La lecture de ces événements est brouillée parce que derrière des
groupes non-étatiques se cachent toujours des États qui les
sponsorisent. Dans les années 70, le Vénézuélien Ilich Ramírez Sánchez
dit « Carlos » ou « Le Chacal » s’était mis par conviction au service de
la cause palestinienne et de la Révolution avec le discret soutient de
l’Urss. Dans les années 80, l’exemple de Carlos a été repris par des
mercenaires, travaillant pour le plus offrant, tel Sabri al Banna dit
« Abou Nidal », qui effectua des attentats aussi bien pour le compte de
la Libye et de la Syrie que d’Israël. Aujourd’hui, il existe une
nébuleuse du terrorisme et de l’action secrète impliquant quantité
d’États.
En principe, les États dénient toujours leur participation à des
groupes terroristes. Toutefois, le ministre français des Affaires
étrangères, Laurent Fabius, a déclaré en décembre 2012, lors de la
conférence des « Amis de la Syrie » à Marrakech, qu’Al-Nosa, la branche
syrienne d’Al-Qaïda, « fait du bon boulot » [
10].
Compte tenu de ses fonctions, M. Fabius savait qu’il ne serait pas
traduit en justice pour son soutien à une organisation classée comme
terroriste par le Conseil de sécurité des Nations unies, mais il prenait
un risque grave pour son pays qu’il plongeait ainsi dans le chaudron du
terrorisme.
En réalité, la France était impliquée depuis au moins le début 2011
aux côtés d’Al-Qaïda. À l’époque, le Royaume-Uni et la France s’étaient
joints au projet US de « Printemps arabe ». Il s’agissait de renverser
tous les régimes arabes laïques et de les remplacer par des dictatures
des Frères musulmans. Alors que Londres et Paris avaient découvert cette
opération en cours de réalisation en Tunisie et en Égypte, ils avaient
été préalablement sollicités pour la Libye et la Syrie [
11].
En Libye, ils organisèrent avec l’aide des Forces spéciales italiennes
les massacres de Benghazi, puis avec l’aide d’Al-Qaïda la prise des
arsenaux. Je peux attester qu’en août 2011, alors que j’étais protégé
par Khamis el-Kadhafi lorsque l’Otan donnait l’assaut de la capitale,
l’hôtel Rixos où nous nous trouvions fut assiégé par une unité
d’Al-Qaïda, la Brigade de Tripoli, commandée par Mahdi al-Harati au cri
d’« Allah Akbar ! » et encadrée par des officiers français en mission.
Le même Mahdi al-Harati fut avec son chef, Abdelhakim Belhaj, le
fondateur de la prétendue Armée syrienne libre, en réalité un groupe
d’Al-Qaïda portant le drapeau de la colonisation française.
En Syrie, la présence d’officiers français encadrant des groupes
armés lorsqu’ils perpétraient des crimes contre l’humanité est largement
attestée.
La France a par la suite joué un jeu extrêmement complexe et
dangereux. Ainsi, en janvier 2013, c’est-à-dire un mois après le soutien
public de Laurent Fabius à Al-Qaïda en Syrie, elle se lançait dans une
opération au Mali contre le même Al-Qaïda, provoquant un premier retour
de bâton contre ses agents infiltrés en Syrie.
De tout cela, vous n’avez jamais entendu parler. Parce que, bien que
la France ait des institutions démocratiques, sa politique actuelle dans
le monde arabe n’a jamais été discutée publiquement. Tout au plus
s’est-on contenté —en violation de l’article 35 de la Constitution—
d’entrer en guerre contre la Libye et contre la Syrie après quelques
heures de débats parlementaires superficiels, sans vote. Les
parlementaires français ont renoncé à exercer leur mandat de contrôle de
l’Exécutif en matière de politique étrangère, pensant qu’il s’agit d’un
domaine réservé du président, sans conséquence dans la vie quotidienne.
Chacun peut constater au contraire aujourd’hui que la paix et la
sécurité, un des quatre « Droits de l’homme et du citoyen » de 1789
(article 2), en dépendent directement. Le pire est à venir.
Au début 2014, lorsque les faucons libéraux US mettaient au point
leur plan de transformation de l’Émirat islamique en Irak et au Cham en
ce qui allait devenir Daesh, la France et la Turquie acheminèrent des
munitions à Al-Qaïda pour qu’il combatte l’ÉI —ce point est attesté par
un document présenté au Conseil de sécurité le 14 juillet 2014 [
12]—.
Pourtant, la France se joignit ultérieurement à cette opération secrète
et participa à la Coalition internationale anti-Daesh, dont chacun sait
maintenant que contrairement à son nom elle ne bombarda pas Daesh, mais
lui largua des armes durant un an [
13].
Les choses évoluèrent encore après la signature de l’accord 5+1 avec
l’Iran. Les États-Unis se retournèrent subitement sur le terrain contre
l’organisation terroriste et la repoussa à Hassaké (Syrie) [
14].
Mais ce n’est qu’à la mi-octobre 2015, il y a un mois, que la France
recommença à combattre Daesh. Non pas pour stopper ses massacres, mais
pour conquérir une partie du territoire qu’il occupe en Syrie et en Irak
et y installer un nouvel État colonial qui serait appelé « Kurdistan »
même si sa population kurde y sera au départ largement minoritaire [
15].
Dans cette perspective, la France a envoyé son porte-avions —qui
n’est pas encore sur zone— pour soutenir les Marxistes-Léninistes du
parti kurde YPG —mais que signifie cette référence politique lorsque
l’on projette de créer un État colonial ?— contre son ancien allié
Daesh.
Nous assistons désormais au second retour de bâton. Non pas de la
part d’al-Qaïda en Syrie, mais de la part de Daesh en France, sur
instructions des alliés inavouables de la France.