Comment Jacques Bompard fait l’union des droites
article d'Antoine Vouillazère publié par Minute du mercredi 16 mai 2012
Jacques Bompard va-t-il retrouver les bancs de l’Assemblée nationale où il avait siégé, au sein du groupe Front national, de 1986 à 1988 ? L’hypothèse est prise très au sérieux : dans sa circonscription du Vaucluse délaissée par Thierry Mariani, le président de la Ligue du Sud est en train de faire l’union à droite. Jusqu’au Nouveau Centre… Et il a même rencontré Marion Le Pen…
Les élections au scrutin majoritaire, que le Front national tient pour défavorables à ses candidats, Jacques Bompard connaît. En 2002, le maire d’Orange a été élu conseiller général du Vaucluse avec 54 % des voix. Et réélu en 2008 avec près de 60 % des suffrages face au candidat de l’UMP, Louis Driey. Son épouse Marie-Claude, maire de la commune voisine de Bollène, élue elle aussi conseiller général en 2004 avec 55 % des voix, a été réélue en 2011 avec un score supérieur.
Depuis 1993, cette très droitière quatrième circonscription du Vaucluse, où, au second tour de la présidentielle, Nicolas Sarkozy a obtenu 60 % des suffrages, était le fief de Thierry Mariani, le fondateur de la Droite populaire. Or l’ancien ministre des Transports l’a quittée pour aller se faire élire, en juin, dans l’une des nouvelles circonscriptions des Français établis hors de France. La conseillère régionale Bénédicte Martin, investie par l’UMP, n’a pas son aura. Au sein même de son parti, elle est contestée, à tel point que Paul Durieu, successeur de Mariani à l’Assemblée nationale lorsque celui-ci est devenu ministre, se présente en dissident de l’UMP.
Un maire UMP pour suppléant
Et pendant que l’UMP se déchire tant et si bien qu’on se demande si l’un des deux candidats franchira la barre des 12,5 % des inscrits, Jacques Bompard, lui, engrange les soutiens. Le plus important est celui de Louis Driey, son adversaire des cantonales de 2008, qui est cette fois son suppléant ! Le maire UMP de Piolenc, cinquième plus importante commune de cette circonscription dont les deux villes principales sont Orange et Bollène, est un ancien fervent soutien de Mariani et un ancien ennemi acharné de Bompard. Mais la politique suivie pendant cinq ans par Nicolas Sarkozy a beaucoup joué dans son évolution.
Joint par « Minute », Louis Driey, maire depuis 1995 et ancien du RPR, dit avoir ouvert les yeux : « On nous a menti pendant cinq ans avec cette histoire d’immigration choisie et non subie. En fait, on a eu 200 000 nouveaux immigrés par an ! Un million en cinq ans ! » Sa suspension de l’UMP pour son alliance avec Bompard le laisse de marbre : « Moi je suis un homme de terrain. Que tous ceux qui font de la politique sur le dos des citoyens ne s’en prennent qu’à eux-mêmes. C’est normal que ça se retourne contre eux. » Et Driey assure que, au deuxième tour, « d’autres maires vont nous rejoindre ». Des élus qui, comme lui, n’ont pas apprécié que l’État veuille rattacher de force Orange et les treize communes qui l’entourent dans un rayon de dix kilomètres, pourtant fortes de 70 000 habitants, à la Communauté d’agglomération du Grand Avignon, manœuvre purement politicienne visant à en attribuer la présidence à un socialiste et la première vice-présidence à Marie-Josée Roig, le maire UMP d’Avignon.
Parmi les autres appuis dont bénéficie Jacques Bompard, il faut citer le responsable départemental du Nouveau Centre, Christophe Lombard, conseiller municipal à Cavaillon ; Jean-Marie Busquet, le responsable local du Parti radical ; Roland Roticci, qui était candidat face à lui pour le Modem aux législatives de 2007 ; le Rassemblement pour la France (qui a désormais Christian Vanneste pour président national) ; et… Patrick Bassot.
La rencontre avec Marion Le Pen
Élu conseiller général du canton de Carpentras-nord avec 54,34 % des voix face au socialiste sortant lors du scrutin de mars 2011, Patrick Bassot est l’unique conseiller général FN de France. Dans la troisième circonscription du Vaucluse (qui comprend Carpentras) où Marion Le Pen se présente aux législatives, il soutient bien sûr la candidate frontiste. Mais dans la quatrième, il soutient Bompard. Et pas Annie-France Soulet, la candidate investie par le Front national. Sans hésitation.
« Moi je regarde le travail qui a été fait et Jacques Bompard est un homme qui a fait un travail tout à fait extraordinaire dans sa commune, nous explique Patrick Bassot. On ne peut que lui rendre hommage pour cela et j’aimerais que les élus FN fassent le même travail que lui. » Élu FN il est, élu FN il entend demeurer. « Je ne rejoins pas la Ligue du Sud » tient-il à préciser. Mais il se dit : « libre de mes actes et de mes paroles », et a le propos clair : « Si mon parti veut gagner, il faut qu’il rassemble, pas qu’il divise. Ça serait intelligent que… » Patrick Bassot ne termine pas sa phrase. Que le FN retire sa candidate, venue d’Avignon, face à Bompard ? C’est bien cela qu’il voulait dire : « Ce serait une bonne chose… Mais ce sont les instances nationales qui décident… ».
Dans la troisième circonscription, un accord a été trouvé : Hervé de Lépineau, vice-président de la Ligue du Sud de Bompard, a retiré sa candidature au profit de Marion Le Pen. Dans la quatrième, la logique voudrait qu’il y ait réciprocité. Marion Le Pen y est favorable. Dans les premiers jours de mai, la jeune femme a rencontré Jacques Bompard. « Elle m’a fait une très bonne impression et est tout à fait sympathique, nous confie ce dernier. Et elle est de mon avis : elle est tout à fait favorable à une entente départementale. » Au retrait, donc, de la candidate du FN dans la circonscription de Bompard. Mais ce n’est pas elle qui décide…
Le veto de Jean-Marie Le Pen
Selon nos informations, suite à cette rencontre qui s’est tenue à Orange, Marion a eu une violente altercation avec son grand-père. Car Jean-Marie Le Pen, lui, ne veut pas entendre parler d’un accord. « Le Pen assouvit de vieilles vengeances », déplore Bompard… « Je suis prêt à rencontrer Jean-Marie Le Pen dans l’intérêt national, ajoute le maire d’Orange, mais Le Pen ne veut manifestement pas me voir. » Une rancune qui remonte à 2005 quand Bompard, qui avait été l’un des fondateurs du FN en 1972, a été exclu de son bureau politique et en a tiré les conséquences en s’éloignant d’un parti qui, par ailleurs, ne comprenait pas qu’il privilégie l’ancrage local.
En octobre 2011 déjà, après plusieurs semaines de contacts indirects, un déjeuner avait failli avoir lieu à Paris entre Jacques Bompard et Marine Le Pen. La date avait été fixée. Deux jours avant, le FN avait informé Bompard que le rendez-vous était annulé. Jean-Marie Le Pen était intervenu… Et les tentatives ultérieures d’effectuer un rapprochement ont toutes échoué.
« Quelqu’un a dit en bureau politique du FN, révèle le président de la Ligue du Sud :“Bompard risque d’être le seul élu.” Ça a tout réglé… Il n’y a rien à
faire face au poids des appareils qui défendent les intérêts partisans.
Dans l’intérêt national, il faut changer les méthodes et changer les
esprits. La gauche sait faire l’union. Le Front national développe
oralement une stratégie d’union de la droite, mais ne la fait nulle
part. »
Au menu du déjeuner annulé d’octobre figurait pourtant une possibilité d’accord gagnant/gagnant : Jacques et Marie-Claude Bompard auraient apporté chacun leur parrainage à Marine Le Pen, moyennant quoi le Front national s’engageait à ne pas présenter de candidat dans la circonscription de Bompard. L’entourage de la présidente du FN y était favorable, et elle aussi semble-t-il. Jean-Marie Le Pen a mis son veto. Alors que Jacques Bompard est en train de réaliser localement ce que Marine Le Pen souhaite réaliser sur le plan national : faire exploser la droite et opérer une recomposition autour de lui…
Antoine Vouillazère [article de l’hebdomadaire “Minute” du 16 mai 2012]
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