« Va, François et répare mon Église. »
L'élection par les 115 cardinaux réunis en secret dans la Chapelle Sixtine avait été annoncée auparavant par l'émission rituelle d'une fumée blanche et par les cloches de la Basilique Saint Pierre qui avaient retenti à toute volée. "Les cardinaux sont allés me chercher au bout du monde", ont été les premières paroles du nouveau Pape, François, qui ajoutait : "Avant de vous bénir, je vous demande de prier pour moi". Et ce fut une Place Saint-Pierre en silence qui se recueillait. François priait aussi pour son prédecesseur Benoît XVI, pour que Dieu le préserve.
José Maria Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, 76 ans, est né le 17 décembre 1936 dans la capitale argentine, d'un couple d'immigrés italiens. Sa formation est celle d'un ingénieur chimiste. Mais il est entré très tôt dans la Compagnie de Jésus. Prêtre depuis 1969, il a toujours lié sa carrière ecclésiastique à l'expérience de la réalité sociale de son pays. Dès 1992, il était évêque auxiliaire de Buenos Aires, promu archevêque en 1998.
José Maria Bergoglio est connu pour la vie simple qu'il a menée à Buenos Aires, voyageant en métro et en bus, passant ses week-ends dans les paroisses défavorisées, au contact des prêtres des bidonvilles. Il est cardinal depuis 2001. Et son nom avait déjà beaucoup été cité lors du précédent conclave.
Ordena e nós te seguiremos
De l'amour en éclats
Jacques Trémolet de Villers : Fioretti corses per Francesco :
C’est dans mon île maternelle où la neige et la grippe m’ont retenu au-delà du délai raisonnable que j’ai appris l’élection de notre nouveau pape.
Le mercredi 12 mars, à 17 heures précises, notre curé avait célébré la messe « pro eligendo Pontifice » et nous étions entrés en conclave, avec leurs Éminences. Le lendemain, après l’Angelus du soir, le bruit se répandit sur le cours que la fumée était blanche. Nous descendîmes donc au bistrot le plus voisin, c’est-à-dire celui qui est en face, dont la télévision était allumée. Le bruit fut confirmé par les deux journalistes de LCI, Vincent Roux et Aymeric Pourbaix, de très loin les plus compétents pour traiter l’événement.
Comme la fumée était décidément blanche, je commandais du champagne à notre hôte, précisant que la tournée était pour tout le monde. Le monde, il faut le dire, était réduit. Une table de joueurs de belote, trois ou quatre habitués de l’apéritif. Le patron me fit quand même remarquer : « Vous offrez le champagne et vous ne savez pas qui est élu. » La remarque me permit une facile mise au point. Je fête l’Habemus papam, sans savoir, effectivement, qui est élu, mais c’est le pape et cette succession apostolique incroyable d’aisance, de calme et de célérité qui donne à Pierre son 266e successeur que je célèbre. Alors que partout dans le monde, ce n’est que luttes, intrigues, complots, guerres civiles, campagnes éprouvantes et rumeurs pour être élu, voici que dans l’Église, à une place qui ne connaît pas d’équivalent dans le monde, en un peu plus de vingt-quatre heures, un jour calendaire, c’est fait. Dans le calme, la dignité, la prière, la confiance, le silence et le secret. N’est-ce pas merveilleux !
Et j’ajoutai : Ici, en Corse, terre vaticane depuis plus de mille ans, c’est un peu plus proche que pour les autres…
Nous en étions là de mon enthousiasme pour la succession apostolique quand le cardinal Tauran, très ému, apparut sur l’écran et nous annonça… la surprise.
La divine surprise !…
Il faudrait être Dante pour chanter cette élection du jésuite disciple de François d’Assise, amoureux de Dame Pauvreté, piémontais d’Argentine, l’Inattendu.
La poésie naît de la surprise… au bout du vers, au rejet du vers suivant, au moment où on ne l’attend pas, dans le son et dans l’idée, dans l’image, elle fait s’écrier au sublime. La majesté calme de la succession de saint Pierre est, déjà, en soi, une présomption forte de la divinité de l’Église, mais cette faculté de surprendre, aussi calmement, aussi pleinement… là, on tombe à genoux !
Dans la salle du café, les téléphones portables étaient réquisitionnés. C’était à qui interrogerait l’homme compétent, le journaliste « au parfum », le vaticaniste expérimenté… en vain… personne, absolument personne ne l’avait prévu. Et il était là, tout simple, les bras un peu ballants, demandant que nous priions pour son prédécesseur, puis pour lui, et, après avoir revêtu l’étole, nous donnant la bénédiction, Urbi et Orbi, avec indulgence plénière.
Alors, les langues se délièrent… mais c’est qui ? Et son âge ? Vous avez vu son âge ? Quelqu’un se souvint que le Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine – ici, dans son village, on l’appelle Michel – à la Procure, avait parlé de l’archevêque de Buenos Aires, qui, comme lui, était partisan de donner le baptême à qui le demandait, sans imposer tout une préparation interminable. Si Michel le connaissait, déjà, c’était plus proche. Et puis, le Piémont, c’est à côté, et l’Argentine, pour les anciens du village – aujourd’hui, ils sont morts, mais les morts, ici, ne sont jamais vraiment morts – c’était la terre promise des oncles et des grands-pères. L’oncle d’Amérique, c’était l’oncle d’Argentine !
En le regardant plus attentivement, nous lui trouvions comme une ressemblance avec le plus respecté de nos oncles ! Cet air grave, ce regard pénétrant, cette autorité naturelle… et puis… François ! Dans une île que les Franciscains ont évangélisée, où la seule hérésie qui ait poussé était précisément celle des « Fraticelli », ces disciples exaltés qui avaient déformé le message du Poverello…
Le lendemain, Corse-matin nous apprenait que François, un corse de Lavatoggio, avait tenu un restaurant, Le Rabelais, à Buenos Aires où celui qui s’appelle dorénavant François avait ses habitudes. « Il venait manger le petit salé aux lentilles et le bœuf bourguignon, il ne voulait pas avoir de traitement de faveur parce qu’il était le cardinal de Buenos Aires. Au contraire, c’est un homme humble à l’écoute des autres et des plus pauvres. Quand je l’ai vu rentrer pour la première fois dans mon établissement, j’étais un peu gêné. Mais il m’a très vite mis à l’aise et s’est comporté très simplement. À Buenos Aires, il a refusé de vivre dans le somptueux palais de l’Archevêché pour résider dans un appartement où il payait un loyer… » ; et François ajoute « le Pape François a un charisme immense, quand vous le côtoyez, vous avez l’impression d’approcher le Seigneur ! »
Ainsi commencent, dans l’île dont le seul saint canonisé – saint Théophile de Corte – portait l’habit de saint François, les fioretti de notre nouveau pape. Les informations venues d’ailleurs nous en ont donné d’autres. L’homélie de la Chapelle Sixtine sortie de son propre cœur après qu’il a repoussé le texte qu’on lui avait préparé, le pèlerinage à Sainte-Marie-Majeure… nous ne sommes pas au bout de nos surprises… Unanimement, on rappelle : il recentre l’Église sur Jésus-Christ… mais ses prédécesseurs avaient-ils fait autre chose ? D’où vient que le message, toujours le même – Semper Idem – soit aussi toujours nouveau ? Et cette fois comme encore plus nouveau ? François parle comme Benoît qui parlait comme Jean-Paul, mais, en quelques phrases, Il les a presque fait oublier.
Après Jean-Paul II le Grand, après le délicat et lumineux Benoît XVI, pouvait-il sortir du conclave un élu qui nous étonne ? Toutes les hypothèses étaient envisagées, pesées, analysées… sauf François.
Jean-Paul II disait au Parc des Princes : « la société de consommation ne rend pas l’homme heureux », Benoît XVI voulait que l’on mît de la gratuité au cœur de l’économie… François a épousé Dame Pauvreté.
Ils n’ont pas fini, les grands de ce monde, de n’y rien comprendre et de n’en pas revenir. Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles. C’est en acte, sous nos yeux, en 2013, ce verset du Magnificat. La seule révolution qui tienne, la révolution chrétienne est en marche.
J’ai bien eu raison de commander du champagne !