108 experts, historiens et analystes politiques originaires de 25 pays, dont 62 participants étrangers, ont pris part aux travaux du Club.
La réunion plénière a présenté une synthèse des travaux du Club au cours des trois journées précédentes, qui ont été consacrées à l’analyse des facteurs d’érosion du système actuel des institutions et des normes du droit international.
Discours fleuve du Président Vladimir Poutine durant la dernière séance plénière de la XIe session du Club Valdaï… C’est le première fois que Vladimir Poutine hausse autant le ton face au mondialisme promu par les Américains. Il montre son mépris pour les « satellites » européens des USA et affirme sa franche volonté de créer une autre voie face à l’hégémonisme messianique sans partage de Big Brother.
Chers collègues, Mesdames et Messieurs, chers amis,
C’est un plaisir de vous accueillir à la XIe réunion du Club Valdaï.
Il
a déjà été mentionné que le Club a de nouveaux co-organisateurs cette
année. Ils comprennent des organisations non gouvernementales russes,
des groupes d’experts et de grandes universités. Il a également été
suggéré d’élargir les discussions à des questions qui ne sont pas
seulement liées à la Russie elle-même, mais aussi à la politique et à
l’économie mondiales.
J’espère
que ces changements dans l’organisation et le contenu des sessions
renforceront l’influence du Club en tant que forum de discussion et
d’experts de premier plan. Dans le même temps, j’espère que « l’esprit
de Valdaï » sera conservé – cette atmosphère libre et ouverte, cette
opportunité d’exprimer toutes sortes d’opinions très différentes et
franches.
Permettez-moi
de dire à cet égard que je ne vais pas vous décevoir et que je vais
parler directement et franchement. Certains de mes propos pourront
sembler un peu trop rudes, mais si nous ne parlons pas directement et
honnêtement de ce que nous pensons vraiment, alors il est absolument
inutile de tenir de telles réunions. Il serait préférable, dans ce cas,
de se contenter des rencontres diplomatiques, où personne ne dit rien
qui ait une véritable portée et, reprenant les paroles d’un célèbre
diplomate, où vous vous rendez compte que les diplomates ont une langue
faite pour ne pas dire la vérité.
Nous
nous réunissons pour d’autres raisons. Nous nous réunissons pour nous
parler franchement. Nous avons besoin d’être directs et francs
aujourd’hui, non pas pour s’envoyer des piques, mais afin de tenter de
faire la lumière sur ce qui se passe dans le monde, d’essayer de
comprendre pourquoi le monde est de moins en moins sûr et de plus en
plus imprévisible, et pourquoi les risques augmentent partout autour de
nous.
Les
débats d’aujourd’hui se sont tenus sous le thème : De nouvelles règles
ou un jeu sans règles ? Je pense que cette formule décrit avec précision
le tournant historique que nous avons atteint aujourd’hui et le choix
auquel nous sommes tous confrontés. Bien sûr, il n’y a rien de nouveau
dans l’idée que le monde est en train de changer très rapidement. Je
sais que c’est quelque chose dont vous avez parlé durant les échanges
d’aujourd’hui. Il est certainement difficile de ne pas remarquer les
transformations dramatiques dans la politique mondiale et dans
l’économie, dans la vie publique, dans l’industrie, l’information et les
technologies sociales.
Permettez-moi
de vous demander dès maintenant de me pardonner si j’en viens à répéter
ce que certains des participants à la discussion ont déjà dit. C’est
pratiquement inévitable. Vous avez déjà eu des discussions détaillées,
mais je vais exposer mon point de vue. Il coïncidera avec le point de
vue des participants sur certains points et divergera sur d’autres.
Les changements dans l’ordre mondial
Tandis
que nous analysons la situation d’aujourd’hui, n’oublions pas les
leçons de l’histoire. Tout d’abord, les changements dans l’ordre mondial
– et tout ce que nous voyons aujourd’hui constitue des événements de
cette ampleur – ont généralement été accompagnés sinon par une guerre et
des conflits à l’échelle mondiale, du moins par des chaînes de conflits
locaux intenses. Deuxièmement, la politique mondiale est avant tout une
question de leadership économique, de guerre et de paix, avec une
dimension humanitaire, incluant les droits de l’homme.
Aujourd’hui,
le monde est plein de contradictions. Nous devons être francs en nous
demandant mutuellement si nous avons un filet de sécurité fiable et bien
en place. Malheureusement, il n’y a aucune garantie et aucune certitude
que le système actuel de sécurité mondiale et régionale soit en mesure
de nous protéger des bouleversements. Ce système a été sérieusement
affaibli, fragmenté et déformé. Les organisations internationales et
régionales de coopération politique, économique, et culturelle
traversent également des temps difficiles.
Oui,
un grand nombre des mécanismes actuels visant à assurer l’ordre mondial
ont été créés il y a très longtemps, y compris et surtout dans la
période suivant immédiatement la Seconde Guerre mondiale. Permettez-moi
de souligner que la solidité du système créé à l’époque reposait non
seulement sur l’équilibre des forces et les droits des pays vainqueurs,
mais aussi sur le fait que les « pères fondateurs » de ce système se
respectaient mutuellement, n’essayaient pas de mettre la pression sur
les autres, mais tentaient de parvenir à des accords.
L’essentiel
est que ce système doit se développer, et malgré ses diverses lacunes,
il doit au moins être capable de maintenir les problèmes mondiaux
actuels dans certaines limites et de réguler l’intensité de la
concurrence naturelle entre les nations.
Je
suis convaincu que nous ne pouvions pas prendre ce mécanisme de freins
et contrepoids que nous avons construit au cours des dernières
décennies, parfois avec les plus grands efforts et difficultés, et tout
simplement le détruire sans rien reconstruire à sa place. Sinon, nous
serions laissés sans instruments autres que la force brute.
Ce
que nous devions faire était de procéder à une reconstruction
rationnelle et de l’adapter aux nouvelles réalités du système des
relations internationales.
Etats-Unis: la loi du plus fort
Mais
les Etats-Unis, s’étant eux-mêmes déclarés vainqueurs de la Guerre
Froide, n’en voyaient pas le besoin. Au lieu d’établir un nouvel
équilibre des forces, essentiel pour maintenir l’ordre et la stabilité,
ils ont pris des mesures qui ont jeté le système dans un déséquilibre
marqué et profond.
La
Guerre Froide a pris fin, mais elle n’a pas pris fin avec la signature
d’un traité de paix comprenant des accords clairs et transparents sur le
respect des règles existantes ou la création d’un nouvel ensemble de
règles et de normes. Cela a créé l’impression que les soi-disant «
vainqueurs » de la Guerre Froide avaient décidé de forcer les événements
et de remodeler le monde afin de satisfaire leurs propres besoins et
intérêts. Lorsque le système actuel des relations internationales, le
droit international et les freins et contrepoids en place faisaient
obstacle à ces objectifs, ce système été déclaré sans valeur, obsolète
et nécessitant une démolition immédiate.
Pardonnez
l’analogie, mais c’est la façon dont les nouveaux riches se comportent
quand ils se retrouvent tout à coup avec une grande fortune, dans ce cas
sous la forme d’un leadership et d’une domination mondiale. Au lieu de
gérer leur patrimoine intelligemment, pour leur propre bénéfice aussi
bien sûr, je pense qu’ils ont commis beaucoup de folies.
Nous
sommes entrés dans une période de différentes interprétations et de
silences délibérés dans la politique mondiale. Le droit international a
maintes fois été forcé de battre en retraite, encore et encore, par
l’assaut impitoyable du nihilisme légal. L’objectivité et la justice ont
été sacrifiées sur l’autel de l’opportunisme politique. Des
interprétations arbitraires et des évaluations biaisées ont remplacé les
normes juridiques. Dans le même temps, l’emprise complète sur les
médias de masse mondiaux ont rendu possible, quand on le désirait, de
présenter le blanc comme noir et le noir comme blanc.
Dans
une situation où vous aviez la domination d’un pays et de ses alliés,
ou plutôt de ses satellites, la recherche de solutions globales s’est
souvent transformée en une tentative d’imposer ses propres recettes
universelles. Les ambitions de ce groupe sont devenues si grandes qu’ils
ont commencé à présenter les politiques qu’ils concoctaient dans leurs
corridors du pouvoir comme le point de vue de l’ensemble de la
communauté internationale. Mais ce n’est pas le cas.
La
notion même de « souveraineté nationale » est devenue une valeur
relative pour la plupart des pays. En essence, ce qui était proposé
était cette formule : plus la loyauté de tel ou tel régime en place
envers le seul centre de pouvoir dans le monde est grande, plus grande
sera sa légitimité.
Nous
aurons une discussion libre après mon propos et je serai heureux de
répondre à vos questions et je tiens également à utiliser mon droit à
vous poser des questions. Que personne n’hésite à essayer de réfuter les
arguments que je viens d’exposer lors de la discussion à venir.
Les
mesures prises contre ceux qui refusent de se soumettre sont bien
connues et ont été essayées et testées de nombreuses fois. Elles
comprennent l’usage de la force, la pression économique et la
propagande, l’ingérence dans les affaires intérieures, et les appels à
une sorte de légitimité « supra-légale » lorsqu’ils ont besoin de
justifier une intervention illégale dans tel ou tel conflit ou de
renverser des régimes qui dérangent. Dernièrement, nous avons de plus en
plus de preuves que le chantage pur et simple a également été utilisé
en ce qui concerne un certain nombre de dirigeants. Ce n’est pas pour
rien que « Big Brother » dépense des milliards de dollars pour tenir
sous surveillance le monde entier, y compris ses propres alliés les plus
proches.
Demandons-nous
à quel point nous sommes à l’aise avec tout cela, à quel point nous
sommes en sécurité, combien nous sommes heureux de vivre dans ce monde, à
quel degré de justice et de rationalité il est parvenu. Peut-être
n’avons-nous pas de véritables raisons de nous inquiéter, de discuter et
de poser des questions embarrassantes ? Peut-être que la position
exceptionnelle des États-Unis et la façon dont ils mènent leur
leadership est vraiment une bénédiction pour nous tous, et que leur
ingérence dans les événements du monde entier apporte la paix, la
prospérité, le progrès, la croissance et la démocratie, et nous devrions
peut-être seulement nous détendre et profiter de tout cela ?
Permettez-moi de dire que ce n’est pas le cas, absolument pas le cas.
Un
diktat unilatéral et le fait d’imposer ses propres modèles aux autres
produisent le résultat inverse. Au lieu de régler les conflits, cela
conduit à leur escalade ; à la place d’États souverains et stables, nous
voyons la propagation croissante du chaos ; et à la place de la
démocratie, il y a un soutien pour un public très douteux allant de
néo-fascistes avoués à des islamistes radicaux.
Pourquoi
soutiennent-ils de tels individus ? Ils le font parce qu’ils décident
de les utiliser comme instruments dans la voie de la réalisation de
leurs objectifs, mais ensuite, ils se brûlent les doigts et font marche
arrière. Je ne cesse jamais d’être étonné par la façon dont nos
partenaires ne cessent de marcher sur le même râteau, comme on dit ici
en Russie, c’est-à-dire de faire les mêmes erreurs encore et encore.
USA: ses rapports au djihadisme
Ils
ont jadis parrainé des mouvements islamistes extrémistes pour combattre
l’Union soviétique. Ces groupes se sont formés au combat et aguerris en
Afghanistan, et ont plus tard donné naissance aux Talibans et à
Al-Qaïda. L’Occident les a sinon soutenus, du moins a fermé les yeux sur
cela, et, je dirais, a fourni des informations et un soutien politique
et financier à l’invasion de la Russie et des pays de la région d’Asie
centrale par les terroristes internationaux (nous ne l’avons pas
oublié). C’est seulement après que des attaques terroristes horribles
aient été commises sur le sol américain lui-même que les États-Unis ont
pris conscience de la menace collective du terrorisme. Permettez-moi de
vous rappeler que nous avons été le premier pays à soutenir le peuple
américain à l’époque, le premier à réagir comme des amis et partenaires
après la terrible tragédie du 11 Septembre.
Au
cours de mes conversations avec les dirigeants américains et européens,
je parlais toujours de la nécessité de lutter ensemble contre le
terrorisme, de le considérer comme un défi à l’échelle mondiale. Nous ne
pouvons pas nous résigner et accepter cette menace, nous ne pouvons pas
la couper en morceaux séparés à l’aide du deux poids deux mesures. Nos
partenaires ont exprimé leur accord, mais après quelques temps, nous
nous sommes retrouvés au point de départ. Ce fut d’abord l’opération
militaire en Irak, puis en Libye, qui a été poussée au bord du gouffre.
Pourquoi la Libye a-t-elle été réduite à cette situation ? Aujourd’hui,
c’est un pays en danger de démantèlement et qui est devenu un terrain
d’entraînement pour les terroristes.
Seule
la détermination et la sagesse de la direction égyptienne actuelle a
sauvé ce pays arabe clé du chaos et de l’emprise des terroristes. En
Syrie, comme par le passé, les États-Unis et leurs alliés ont commencé à
financer et armer directement les rebelles et leur ont permis de
remplir leurs rangs de mercenaires provenant de divers pays.
Permettez-moi de vous demander où ces rebelles obtiennent leur argent,
leurs armes et leurs spécialistes militaires ? D’où tout cela vient-il ?
Comment l’Etat Islamique notoire a-t-il réussi à devenir un groupe
aussi puissant, de fait une véritable force armée ?
Quant
aux sources de financement, aujourd’hui, l’argent ne vient plus
seulement de la drogue, dont la production a augmenté non pas de
quelques points de pourcentage mais dans des proportions considérables
depuis que les forces de la coalition internationale sont intervenues en
Afghanistan. Vous êtes au courant de cela. Les terroristes obtiennent
également de l’argent en vendant du pétrole. Le pétrole est produit dans
le territoire contrôlé par les terroristes, qui le vendent à des prix
de dumping, le produisent et le transportent. Mais d’autres achètent ce
pétrole, le revendent, et font du profit, sans penser au fait qu’ils
financent ainsi les terroristes qui pourraient venir tôt ou tard sur
leur propre sol et semer la destruction dans leur propre pays.
Où
trouvent-ils les nouvelles recrues ? En Irak, après que Saddam Hussein
ait été renversé, les institutions de l’État, y compris l’armée, ont été
laissés en ruines. Nous avons dit, à l’époque, soyez très, très
prudents. Vous mettez les gens à la rue, et que vont-ils y faire ?
N’oubliez pas que légitimement ou non, ils faisaient partie de la
direction d’une grande puissance régionale, et en quoi est-ce que vous
les transformez maintenant ?
Quel
fut le résultat ? Des dizaines de milliers de soldats, d’officiers et
d’anciens militants du parti Baas se sont retrouvé à la rue et ont
aujourd’hui rejoint les rangs des rebelles. Peut-être cela explique-t-il
pourquoi l’Etat islamique s’est avéré si efficace. En termes
militaires, il agit très efficacement et il a certains cadres très
compétents. La Russie a mis en garde à plusieurs reprises sur les
dangers des actions militaires unilatérales, des interventions dans les
affaires des Etats souverains, et des flirts avec les extrémistes et les
radicaux. Nous avons insisté pour que les groupes luttant contre le
gouvernement syrien central, surtout l’Etat islamique, soient inscrits
sur les listes des organisations terroristes. Mais avons-nous vu le
moindre résultat ? Nous avons lancé des appels en vain.
Nous
avons parfois l’impression que nos collègues et amis sont constamment
aux prises avec les conséquences de leurs propres politiques, et qu’ils
dépensent tous leurs efforts dans le traitement des risques qu’ils ont
eux-mêmes créés, en payant un prix de plus en plus élevé.
La période de domination unipolaire est finie
Chers
collègues, cette période de domination unipolaire a démontré de manière
convaincante que le fait d’avoir un seul centre de pouvoir ne rend pas
les processus mondiaux plus faciles à gérer. Au contraire, ce type de
construction instable a montré son incapacité à lutter contre les
menaces réelles telles que les conflits régionaux, le terrorisme, le
trafic de drogue, le fanatisme religieux, le chauvinisme et le
néo-nazisme. Dans le même temps, il a ouvert une large voie aux fiertés
nationales exacerbées, à la manipulation de l’opinion publique et à la
brutalisation et à l’oppression des faibles par les forts.
Essentiellement,
le monde unipolaire est tout simplement un moyen de justifier la
dictature sur les individus et les nations. Le monde unipolaire s’est
avéré un fardeau trop rude, trop lourd et trop ingérable même pour son
chef auto-proclamé. Des commentaires ont été faits dans ce sens juste
avant mon intervention, et je suis entièrement d’accord avec eux. Voilà
pourquoi nous voyons, en cette nouvelle étape de l’histoire, des
tentatives de recréer un semblant de monde quasi-bipolaire en tant que
modèle commode pour perpétuer le leadership américain. Peu importe qui
prend la place du centre du mal dans la propagande américaine, peu
importe qui remplace l’ex-l’URSS en tant que principal adversaire. Cela
pourrait être l’Iran, en tant que pays qui cherche à acquérir la
technologie nucléaire, la Chine, en tant que plus grande économie
mondiale, ou la Russie, en tant que superpuissance nucléaire.
Aujourd’hui,
nous assistons à de nouveaux efforts pour fragmenter le monde, dessiner
de nouvelles lignes de clivage, réunir des coalitions qui ne sont pas
façonnées pour quelque chose mais dirigées contre quelqu’un, qui que ce
soit, pour créer l’image d’un ennemi comme ce fut le cas pendant les
années de Guerre Froide, et s’emparer du droit à ce leadership, ou
diktat si vous préférez. La situation était présentée de cette façon au
cours de la Guerre Froide. Nous savons tous cela et nous le comprenons
bien. Les Etats-Unis ont toujours dit à leurs alliés : « Nous avons
un ennemi commun, un ennemi terrible, le centre du mal, et nous vous
protégeons, vous nos alliés, de cet ennemi, et nous avons donc le droit
de vous donner des ordres, de vous forcer à sacrifier vos intérêts
politiques et économiques et à payer votre quote-part des coûts de cette
défense collective, mais nous serons les responsables de tout cela bien
sûr. » En bref, nous voyons aujourd’hui des tentatives, dans un
monde nouveau et changeant, de reproduire les modèles familiers de la
gestion globale, et tout cela de manière à garantir aux États-Unis leur
situation exceptionnelle et à récolter des dividendes politiques et
économiques.
Mais
ces tentatives sont de plus en plus déconnectées de la réalité et sont
en contradiction avec la diversité du monde. Des mesures de ce genre
créent inévitablement des confrontations et provoquent des
contre-mesures, et ont pour résultat l’effet inverse de ce qui était
souhaité. Nous voyons ce qui se passe quand la politique commence
imprudemment à s’ingérer dans l’économie et que la logique des décisions
rationnelles cède la place à la logique de confrontation, qui ne fait
que nuire aux propres positions et intérêts économiques des pays en
question, y compris les intérêts des entreprises nationales.
Les
projets économiques communs et les investissements mutuels rapprochent
objectivement les pays et contribuent à aplanir les problèmes actuels
dans les relations entre Etats. Mais aujourd’hui, la communauté mondiale
des affaires fait face à des pressions sans précédent de la part des
gouvernements occidentaux. De quelles affaires, de quelles opportunités
économiques ou de quel pragmatisme peut-on encore parler lorsque nous
entendons des slogans tels que « la patrie est en danger », « le monde
libre est menacé », et « la démocratie est en péril » ? Et tout le monde
doit alors se mobiliser. Voilà à quoi ressemble une vraie politique de
mobilisation.
La confiance dans le dollar est mise à mal
Les
sanctions sapent déjà les fondements du commerce mondial, les règles de
l’OMC et le principe de l’inviolabilité de la propriété privée. Ils
portent un coup dangereux au modèle libéral de la mondialisation fondé
sur les marchés, la liberté et la concurrence, qui, permettez-moi de le
souligner, est précisément un modèle qui a avant tout bénéficié aux pays
occidentaux. Et maintenant, ils risquent de perdre la confiance en tant
que gouvernants de la mondialisation. Nous devons nous demander,
pourquoi était-ce nécessaire ? Après tout, la prospérité des États-Unis
repose en grande partie sur la confiance des investisseurs et des
détenteurs étrangers de dollars et de valeurs mobilières étasuniennes.
Cette confiance est clairement mise à mal et des signes de désillusion
quant aux fruits de la mondialisation sont maintenant visibles dans de
nombreux pays.
Le
précédent bien connu de Chypre et les sanctions pour des motifs
politiques n’ont fait que renforcer la tendance à chercher à renforcer
la souveraineté économique et financière et la volonté des pays ou de
leurs groupes régionaux de trouver des moyens de se protéger contre les
risques de pressions extérieures. Nous voyons déjà que de plus en plus
de pays cherchent des moyens de devenir moins dépendants du dollar et
mettent en place des systèmes financiers, de paiement et des monnaies de
réserve alternatifs. Je pense que nos amis américains sont tout
simplement en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis. On
ne peut pas mélanger la politique et l’économie, mais c’est ce qui se
passe maintenant. J’ai toujours pensé et je pense encore aujourd’hui que
les sanctions pour des motifs politiques sont une erreur qui nuira à
tous, mais je suis sûr que nous reviendrons sur ce point.
La Russie est un pays auto-suffisant
Nous
savons comment ces décisions ont été prises et qui exerçait les
pressions. Mais permettez-moi de souligner que la Russie ne va pas
perdre son calme, s’offenser ou venir mendier à la porte de quiconque.
La Russie est un pays auto-suffisant. Nous allons travailler au sein de
l’environnement économique international qui a pris forme, développer la
production et la technologie nationales et agir de façon plus décisive
pour mener à bien notre transformation. Les pressions de l’extérieur,
comme cela a été le cas à plusieurs reprises par le passé, ne feront que
consolider notre société, nous maintenir en éveil et nous amener à nous
concentrer sur nos principaux objectifs de développement.
Bien
sûr, les sanctions constituent un obstacle. Ils essaient de nous
affaiblir par ces sanctions, d’entraver notre développement et de nous
pousser à l’isolement politique, économique et culturel, en d’autres
termes nous forcer à prendre du retard. Mais permettez-moi de rappeler
encore une fois que le monde est un endroit très différent aujourd’hui.
Nous n’avons pas l’intention de nous isoler de quiconque ou de choisir
une sorte de voie de développement fermée, en essayant de vivre en
autarcie. Nous sommes toujours ouverts au dialogue, y compris au sujet
de la normalisation de nos relations économiques et politiques. Nous
comptons ici sur l’approche et la position pragmatiques des milieux
d’affaires dans les principaux pays.
Certains
disent aujourd’hui que la Russie tournerait le dos à l’Europe – de tels
propos ont probablement été tenus ici aussi lors des discussions – et
rechercherait de nouveaux partenaires commerciaux, surtout en Asie.
Permettez-moi de dire que ce n’est absolument pas le cas. Notre
politique active dans la région Asie-Pacifique n’a pas commencé d’hier,
et non en réponse aux sanctions, mais c’est une politique que nous
suivons depuis maintenant un bon nombre d’années. Comme beaucoup
d’autres pays, y compris les pays occidentaux, nous avons vu que l’Asie
joue un rôle de plus en plus important dans le monde, dans l’économie et
dans la politique, et nous ne pouvons tout simplement pas nous
permettre d’ignorer ces développements.
Permettez-moi
de dire encore une fois que tout le monde agit ainsi, et nous allons le
faire nous aussi, d’autant plus qu’une grande partie de notre pays est
géographiquement en Asie. Au nom de quoi devrions-nous ne pas faire
usage de nos avantages concurrentiels dans ce domaine ? Ce serait faire
preuve d’une vue extrêmement courte que de ne pas le faire.
Le
développement des relations économiques avec ces pays et la réalisation
de projets d’intégration communs créent aussi de grandes incitations
pour notre développement national. Les tendances démographiques,
économiques et culturelles actuelles suggèrent que la dépendance à une
seule superpuissance va objectivement diminuer. C’est une chose que les
experts européens et américains ont également évoqué dans leurs réunions
et travaux.
Peut-être
que l’évolution de la politique internationale sera le reflet de
l’évolution que nous constatons dans l’économie mondiale, à savoir la
concurrence intensive pour des niches spécifiques et des changements
fréquents de dirigeants dans des domaines précis. Ceci est tout à fait
possible.
Il
ne fait aucun doute que des facteurs humanitaires tels que l’éducation,
la science, la santé et la culture jouent un rôle plus important dans
la concurrence mondiale. Cela a également un impact important sur les
relations internationales, y compris parce que cette ressource douce
(soft power) dépendra dans une large mesure des réalisations concrètes
dans le développement du capital humain plutôt que des trucages
sophistiqués de la propagande.
Dans
le même temps, la formation d’un soi-disant monde polycentrique (je
voudrais également attirer l’attention sur cela, chers collègues), en
soi et d’elle-même, n’améliore pas la stabilité ; de fait, il est plus
probable que ce soit l’inverse. L’objectif d’atteindre l’équilibre
mondial est en train de devenir un casse-tête assez difficile, une
équation à plusieurs inconnues.
Qu’est-ce
que l’avenir nous réserve donc, si nous choisissons de ne pas respecter
les règles – même si elles peuvent être strictes et peu pratiques –
mais plutôt de vivre sans règles du tout ? Et ce scénario est tout à
fait possible ; nous ne pouvons pas l’exclure, compte tenu des tensions
dans la situation internationale. Beaucoup de prédictions peuvent déjà
être faites, en tenant compte des tendances actuelles, et
malheureusement, elles ne sont pas optimistes. Si nous ne créons pas un
système clair d’engagements et d’accords mutuels, si nous ne
construisons pas les mécanismes de gestion et de résolution des
situations de crise, les symptômes de l’anarchie mondiale vont
inévitablement s’accroître.
Probabilités de conflits violents avec la participation de Grandes puissance
Aujourd’hui,
nous voyons déjà une forte augmentation de la probabilité de tout un
ensemble de conflits violents avec la participation directe ou indirecte
des plus grandes puissances mondiales. Et les facteurs de risque
comprennent non seulement les conflits multinationaux traditionnels,
mais aussi l’instabilité interne dans différents États, surtout quand on
parle de nations situées aux intersections des intérêts géopolitiques
des grandes puissances, ou à la frontière de continents
civilisationnels, culturels, historiques et économiques.
L’Ukraine,
qui j’en suis sûr a été longuement évoquée et dont nous parlerons
encore, est l’un des exemples de ces sortes de conflits qui affectent
l’équilibre international des puissances, et je pense que ce ne sera
certainement pas le dernier. De là émane la prochaine menace réelle de
détruire le système actuel d’accords de contrôle des armements. Et ce
processus dangereux a été initié par les Etats-Unis d’Amérique quand ils
se sont unilatéralement retirés du Traité sur les missiles
anti-balistiques (ABM) en 2002, puis se sont lancés dans la création de
leur système global de défense antimissile et poursuivent aujourd’hui
activement ce processus.
L’ONU, instrument de sécurité dépassé
Chers
collègues et amis, je tiens à souligner que nous ne sommes pas à
l’origine de tout cela. Une fois de plus, nous glissons vers des temps
où, au lieu de l’équilibre des intérêts et des garanties mutuelles, ce
sera la peur et l’équilibre de la destruction mutuelle qui empêcheront
les nations de se livrer à un conflit direct. En l’absence d’instruments
juridiques et politiques, les armes deviennent encore une fois le point
focal de l’ordre du jour mondial ; elles sont utilisées n’importe où et
n’importe comment, sans la moindre sanction du Conseil de sécurité de
l’ONU. Et si le Conseil de sécurité refuse de rendre de tels arrêts,
alors on le condamne immédiatement comme un instrument dépassé et
inefficace.
De
nombreux États ne voient pas d’autres moyens d’assurer leur
souveraineté qu’en obtenant leurs propres bombes. Cela est extrêmement
dangereux. Nous insistons sur la nécessité de poursuivre les
négociations ; nous ne sommes pas seulement en faveur de pourparlers,
mais nous insistons sur la nécessité de poursuivre les pourparlers de
réduction des arsenaux nucléaires. Moins nous aurons d’armes nucléaires
dans le monde, mieux ce sera. Et nous sommes prêts à mener les
discussions les plus sérieuses et les plus concrètes sur le désarmement
nucléaire – mais seulement des discussions sérieuses sans aucun deux
poids, deux mesures.
Qu’est-ce
que je veux dire par là ? Aujourd’hui, de nombreux types d’armes de
haute précision sont déjà assimilables à des armes de destruction
massive en termes de capacité, et en cas de renonciation complète aux
armes nucléaires ou de réduction radicale du potentiel nucléaire, les
nations qui sont des leaders dans la création et la production de
systèmes de haute précision auront un net avantage militaire. La parité
stratégique sera perturbée, ce qui est susceptible d’entraîner de la
déstabilisation. Le recours à une soi-disant première frappe préventive
globale peut devenir tentant. En bref, les risques ne diminuent pas,
mais s’intensifient.
La
prochaine menace évidente est l’escalade plus avant de conflits
ethniques, religieux et sociaux. De tels conflits sont dangereux non
seulement en tant que tels, mais aussi parce qu’ils créent des zones
d’anarchie, d’absence total de lois et de chaos autour d’eux, des lieux
qui sont commodes pour les terroristes et les criminels, et où la
piraterie, le trafic d’êtres humains et le trafic de drogue sont
florissants.
La technique des révolutions colorées
D’ailleurs,
nos collègues ont alors essayé de contrôler plus ou moins ces
processus, d’exploiter les conflits régionaux et de concevoir des «
révolutions colorées » en fonction de leurs intérêts, mais le génie
s’est échappé de la lampe. Il semble que les pères de la théorie du
chaos contrôlé eux-mêmes ne sachent plus quoi en faire ; il y a
confusion dans leurs rangs.
Nous
suivons de près les discussions à la fois au sein de l’élite dirigeante
et de la communauté des experts. Il suffit de regarder les gros titres
de la presse occidentale de l’année dernière. Les mêmes personnes sont
appelées des combattants pour la démocratie, puis des islamistes ;
d’abord, ils parlent de révolutions puis ils parlent d’émeutes et de
soulèvements. Le résultat est évident : la propagation du chaos mondial.
Chers
collègues, compte tenu de la situation mondiale, il est temps de
commencer à se mettre d’accord sur des choses fondamentales. Ceci est
d’une importance et d’une nécessité extrêmes ; cela vaudrait beaucoup
mieux que de se retirer dans nos propres retranchements. Plus nous
faisons face à des problèmes communs, plus nous nous trouvons dans le
même bateau, pour ainsi dire. Et la manière sensée de trouver une issue
réside dans la coopération entre les nations, les sociétés, dans le fait
de trouver des réponses collectives aux défis croissants, et dans la
gestion commune des risques. Certes, certains de nos partenaires, pour
des raisons bien à eux, ne se remémorent cela que lorsque c’est dans
leurs intérêts.
L’expérience
pratique montre que les réponses communes aux défis ne sont pas
toujours une panacée, et il faut que nous comprenions cela. En outre,
dans la plupart des cas, elles sont difficiles à atteindre : il n’est
pas facile de surmonter les différences dans les intérêts nationaux et
la subjectivité de différentes approches, en particulier lorsqu’il
s’agit de pays ayant des traditions culturelles et historiques
différentes. Mais néanmoins, nous avons des exemples où, ayant des
objectifs communs et agissant sur la base des mêmes critères, nous avons
obtenu collectivement un réel succès.
Permettez-moi
de vous rappeler la résolution du problème des armes chimiques en
Syrie, et le dialogue de fond conséquent sur le programme nucléaire
iranien, ainsi que notre travail sur les questions nord-coréennes, qui
ont aussi connu des résultats positifs. Pourquoi ne pouvons-nous pas
utiliser cette expérience à l’avenir pour relever les défis locaux et
mondiaux ?
Les bases juridiques, politiques et économiques d’un nouvel ordre mondial
Quelle
pourrait être la base juridique, politique, et économique pour un
nouvel ordre mondial qui permettrait la stabilité et la sécurité, tout
en encourageant une saine concurrence, et en ne permettant pas la
formation de nouveaux monopoles qui entravent le développement ? Il est
peu probable que quiconque puisse proposer dès à présent des solutions
absolument exhaustives et prêtes à l’emploi. Nous aurons besoin de
beaucoup de travail et de la participation d’un large éventail de
gouvernements, d’entreprises mondiales, de la société civile, et de
plates-formes d’experts telles que celle-ci.
Cependant,
il est évident que les succès et les résultats réels ne sont possibles
que si les participants clés des affaires internationales peuvent se
mettre d’accord sur l’harmonisation des intérêts de base, sur le fait de
s’imposer des limites raisonnables, et de donner l’exemple d’un
leadership positif et responsable. Nous devons identifier clairement où
se terminent les actions unilatérales et nous avons besoin de mettre en
œuvre des mécanismes multilatéraux. Et dans le cadre de l’amélioration
de l’efficacité du droit international, nous devons résoudre le dilemme
entre les actions de la communauté internationale visant à assurer la
sécurité et les droits de l’homme, et le principe de la souveraineté
nationale et de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un
État, quel qu’il soit.
Ces
collisions mêmes conduisent de plus en plus à une interférence
extérieure arbitraire dans des processus internes complexes, et encore
et encore, ils provoquent des conflits dangereux entre les principaux
acteurs mondiaux. La question de la préservation de la souveraineté
devient presque primordiale dans le maintien et le renforcement de la
stabilité mondiale.
De
toute évidence, discuter des critères de l’utilisation de la force
extérieure est extrêmement difficile. Il est pratiquement impossible de
la séparer des intérêts des nations particulières. Cependant, il est
beaucoup plus dangereux de rester dans une situation où il n’y a pas
d’accords qui soient clairs pour tout le monde, et où des conditions
claires pour l’ingérence nécessaire et légale ne sont pas fixées.
J’ajouterais
que les relations internationales doivent être basées sur le droit
international, qui lui-même doit reposer sur des principes moraux tels
que la justice, l’égalité et la vérité. Peut-être le plus important
est-il le respect de ses partenaires et de leurs intérêts. C’est une
formule évidente, mais le fait de la respecter, tout simplement,
pourrait changer radicalement la situation mondiale.
Je
suis certain qu’avec une volonté réelle, nous pouvons restaurer
l’efficacité du système international et des institutions régionales.
Nous n’avons même pas besoin de reconstruire quelque chose de nouveau, à
partir de zéro ; ce n’est pas une « terre vierge », d’autant plus que
les institutions créées après la Seconde Guerre mondiale sont
relativement universelles et peuvent être dotées d’un contenu moderne et
adéquat pour gérer la situation actuelle.
Rénover les organisme internationaux
Cela
est vrai quant à l’amélioration du travail de l’ONU, dont le rôle
central est irremplaçable, ainsi que celui de l’OSCE, qui, durant 40
ans, a démontré qu’elle était un mécanisme nécessaire pour assurer la
sécurité et la coopération dans la région euro-atlantique. Je dois dire
que même aujourd’hui, en essayant de résoudre la crise dans le sud-est
de l’Ukraine, l’OSCE joue un rôle très positif.
À
la lumière des changements fondamentaux dans l’environnement
international, l’augmentation des désordres incontrôlables et des
diverses menaces, nous avons besoin d’un nouveau consensus mondial des
forces responsables. Il ne s’agit pas de conclure certaines transactions
locales ou un partage des zones d’influence dans l’esprit de la
diplomatie classique, ni d’assurer la domination globale et complète de
quiconque. Je pense que nous avons besoin d’une nouvelle version de
l’interdépendance. Nous ne devrions pas avoir peur de cela. Au
contraire, c’est un bon instrument pour harmoniser les positions.
Ceci
est particulièrement pertinent étant donné le renforcement et la
croissance de certaines régions de la planète, processus qui nécessite
objectivement l’institutionnalisation de ces nouveaux pôles, par la
création de puissantes organisations régionales et l’élaboration de
règles pour leur interaction. La coopération entre ces centres
contribuerait sérieusement à la stabilité de la sécurité, de la
politique et de l’économie mondiales. Mais afin d’établir un tel
dialogue, nous devons partir du postulat selon lequel tous les centres
régionaux et projets d’intégration qui se forment autour d’eux doivent
avoir les mêmes droits au développement, afin qu’ils puissent se
compléter mutuellement et que personne ne puisse artificiellement les
forcer à entrer en conflit ou en opposition. De telles actions
destructrices briseraient les liens entre les Etats, et les Etats
eux-mêmes seraient soumis à des difficultés extrêmes, voire même à une
destruction totale.
Ukraine, le chaos par l’Occident
Je
voudrais vous rappeler les événements de l’année dernière. Nous avions
prévenu nos partenaires américains et européens que les décisions
hâtives prises en coulisses, par exemple, sur l’association de l’Ukraine
avec l’UE, étaient emplies de risques graves pour l’économie. Nous
n’avons pas même évoqué les problèmes politiques ; nous n’avons parlé
que de l’économie, en disant que de telles mesures, mises en place sans
arrangements préalables, nuiraient aux intérêts de nombreux autres pays,
dont la Russie – en tant que principal partenaire commercial de
l’Ukraine –, et qu’un large débat sur ces questions était nécessaire.
D’ailleurs, à cet égard, je vous rappelle que par exemple, les
négociations sur l’adhésion de la Russie à l’OMC ont duré 19 ans. Ce fut
un travail très difficile, et un certain consensus a finalement été
atteint.
Pourquoi
est-ce que je soulève cette question ? Parce qu’en mettant en œuvre ce
projet d’association avec l’Ukraine, nos partenaires seraient venus à
nous avec leurs biens et services par la porte arrière, pour ainsi dire,
et nous n’avons pas donné notre accord pour cela, personne ne nous a
rien demandé à ce sujet. Nous avons eu des discussions sur tous les
sujets liés à l’association de l’Ukraine avec l’UE, des discussions
persistantes, mais je tiens à souligner que notre action a été menée
d’une manière tout à fait civilisée, en indiquant des problèmes
possibles, et en soulignant les raisonnements et arguments évidents.
Mais personne ne voulait nous écouter et personne ne voulait discuter.
Ils nous ont simplement dit : ce ne sont pas vos affaires, point, fin de
la discussion. Au lieu du dialogue global mais – je le souligne –
civilisé que nous proposions, ils en sont venus à un renversement de
gouvernement ; ils ont plongé le pays dans le chaos, dans l’effondrement
économique et social, dans une guerre civile avec des pertes
considérables.
Pourquoi
? Quand je demande à mes collègues pourquoi, ils n’ont plus de réponse ;
personne ne dit rien. C’est tout. Tout le monde est désemparé, disant
que ça c’est juste passé comme ça. Ces actions n’auraient pas dû être
encouragées – cela ne pouvait pas fonctionner. Après tout (je me suis
déjà exprimé à ce sujet), l’ancien président ukrainien Viktor
Ianoukovitch avait tout signé, il était d’accord avec tout. Pourquoi
ont-ils fait ça ? Dans quel but ? Est-ce là une manière civilisée de
résoudre les problèmes ? Apparemment, ceux qui fomentent constamment de
nouvelles « révolutions colorées » se considèrent comme de « brillants
artistes » et ne peuvent tout simplement pas s’arrêter.
L’Union économique Eurasienne de l’Atlantique au Pacifique
Je
suis certain que le travail des associations intégrées, la coopération
des structures régionales, doivent être construits sur une base
transparente et claire ; le processus de formation de l’Union économique
eurasienne est un bon exemple d’une telle transparence. Les États qui
font partie de ce projet ont informé leurs partenaires de leurs plans à
l’avance, en précisant les paramètres de notre association et les
principes de son travail, qui correspondent pleinement aux règles de
l’Organisation mondiale du commerce.
J’ajouterais
que nous aurions également accueilli favorablement l’initiation d’un
dialogue concret entre l’Eurasie et l’Union européenne. D’ailleurs, ils
nous ont presque catégoriquement refusé cela, et il est également
difficile d’en comprendre les raisons. Qu’est-ce qu’il y a de si
effrayant à cela ?
Et
bien sûr, avec un tel travail conjoint, on pourrait penser que nous
devons nous engager dans un dialogue (j’ai évoqué cela à de nombreuses
reprises et j’ai entendu l’accord de plusieurs de nos partenaires
occidentaux, du moins en Europe) sur la nécessité de créer un espace
commun pour la coopération économique et humanitaire s’étendant depuis
l’Atlantique jusqu’à l’océan Pacifique.
Chers
collègues, la Russie a fait son choix. Nos priorités sont d’améliorer
encore nos institutions démocratiques et notre économie ouverte,
d’accélérer notre développement interne, en tenant compte de toutes les
tendances modernes positives observées dans le monde, et en consolidant
notre société sur la base des valeurs traditionnelles et du patriotisme.
Nous
avons un agenda pacifique et positif, tourné vers l’intégration. Nous
travaillons activement avec nos collègues de l’Union économique
eurasienne, de l’Organisation de coopération de Shanghai, du BRICS et
avec d’autres partenaires. Ce programme vise à renforcer les liens entre
les gouvernements, pas à les fragiliser. Nous ne prévoyons pas de
façonner des blocs ou de participer à un échange de coups.
Les
allégations et déclarations selon lesquelles la Russie essaie d’établir
une sorte d’empire, empiétant sur la souveraineté de ses voisins, n’ont
aucun fondement. La Russie n’a pas besoin d’un quelconque rôle spécial
ou exclusif dans le monde – je tiens à le souligner. Tout en respectant
les intérêts des autres, nous voulons simplement que nos propres
intérêts soient pris en compte et que notre position soit respectée.
Nous
sommes bien conscients du fait que le monde est entré dans une ère de
changements et de transformations globales, dans laquelle nous avons
tous besoin d’un degré particulier de prudence et de la capacité à
éviter toutes mesures irréfléchies. Dans les années suivant la guerre
froide, les acteurs politiques mondiaux ont en quelque sorte perdu ces
qualités. Maintenant, nous devons nous les rappeler. Sinon, les espoirs
d’un développement stable et pacifique seront une illusion dangereuse,
tandis que la crise d’aujourd’hui servira simplement de prélude à
l’effondrement de l’ordre mondial.
Oui,
bien sûr, j’ai déjà souligné que la construction d’un ordre mondial
plus stable est une tâche difficile. Nous parlons d’une tâche longue et
difficile. Nous avons réussi à élaborer des règles pour l’interaction
après la Seconde Guerre mondiale, et nous avons pu parvenir à un accord à
Helsinki dans les années 1970. Notre devoir commun est de résoudre ce
défi fondamental à cette nouvelle étape du développement.
Je vous remercie vivement pour votre attention.