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Waddah Charara |
Le constat est plutôt rassurant. Au Liban, pays où les chrétiens et les musulmans sont partagés en
dix-sept confessions (*1). Et vivent le plus souvent repliés sur leurs communautés, dans
l’ignorance, voire le mépris de l’autre, les espaces de rencontres et de dialogues interreligieux captent peu à peu les intérêts.
- Si le phénomène reste encore limité, il n’en étonne pas moins.
Certes des grandes universités chrétiennes comme Saint Joseph la « jésuite », à Beyrouth ou l’université orthodoxe de Balamand, près de Tripoli, au nord, proposaient
dans leurs programmes des cursus d’études des religions, mais les initiatives émanaient avant tout du monde chrétien.
Depuis quelque temps, on voit apparaître dans les débats publics, des personnalités musulmanes qui prônent le dialogue, non plus dans une volonté de démontrer la supériorité de l’islam, mais dans une démarche de savoir. Si les raisons sont multiples, la montée de la barbarie islamiste, dont la cruauté menace les chrétiens comme les musulmans, notamment les 30 % de chiites libanais, jugés hérétiques par les djihadistes, a fait réellement prendre conscience que le combat était commun.
- Le terrorisme fédère les Libanais dans une même citoyenneté.
Si la demande d’une citoyenneté commune n’est pas nouvelle, elle s’étend doucement. En 1998, le sociologue Ahmad Beydoun (d’origine chiite) à qui je demandais de commenter
le texte de l’exhortation apostolique (*2), publiée à l’occasion voyage du pape Jean-Paul II au Pays du Cèdre en mai 1997, m’avait confié qu’il fallait
« favoriser des entreprises communes et développer le sentiment de citoyenneté au détriment de l’esprit clanique »
- Depuis l’idée de société civile a fait son chemin chez les musulmans.
- En 2010 Mohammad Sammak, représentant du Grand mufti sunnite au Liban, affirmait que pour « vivre son arabité, il avait besoin des chrétiens » (*3).
- En écho, Séoud al Maoula, le sociologue chiite lui répondait que « sans les chrétiens, le Liban n’aurait plus de sens. »
- Parmi ces réformateurs musulmans, Waddah Charara [lien pour les arabophones] tient une place particulière. Chiite, né en 1942
dans un village du sud Liban, Waddah Charara a reçu par son grand-père une éducation religieuse. Il a même failli devenir Imam. La découverte vers 17 ans de la langue, de la littérature française et des philosophes des Lumières « l’a ramené, dit-il, sur une voie plus rationnelle ». Charara est « une pointure intellectuelle ». Journaliste au quotidien arabophone Al Hayat, historien, sociologue, il a longtemps enseigné à l’université libanaise. Ses articles, ses
livres, dont celui qu’il a écrit sur le Hezbollah (*4), le parti religieux chiite pro-iranien qu’il qualifie « d’État dans l’État », font référence.
Dans ses débats, ses conférences, ses interventions télévisées, ce fin penseur s’appuie sur une profonde connaissance historique des
sociétés arabes. Et notamment de la religion chrétienne. Waddah Charara encourage toutes les initiatives de rencontres interreligieuses. Il définit le
dialogue islamo-chrétien comme
« le conflit assumé » qui permet aux hommes de reconnaître et d’accepter les différences qui les opposent, pour mieux les dépasser.
« Chaque fois, dit-il,
que l’on a refusé de se parler, de mettre sur la table les violences anciennes, d’éclairer l’histoire, le dialogue a échoué et la guerre a repris. »
Waddah Charara parle de la spécificité chrétienne comme étant unique au
Moyen-Orient.
« Dans ce monde arabo-musulman, où il faut être fort pour mériter le respect, remarque-t-il,
le christianisme relève au contraire de la fraternité, de l’égalité et de la compassion. Il valorise la force de la faiblesse. Une faiblesse difficilement admise dans cette région, où l’arme reste le symbole du pouvoir. »
Références :
(*1) 13 chrétiennes et 4 musulmanes-
(*2) La Croix 7 janvier 1998
(*3) Synode des chrétiens orientaux à Rome (10-24 octobre 2010)
(*4) Editions An Nahar, 1996, non traduit en français