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mardi 20 septembre 2022

Louis-Ferdinand Céline… À l'agité du bocal

 

Ce texte constitue la réponse que Céline fait à Jean-Paul Sartre qui publia un article intitulé « Portrait d'un antisémite » en décembre 1945 dans la revue Les Temps modernes où il déclare « Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis c'est qu'il était payé. »

C'est à la suite de la communication qu'Albert Paraz lui fait de l'article de Sartre en octobre 1947 qu'il écrit ce texte virulent en guise de réponse à Sartre. C'est le premier texte de Céline à avoir été publié après que l'écrivain a quitté la France en juin 1944.

Dans cette missive, Céline nomme Jean-Paul Sartre : Jean-Baptiste Sartre (J.-B. S.) ; et le compare à un ténia qui aurait parasité son propre corps.

Ce texte a été écrit depuis le Danemark, en novembre 1947, après que Céline fut remis en liberté en juin. Il avait été incarcéré pendant 18 mois à Copenhague où il avait trouvé refuge après sa fuite en Allemagne.

Il envoya ce texte à Jean Paulhan qui refusa de le publier début janvier 1948 ;- et envoya simultanément un double à son ami Albert Paraz qui le publia dans son livre « Le Gala des vaches » (il en constitue les dernières pages 283-286, et en plaquette chez le jeune typographe Pierre Lanauve de Tartas, qui réalise ainsi sa première publication. [Céline, Lettres à Albert Paraz, Gallimard 2009, page 99 note 1]. 
Une édition en fut tirée en 1948 par ses amis (P. Lanauve de Tartas, Paris, s.d.). Un tapuscrit avec une note manuscrite de Céline se trouve dans le fonds Milton Hindus à l'université d'Austin au Texas (Humanities Research Center).


À l'agité du bocal


Dessin de Michel Lhomme pour « À L’agité du bocal »
Édition à 500 exemplaires par Aux dépens d’un Amateur, Genève 1978.


Je ne lis pas grand-chose, je n'ai pas le temps. Trop d'années perdues déjà en tant de bêtises et de prison ! Mais on me presse, adjure, tarabuste. Il faut que je lise absolument, paraît-il, une sorte d'article, le Portrait d'un Antisémite, par Jean-Baptiste Sartre (Temps modernes, décembre 1945). Je parcours ce long devoir, jette un œil, ce n'est ni bon ni mauvais, ce n'est rien du tout, pastiche… une façon de "Lamanièredeux"… Ce petit J.-B. S. a lu l'Étourdi, l'Amateur de Tulipes, etc. Il s'y est pris, évidemment, il n'en sort plus… Toujours au lycée, ce J.-B. S. ! toujours aux pastiches, aux "Lamanièredeux"… La manière de Céline aussi… et puis de bien d'autres… "Putains", etc. "Têtes de rechange"… "Maia"… Rien de grave, bien sûr. J'en traîne un certain nombre au cul de ces petits "Lamanièredeux"… Qu'y puis- je ? Étouffants, haineux, foireux, bien traîtres, demi-sangsues, demi-ténias, ils ne me font point d'honneur, je n'en parle jamais, c'est tout. Progéniture de l'ombre. Décence ! Oh ! je ne veux aucun mal au petit J.-B. S. ! Son sort où il est placé est bien assez cruel ! Puisqu'il s'agit d'un devoir, je lui aurais donné volontiers sept sur vingt et n'en parlerais plus… Mais page 462, la petite fiente, il m'interloque ! Ah ! le damné pourri croupion ! Qu'ose-t-il écrire ? "Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis c'est qu'il était payé." Textuel. Holà ! Voici donc ce qu'écrivait ce petit bousier pendant que j'étais en prison en plein péril qu'on me pende. Satanée petite saloperie gavée de merde, tu me sors de l'entre-fesse pour me salir au dehors ! Anus Caïn pfoui. Que cherches-tu ? Qu'on m'assassine ! C'est l'évidence ! Ici ! Que je t'écrabouille ! Oui !… Je le vois en photo, ces gros yeux… ce crochet… cette ventouse baveuse… c'est un cestode ! Que n'inventerait-il, le monstre, pour qu'on m'assassine ! À peine sorti de mon caca, le voici qui me dénonce ! Le plus fort est que page 451 il a le fiel de nous prévenir : "Un homme qui trouve naturel de dénoncer des hommes ne peut avoir notre conception de l'honneur, même ceux dont il se fait le bienfaiteur, il ne les voit pas avec nos yeux, sa générosité, sa douceur, ne sont pas semblables à notre douceur, à notre générosité, on ne peut pas localiser la passion."

Dans mon cul où il se trouve, on ne peut pas demander à J.-B. S. d'y voir bien clair, ni de s'exprimer nettement, J.-B. S. a semble-t-il cependant prévu le cas de la solitude et de l'obscurité dans mon anus… J.-B. S. parle évidemment de lui-même lorsqu'il écrit page 451 : "Cet homme redoute toute espèce de solitude, celle du génie comme celle de l'assassin." Comprenons ce que parler veut dire… Sur la foi des hebdomadaires J.-B. S. ne se voit plus que dans la peau du génie. Pour ma part et sur la foi de ses propres textes, je suis bien forcé de ne plus voir J.-B. S. que dans la peau d'un assassin, et encore mieux, d'un foutu donneur, maudit, hideux, chiant pourvoyeur, bourrique à lunettes. Voici que je m'emballe ! Ce n'est pas de mon âge, ni de mon état… J'allais clore là… dégoûté, c'est tout… Je réfléchis… Assassin et génial ? Cela s'est vu… Après tout… C'est peut-être le cas de Sartre ? Assassin il est, il voudrait l'être, c'est entendu mais, génial ? Petite crotte à mon cul génial ? hum ?… c'est à voir… oui certes, cela peut éclore… se déclarer… mais J.-B. S. ? Ces yeux d'embryonnaire ? ces mesquines épaules ?… ce gros petit bidon ? Ténia bien sûr, ténia d'homme, situé où vous savez… et philosophe !… c'est bien des choses… Il a délivré, parait-il, Paris à bicyclette. Il a fait joujou… au Théâtre, à la Ville, avec les horreurs de l'époque, la guerre, les supplices, les fers, le feu. Mais les temps évoluent, et le voici qui croît, gonfle énormément, J.-B. S. ! Il ne se possède plus... il ne se connaît plus... d'embryon qu'il est il tend à passer créature... le cycle... il en a assez du joujou, des tricheries… il court après les épreuves, les vraies épreuves… la prison, l'expiation, le bâton, et le plus gros de tous les bâtons: le Poteau… le Sort entreprend J.B.-S… les Furies ! finies les bagatelles… Il veut passer tout à fait monstre ! Il engueule de Gaulle du coup !

Quel moyen ! Il veut commettre l'irréparable ! Il y tient ! Les sorcières vont le rendre fou, il est venu les taquiner, elles ne le lâcheront plus… Ténia des étrons, faux têtard, tu vas bouffer la Mandragore ! Tu passeras succube ! La maladie d'être maudit évolue chez Sartre… Vieille maladie, vieille comme le monde, dont toute la littérature est pourrie… Attendez J.-B. S. avant que de commettre les gaffes suprêmes !… Tâtez-vous ! Réfléchissez que l'horreur n'est rien sans le Songe et sans la Musique… Je vous vois bien ténia, certes, mais pas cobra, pas cobra du tout… nul à la flûte ! Macbeth n'est que du Grand-Guignol, et des mauvais jours, sans musique, sans rêve… Vous êtes méchant, sale, ingrat, haineux, bourrique, ce n'est pas tout J.-B. S. ! Cela ne suffit pas… Il faut danser encore !… Je veux bien me tromper bien sûr… Je ne demande pas mieux… J'irai vous applaudir lorsque vous serez enfin devenu un vrai monstre, que vous aurez payé, aux sorcières, ce qu'il faut, leur prix, pour qu'elles vous transmutent, éclosent, en vrai phénomène. En ténia qui joue de la flûte.

M'avez-vous assez prié et fait prier par Dullin, par Denoël, supplié "sous la botte" de bien vouloir descendre vous applaudir ! Je ne vous trouvais ni dansant, ni flûtant, vice terrible à mon sens, je l'avoue… Mais oublions tout ceci ! Ne pensons plus qu'à l'avenir ! Tâchez que vos démons vous inculquent la flûte ! Flûte d'abord ! Retardez Shakespeare, lycéen ! 3/4 de flûte, 1/4 de sang… 1/4 suffit je vous assure… mais du vôtre d'abord ! avant tous les autres sangs. L'Alchimie a ses lois… le "sang des autres" ne plaît point aux Muses… Réfléchissons… Vous avez emporté tout de même votre petit succès au "Sarah", sous la Botte, avec vos Mouches… Que ne troussez-vous maintenant trois petits actes, en vitesse, de circonstance, sur le pouce, Les Mouchards ? Revuette rétrospective… L'on vous y verrait en personne, avec vos petits potes, en train d'envoyer vos confrères détestés, dits "Collaborateurs" au bagne, au poteau, en exil... Serait-ce assez cocasse ? Vous-même, bien entendu, fort de votre texte au tout premier rôle… en ténia persifleur et philosophe… Il est facile d'imaginer cent coups de théâtre, péripéties et rebondissements des plus farces dans le cours d'une féerie de ce genre… et puis au tableau final un de ces "Massacre Général" qui secouera toute l'Europe de folle rigolade ! (Il est temps !) Le plus joyeux de la décade ! Qu'ils en pisseront, foireront encore à la 500e !… et bien au-delà ! (L'au-delà ! Hi ! Hi !) L'assassinat des "Signataires", les uns par les autres !… vous-même par Cassou… cestuy par Eluard ! l'autre par sa femme et Mauriac ! et ainsi de suite jusqu'au dernier !… Vous vous rendez compte ! L'Hécatombe d'Apothéose ! Sans oublier la chair, bien sûr !… Grand défilé de filles superbes, nues, absolument dandinantes… orchestre du Grand Tabarin… Jazz des "Constructeurs du Mur"... "Atlantist Boys"... concours assuré... et la grande partouze des fantômes en surimpression lumineuse... 200.000 assassinés, forçats, choléras, indignes... et tondues ! à la farandole ! du parterre du Ciel ! Chœur des "Pendeurs de Nuremberg"... Et dans le ton vous concevez plus-qu'existence, instantaniste, massacriste... Ambiance par hoquets d'agonie, bruits de coliques, sanglots, ferrailles... "Au secours !"... Fond sonore: "Machines à Hurrahs !"… Vous voyez ça ? Et puis pour le clou, à l'entr'acte : Enchères de menottes ! et Buvette au sang. Le Bar futuriste absolu. Rien que du vrai sang ! au bock, cru, certifié des hôpitaux… du matin même ! sang d'aorte, sang de fœtus, sang d'hymen, sang de fusillés !… Tous les goûts ! Ah ! quel avenir J.-B. S. ! Que vous en ferez des merveilles quand vous serez éclos Vrai Monstre ! Je vous vois déjà hors de fiente, jouant déjà presque de la flûte, de la vraie petite flûte ! à ravir !… déjà presque un vrai petit artiste !

Sacré J.-B. S.

L.-F. Céline











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