (coucher) ;
5e — Bouchir, Djask (coucher) ;
6e — Karachi, Jodhpur (coucher) ;
7e — Allahabad, Calcutta (coucher) ;
8e — Akyab, Rangoon (coucher) ;
9e — Bangkok, Saïgon.

En été, la durée totale du trajet est ramenée à 8 jours, le voyage Marseille-Damas se faisant en 2 jours au lieu de 3.

La navigation aérienne permet donc de gagner 17 ou 18 jours sur le trajet maritime qui demande au moins 26 jours de Marseille à Saïgon.
Les voyages, hebdomadaires dans chaque sens, sont réglés de la façon suivante :
Aller : — départ de Marseille le jeudi ; arrivée à Beyrouth le samedi ; arrivée à Saïgon le vendredi de la semaine suivante ;
Retour : — Départ de Saïgon le dimanche ; arrivée à Beyrouth le vendredi ; arrivée à Marseille le lundi de la semaine suivante.

Comme pour l'aller, les correspondances d'Air France entre Marseille, Paris et Londres permettent d'atteindre ces deux dernières villes le mardi, c'est-à-dire le lendemain de l'arrivée à Marseille.


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Les prix de passage sont réellement avantageux.

La traversée coûte :
Londres ou Paris à Beyrouth ou Damas : 3 610 francs ou 47 £ anglaises;
Londres ou Paris à Saïgon : 12 230 francs ou 164 £ anglaises.

Dans ces prix sont compris les frais d'hôtel et de nourriture pendant la durée du voyage, le transport gratuit de 20 kg de bagages par personne et une assurance accidents pour un capital de 125 000 fr. Les billets de retour d’Indochine bénéficient d’une réduction de 20 % sur présentation par le voyageur de la couverture de son billet aller pendant les 12 mois qui suivent son arrivée dans la Colonie.


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Le service postal aérien permet également une grosse économie de temps pour les échanges de correspondance entre l'Occident et l'Extrême-Orient.

Une lettre partie par exemple de Paris le mercredi 5 décembre parviendra à Saïgon le vendredi 14 décembre. Le destinataire dispose de 24 heures pour répondre ; si sa lettre quitte Saïgon le dimanche 16 décembre, elle arrivera le mardi 25 décembre au correspondant de Paris qui aura ainsi une réponse en moins de 3 semaines, au lieu de l'attendre pendant 2 mois par voie maritime.

Ces avantages sont obtenus au moyen de surtaxes postales relativement faibles, savoir :
2 fr. par 10 gr. pour les lettres et paquets clos à destination de Syrie ;
3 fr. par 5 gr. pour ceux expédiés en Indochine et en Chine.

La régularité et la sécurité du trafic ont amené une notable augmentation du nombre de passagers et du poids du fret postal.

Cette augmentation est indiquée ci-après :
Passagers : 63 en 1932, 86 en 1933 ;
Poste : 6 573 kg en 1932, 8 372 kg en 1933.

Soit pour les voyageurs une augmentation de 36 % et pour le fret un accroissement de 27 % en 1933.


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Réalisations prochaines — La Société Air France prépare pour 1935 des améliorations notables à cette exploitation. Ces améliorations concernent deux points essentiels :
1° Prolongement du service régulier vers le Tonkin et la Chine méridionale ;
2° Augmentation de la vitesse et du confort des appareils de transport.


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Nous avons expliqué, au début de cette étude, tout l 'intérêt offert par le prolongement en Chine de la ligne française d'Extrême-Orient. Cette ligne, qui dessert nos territoires de Syrie et d'Indochine et qui a surtout jusqu'ici un caractère national, trouverait dans la Chine Méridionale les éléments d'un trafic commercial avantageux et deviendrait la grande ligne internationale reliant l'Europe au Pacifique.
Le prolongement envisagé part de Bangkok, traverse le Siam par Korat, atteint le Laos français à Vientiane, sur le Mékong, franchit l'épaisse Chaîne Annamitique vers Lak Sao, gagne Vinh, à proximité de la Mer de Chine, et remonte au Nord vers Hanoï. De là elle doit atteindre Hongkong et Canton, aux bouches du Sikiang, en longeant la côte chinoise.

Pour réaliser cette extension de notre ligne, l'effort français a porté sur deux points principaux :
- Établissement de l'infrastructure nécessaire dans notre colonie (Laos, Annam, Tonkin) ;
- Négociations avec les autorités chinoises intéressées pour le survol du littoral entre Moncay (frontière du Tonkin) et Hongkong.

Grâce aux efforts du Gouvernement Général de l’Indochine, longtemps poursuivis malgré les difficultés financières, l'infrastructure en territoire français est actuellement au point.
La Cie Air France peut disposer dès maintenant de terrains d'atterrissage et des installations correspondantes pour la radiogoniométrie et la météorologie.

Les principaux terrains aménagés sont situés :
1° à Vientiane, avec poste de T. S. F. ; cette ville, chef-lieu administratif du Laos, sera un lieu d'escale mis ainsi en relations rapides avec Hanoï et Paris ;
2° à Lak Sao, au cœur de la Chaîne Annamitique, région où les perturbations atmosphériques sont fréquentes et où les appareils en difficultés doivent pouvoir se poser ;
3° à Vinh (Annam), avec poste de T. S. F. ;
4° à Gia Lam, près d'Hanoï, où ont été construits des hangars et des ateliers de réparations.

L'état des installations permet de faire aboutir la ligne principale à Hanoï dès le début de l’an prochain. Après ouverture au service du tronçon Bangkok-Hanoï, la liaison de Bangkok à Saïgon par Angkor subsistera de façon à conserver les relations rapides entre la France et le Sud Indochinois.


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Les négociations des représentants de la France et de la Société Air France avec la Chine, pour l’ouverture au trafic de notre ligne Hanoï-Hongkong, durent depuis plusieurs années.

Plusieurs essais ont démontré les possibilités d'exploitation régulière ; les pourparlers paraissent sur le point d 'aboutir et on peut espérer que nos avions pousseront jusqu'à Hongkong dans le courant de 1935.
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En ce qui concerne l'amélioration du trafic par la mise en service de nouveaux appareils, les mesures prévues concernent l'emploi de l'hydravion Lioré Olivier et de l'avion Dewoitine.
L'hydravion quadrimoteur Lioré Olivier est déjà utilisé en Méditerranée sur la section de ligne Marseille-Beyrouth (1).

Cet appareil, Le 0 24.2, est muni de quatre moteurs Gnôme-Rhône K. 7 d'une puissance totale de 1 420 C.V. Il contient une cabine intérieure confortable pour 11 passagers.

L'avion trimoteur Dewoitine, destiné à la ligne France-Chine, peut accomplir en moins de 5 jours le trajet Marseille Hanoï.

Muni de trois moteurs Hispano Suiza 9 V. de 575 C.V. de puissance unitaire, il peut atteindre une vitesse de croisière de 200 à 260 km à l'heure et transporter 1 200 kg de charge marchande avec un rayon d'action de 2 000 km par vent nul.

Il possède 8 places de passagers avec fauteuils très confortables pouvant se transformer en couchettes.

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Grâce à ces progrès du matériel de notre aviation marchande, on peut espérer que la grande ligne française d'Extrême-Orient permettra d'atteindre bientôt en 5 jours Hanoï, capitale de l'Indochine, et en 6 jours Hongkong, grand centre commercial de la Chine Méridionale.
La navigation aérienne deviendra ainsi, pour nos relations avec le Pacifique, six fois plus rapide que la navigation maritime.

Pierre Cordemoy
Bulletin de l’Agence Économique de l’Indochine

1. Des avions de ce type assurent le service des lignes Marseille-Alger et Marseille-Tunis,

Gregory Charles Seltzer,University of Kentucky : The hopes and the realities of aviation in French Indochina, 1919-1940 [en téléchargement libre] : nombreuses références aux travaux de Pierre Cordemoy sur le sujet.


Air-Orient : À Paris, postez votre courrier le mercredi avant midi !
En province, renseignez-vous !
[Consultez éléments de discussion concernant
l'historique et l'évolution du plan de vol]

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Le 4 août 1938, une liaison par semaine de Marseille à Hanoï est assurée en Dewoïtine 338. Le voyage dure 7 jours avec 14 escales dont 6 de nuit : la première à Tunis, la deuxième à Alexandrie après escales à Tripoli et Benghazi, la troisième à Bagdad après escales à Beyrouth et Alep, la quatrième à Karachi après escales à Bouchir et Djask, la cinquième à Calcutta après Jodhpur et Allahabad, enfin la sixième à Rangoon après escale à Akyab. Le septième jour, le vol atteignait Hanoï après escale à Bangkok et continuera ensuite jusqu’au terminus de Hong Kong. Sur les longues distances, l'appareil offre 12 fauteuils-couchettes. Si Madrolle profitait des nombreuses escales de ses longs voyages pour visiter le pays, nos passagers n’en n’ont pas le loisir.

Dewoitine D.338 civil en vol




Le Dewoïtine 338 était un trimoteur performant pour l’époque (vitesse 260 km/h, rayon d’action 1 950 km, altitude de croisière 3 000 m) mais il offrait une faible charge marchande (2 700 kg). Pour les 12 passagers qu’il transportait sur les lignes d’Extrême-Orient, la charge disponible pour le barman, une glacière, 5 kg de glace, des boissons plus quelques conserves, s’élevait à 80 kg ! Cette limite excluait tout agent européen d’un poids moyen de 65 à 75 kg. Le barman est donc choisi en fonction de son poids ! Afin de limiter les temps de voyage, déjà assez longs par eux-mêmes, le barman était contraint de faire embarquer les passagers pendant la mise en marche et le chauffage des moteurs (les moteurs à piston de l’époque nécessitaient une période de montée en température de dix à vingt minutes avant le point fixe et le décollage) et ce, à quelques mètres des pots d’échappement : ils étaient complètement dans l’ambiance aéronautique des pionniers avec bruit, souffle, fumée, poussières ! Ces vols, effectués de jour, suivaient principalement les côtes. Ils pouvaient être très pénibles, en particulier en période de mousson (les fronts nuageux s’élèvent jusqu’à 9 000 m, alors que le plafond du Dewoitine 338 était limité à 3 000 m). La vitesse de croisière de 260 km/h laissait s’écouler les gouttes de pluie sur les hublots. Pour les repas, le barman commandait des cartons-repas froids aux escales et en assurait le service dès l’atteinte de l’altitude de croisière. Son strapontin servait de poubelle ! Le soir, les passagers et l’équipage dînaient à l’hôtel. Le barman s’assurait que les passagers avaient bien les bagages nécessaires pour la nuit, après avoir procédé à leur débarquement au moyen de l’escabeau de l’avion.


Le 2 juin 1954 (enfin !) Air France qui a repris ses activités après guerre relie Paris à Bangkok en Constellation en 34 h 50 et 5 escales. Il y a un vol par semaine. Les précisions ci-dessus sont extraites de la belle brochure diffusée par Air-France à l'occasion des cérémonies commémorant le cinquantenaire de ses vols entre Paris et Bangkok.

En 1972, la même compagnie propose le vol AR Paris-Bangkok pour 6 040 francs en classe économique mais par sa filiale Jets Tours un séjour de 8 jours à Bangkok pour 1 900 francs. Un franc de 1972 correspond à peu près à un euro 2021.
Une formidable croissance va catapulter le tourisme parmi les plus importantes activités économiques de la Thaïlande facilité en partie tout au moins par le départ des Américains qui ont laissé leurs infrastructures, les bâtiments pour loger leurs troupes dont les effectifs s'élevèrent jusqu'à 500 000, devenus hôtels ; et les aéroports, Don Muang, Khonkaen, Utapao, Udonthani qui ne servent plus au départ des bombardiers mais à l'accueil des touristes et du fret..

Les Guides touristiques se sont multipliés, ils vont du meilleur au pire; certains tutoient le néant sans parler d'Internet où l'on trouve tout et le contraire de tout. L'un d'entre eux appartient à l'histoire, le Guide Nagel, une véritable encyclopédie de 1972 aujourd’hui hélas disparue à la suite de la liquidation de la maison d'édition.


Guide touristique de la Thaïlande, édition de 1988
Langue : français - Éditions Nagel Genève


Guide touristique de la Thaïlande (1988), Éditions Nagel


NOTES

1 - La première de 1902 à l’occasion de l’exposition universelle de Hanoï :   Guide du voyageur Indo-Chine, canal de Suez, Djibouti et Harar, Indes, Ceylan, Siam, Chine méridionale », sous les auspices du Comité de l'Asie française et avec l'appui du gouvernement général d'Indochine, puis en 1916 « Chine du Sud, Java, Japon, Presqu'île malaise, Siam, Indo-Chine, Philippines, Ports américains », en 1916 : « De Marseille à Saïgon : Djibouti, Éthiopie, Ceylan, Malaisie, Cochinchine, Cambodge, Bas-Laos, Sud-Annam, Siam. Cartes et plans » qui limite toutes les découvertes du voyageur à Bangkok, Ayuthyaya, Lopburi et Chiangmai et enfin 1926 plus complet : « Indochine du Sud, De Marseille à Saïgon : Djibouti, Éthiopie, Ceylan, Malaisie, Cochinchine, Cambodge, Bas-Laos, Sud-Annam, Siam. Cartes et plans ». Nous ne citons que ceux de ses guides qui concernent le Siam, mais Madrolle, après avoir arpenté l’Afrique a également arpenté l’Asie toute entière. Il semble bien avoir été le premier auteur d’un guide pour la Chine et le Japon. Il faudra attendre Nagel pour que soit publié un guide du touriste en Chine en 1974.

2 - INSOLITE 15. UNE EXCURSION A PHIMAI … IL Y A UN SIÈCLE

https://grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-blog.com/2017/01/insolite-15-une-excursion-a-phimai-il-y-a-un-siecle.html


    Voir aussi le blogue :

    Noy et Gilbert en Thaïlande



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