Quand vous rédigez la recension d’un livre écrit par un ami et, qui plus est, un ami pour lequel vous avez de l’affection, vous êtes comme tétanisé par l’honneur qui vous est fait. Pierre Descaves est de ces hommes qui, dans l’esprit de ce qu’écrivit naguère Pierre Sergent, n’hésita pas à mettre « sa peau au bout de ses idées ».
Il y a l’ami. Et il y a le sujet qu’il a choisi de traiter. Avec cette autorité que lui confère le fait d’avoir été un des acteurs de première ligne dans les « événements » qu’il a choisi d’étudier. Son livre s’appelle Une autre histoire de l’OAS. Une autre parce qu’il y en a eu d’autres et certaines très respectables. Mais une autre, aussi, parce que c’est un regard particulier et personnel qu’il porte sur cette période tragique dont nous continuons de payer – et encore n’avons-nous pas tout vu – les conséquences.
Ceux qui ont vécu ces « événements » et qui, pour certains, en ont été marqués dans leur âme et dans leur chair, lirons avec passion, et toujours la rabia au cœur, les pages brûlantes de Pierre Descaves. Les autres y trouveront matière à réflexion. Car on aurait tort de croire que ce livre nous parle d’hier : il nous parle qu’aujourd’hui et aussi de demain. De notre avenir proche.
Je ne relis jamais sans émotion la déclaration du colonel Bastien-Thiry à l’issue de son procès, le 2 février 1963. Il y avait eu ces morts, ces milliers de morts, ces dizaines de milliers de pauvres morts tombés sous les coups des égorgeurs FLN. Ceux, aussi, qui étaient tombés sous des balles françaises. Ce n’était pas encore assez pour De Gaulle qui avait soif de vengeance. Il lui fallait du sang. D’autres victimes encore. Parmi elles – et Degueldre, littéralement assassiné –, il y eu Bastien-Thiry. Qui déclara à ses juges :
– Nous n’avons pas de sang sur les mains, mais nous sommes solidaires de ceux qui ont été amenés à verser le sang au cours d’une guerre civile qui a été imposée par les parjures et par la trahison du pouvoir de fait. Nous sommes solidaires du lieutenant Degueldre qui a tenu son serment d’officier de se battre pour ne pas livrer l’Algérie au FLN, et qui est mort. Nous sommes solidaires des généraux de Tulle, de ceux que les circonstances ont conduit à ne pas verser le sang, et que le pouvoir de fait a tenté récemment de séparer à la suite d’une manœuvre de division, conforme à la ligne de ce pouvoir qui n’a fait que diviser et détruire. Nous sommes solidaires de tous ceux qui, dans les prisons, dans la clandestinité à l’étranger ou en France, aux postes officiels ou dans les diverses couches de la population, constituent la résistance française à l’abandon et à la dictature.
« Parjure », « trahison », « dictature » : ce sont là des mots qui reviennent souvent dans le texte de Pierre Descaves. Parce qu’ils résument tout. Et les héros qui se sont dressés contre ce chef parjure, traître et dictatorial, n’ont fait qu’exercer un droit de légitime défense contre un homme « ruisselant de sang français ».
Qu’il nous soit permis de rappeler, pour illustrer notre propos, de l’échange très vif que le maréchal Juin eut avec De Gaulle le 26 janvier 1960. Alger est alors couverte de barricades et De Gaulle veut « tirer dans le tas » :
– Tu ne feras pas tirer. C’est une absurdité, même du seul point de vue militaire.
– Force doit rester à la loi. Ce sont des insurgés contre l’État.
– Si tu ordonnes de tirer, tu auras du sang sur les mains, je le ferai savoir à la face du monde… Je prendrai publiquement position contre toi.
– Dans ce cas, je te casserai !
– Mon bâton de maréchal, tu peux te le foutre au c… Moi, j’ai gagné des batailles !
Par décret du 6 avril 1962, le maréchal Juin sera placé en position de retraite par le vieillard haineux.
Le livre de Pierre Descaves est sous-titré : « Topologie d’une désinformation ». Parce que les combattants de la résistance Algérie française furent en leur temps – l’OAS a été créée en février 1961, ses activités prennent fin le 25 mars 1962, avec l’arrestation du général Jouhaud puis celle, le 7 avril de la même année, du lieutenant Degueldre – victimes de tous les mensonges d’État. Loin de s’être dissipés avec le temps, ces mensonges se sont multipliés et aggravés ces dernières années. Comme l’écrit Pierre Descaves, le temps guérit les souffrances sauf si des esprits sadiques s’acharnent à les raviver.
Tandis que l’on baptise nos rues, nos avenues, nos squares, du nom des pires ennemis de la France, que l’on ose affubler les artères de nos villes de l’appellation « 19 mars 1962, fin de la guerre d’Algérie », il est interdit aux patriotes d’exercer leur simple devoir de mémoire. La « guerre d’Algérie » ne s’est pas terminée, sinon pour les « quillards » avec le prétendu « cessez-le-feu » du 19 mars 1962 : entre cette date et celle de l’indépendance de l’Algérie, il y eut dix fois plus de morts qu’entre la Toussaint rouge de 1954 et ce 19 mars fallacieux. La désinformation élevée à la hauteur d’une vérité d’État ! Il faut toute l’impudence des « porteurs de valises » pour oser en arriver là…
« Pour les défenseurs de l’Algérie française que nous étions, ayant déposé nos armes, purgé nos peines, pour ceux qui avaient été condamnés, nous estimions avoir droit au respect des attentistes, des indécis, de ceux qui attendent toujours un train dans une gare où il n’en passe jamais, écrit Pierre Descaves. On sait ce qu’il en est ».
À défaut de ce respect, ces combattants de l’honneur auraient accepté l’oubli. C’était encore trop demander. Se faisant le relais de ceux qui furent les ennemis de notre communauté, Européens, juifs, musulmans confondus, les médias se font les hérauts de nos bourreaux. Et l’on a pu entendre la télévision française décerner le titre de « héros » et d’« héroïnes » aux terroristes qui, par la balle, le couteau, les bombes, massacrèrent les nôtres.
Jacques Soustelle, l’homme qui a « fait » De Gaulle en 1958, qui a refusé les plus hauts honneurs par fidélité à ses idées et à ses convictions, l’homme qui en exil est resté solidaire de toutes les souffrances de l’Algérie martyre et qui deviendra l’un des chefs les plus implacables contre le parjure gaulliste, dira (en novembre 1963) :
– Ce qui me paraît évident, c’est que le régime fait la terre brûlée. Il détruit tout, systématiquement ? La parole donnée ne signifie plus rien puisque le Guide a cyniquement renié la sienne. La Constitution n’est plus la Charte suprême et n’oblige plus personne puisque le pouvoir qui l’a proclamée est le premier à la violer. Les libertés fondamentales ? Toujours plus démantelées par l’État policier. La représentation nationale ? Une figuration. La justice ? Un simple organe de répression aveugle.
L’information ? Une machine à décerveler, à mettre en condition les foules, la radio et la télévision n’étant plus que l’instrument d’une faction.
Qui oserait prétendre que les choses ont changé depuis 1963 pour les patriotes Algérie française ? Les libertés fondamentales ? Bafouées quand il nous est interdit d’honorer la mémoire de nos morts. La représentation nationale ? Tout se passe comme si les ennemis de la France et de son Histoire étaient au pouvoir. La justice ? On reconnaît un imbécile quand il déclare : « Je fais confiance à la justice de mon pays. » L’information ? La même machine à décerveler.
Dans les mois qui suivirent l’exode de 1962, ils furent nombreux ceux qui s’exprimèrent pour rappeler à un peuple sidéré ce que fut le combat Algérie française : Roland Laudenbach, Hubert Bassot, André Rossfelder, Jean-Claude Boissy, Jean Mabire, Bertrand de Castelbajac, Serge Jeanneret, Philippe Héduy, Jean-François Rambaud, François Bluche, Michel Vercel, Francine Dessaigne, André Figueras, Patrice Olivier, Louis Merens, Jean-Claude Vidal, etc. Cela n’a pas empêché le mensonge de s’installer, de perdurer et, pire depuis ces dernières années, de s’amplifier.
D’où l’importance de l’étude de Pierre Descaves. La jeunesse de cœur de ce combattant de l’honneur est la nôtre. Et nous pourrions reproduire ce qu’écrivait en 1963 Philippe Héduy à propos de L’Histoire de l’OAS de Jean-Jacques Susini qui venait de paraître.
« Voilà un écrivain qui demande à son lecteur beaucoup de sensibilité, aussi bien dans le domaine du sentiment que dans celui de l’intelligence, c’est-à-dire beaucoup d’attention. Bien sûr, le livre est passionnant d’un trait, et l’on pourrait le recevoir comme une flèche. Mais le choc qu’il doit provoquer est plus profond (…). Aussi, celui qui a l’illusion de connaître déjà l’OAS et ses héros, devra abandonner ses préjugés s’il veut saisir la réalité. Celui qui n’en pense rien devra faire effort pour se pénétrer de tous les arcanes d’une organisation en effet secrète. D’un autre côté, celui que ne touchent guère les élans du cœur devra admettre que les motivations politiques ne suffisent pas à expliquer ni l’auteur, ni ses personnages. Et celui que la passion emportera, dans un sens ou dans l’autre, pour ou contre l’auteur et son œuvre, pour ou contre l’OAS, devra au préalable faire taire ses sentiments s’il veut embrasser l’ensemble. Tout cela est sans doute beaucoup demander. Mais telles sont les exigences de l’Histoire quand celui qui l’a faite est le même que celui qui l’a écrite et que, dans l’un comme dans l’autre cas, il a montré le même talent. »
Voilà donc un livre qui pèsera lourd dans nos mémoires. Car « ce n’est pas le livre d’un vaincu écrit pour des vaincus, mais l’explication impitoyable et exaltante d’une défaite pour des combattants futurs ».
Alain Sanders
Article extrait de Présent, n° 6486 du samedi 15 décembre 2007