La
campagne médiatique - ou plutôt la guerre - déclenchée par les autorités
britanniques contre la Russie avec « l'affaire Skripal » n'est plus un
secret pour personne. Toutes les forces et tous les moyens
propagandistes ont été mis en œuvre. Je pense que nous n'avions pas vu
depuis longtemps dans le monde une campagne antirusse si manifestement
fabriquée de toutes pièces, de telle envergure et sans scrupule. Les
autorités britanniques bafouent les normes du droit international, les
principes et les lois de la diplomatie, les règles élémentaires de
l'éthique humaine.
Sur le
fond du silence éloquent des organes britanniques compétents sur
l'essence de l'affaire et de l'abondance de déclarations et de discours
politiques dirigés depuis le début contre la Russie, apparaissent de
nouvelles versions des faits, de nombreuses incohérences font surface,
des intox et des désinformations flagrantes que personne n'a l'intention
de réfuter au niveau des autorités britanniques. Au contraire, toute
cette vaste campagne propagandiste avec l'usage de tous les types de
médias s'inscrit parfaitement dans la stratégie antirusse du
Royaume-Uni. Les autorités de ce pays ont déployé littéralement une
campagne intentionnelle pour déformer la réalité. On comprend
parfaitement dans quel but. Si les organes publics et les médias,
notamment britanniques, cherchaient vraiment à comprendre les faits,
remettaient en question les détails étranges, analysaient les
incohérences dont déborde cette affaire, la certitude de la prétendue
implication de la Russie ne paraîtrait plus si évidente aux yeux du
public européen. Et tout le monde poserait à Londres la question qui
s'impose depuis longtemps: que s'est-il passé à Salisbury?
Jugez
vous-mêmes. Le 4 mars, l'ex-colonel du renseignement russe qui
travaillait pour les services britanniques et résidait au Royaume-Uni
depuis 2010, qui a purgé une partie de sa peine pour son crime en
Russie, délivré de notre plein gré au Royaume-Uni dans le cadre d'un
échange d'espions, et sa fille Ioulia, citoyenne russe, résidente
permanente de notre pays, ont été, nous dit-on, empoisonnés"en plein
jour" dans une ville britannique paisible où tous les voisins se
connaissent et remarquent tous les détails, qui n'est pas un centre
touristique ou lieu de pèlerinage fréquenté, par l'une des substances
chimiques neuro-paralytiques appartenant selon la classification
occidentale à la gamme "Novitchok". Depuis 2004, quand Sergueï Skripal a
été condamné pour haute trahison, ni en Russie ni après son échange au
Royaume-Uni, Moscou, à en juger par les accusations de Londres, n'aurait
pas trouvé de meilleure période pour de prétendues "représailles" qu'à
une semaine de la présidentielle et à trois mois de la Coupe du monde
2018.
Personne
n'a voulu prêter attention à ces faits. En revanche, la Russie a été
immédiatement accusée des faits. Les déclarations officielles sont
tombées à ce sujet bien avant le début de l'enquête. Bien évidemment,
Moscou en a été écarté depuis le début. Apparemment, ils ont tiré des
leçons de l'"affaire Litvinenko" quand la participation initiale de la
Russie à l'enquête avait créé des complications "inutiles" pour
l'enquête. Le 6 mars déjà, la chaîne BBC avait tracé des parallèles avec
cette affaire.
Dans le
reportage du 6 mars, le correspondant de la BBC Gordon Corera a tracé un
parallèle avec l'empoisonnement en 2006 au Royaume-Uni de l'ex-agent du
FSB Alexandre Litvinenko. Il y a une sérieuse nuance: à l'époque nous
avions au moins vu sa photo. Quant aux Skripal, jusqu'à présent (or cela
fait plus d'un mois) personne ne les a vus, il n'y a aucun moyen
d'établir un contact avec eux ni pour les médias ni pour les autorités
russes, bien que nous ayons envoyé plusieurs notes à Londres pour que
cette possibilité nous soit donnée.
Néanmoins,
évidemment, la Russie n'est pas restée à l'écart de la situation. Et si
Londres reste parfaitement sourd aux nombreuses requêtes de la Russie
sur l'"affaire Skripal" et ne veut pas nous laisser participer à
l'enquête, nous devons au moins prendre conscience de l'ampleur de
l'incohérence des déclarations et des appréciations des représentants
officiels, l'absurdité absolue des incohérences, l'abondance de fuites
absurdes. Même après une analyse superficielle des faits et des
conclusions, il ne fait aucun doute que tout cela est une provocation
planifiée et étrangement mise en œuvre, notamment du point de vue de la
logique et de la logistique, contre la Russie.
Cette
affaire a permis d'effectuer un test complet de la nouvelle stratégie de
guerre d'information basée sur les fake news incessants et les fuites
douteuses. Remarquez la pénurie de déclarations des organes officiels
chargés de l'enquête sur cet incident. On l'a souvent expliquée par le
caractère très confidentiel et secret de l'enquête sous prétexte qu'elle
était liée aux intérêts de "sécurité nationale". Mais pourquoi donc
alors les médias en tout genre et de tous les niveaux présentaient-ils
chaque jour de nouvelles versions des événements en citant des "sources
proches de l'enquête"? Son caractère n'est donc pas si fermé que cela…
Ou les collaborateurs des organes d'enquête britanniques ne
connaissent-ils pas le sens du secret d'État? A mon avis, ils savent
garder un secret. Les affaires précédentes ont montré que si des
informations étaient classifiées, elles l'étaient sérieusement et pour
longtemps. Nous avons donc toutes les raisons de reprendre notre
première supposition selon laquelle ces fuites ont un caractère
absolument prémédité. Qui plus est, personne n'a officiellement commenté
ces fuites dans les médias malgré leur nombre très important. Il s'agit
d'un autre trait caractéristique de cette affaire: le grand nombre de
fuites de la part des structures prétendument officielles dans le
contexte de l'absence totale de démentis par ces structures. Pourquoi
parlons-nous donc d'une approche tout à fait nouvelle? Parce que les
médias britanniques ont joué le rôle des services de presse des organes
publics de cet État. On pourrait l'expliquer par un certain manque de
professionnalisme, mais ce n'est pas du tout le cas. Nous savons tous
parfaitement comment les Britanniques savent travailler, notamment dans
le domaine médiatique. Nous avons constaté les déclarations claires et
émotionnelles de la Première Ministre Theresa May au Parlement, les
propos extravagants du Ministre des Affaires étrangères Boris Johnson, y
compris dans les médias. Mais où étaient les briefings et les
conférences de presse des représentants des organes d'enquête qui
auraient dû éclaircir un grand nombre d'incohérences et de fuites
apparues dans la presse? Il n'y en a pas eu car ils n'étaient pas
nécessaires. Il était tout simplement désavantageux pour Londres de
mettre les points sur les i - ainsi que tous les signes de ponctuation
dans cette phrase très compliquée.
Le nombre des versions de ces événements présentées par les médias britanniques est en effet impressionnant.
Le 5 mars,
le Salisbury Journal a indiqué que les services d'urgence soupçonnaient
un empoisonnement au fentanyl, une substance narcotique opioïde. Le
restaurant Zizzi où les Skripal avaient déjeuné a été ceinturé. Le
Telegraph a avancé une version similaire. Cet article a été plus tard
supprimé mais il est resté dans la mémoire cache de Google. Pourquoi
l'a-t-on supprimé? Quelles donnés fallait-il effacer d'urgence?
Le 6 mars,
on ne savait encore rien mais Boris Johnson a annoncé au Parlement de
manière préventive que son pays "réagirait fermement" à toute preuve de
l'implication de la Russie dans l'incident. La décision était donc déjà
prise, tout comme les accusations politiques.
Le 7 mars,
Mark Rowley, chef du département antiterroriste de Scotland Yard, a
annoncé que Sergueï et Ioulia Skripal avaient été empoisonnés par une
substance neurotoxique. La police n'a pas précisé de quelle substance
concrète il s'agissait.
Le Daily Star a publié le même jour un article indiquant que l'assassin avait injecté lui-même le poison.
Le 8 mars, Metro a supposé qu'on avait empoisonné la nourriture des Skripal.
Le 10
mars, on indiquait que l'empoisonnement aurait pu se passer dans le pub
Mill ou dans le restaurant Zizzi. On recommandait à ceux qui avaient
visité ces établissements le jour de l'empoisonnement de "laver leurs
vêtements". Ces recommandations ont été publiées sur le site du
gouvernement britannique. On parle là d'une contamination possible par
l'une des substances les plus dangereuses au monde, et les autorités
proposent de laver les vêtements six jours après l'incident!
Le Daily
Mail a cité le même jour une source haut placée indiquant
l'empoisonnement possible du bouquet de fleurs laissé par Sergueï
Skripal au cimetière.
Le 11
mars, le journal Express a présenté une nouvelle version des faits
concernant un "paquet empoisonné" délivré par un service logistique.
Le 12
mars, Theresa May a annoncé au Parlement que l'empoisonnement avait été
causé par une substance neurotoxique militaire de type Novitchok,
conçue, selon elle, en Russie. "Il est désormais clair que monsieur
Skripal et sa fille ont été empoisonnés par une substance neurotoxique
de combat d'un type conçu en Russie. Elle fait partie du groupe des
substances neurotoxiques connues comme Novitchok. Sur la base de
l'identification positive de cette substance… à Porton Down et en raison
du fait que la Russie a produit cette substance par le passé et a
toujours la possibilité de la produire de nouveau, ainsi qu'en tenant
compte de tous les assassinats précédents financés par l'État russe et
que, selon nos estimations, la Russie considère certains transfuges
comme une cible légitime d'assassinat, le gouvernement a conclu que la
Russie était très probablement responsable des actions visant Sergueï et
Ioulia Skripal… Ainsi, il n'existe que deux explications vraisemblables
aux événements du 4 mars à Salisbury: soit il s'agit d'une action
directe du Gouvernement russe contre notre pays, soit le Gouvernement
russe a perdu le contrôle de la prolifération d'une substance
neurotoxique très dangereuse qui est tombée entre les mains de tierces
personnes".
Le 13
mars, le Mail online a présenté une nouvelle version des faits selon
laquelle la substance toxique aurait été appliquée à la poignée de
l'automobile.
Le 14 mars, Theresa May a officiellement accusé la Russie d'avoir tenté d'assassiner les Skripal.
Jonathan
Allen, ambassadeur par intérim du Royaume-Uni auprès de l'Onu, a
également indiqué qu'il n'y avait pas d'autre alternative à la version
de la responsabilité russe dans l'empoisonnement de Sergueï Skripal et
de sa fille.
Le 15
mars, un article du Guardian a cité Boris Johnson affirmant que le
Gouvernement britannique avait des "preuves abondantes" de l'implication
de la Russie dans l'empoisonnement des Skripal. Il n'a toutefois
apporté aucune précision.
Le
Telegraph a publié le jour même un article qui citait des sources aux
sein des services secrets indiquant que la substance ayant empoisonné
Sergueï Skripal se trouvait dans la valise de sa fille. Selon le
quotidien, le paquet contenant une substance neurotoxique se trouvait
dans le bagage que Ioulia Skripal avait apporté à Salisbury depuis
Moscou. On a alors émis l'hypothèse de l'empoisonnement des vêtements,
du maquillage ou des cadeaux apportés par Ioulia.
Le 17
mars, Boris Johnson a annoncé à BBC que l'incident de Salisbury avait
été organisé personnellement par le Président russe Vladimir Poutine.
Le 18
mars, le Daily Star a perpétué les meilleures traditions de
science-fiction en supposant que les Skripal auraient pu être
empoisonnés par un drone. Le Guardian a souligné le même jour que la
substance toxique avait été dispersée à l'aide du système d'aération de
l'automobile de Skripal. Je voudrais souligner l'absence totale de
démentis de la part des structures publiques britanniques, des organes
d'État ou des enquêteurs.
Le 22
mars, la déclaration finale adoptée à l'issue du sommet de l'UE a
confirmé la solidarité de l'Union européenne et souligné l'absence
d'explication logique des événements à part celle de l'implication de la
Russie.
Le 28
mars, la police britannique a indiqué que les enquêteurs estimaient que
les Skripal étaient probablement entrés en contact avec le Novitchok
chez eux: la concentration la plus élevée de la substance toxique avait
été enregistrée sur la poignée de la porte d'entrée de la maison de
Sergueï Skripal.
Le 29
mars, la page Twitter officielle du Ministère britannique des Affaires
étrangères a accusé la Russie de disséminer de fausses informations en
créant de nombreuses versions et théories des événements de Salisbury
(c'est donc nous qui avons beaucoup de versions?!).
Le 1er
avril, le tabloïd The Sun a publié un article affirmant que la
substance toxique aurait pu être apportée dans un paquet de sarrasin ou
de laurier et d'épices que Ioulia Skripal n'avait pas pu prendre avant
son vol eu Royaume-Uni et avait demandé à une certaine amie qui devrait
se rendre à Londres avec son mari par un autre vol d'apporter. Il s'est
avéré plus tard qu'il s'agissait d'un poisson d'avril. Est-ce normal,
selon vous, de faire des blagues de ce genre dans cette situation? Ce
n'est pas du tout amusant.
Selon une autre version, le Novitchok aurait été appliqué à une plaquette publicitaire destinée aux Skripal.
Le 2
avril, un article du New York Times a cité certains "fonctionnaires" et
affirmé que l'application d'une substance toxique à la poignée d'une
porte (ils ont visiblement préféré cette version) était si "risquée et
audacieuse" qu'il s'agissait évidemment d'une affaire de
super-professionnels, c'est-à-dire des Russes… Et le fait qu'on ne
savait toujours pas si le Président russe Vladimir Poutine avait ou non
ordonné personnellement d'éliminer Sergueï Skripal s'expliquait par sa
capacité à "dissimuler les informations".
Le 8
avril, le Sunday Times a publié un article de Boris Johnson indiquant
que la Russie avait avancé 29 théories concernant l'empoisonnement des
Skripal. Le 4 avril, il a présenté sur Twitter les "justifications" si
attendues de la responsabilité de la Russie, accompagnant les fameuses
preuves "exhaustives" sous la forme de six images:
1. Le laboratoire de Porton Down a identifié la substance comme Novitchok;
2. La
Russie a étudié les moyens d'appliquer des substances neurotoxiques et
disposait d'un stock limité de Novitchok dans le cadre de ce programme;
3. La Russie avait un motif pour assassiner Sergueï Skripal.
La
chronologie des événements présentée sur la page Twitter officielle du
Ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson est assez
curieuse. Des messages violents, grossiers et à la limite de
l'acceptable concernant la Russie et sa responsabilité dans l'affaire
Skripal s'entremêlaient avec des photos gentilles de Boris entouré de
gens sympathiques et souriants. Suivis par des monstres en masque
portant des moyens de protection chimique. Il s'agit d'une manipulation
évidente de l'opinion publique: la Russie "terrible" s'est ingérée dans
la vie paisible de l'Angleterre.
Cette
campagne d'information visant à discréditer la Russie demande
visiblement beaucoup d'efforts aux politiciens britanniques. On ne sait
pas s'ils n'ont plus assez d'arguments ou s'ils font face à une crise de
nerfs. Citons par exemple la querelle de Boris Johnson avec le leader
des travaillistes Jeremy Corbin, qui a accusé le Ministre d'induire en
erreur l'opinion publique britannique par son interprétation trop libre
des conclusions des experts de Porton Down. Boris Johnson a annoncé en
réponse que le chef du Parti travailliste "soutenait le Kremlin" et
"rendait sa propagande plus convaincante". Il est même allé plus loin en
considérant Jeremy Corbin comme un "idiot utile du Kremlin". Il l'a
fait pour qu'aucune force politique et aucun média du pays n'aient envie
d'appeler à la raison et de mener enfin une enquête normale. Si l'on
dit des choses de ce genre aux politiciens, de quelle manière de
communiquer avec les médias peut-on parler?
La thèse
principale de cette polyphonie médiatique réside dans le fait que la
position officielle britannique sur cette question n'exige aucune preuve
et qu'il faut tout simplement lui faire confiance. C'est exactement la
réponse des diplomates britanniques aux questions de leurs collègues
concernant la présentation des preuves. Ils regardent leurs
interlocuteurs dans les yeux et demandent: comment pouvez-vous ne pas
nous faire confiance?
Les
insinuations sur l'origine du Novitchok méritent une mention spéciale.
Comme nous l'avons déjà indiqué, Theresa May a pour la première fois
annoncé l'utilisation de cette substance concrète le 12 mars. Personne
n'a mis en doute cette affirmation depuis, malgré les nombreux appels
russes à éclaircir la situation ou au moins à débattre des informations
sur l'origine russe de la substance.
À suivre…