Qui ne risque rien n'est rien… sur le chemin de Damas, alors que les opinions ont cédé face aux faits…
on ne le dit assez : un âge n'en chasse pas un autre, tous les âges qu'on a vécu coexistent à l’intérieur de soi, ils s'empilent, et l'un prend le dessus au hasard des circonstances.

lundi 22 mai 2023

Général Dominique Delawarde : Retour de Syrie

 


« Boucher de Damas » ?… Nous qui avons fréquenté assidûment la Syrie depuis 2015 c'est avec stupéfaction qu'au matin de ce vendredi 19 mai nous avons entendu l’un des préposés à la propagande sur France 2, Thomas Sotto, oser utiliser et réutiliser cette qualification de « Boucher de Damas », glossant sans vergogne sur le retour de la Syrie et de son président Bachar el-Assad au sein de la Ligue arabe !… 


Retour de Syrie :
Lettre témoignage du général Dominique Delawarde à ses amis
(17 mai 2023)




 
Mes chers amis,

Je me suis rendu en Syrie du 27 avril au 4 mai dernier avec un petit groupe militant contre l’embargo imposé par les USA à ce pays, embargo qui frappe principalement les populations civiles depuis douze ans. Rappelons qu’une partie de ces populations a été durement touchée par un tremblement de terre dans un passé très récent et rappelons aussi que ces sanctions US unilatérales et anti-syriennes viennent tout juste d’être prolongées pour un an par l’administration Biden.

Ayant une confiance très limitée dans nos médias mainstream pour traiter objectivement d’un sujet concernant le Proche-Orient, l’État d’Israël et les États-Unis, je tenais à me rendre compte par moi-même des dommages causées par cette stratégie des sanctions. Celle-ci est utilisée sans modération par les USA et leurs vassaux européens, agissant souvent en mandataires d’Israël, contre tous les États refusant de se soumettre aux volontés et à l’hégémonie de l’Occident global.

Ce type de stratégie consiste en une véritable prise en otage des populations civiles auxquelles on applique la sanction collective dite « de l’embargo » qui va les faire souffrir autant qu’il est possible, pour les punir de s’être choisi un dirigeant qui refuse de servir les intérêts occidentaux, c’est à dire du « camp du bien » auto-proclamé.

Ces sanctions, de nature économique, peuvent être redoutablement efficaces et provoquer indirectement la mort de dizaines, voire de centaines de milliers de civils dans une relative discrétion. Elles peuvent parfois s’avérer plus meurtrières, sur la durée, qu’une guerre ouverte de haute intensité… (souvenons nous des deux croisades « anti-Saddam Hussein » conduites par les USA en Irak, sous des prétextes mensongers).

S’agissant de la Syrie, ces sanctions ont été adoptées à la suite d’une tentative de révolution colorée ratée, organisée en mars 2011 par une « coalition occidentale » (US-UK-FR + UE-OTAN) au profit et à l’instigation d’Israël, avec sa participation active, dans le but de renverser Bachar el-Assad, de faire cesser le soutien syrien à la cause palestinienne, de démembrer le pays, à l’image de l’ex-Yougoslavie, de remodeler les frontières de la Syrie, d’en annexer une partie, de créer un Kurdistan allié d’Israël, pour faire obstacle à l’émergence d’un « croissant chiite » perçu, à tort ou à raison, comme une menace existentielle, et de mettre des dirigeants plus complaisants que Bachar el-Assad aux frontières de l’État hébreu. Rappelons nous les propos sans ambiguïté de Roland Dumas, dix ans ministre des affaires étrangères de François Mitterrand :
Et les propos très clairs du général US Westley Clark, tenus en 2007 :

La première bonne nouvelle pour la Syrie de Bachar el-Assad a été le soutien militaire apporté par la Russie de Poutine en septembre 2015, à la demande du seul gouvernement légal reconnu par l’ONU. Par ce soutien, la Russie a mis en échec les actions malfaisantes inspirées par Israël à ses mandataires-marionnettes anglo-saxons et français, et a fait reculer les terroristes islamistes instrumentalisés, soutenus et armés par les Occidentaux.

Jusqu’au-boutiste dans ses objectifs, Israël poursuit aujourd’hui, en mai 2023, les bombardements réguliers sur le territoire de son voisin syrien, alors que cet État ne l’agresse pas. Ces bombardements se font dans l’indifférence totale de l’ONU, des médias et des gouvernements occidentaux qui construisent sans cesse des narratifs visant à noircir l’image de Bachar el-Assad.

Certains de ces narratifs vont jusqu’à qualifier Bachar el-Assad de « Boucher de Damas » alors même qu’il dispose du soutien de l’écrasante majorité de son peuple, sans lequel il aurait perdu le pouvoir depuis longtemps.

J’ai pu constater, lors de mon séjour en Syrie, l’extraordinaire résilience du peuple syrien qui s’oppose depuis 12 ans, avec succès, aux visées géopolitiques et machiavéliques de l’État hébreu et de ses mandataires anglo-saxons et terroristes islamistes.

J’ai pu aussi constater la folie jusqu’au-boutiste israélienne qui va jusqu’à bombarder l’aéroport d’Alep quelques jours après le tremblement de terre qui a frappé la Turquie et la Syrie, alors même que l’aide humanitaire russe et celle des pays arabes y sont acheminées, au profit des populations civiles les plus touchées.

« La vérité, c’est que, s’agissant du Proche et Moyen Orient
les bouchers se trouvent à Tel Aviv, à Washington et à Londres. »

Ce sont bien ces pays qui ont semé le chaos et provoqué, directement ou indirectement, la mort de millions d’êtres humains au Proche et Moyen-Orient depuis l’effondrement de l’Union-soviétique en se justifiant toujours par des narratifs et des prétextes mensongers (armes de destruction massive qui n’existaient pas ou lutte contre un terrorisme qu’on instrumentalise en sous-main).

Les bonnes nouvelles de 2022-2023, pour la Syrie découlent des conséquences de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine.

Incontestablement, les Russes ont changé la donne de la géopolitique mondiale en refusant l’extension à l’Est de l’OTAN et l’arrivée à leurs frontières de bases militaires hostiles, comme l’avait fait Kennedy, pour son pays, lors de la crise des missiles de Cuba en 1962.

Avec habileté, la Russie s’est posée en championne de la multipolarité et en opposition à l’hégémonie occidentale jugée tyrannique par de très nombreux pays.

Elle a aussi fait apparaître la faiblesse militaire des pays membres de l’OTAN qui refusent de s’engager militairement contre la Russie (et peut être la Chine) faute de disposer de moyens suffisants pour le faire et pour gagner, et faute de pouvoir rassembler et unir les populations et opinions occidentales sur un objectif russophobe (et sinophobe) qui est loin de faire l’unanimité.

Elle a également fait apparaître grâce aux sanctions boomerang prises par les pays membres de l’OTAN eux-mêmes, les vulnérabilités économiques et financières d’un Occident accroc à la dette et à la consommation d’une énergie jusqu’alors bon marché.

Dans ce nouveau contexte créé par l’opération russe, de nombreux pays changent de camp. Depuis plus d’un an, la diplomatie occidentale enregistre échec sur échec face aux diplomaties russe et chinoise.

Le nombre de demandes d’adhésion aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et à l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï) explose, ce qui est le signe d’un soutien croissant au camp de la multipolarité et d’un refus de l’hégémonisme des USA et de l’OTAN.

L’Afrique rejette toujours plus l’Occident, ses diktats, ses valeurs et ses modes d’action jugés néocoloniaux, et, en particulier, ceux de la France. Elle bascule dans les camps russe et chinois.

Au grand dam des USA (et d’Israël), et sous l’égide de la Chine, l’Iran et l’Arabie Saoudite se sont réconciliés en mars dernier, sept ans après la rupture des relations diplomatiques.

Le président iranien Ébrahim Raïssi s’est rendu en visite officielle le 3 mai dernier à Damas pour y signer d’importants accords économiques et politiques.

La Ligue Arabe (22 États) a voté à l’unanimité la réintégration de la Syrie, exclue en 2011 sous la pression US-Israël. C’est un succès pour la diplomatie russe et une victoire éclatante de Bachar el-Assad, qui reviendra donc auréolé de sa résistance à l’Occident. Pas un seul État arabe, sur 22, ne s’est soumis aux pressions US-Israël et a voté contre la réintégration. Les ambassades arabes ré-ouvrent les unes après les autres à Damas.

L’unité du monde arabe, cauchemar d’Israël et des USA est en cours de reconstruction avec l’appui de la Russie et de la Chine.

La Turquie, la Syrie et l’Iran se parlent désormais régulièrement, sous l’égide de la Russie, pour mettre un terme à la crise syrienne et à leurs différends.
En Turquie, le candidat d’alternance à Erdogan, Kemal Kiliçdaroglu, soutenu financièrement et politiquement, en coulisse, par l’Occident, ne paraît pas en situation d’emporter l’élection présidentielle au second tour du 28 mai prochain. D’autant que le parti d’Erdogan dispose d’ores et déjà de la majorité absolue au parlement turc, suite aux élection du 14 mai. Les médias occidentaux hurleront à la fraude électorale le 28 mai prochain, comme ils le font à chaque fois que les résultats ne correspondent pas à leurs attentes (Syrie, Iran, Russie, Vénézuela…), mais le président Erdogan saura se souvenir de cet épisode, et de l’ingérence occidentale dans cette élection de 2023, comme de la tentative de coup d’État de 2016 concoctée par son bon allié US. Il rapprochera toujours plus son pays, comme il le fait déjà, de la Russie et de la Chine, des BRICS et de l’OCS : en clair, du camp de la multipolarité.

Toutes ces bonnes nouvelles pour la Syrie, sont autant de mauvaises nouvelles pour Israël et ses mandataires anglo-saxons toujours plongés dans des difficultés économiques, financières et sociales qui ne sont pas près de s’arranger.

S’agissant d’Israël, la très controversée loi sur la Justice affaiblit la cohésion du pays. Les déclarations insensées d’un ministre israélien suprémaciste en charge des finances et des territoires occupés clamant, en France, et à qui veut l’entendre, que le peuple palestinien n’existe pas, et développant son propos devant une carte du « grand Israël », ne vont pas arranger les affaires de la région. Il est clair que ce type de provocations haineuses ne peut qu’engendrer, en retour, de la colère, de la haine et de la violence, pouvant aller jusqu’au terrorisme, chez les personnes offensées, humiliées et/ou soumises par la contrainte « armée » depuis 1947.

À ceux qui s’interrogent sur les motivations du gendarme tunisien, auteur de l’attaque contre la synagogue de la Ghriba à Djerba le 11 mai dernier, il y a peut-être une piste à creuser… Le comportement des dirigeants de l’État hébreu que ce soit lorsqu’ils bombardent ALEP quelques jours après le tremblement de terre ou lorsqu’ils envoient un ministre en charge des territoires occupés, à Paris, pour cracher sa haine des Palestiniens, ne peut laisser les masses arabes indifférentes. On peut regretter, bien sûr, que la LICRA et SOS Racisme, mais aussi le Gouvernement français dans son ensemble, soient restés étonnamment discrets sur ce triste épisode de haine raciale du ministre israélien, clairement exposé à la face du monde le 19 mars 023.


Ma conclusion sera optimiste pour la Syrie…


Grâce à la résilience et à la cohésion de sa population, pourtant multiconfessionnelle, grâce à la détermination de son Président qui a su rester laïc dans sa gouvernance, et ferme face aux agresseurs israéliens, us-otaniens et terroristes islamistes ; grâce à l’appui de la Russie qui est intervenue à la demande des autorités légales de l’État, la Syrie a pu résister pendant douze ans aux assauts coordonnés et prémédités de l’OTAN, d’Israël et des terroristes islamistes, instrumentalisés par l’Occident pour créer le chaos et remodeler un nouveau Proche-Orient conforme aux intérêts et aux souhaits de l’État hébreu.

La préméditation de l’agression anglo-saxonne a été clairement établie par la divulgation des « Wikileaks files », c’est à dire les fuites sur les correspondances diplomatiques entre les représentants US en Syrie et le département d’État états-unien depuis le début des années 2000 .

La collusion entre Israël et les USA a été, elle aussi, établie par une déclaration sans ambiguïté de Biden lui-même, le 13 juillet 2022 à Tel Aviv :

« Il n’est pas nécessaire d’être Juif pour être sioniste. »

https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/biden-il-nest-pas-necessaire-detre-juif-pour-etre-sioniste/

Cette collusion a été clairement confirmée par les plus connus des géopoliticiens US, Mearsheimer et Walt, dans l’excellente analyse publiée sous le titre : Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine.

Cette collusion apparaît clairement dans le simple constat que les personnes en charge de la politique étrangère et de la politique des sanctions économiques US ont figuré sur la liste des nominés au palmarès mondial de l’influence du Jerusalem Post (Blinken, Sherman, Janet Yellen…)

La bonne nouvelle pour la Syrie, c’est l’émergence en cours d’un monde multipolaire qui remet en cause l’hégémonie sans partage US-OTAN des trois dernières décennies et l’influence des néoconservateurs mondialistes (et sionistes). La Syrie pourra désormais compter sur l’aide de la Russie, des pays du Golfe (dont l’Iran) et de la Chine pour sa reconstruction et sa défense.

Israël assiste aujourd’hui, impuissant, au déclin de son principal allié et de ses soutiens néoconservateurs et mondialistes US, et à la recomposition des équilibres géopolitiques et géo-économiques mondiaux qui ne se fera pas en sa faveur. N’en déplaise à l’État d’Israël qui a raté son coup en Syrie, grâce ou à cause de la Russie, le vrai « Printemps syrien » va pouvoir commencer, sous la gouvernance de… Bachar el-Assad !

Source : Dominique Delawarde : Les bouchers de Tel Aviv et de Washington (Stratpol)

Dominique Delawarde : Après des périodes d'encadrement d'unités militaires de Légion étrangère (2ème RE et 3ème REI) et de Chasseurs alpins (6ème, 7ème et 11ème BCA), puis d'encadrement d'élèves officiers notamment à Saint Cyr, le Général (2S) Dominique Delawarde fut chef «Situation-Renseignement-Guerre électronique» à l'État-major interarmées de planification opérationnelle.
Il a servi plus de 8 ans hors de l'hexagone : aux États-Unis, en Amérique du Sud et au Proche-Orient dans le cadre de l'ONU, plus d'un an dans les Balkans dans les cadres de l'ONU et de l'OTAN, et plus de six mois au Moyen- Orient (Émirats, Qatar, Koweït).



Discours de Bachar el-Assad, Président de la République arabe syrienne, au sommet de la Ligue arabe

Alexandre Dianine-Havard : Le Grand Combat arrive

Carnet de voyage en Syrie : Le cœur des Syriens vous attend !…

 







mardi 9 mai 2023

9 mai : Jour de la Victoire… en 1945

 

9 mai : Jour de la Victoire… en 1945

Victoire ?… les démons que l’on croyait avoir totalement terrassés auront laissé des larves qui aujourd’hui pullulent, voraces… Travail à achever… avant que le 9 mai ne devienne effectivement chaque année Fête de l’Europe… …

À la veille de l’élection présidentielle de 2017 le professeur Adriano Segatori dressait un savoureux portrait psychiatrique du candidat Macron et alertait les Français sur les périls qu’un tel candidat ferait courir au pays. Un avertissement qui n’aura pas été entendu ; portrait et prédictions qui auront été parfaitement confirmés par les faits…


Selon le professeur Adriano Segatori, Macron est un psychopathe

 

Cinq ans après, en 2022, peu avant une nouvelle élection présidentielle, le professeur Adriano Segatori s’entretient encore sur le cas clinique Macron… Sans rien retirer de ses précédentes analyses et de l’observation de cinq années d’exercice du pouvoir le professeur Adriano Segatori précise son diagnostic : Macron n’est pas dangereux, il est très très dangereux ?; pas seulement pour la France, pour l’Europe entière !… Et de décrire un syndrome particulier, le « syndrome Napoléon »… Source d’encore plus d’inquiétude ou d’espérance ?


Professeur Adriano Segatori : Qui est vraiment Emmanuel Macron ?

Nous ne pouvons imaginer que Macron tout à la fois amoureux et soucieux de son image n’ait pas pris connaissance du diagnostic du Professeur… Alors ? Prédictions auto-réalisatrices ? Le sujet est-il entré dans le jeu de ce syndrome Napoléon ? Quelle autre raison l’aurait conduit à se donner ainsi « Cent jours » ? Bien évidemment, nous devons supposer que dans son immense orgueil il s’estime capable de défier, lui, cette fatalité des « Cent jours »… Restons optimistes : si Waterloo c’est foutu, espérons en une Bérézina…




L’énigme Derrida : Déconstruction ?… T’es pas un farceur, t’es rien !

Napoléon vu par Henri Guillemin : un général impitoyable qui "ne convoite que la considération, l'argent et le plaisir"

Henri Guillemin raconte l'épopée napoléonienne dans une collection de dix-sept documents captivants. Avec passion et sans renier son sens critique, l'historien se confronte au mythe de l'Empereur. De la naissance de Napoléon Bonaparte en Corse le 15 août 1769 à sa mort le 5 mai 1821 sur l'île de Sainte-Hélène, Guillemin décrit un général impitoyable qui "ne convoite que la considération, l'argent et le plaisir".






mardi 3 janvier 2023

Napoléon III et l'Émir Abd-el-Kader : d'un Royaume arabe aux parjures républicains, de Mac Mahon à DeGaulle


Ils ne voulaient pas Napoléon III, ils auront eu DeGaulle !
Nul chef d’État ou de gouvernement français ne s’intéressa à l’Algérie autant que Napoléon III ; et tout comme son oncle avait voulu tâter de l’Orient en se rendant en Égypte, le second empereur mettra deux fois le pied sur le sol d’Algérie.  En Algérie, différents modes d’administration se succédèrent, sans cohérence, où l’armée, par l’intermédiaire des Bureaux arabes, faisait montre de paternalisme et parfois, de clientélisme. 


Le 16 octobre 1852 de retour d'une tournée en France, le futur Napoléon III vient annoncer solennellement sa liberté à l'Émir Abd-el-Kader.
Abd-el-Kader part pour Bursa puis Damas, où il enseignera la théologie à la mosquée des Omeyyades.

Dans les années 1860, prenant acte de la fin de la conquête de l'Algérie, Napoléon III préconise l'instauration d'un royaume arabe sous protectorat français, un peu comme il en ira plus tard avec le royaume du Maroc. Lui-même aurait eu le titre de « roi des Arabes ».

Il demande, et fait voter par le Sénat, le 14 juillet 1865, que les autochtones d’Algérie, musulmans et juifs, soient considérés comme les colons européens, et qu’ils aient accès aux emplois publics et militaires à part égale. Par ce senatus-consulte (décret impérial) du 14 juillet 1865 il est désormais permis tant aux juifs qu'aux  musulmans d’obtenir la nationalité française tout en demeurant régis pour leurs statuts civils par la loi musulmane ou hébraïque, ou d’opter à leur demande pour l’adoption des lois civiles françaises. « Je voudrais utiliser la bravoure des Arabes plutôt que de pressurer leur pauvreté… »

Le projet se heurte à l'opposition violente des colons européens. Ces derniers, qui se situent du côté de la gauche républicaine, seront parmi les plus ardents à combattre Napoléon III et à se réjouir de sa chute.

En septembre 1870, la chute de Napoléon III a une conséquence directe sur l’administration de l’Algérie, où elle est saluée par des cris de joie chez les Européens. C’est l’enterrement du « Royaume arabe » et d’une certaine idée de la France en Algérie.

Avant même la capitulation de Napoléon III, Abd-el-Kader est circonvenu par le chancelier Bismarck, qui l’incite à profiter de la situation et de reprendre le combat contre la France. L’Émir répond avec indignation :

« Excellence, celui à qui vous avez adressé l’offre de marcher contre la très glorieuse France et de vous prêter le concours de sa loyale épée devrait, par mépris et dédain, s’abstenir de vous répondre. Que nos chevaux arabes perdent tous leur crinière avant qu’Abd-el-Kader ben Mahi ed-Din accepte de manquer à la reconnaissance qu’il a pour le très puissant empereur Napoléon III (Que Dieu le protège) ».

La IIIe République de Mac Mahon, qui succède au Second Empire, prend le contrepied de la politique napoléonienne en intégrant plus étroitement l'Algérie à la France. Avec le décret Crémieux du 24 octobre 1870,  qui abroge le senatus-consulte de 1865, la IIIe République établit une discrimination inédite entre les 37 000 juifs, élevés au rang de citoyens français, et les musulmans.

Le décret Crémieux offre la citoyenneté pleine et entière aux juifs d'Algérie sous réserve du renoncement à la loi mosaique et à ses prescriptions contraires au droit civil en matière matrimoniale (ce renoncement avait déjà été entériné sous le Premier Empire par les consistoires métropolitains).  


Juifs d'Algérie


Dans la foulée, les colons originaires d'Europe (Italie, Espagne, Malte...) sont aussi francisés en bloc. Quant aux musulmans d'Algérie, ils sont maintenus dans le statut d'indigène. C'est le début d'une fracture douloureuse et irréductible entre les deux communautés.

En 1881, la Troisième République triomphante établit en Algérie un Code de l’indigénat qui s’apparente à un apartheid : les musulmans ne relèvent pas du droit commun, doivent circuler avec un laissez-passer, n’ont pas le droit d’organiser des réunions non autorisées et sont, à revenu égal, huit fois plus imposés que les colons ; quant à devenir français, il leur faut renoncer à l’islam. Dans le même temps, les expropriations de fellahs, stoppées pendant le Second Empire, reprennent, encouragées par l’État républicain…

L’objectif de l’autonomie locale du territoire est définitivement enterré, au profit d’un système colonial pur et simple. Concrètement, les confiscations de terre reprennent.

Dix ans après la disparition de Napoléon III, dans la nuit du 25 au 26 mai 1883, l’émir Abd-el-Kader rend l’âme à Damas. Après la cérémonie de la toilette funèbre, assurée par un théologien de l’université coranique du Caire, le service religieux se tient à la grande mosquée des Omeyades, après quoi la dépouille est transportée à la mosquée où repose le mystique andalou Ibn’Arabi dont se réclamait Abd-el-Kader, pour être inhumée à ses côtés…

Ainsi en abolissant le projet aussi lucide que généreux de l'Empereur Napoléon III, la IIIe République aura définitivement consacré en Algérie la rupture entre les colonisés (exclusivement musulmans) et les colonisateurs, qui viennent d'Europe et auxquels s'assimilent désormais les juifs... Une rupture que DeGaulle et sa Vème République ne fera qu'exacerber pour définitivement livrer l'Algérie au terrorisme FLN… Et pendant tout ce temps-là, depuis l'origine les Européens d'Algérie n'auront jamais compris où se situait leur avenir… Jean-Jacques Susini, s'inspirant largement du réalisme de Napoléon III ne sera que partiellement entendu alors que plus aucune réconciliation n'était possible… Ces Européens se félicitèrent de la chute de Napoléon III, la haine de DeGaulle à leur encontre aura triomphé et les aura emportés !   






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L'AFRIQUE RÉELLE - N°157 - JANVIER 2023

http://bernardlugan.blogspot.com/p/lafrique-reelle.html

Au Maghreb central, à partir de 1830, la France unifia des territoires qui n’avaient jamais eu de destin commun, donnant à l’ensemble ainsi créé le nom d’Algérie. En raison des vicissitudes politiques métropolitaines, cet ensemble fut administré d’une manière incohérente. À une heureuse décentralisation durant la période de la monarchie et de l’Empire (1830-1870), succéda en effet la dévastatrice chape de plomb jacobine imposée par le nouveau régime républicain.

Dans un premier temps, la nouvelle conquête fut administrée selon la Loi du 24 avril 1833 qui créa les Établissements français d’Afrique. Ce fut une colonie militaire dont le régime fut défini par l’Ordonnance du 22 juillet 1834. Rattachée au Ministère de la Guerre, elle fut dirigée par un Gouverneur général.
Le 14 octobre 1838 dans une instruction au maréchal Valée Gouverneur général de l’Algérie, le général Schneider ministre de la Guerre écrivit :

« Jusqu’à ce jour, le territoire que nous occupons dans le nord de l’Afrique a été désigné dans les communications officielles soit sous le nom de Possessions françaises dans le nord de l’Afrique, soit sous celui d’Ancienne régence d’Alger, soit enfin sous celui d’Algérie. Cette dernière dénomination plus courte, plus simple et en même temps plus précise que toutes les autres (...) a semblé dorénavant prévaloir (...) je vous invite en conséquence (...) à substituer le mot Algérie aux dénominations précédentes ».

Les Bureaux arabes

En 1844, sous l’impulsion du général Bugeaud, le Service des Bureaux Arabes fut créé par l’Arrêté ministériel du 1er février 1844 et son premier commandant en fut le général Daumas.

Formés d’officiers appartenant à toutes les armes et placés en « hors cadre » ou détachés, les Bureaux arabes furent composés par de bons connaisseurs des langues et des mœurs des populations dont ils eurent la charge. À la tête du corps se trouvait un Bureau Politique stationné à Alger et qui commandait à trois directions provinciales territorialement alignées sur les trois divisions militaires d’Alger, Oran et Constantine.

Les directions provinciales étaient composées de bureaux de « première » et de « deuxième » classe placés auprès des commandants des subdivisions militaires, et subdivisées en postes et cercles.

À la base, sur le terrain, chaque Bureau Arabe était composé d’un officier chef du Bureau, d’un ou de plusieurs officiers adjoints, d’un interprète, d’un ou de plusieurs secrétaires, généralement des sous- officiers français ; d’un secrétaire indigène ou khodja, d’un chaouch, d’un médecin, d’un détachement de spahis et de moghaznis qui étaient des auxiliaires militaires recrutés localement.

Les chefs de bureau étaient en même temps administrateurs, médiateurs, juges, officiers d’état-civil, gendarmes.

En quelques années, ce service, composé d’un personnel d’élite fut d’une remarquable efficacité. Son autorité morale incontestée en fit l’instrument essentiel de la pacification. Il combattit la politique dite du « cantonnement » qui visait à exproprier les tribus et il s’attira donc l’hostilité des partisans de la colonisation agricole. Conscient des réalités, soucieux de ne pas déraciner les populations, il respecta la religion musulmane.

En 1863, l’Empereur Napoléon III définit une politique algérienne originale quand il parla de « royaume arabe », concept qui fit couler beaucoup d’encre et dont la primeur est contenue dans une lettre en date du 6 février 1863 qu’il écrivit au maréchal Pélissier alors Gouverneur général de l’Algérie :

« L’Algérie n’est pas une colonie proprement dite, mais un « royaume arabe ». Les indigènes ont comme les colons un droit égal à ma protection et je suis aussi bien l’Empereur des Arabes que l’Empereur des Français. »

Sensible aux arguments des militaires qui ne voulaient pas d’une colonisation massive, Napoléon III déclara plus tard qu’il n’avait pas l’intention de sacrifier « deux millions d’indigènes à deux cent mille colons » et il eut une politique reposant sur l’idée d’un double statut.

C’est ainsi que les natifs algériens devinrent des « sujets français » sans toutefois perdre pour autant leur statut civil musulman. Ils eurent accès à tous les emplois civils et militaires sous réserve de compétence et obtinrent d’être représentés dans les conseils municipaux et généraux. Quant aux tribus, elles se virent reconnaître la propriété inaliénable de leurs territoires.

La République contre les Bureaux arabes

Cette politique réaliste fut farouchement combattue par certains colons qui, par réaction, se rallièrent à l’opposition républicaine et exigèrent la suppression du Bureau arabe.

Le fond du problème était que la population européenne était passée de moins de 600 à la fin de l’année 1830 à 160 000 en 1856 et à plus de 200 000 en 1870. Or, pour nombre de colons, le corps des Bureaux arabes était un obstacle qu’il importait de supprimer. Quant aux officiers de ce corps, l’estime qu’ils portaient à certains colons était plus que mesurée, à l’image du capitaine Peltingras, un polytechnicien, qui décrit des premiers immigrants à l’« allure déplorable » et n’étant ni des modèles, ni de « vertu » ni de « probité ». Aussi, estimait-il « qu’il était injuste de dépouiller le peuple arabe de biens dont il jouissait depuis un temps immémorial, pour en doter des déclassés faméliques » (cité par Guiral, 1992 : 246).

L’effondrement de l’Empire fut donc accueilli dans la joie par une partie des Européens d’Algérie pensant qu’ils allaient désormais pouvoir s’affranchir du régime militaire et établir leur propre régime civil.

Ils rallièrent donc avec enthousiasme les nouvelles autorités de Tours afin d’en finir avec ce qu’ils appelaient « le régime du sabre ». Fin octobre 1870, ils créèrent des communes insurrectionnelles et des « comités républicains » à Alger, Oran, Constantine, Philippeville et Bône. Le 30 octobre, Alger passa sous le contrôle d’un avocat, Romuald Vuillermoz, déporté républicain de 1848 qui s’auto-désigna « commissaire civil extraordinaire par intérim », qui proclama le régime civil et exigea la suppression des Bureaux arabes.

Les révolutionnaires furent écoutés par le Gouvernement provisoire qui confia l’Algérie au Garde des Sceaux, Adolphe Isaac Crémieux, lequel fit adopter les décrets qui portent son nom et qui se fit élire député d’Alger au mois d’octobre 1871.

Or, Crémieux avait été étroitement conseillé par Mgr Lavigerie, ultérieurement l’artisan du ralliement des catholiques à la République et qui reprochait aux Bureaux arabes et au régime militaire, de trop protéger les indigènes et donc de freiner la colonisation de l’Algérie.

C’est d’ailleurs à l’intention de Crémieux et de Gambetta, ces deux farouches républicains, que le prélat rédigea un document peu connu intitulé « Notes sur l’Algérie ». Dans ce texte qui est daté du 1er décembre 1870 et rédigé à Tours où se trouvait alors le gouvernement provisoire, le fondateur de l’ordre les Missionnaires d’Afrique, les célèbres Pères Blancs, annonce la politique jacobine qui sera appliquée en Algérie durant plus de deux décennies. Il y prend le contre-pied de la politique suivie jusque là par les militaires, par les Bureaux arabes et par l’Empereur Napoléon III. Sans la moindre ambiguıẗé, dans ce document, il demande la spoliation des tribus et l’introduction d’une administration directe de type jacobin.

La République adopta largement les vues de Mgr Lavigerie dont les effets furent ravageurs [1].

Investi des pleins pouvoirs, Crémieux promulgua 58 décrets en moins de cinq mois. Son but était de couler l’Algérie dans le moule français et de la soumettre au même régime que les départements de la métropole, ayant des préfets à leur tête et une représentation au Parlement.

Les décrets du 24 octobre 1870 plaçaient l’Algérie sous l’autorité d’un Gouverneur général civil dépendant du Ministère de l’Intérieur et naturalisaient les Juifs d’Algérie, faisant d’eux des citoyens français de plein exercice à la différence des musulmans qui étaient des sujets de la République. Crémieux fit un véritable procès en sorcellerie aux Bureaux arabes, les accusant de « politique antinationale » pour s’être opposés à l’extension de la colonisation terrienne. Par le décret du 24 décembre 1870 le corps fut décapité, le Bureau Politique et les subdivisions supprimés. Il fut ensuite vidé de sa substance par le décret du 1er janvier 1871 qui le transforma en Bureau des Affaires Indigènes et le cantonna aux Territoires du Sud, là où le colonat était inexistant.

Le régime civil républicain succéda donc au régime militaire. Son jacobinisme, le mépris qu’il afficha pour les populations indigènes, son laıc̈isme qui fit passer ses représentants pour des mécréants aux yeux des musulmans, exercèrent des ravages et provoquèrent un traumatisme que l’Algérie française ne surmonta jamais.


[1] J. Tournier, Le cardinal Lavigerie et la politique coloniale de la France en Afrique. Documents inédits. Extrait de la revue Le Correspondant, 5e livraison, 10 mars 1912, pp 835-837.

Pour en savoir plus :

- Frémeaux, J., (1993) Les Bureaux arabes de l’Algérie. Paris.

- Guiral,P.,( 1992) Les militaires à la conquête de l’Algérie (1830-1857). Paris.

- Lugan,B., (2022) Algérie, l’histoire à l’endroit. Éditions de l’Afrique Ré elle





dimanche 18 décembre 2022

Avec Jean-Paul Brighelli : Quand l"école fabrique des crétins…






Jean-Paul Brighelli est né le 23 septembre 1953 à Marseille… il fait ses études secondaires au lycée Saint-Charles de Marseille de 1964 à 1970, année où il passe le baccalauréat en candidat libre à la fin de sa première.
Après deux ans en hypokhâgne et khâgne au lycée Thiers, il est admis en 1972 à l'École normale supérieure de Saint-Cloud… Il réussit l'agrégation de lettres modernes en 1975.



Depuis « La Fabrique du crétin » (2005), rien n’a changé, sinon en pire. L’école se meurt, mais l’école n’est pas morte. Partout se manifestent des oppositions à la plus grande entreprise de destruction intellectuelle des temps modernes. Bonnet d’Âne se veut le point d’ancrage de cette résistance. Pour une vraie école de la République, pour la transmission des savoirs, pour la culture. Pour les élèves. Pour demain.



samedi 10 décembre 2022

OTYKEN : STORM…Tempête… avec les Chulyms, le plus petit peuple indigène de Sibérie !

 

Ce clip a été tourné en Sibérie, dans le territoire de Krasnoïarsk, sur la rivière Chulym. À 30 km du village de Pasechnoye (capitale des Chulyms). C'est le berceau des membres du groupe OTYKEN. Les Chulyms sont le plus petit peuple indigène de Sibérie. Selon une version, les Chulyms seraient les ancêtres des Ainu japonais et des peuples autochtones d'Amérique du Nord. Selon une autre version, les Chulyms sont une ancienne tribu turque.
La chanson OTYKEN-STORM parle des difficultés auxquelles les gens sont confrontés lorsqu'ils voyagent vers l'Est. La musique du groupe OTYKEN voudrait offir bienveillance et lumière chaleureuse envers tous les peuples de cette terre ! Que le pouvoir magique de leur musique guérisse votre âme ainsi que votre corps, et il pourrait même vous envoyer en transe !





Écoutez la nouvelle chanson OTYKEN - STORM sur toutes les plateformes numériques :

- Spotify : https://open.spotify.com/artist/63tficClWA0HEI8bnlbA2l

- Apple Music : https://music.apple.com/ru/artist/otyken/1396466809


Erwan Castel nous donne des nouvelles depuis le Donbass… "Ça y est ! Portée par les nuées septentrionales, une neige encore timide est venue recouvrir la steppe autour de Donetsk, fine couverture blanche aussitôt cristallisée par le vent glacé.
L'automne n'est plus qu'un souvenir et les coeurs libres se tournent vers le temps de Yule et celui plus lointain du printemps de la Victoire.
Et Stribog, dans son souffle froid de caressant la steppe, apporte avec la neige, à celles et ceux qui écoutent avec la mémoire ancienne de leur sang les chants des shamanes tissant les légendes des peuples..."

TEMPÊTE
avec Otyken (groupe néofolk sibérien)


Si tu vas à l'Est
Si tu vas à l'Est
Si tu vas à l'Est
Le soleil t'aveuglera
La tempête te couvrira de neige
La Terre t'engloutira
Dans ses entrailles
Si tu vas vers l'Est
Sois très prudent
Le soleil t'aveuglera
La tempête te couvrira de neige
La Terre t'engloutira
Dans ses entrailles

Sois très prudent (x6)
La tempête te couvrira de neige

{Prière sacrée, ne peut pas être traduite}

Si tu vas à l'Est
Si tu vas vers l'Est
Sois très prudent
La vie ne bat pas
La vie enseigne
Les leçons de vie sont utiles
Supporte-les
La vie ne bat pas
La vie enseigne
Les leçons de vie sont utiles
Supporte-les

Quand des amis sont avec toi
Les amis aideront toujours
Quand tu rentres à la maison
N'oubliez pas vos amis
Quand des amis sont avec toi
Les amis aideront toujours
Quand tu rentres à la maison
N'oubliez pas vos amis

{Prière sacrée, ne peut pas être traduite}

La tempête te couvrira de neige
Amis de l'Est
Vous sauvera de la neige
Vous sauver de la chaleur
Le soleil et le feu
Quand des amis sont avec toi
Les amis aideront toujours
Tu es déjà à la maison
Mais ton cœur appelle les amis de l'Est




lundi 21 novembre 2022

Louis-Ferdinand Céline : la fin de l'innocence…

 

« Les écoles fonctionnent dans ce but, ce sont les lieux de torture pour la parfaite innocence, la joie spontanée, l’étranglement des oiseaux, la fabrication d’un deuil qui suinte déjà de tous les murs, la poisse sociale primitive, l’enduit qui pénètre tout, suffoque, estourbit pour toujours toute gaîté de vivre. » Louis-Ferdinand Céline, Les Beaux draps (1941)

Heureuses générations qui n’avaient à subir une imbécilisation que le temps de l’école… la télé puis l’internet et ses réseaux sociaux ont aujourd’hui aboli ces frontières temporelles et spatiales de crétinisation…

Arborant son Mérite scolaire, le jeune Louis Ferdinand Destouches en habit d'élève studieux suite à son inscription à l'école communale du square Louvois, située dans le deuxième arrondissement parisien et à deux pas de la boutique de sa mère Marguerite au passage Choiseul, des Bérésinas, le 1er octobre 1900.
Henri Godard - Un autre Céline : de la fureur à la féerie, deux cahiers de prison




dimanche 20 novembre 2022

Macron à la rencontre du Muay Thaï, un moment fort…


Alors que se tenait le sommet annuel du groupe inter-gouvernemental de Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC) au Quenn Sirikit Convention National Center un point fort du séjour à Bangkok de Macron aura été cette visite au stade de Muay Thaï de Rajadamnern accompagné d’un chœur l’élèves du Lycée français – qui entonnera la Marseillaise – et où l’attendaient deux anciens boxeurs français, les frères Victor et Antoine Pinto…




 





















































Coopération économique pour l'Asie-Pacifique

The Nation Thailand : French leader Macron ‘knocked out’ by Muay Thai at legendary Bangkok stadium





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mardi 25 octobre 2022

Céline et nous : 90 ans de Voyage !

 

Nous fêtons cette année les quatre-vingt-dix ans de Voyage au bout de la nuit, ce « livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire ». L’occasion pour Émeric Cian-Grangé et ses invités de revenir sur la genèse et la réception de cette « manière de symphonie littéraire émotive », autant de manifestations symptomatiques de l’extraordinaire vitalité de ce roman phare qui, universel et révolutionnaire, continue d’interpeller les lecteurs du xxie siècle. « Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. » Ne manquez pas la soirée-événement autour du chef-d'œuvre de Louis-Ferdinand Céline.

Le mercredi 9 novembre à La Nouvelle Librairie, à partir de 18 heures. Avec la participation de Stanislas de la Tousche.




« Les malades ne manquaient pas, mais il n’y en avait pas beaucoup qui pouvaient ou qui voulaient payer. La médecine, c’est ingrat. Quand on se fait honorer par les riches, on a l’air d’un larbin, par les pauvres, on a tout du voleur. Des "honoraires" ? En voilà un mot ! Ils n’en ont déjà pas assez pour bouffer et aller au cinéma les malades, faut-il encore leur en prendre du pognon pour faire des "honoraires" avec ? Surtout dans le moment juste où ils tournent de l’œil. C’est pas commode. On laisse aller. On devient gentil. Et on coule. »

90 ANS DE VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

Le 15 octobre 1932 paraissait Voyage au bout de la nuit,
« du pain pour un siècle entier de littérature »


Émeric Cian-Grangé nous propose de découvrir la table des matières de "90 ans de Voyage, Céline et nous", ouvrage collectif à paraître ce 26 octobre 2022 dans la collection « Du côté de Céline » (Éditions de La Nouvelle Librairie).

Une soirée de lancement sera organisée à La Nouvelle Librairie le 9 novembre 2022, de 18 heures à 20 heures. Stanislas de la Tousche nous fera l’honneur d’interpréter des extraits du prix Renaudot 1932. — avec Thomas Desmond et 14 autres personnes.



















*   *   *

Entretien fantasmagorique…

« On sabote toujours les vivants… »

« Ça a débuté comme ça »

il y a 90 ans ! 90 ans que la sortie du fracassant
« Voyage au bout de la nuit »,
roman génial et fondateur.


Publication aux  éditions de la Nouvelle Librairie de « 90 ans de Voyage. Céline et nous »,  l'occasion pour le site « Éléments » de reproduire un entretien fictif d'Émeric Cian-Grangé avec l’auteur du Voyage au bout de la nuit, extrait la revue littéraire Livr’arbitres [François Gibault, Céline, Bouquins, 2022, 928 p.]. Un entretien fantasmagorique qui retrace les grandes étapes de la vie de Louis-Ferdinant Céline, où s’entremêlent vécu et littérature,  « rien qu’une histoire fictive ». Avec Émeric Cian-Grangé à la manœuvre, les réponses de Céline sont toutes extraites de ses livres.…


Émeric Cian-Grangé : Céline, où êtes-vous né ?

Louis-Ferdinand Céline : Courbevoie, Seine, Rampe du Pont, y en a que ça emmerde qu’il y a des gens de Courbevoie… l’âge aussi, je répète mon âge… 1894 !… La Seine a gelé cette année-là. Je suis né en mai. C’est moi le printemps. [D’un château l’autre et Mort à crédit]


Émeric Cian-Grangé : Que faisaient vos parents ?

Louis-Ferdinand Céline : Après la faillite dans les Modes à Courbevoie, il a fallu qu’ils travaillent double mes parents. On a quitté rue de Babylone, pour se remettre en boutique, tenter encore la fortune, Passage des Bérésinas, entre la Bourse et les Boulevards. C’était un magasin de « Modes, fleurs et plumes ». Y avait en tout comme modèles que trois chapeaux, dans une seule vitrine, on me l’a souvent raconté. [Mort à crédit]


Émeric Cian-Grangé : Comment s’est déroulée votre scolarité ?

Louis-Ferdinand Céline : Avec Grand-mère Caroline, on apprenait pas très vite. Tout de même, un jour, j’ai su compter jusqu’à cent et même je savais lire mieux qu’elle. J’étais prêt pour les additions. Le matin du certificat, ma mère a fermé sa boutique pour pouvoir mieux m’encourager. Le moment était solennel, elle pensait à Caroline, ça la faisait encore pleurnicher… Le lendemain tantôt, on a été avec maman chercher mon certificat… Monsieur Lavelongue nous l’a remis en personne… [Mort à crédit]


Émeric Cian-Grangé : Le certificat en poche, vous partez en Allemagne…

Louis-Ferdinand Céline : J’en sais un petit bout sur l’Allemagne !… hélas !… plus que je ne voudrais !… Diepholz, Hanovre !… Diepholz, la Volkschule !… 1906 !… on m’y avait appris le boche !… que ça me serait utile dans le commerce !… Salut ! ah ! Diepholz, Hanovre !… vous parlez de souvenirs !… [D’un château l’autre]


Émeric Cian-Grangé : Puis en Angleterre…

Louis-Ferdinand Céline : C’était une audace singulière, qu’on m’envoye si loin… Tout seul… Comme ça… Personne connaissait Rochester. On me donnait tout avant que je quitte. J’emportais tout en Angleterre, des bons principes… [Mort à crédit]
Émeric Cian-Grangé : Ces voyages d’études terminés, qu’ont décidé vos parents ?

Louis-Ferdinand Céline : On s’est demandé à ce moment-là ce qu’on allait me présenter ?… Ma mère, son plus grand désir c’était que je devienne bijoutier… Ça lui semblait très flatteur. Le lendemain, on s’est mis en quête d’une maison réellement sérieuse pour que je commence dans le commerce. Une place même un peu sévère, où on ne me laisserait rien passer. L’effroi de tréfonds, c’est d’être un jour « fleur », sans emploi… Je les ai en horreur les boulots. Je chierais bien dessus si on me laissait… C’est pas autre chose la condition… [Mort à crédit]


Émeric Cian-Grangé : La caserne de Rambouillet vous accueille en septembre 1912. Pourquoi avoir choisi d’être cuirassier ?

Louis-Ferdinand Céline : Ah ! Cavalerie indépendante ! Attendez, cavalerie d’élite ! d’Élite ! d’Élite ça veut reluire ! Gougnafes, que je bouille ! Le 17e cuirassiers ! Cavalerie lourde ! Corps cavalier ! Parfaitement ! Lourde ! Ma grosse branche ! Lourde, Parisien ! Mais bondissante ! Encule la légère tous les jours ! [Casse-pipe]


Émeric Cian-Grangé : Vous êtes blessé en octobre 1914…

Louis-Ferdinand Céline : J’ai payé… mutilo 75 % !… Oh, certainement depuis 14, il faut avouer il faut convenir les hommes de ma classe, c’est du rab !… c’est de l’arrogance de ne pas être morts… bien sûr que c’est équivoque !… [D’un château l’autre et Féerie pour une autre fois]


Émeric Cian-Grangé : Convalescent, on vous affecte en mai 1915 au consulat général de France à Londres, au service des passeports…

Louis-Ferdinand Céline : C’était pas tous les jours commode à cause des curieux ! Ça valait tout de même mieux qu’en face !… beaucoup mieux que faire le guignol au « 16e monté »… à crever mouillé tous les jours d’Artois en Quercy… Salut !… [Guignol’s band]


Émeric Cian-Grangé : Pourquoi, un an plus tard, partir en Afrique ?

Louis-Ferdinand Céline : Je n’avais pas assez d’argent non plus pour aller en Amérique. « Va pour l’Afrique ! » que j’ai dit alors et je me suis laissé pousser vers les Tropiques, où, m’assurait-on, il suffisait de quelque tempérance et d’une bonne conduite pour se faire tout de suite une situation. Si j’ai souffert aussi là-bas !… trois conjonctivites au Cameroun ! Bikobimbo, Rio Cribi, renseignez-vous ! [Voyage au bout de la nuit et Féerie pour une autre fois]


Émeric Cian-Grangé : Vous êtes effectivement rapatrié pour raisons sanitaires, en mars 1917. Vous travaillez alors pour une revue…

Louis-Ferdinand Céline : Le « Génitron » invention, trouvaille, fécondité, lumière !… C’était le sous-titre du journal. C’est bien moi qui devais me taper toute la bagotte des livraisons avec la voiture à bras… Tous les va-et-vient de l’imprimeur… Après deux mois à l’essai, Courtial avait parfaitement saisi que je me plairais jamais ailleurs… Que le condé du « Génitron » c’était entièrement pour mon blase, que ça me bottait exactement, qu’autre part dans un autre jus je serais toujours impossible… [Mort à crédit]


Émeric Cian-Grangé : Vous quittez néanmoins la revue quelques mois plus tard afin de travailler pour une fondation…

Louis-Ferdinand Céline : À la Carnegie, quand on conférenciait les ploucs d’un hameau à l’autre… toute la Bretagne et tout le Périgord… la fondation Carnegie… la propagande contre la vérole, les malformations infantiles… on en a collé des affiches dans les plus pires perdues bourgades… porté la bonne parole d’hygiène dans les provinces sans cabinets… Ah ! on s’est donné bien du mal, on a pas volé notre pognon… [Maudits soupirs pour une autre fois]

Émeric Cian-Grangé : L’obtention de votre baccalauréat en juillet 1919 vous permet d’entreprendre des études de médecine…

Louis-Ferdinand Céline : Toutes ses études en bossant, Ferdinand, d’un patron dans l’autre… Il marne depuis l’âge de douze ans !… 22 patrons Monsieur, 22… Ils l’ont tous foutu à la porte !… Il s’est caché dans les chiottes, il avait l’air d’aller se poigner, pour préparer ses examens… Je vous le dis tel quel… Mes études une fois reprises, les examens je les ai franchis, à hue à dia, tout en gagnant ma croûte. Quand j’ai eu tout de même terminé mes cinq ou six années de tribulations académiques, je l’avais mon titre, bien ronflant. Ainsi les bachots… la médecine… [Bagatelles pour un massacre et Voyage au bout de la nuit]


Émeric Cian-Grangé : En juin 1924, vous êtes embauché par la section Hygiène de la Société des Nations. Quel rôle y avez-vous joué ?
Louis-Ferdinand Céline : Par les circonstances de la vie, je me suis trouvé pendant quatre ans titulaire d’un petit emploi à la SDN, secrétaire technique d’un Juif, un des potentats de la Maison. Je faisais partie moi, du “petit Cadre”… des “auxiliaires”, des gens de peu. Mais alors, en fait d’expérience, je peux dire qu’elle m’a bien servi ! Je regrette pas mon temps à Genève. Quand je devenais inquisiteur, mon grand patron Yubelblat, il m’expédiait en voyages, en missions d’études… J’ai fait ainsi les continents à la recherche de la vérité. [Bagatelles pour un massacre]


Émeric Cian-Grangé : Vous trouvez ensuite un emploi dans un dispensaire qui s’ouvre à Clichy en 1927. Quelle était votre fonction ?

Louis-Ferdinand Céline : J’ai été nommé à la consultation d’un petit dispensaire pour les tuberculeux du voisinage. Il faut appeler les choses par leurs noms, ça me rapportait huit cents francs par mois. Comme malades c’était plutôt des gens de la zone que j’avais… Ils y passaient des après-midis et des semaines entières à espérer, dans l’entrée et sur le seuil de mon dispensaire miteux, tant qu’il pleuvait dehors, et à remuer leurs espérances de pourcentages, leurs envies de crachats franchement bacillaires, de vrais crachats, des « cent pour cent » tuberculeux crachats. [Voyage au bout de la nuit]


Émeric Cian-Grangé : En octobre 1932, Denoël publie votre premier livre : Voyage au bout de la nuit, qui rate de peu le Goncourt…

Louis-Ferdinand Céline : C’est le Voyage qui m’a fait tout le tort… mes plus haineux acharnés sont venus du Voyage… Personne ne m’a pardonné le Voyage… depuis le Voyage mon compte est bon !… encore je me serais appelé Vlazine… Vlazine Progrogrof… [D’un château l’autre]

Émeric Cian-Grangé : Mort à crédit sortira quatre ans plus tard, pendant le Front populaire…

Louis-Ferdinand Céline : Huit jours encore avant Mort à crédit pas un seul journal de la “gôche” qui ne soit venu par envoyé spécial, me passer une petite liche bien fourrée. M’offrir ses colonnes et à quels prix !… Huit jours plus tard quel déluge ! Ah ! les saloperies fumières !… Ah ! Comme ils sont tous vils et fiotes ! Ah ! si j’avais hurlé comme eux, comment qu’ils m’auraient trouvé beau ! Un Lion ! Prophétique messager ! Insurpassable ! Ah ! Qu’ils m’auraient intitulé : Une des Voix du Monde !… Ah ! S’ils peuvent courir vraiment aussi vite que je les emmerde comme ils vont le gagner le Grand Prix ! Quelle importance ces misères ? Je déraille !… [Bagatelles pour un massacre]


Émeric Cian-Grangé : De retour d’URSS, vous publiez Mea culpa en décembre 1936. Comment fut perçu ce pamphlet anticommuniste ?

Louis-Ferdinand Céline : À la suite de Mea culpa il m’est arrivé de Palestine tellement de lettres en quelques courriers, que ma concierge s’en est émue. Elle m’a demandé ce qu’elle devait faire. Les Juifs ils m’écrivaient en masse, de Tel-Aviv et d’ailleurs. Et puis alors sur un ton ! Dans les furies d’une de ces rages ! à en consumer les enveloppes ! Ils se poussaient au rouge-blanc, les énergumènes ! Ah ! les petits Passionistes !… Ah ! ils les aiment eux, les Soviets ! Ça je peux vous l’affirmer ! [Bagatelles pour un massacre]


Émeric Cian-Grangé : Entre 1937 et 1941, vous publierez trois autres ouvrages pamphlétaires : Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres et Les Beaux Draps

Louis-Ferdinand Céline : Parlons un peu d’autre chose… [Bagatelles pour un massacre]

Émeric Cian-Grangé : Soit… Comment avez-vous traversé la Seconde Guerre mondiale ?

Louis-Ferdinand Céline : C’était flatteur avant la guerre… « Céline, mon pote » !… Je savais par Pamela ma bonne les préparatifs de l’îlot… même de la Butte… la façon qu’on m’accommoderait… et puis mes cercueils, les « faire-parts » ? Je les rêvais pas ! Et les « condamnations à mort » solennelles, et jamais signées ? L’Allemagne 44… sous les bombardements ! et quels ! de ces bouillabaisses de bonhommes, incendies, tanks, bombes ! de ces myriatonnes de décombres ! et puis ensuite toutes les prisons ! et les cinq années de Baltique… et puis d’abord, j’oubliais ! toute la sauvette Bezons-la-Rochelle… et le naufrage de Gibraltar ! disons Bezons, Sartrouville, Clichy… ah, et aussi Siegmaringen !… [Féerie pour une autre fois et D’un château l’autre]


Émeric Cian-GrangéÉ : Siegmaringen ?

Louis-Ferdinand Céline : Là, y avait urgence un peu !… tous l’Article 75 au derge !… urgence, je répète ! Vous pensez si je sentais que ça venait à Siegmaringen !… “le mal a des ailes” !… que mon compte était bon !… d’une façon d’une autre !… “Bagatelles” je devais en crever !… c’était aussi entendu à Londres qu’à Rome où Dakar… et dix fois plus encore chez nous, là ! Siegmaringen sur Danube ! de toute façon j’y coupais pas ! « avec les livres qu’il a écrits » ! « ah ! vous n’aimez pas les juifs ! vous, Céline ! » la parole qui les rassurait !… que c’était moi qu’on allait pendre ! sûr !… certain !… mais pas eux ! pas eux ! ah, chers eux !… « les livres que vous avez écrits ! » je sauvais tout le monde par Bagatelles [D’un château l’autre]

Émeric Cian-Grangé : De Sigmaringen, vous partez pour le Danemark… où vous serez incarcéré le 17 décembre 1945, dans la prison de Copenhague. Votre état de santé nécessite alors une hospitalisation…

Louis-Ferdinand Céline : Oh mais pas que la pellagre au trouf ! l’Article 75 et le Parquet ! quatre « mandats » annulés, relancés ! et Gaëtan Serge d’Hortensia, l’Assesseur nègre de l’Ambassade, représentant l’union des Cingles, diplomatiques, politiques, coloniaux, et ectoplasmiques, qui m’injurie au jour levant ! Tomber plus bas qu’en réclusion, c’est difficile ! En plus de l’exil ! Gâté l’enfant ! Combien que le toboggan m’a pris ? Ressaisissez-vous faux curieux ! acquérez Féerie ! c’est tout ! Rentrez chez vous ! [Féerie pour une autre fois]


Émeric Cian-Grangé : À ce propos, vous ne rentrerez en France que le 1er juillet 1951, après avoir vécu à Klarskovgaard chez votre avocat, Thorvald Mikkelsen.

Louis-Ferdinand Céline : Puisque j’étais au Danemark, il fallait bien qu’ils me mettent quelque part !… Vous irez peut-être au Danemark en touriste… l’endroit vaut la peine… vous êtes forcé de vous reconnaître… Kongers Nytorv, place royale… Christian IV… cette Statue équestre… le tramway tourne autour, voitures très longues, couleur jaune… comme celui de Bruxelles… À Meudon, Bessy, je le voyais, regrettait le Danemark… rien à fuguer à Meudon ! mais elle a souffert pour mourir… oh ! elle ne se plaignait pas, mais je voyais… elle avait plus de force… c’était la fin… on me l’avait dit, je le croyais pas… mais c’était vrai, elle était dans le sens du souvenir, d’où elle était venue, du Nord, du Danemark, le museau au Nord, tourné nord… la chienne bien fidèle d’une façon, fidèle au bois où elle fuguait, Korsör, là-haut… [Rigodon et D’un château l’autre]

Émeric Cian-Grangé : Vous emménagez à Meudon en septembre 1951, au 25ter route des Gardes

Louis-Ferdinand Céline : Maintenant là, dix ans plus tard, à Meudon-Bellevue, on me demande plus rien… on me taquine un peu… mais à peine… je m’occupe pas des gens ! non plus !… d’autres soucis !… le gaz… l’électricité… le charbon ! et les carottes !… les pirates qui m’ont tout secoué, tout fourgué aux Puces, ont pas à souffrir de la faim, eux !… ni de rien !… le crime paye !… Mais j’ai peut-être tort de me plaindre… la preuve, je vis encore… et je perds des ennemis, tous les jours !… [D’un château l’autre]


Émeric Cian-Grangé : Oui, mais vous soignez les gens, tout en continuant d’écrire des livres…

Louis-Ferdinand Céline : Je me fais un tort énorme de porter moi-même les ordures… la preuve on m’appelle plus « Docteur »… seulement « Monsieur »… bientôt ils m’appelleront vielle cloche ! je m’attends… un médecin sans bonne, sans femme de ménage, sans auto, et qui porte lui-même ses ordures… et qui écrit des livres, en plus ! Mais un fait est là… mes livres se vendent plus… qu’ils disent !… ou presque plus… que je suis démodé, que je radote ! entourloupes ! salades !… coup monté ! je vous apprends rien, mes livres m’ont fait un tort immense !… décisif !… « avec les livres qu’il a écrits ! »… [D’un château l’autre]

Émeric Cian-Grangé : Céline, avez-vous des remords ?

Louis-Ferdinand Céline : On sabote toujours les vivants… on a mal le sens de la vie… comme j’en ai des remords intimes !… Courtial… Follet… Élisabeth… Édith… Jeanine… c’est autre chose que cent ans de prison !… Saloperie que je suis… Jules même, qu’est Dieu sait le vil être tout caméléon plein de venins je lui dois des philtres !… des reconnaissances !… Je mérite d’être traité effroyable… ce que j’ai saccagé ! bouzillman !… Je veux que mes morts me reconsidèrent !… « Pas si méchant que ça ! » ils diront… c’était les autres les vraies vaches !… les horreurs avaient déteint… [Féerie pour une autre fois]


Émeric Cian-Grangé : Pour clore cet entretien, comment envisagez-vous votre mort ?

Louis-Ferdinand Céline : Je suis pas fadé question longueur d’existence… Je me demande pour quand ça sera ? J’ai un sillon au bas du pouce… Ça sera-t-il une artériole qui pétera dans l’encéphale ? Au détour de la Rolandique ?… Dans le petit repli de la « troisième » ?… On l’a souvent regardé avec Metitpois à la Morgue cet endroit-là… Ça fait minuscule un ictus… Un petit cratère comme une épingle dans le gris des sillons… L’âme y a passé, le phénol et tout. Ça sera peut-être hélas un néo-fongueux du rectum… Je donnerai beaucoup pour l’artériole… À la bonne vôtre !… » [Mort à crédit]