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Frédéric Mistral |
Frédéric Mistral est né à Maillane, au Mas du Juge, au pied des Alpilles en 1830 ; il y meurt en 1914. Il fonde le Félibrige le 21 mai 1854. Il obtient le prix Nobel de littérature en 1904, prix qu'il partage avec l'espagnol José de Echegaray ; le prix Nobel avait été créé en 1901.
Au Pople nostre
Paure pople de Prouvènço,
Sèmpre mai entamena.
Sènso sousto ni defènso,
Is óutrage abandouna !
A l'escolo te derrabon
Lou lengage de ti grand
E toun desounour acabon,
Pople, en te desnaturant.
Di vièi mot de toun usage
Ounte pènses libramen
Un arlèri de passage
T'enebis lou parlamen.
Te mastrouion li cervello,
T'endóutrinon coume un niais,
Pèr fin que la manivello
Vire tóuti au meme biais.
Toun Istòri descounèisson,
Te la conton d'à rebous ;
E te drèisson, te redrèisson
Tau qu'un pople de gibous.
Te fan crèire que sa luno
Briho mai que toun soulèu,
E toun amo s'empaluno,
Aplatido em'un roulèu.
Te fan crèire que ti paire
N'an jamai rèn fa de bon
E, reguergue à l'usurpaire,
Jamai res que ié respond !
Ti bèlli cansoun bouniasso,
Lis óublides, o badau !
Pèr li vilanié bestiasso
Que te plovon d'amoundaut.
Sabes plus ourdi ti fèsto,
Sabes plus jouga ti jo :
Pièi quand as chanja de vèsto,
Rèstes pigre coume Jo.
E pamens es tu la mena,
Lou grouün de la nacioun,
Ounte Aquéu d'amount semeno
Soun èterno creacioun.
Tu, sauvant lis abitudo
E lou gàubi dou Miejour,
Sauves la coumparitudo
De la raço e dóu sejour.
Nosto lengo e si prouvèrbi
An soun nis à toun fougau
E nous gardes la supèrbi
De ti fiho que fan gau.
Pèr te faire dire seba
Tout te cougno : mai, testard,
Rèn qu'em' un fuiet de cebo
Te remountes bon sóudard.
Tu soulet foses la terro
E rebroundes l'óulivié :
Cerques lou bonur ounte èro
E la joio ounte n'i' avié,
Quand li gènt se countentavon
De crussi lou pan d'oustau
E que tout lou jour cantavon
Sus l'araire e lou dentau.
Mai, bèu pople, lou pos vèire :
Li rasclet, li margoulin,
Que mespreson vuei si rèire
Noun se croumpon de moulin.
Memamen l'aucèu de gàbi
Qu'a de grano soun sadou,
Fau que more de l'enràbi
Davans soun abéuradou.
Que ta visto donne s'alargne,
Pople, sus toun païs dous,
Car se dis qu'un chin de pargue
Sus sa sueio n'en bat dous.
Fose ti can toun, refose !
Parlo fièr toun prouvençau,
Qu’entre mar, Durènço e Rose
Fai bon viéure, Diéu lou saup !
Frederi MISTRAL, Janvié 1905
pp. 60-68 in Lis Óulivado (texte provençal-français). Directeur d'édition Pierre Rollet,
Edicioun Ramoun Berenguié, Avignoun, 251 p.
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À notre Peuple
(traduction approchante en français, merci Lou Tresor dòu Felibrige ! )
Pauvre peuple de Provence,
Toujours plus abîmé.
Sans abri ni défense,
Abandonné aux outrages !
A l’école ils arrachent,
La langue de tes parents,
Et pour ton déshonneur ils finissent,
Peuple, en te dénaturant.
Des vieux mots de ton usage
Où tu penses librement
Un fou de passage
T’interdit de les parler.
Ils te pétrissent le cerveau,
Ils t’endoctrinent comme un niais,
Pour qu’à la fin la manivelle
Tourne pour tous de la même manière.
Ils ne connaissent pas ton Histoire,
Ils te la racontent à l’envers ;
Ils te dressent, te redressent,
Comme un peuple de bossus.
Ils te font croire que leur lune
Brille plus que ton soleil,
Et ton âme s’enfonce dans le bourbier,
Aplatie par un rouleau.
Ils font croire à tes pères
Qu’ils n’ont jamais rien fait de bon
Et, très fâcheux, à l'usurpateur,
Jamais personne ne répond !
Tes belles chansons sans malice,
Tu les oublies oh, naïf !
Pour les viles bêtises
Qui te tombent d’en haut.
Tu ne sais plus commencer tes fêtes,
Tu ne sais plus jouer tes jeux :
Et puis quand tu as changé de veste,
Tu restes pauvre comme Job.
Et cependant c’est toi la voie,
Le germe de la nation,
Où Celui là-haut sème
Son éternelle création.
Toi, sauvant les habitudes
Et l’art de faire du Midi,
Tu sauves l’égalité
De notre nation et du savoir vivre.
Notre langue et ses proverbes
Ont son nid à ton foyer
Et tu veille l’orgueil
De tes filles qui font notre joie.
Pour te faire dire « assez »
Tout te pousse : mais, têtu,
Rien qu'avec une feuille d’oignon (ndt : car ici on adore ça)
Tu remontes bon soldat.
Toi seul tu laboures la terre
Et tu retailles l’olivier :
Tu cherches le bonheur où il était
Et la joie où il y en avait,
Quand les gens se contentaient
De manger le pain fait maison
Et que toute la journée ils chantaient
Sur la charrue et le sep.
Mais, beau peuple, tu peux les voir :
Les raclures, les margoulins,
Qui méprisent aujourd’hui leur anciens
Ils n’investissent dans rien.
Et même l’oiseau en cage
Qui a de la graine à volonté,
Il faut qu’il meure de rage
Devant son abreuvoir.
Que ta vue prenne de la largeur,
Peuple, sur ton pays doux,
Car on dit qu’un chien de parc
En bat deux devant sa porte.
Enfouis tes difficultés, enfouis les encore !
Parle fier ton provençal,
Qu’entre mer, Durance et Rhône
Il fait bon vivre, Dieu le sait !