Quel meilleur portrait de Nicolas Sarkozy et de son action à l’Élysée que celui dressé par Giuliano Ferrara, ce journalistique italien, ex-membre du Parti communiste, proche collaborateur de Silvio Berlusconi dans les années 1990, directeur du quotidien néoconservateur Il Foglio, éditorialiste à Panorama. Giuliano Ferrara se dit libéral anticonformiste, option catholique anti-avortement.
Enthousiasmé par le candidat de 2007, Giuliano Ferrara dresse un réquisitoire sans concessions contre le président de 2011… (traduction de l'italien proposée par Courrier International)
Je demande pardon à mes lecteurs de Panorama. Bien avant les autres, et tout au long de la fulgurante campagne électorale pour la présidentielle de 2007, j’ai écrit que Nicolas Sarkozy était une bête politique, un innovateur bourré de bonnes idées, un homme courageux, décidé à changer la France et l’Europe. Un jour, lors d’une conférence, à Paris, avec la correspondante de The Economist, je me suis même laissé aller à un plaidoyer sans vergogne pour le candidat Sarkozy. En réalité, il est tout juste un habile homme politique. Il manque de substance et de goût ; à son esprit de prédateur s’ajoute une duplicité éhontée et cynique ; la liste de ses névroses est plus longue qu’un Paris-Marseille. Sans compter qu’il est radicalement incapable de tenir ses promesses.
Peu avant l’élection qui l’opposait à l’insupportable Ségolène Royal, j’ai commencé à me douter que je faisais peut-être fausse route. Mes doutes ont été confirmés par les faits. Si Nicolas Sarkozy fut un candidat exceptionnel, il est un piètre président. Malheureusement. Mon égarement est dû à un extraordinaire personnage de l’ombre, qui a prêté à Sarkozy l’âme et les mots dont l’ego disproportionné du candidat avait besoin. Mais il l’a fait avec élégance, sensibilité culturelle et courage, défiant le politiquement et idéologiquement correct de la culture européenne post-soixante-huitarde. Je parle bien entendu de sa plume ; il s’agit d’Henri Guaino.
Guaino a littéralement inventé, par son inépuisable veine littéraire, le Sarkozy qui a si bien parlé et si mal agi. Il lui a fait dire que les Français devaient travailler plus – bien plus que 35 heures – pour gagner plus et être compétitifs sur le marché, un exemple du libéralisme économique qui faisait et fait toujours scandale dans la France colbertiste. Il lui a fait soutenir que la vieille loi de 1905 sur la laïcité était obsolète, car la foi méritait sa place dans l’espace public.
Par ses mots, il a dilué le gaullisme en y ajoutant des touches d’esprit radical et conservateur, piochant dans le meilleur de la culture humaniste et gauchiste de l’histoire française. Il lui a suggéré la critique de Mai 1968, la nécessité de rétablir le principe d’autorité dans l’école et la société. Il lui a soufflé des idées essentielles sur la politique étrangère, à commencer par le rôle des États-Unis, exportateurs de démocratie et auteurs d’une révolution éclairée sans trace de jacobinisme, dans l’arbitrage des intérêts et des valeurs dans les affaires mondiales. Henri Guaino a tendu à Sarkozy le scénario de l’ouverture à gauche, fer de lance d’une nouvelle manière de gouverner durant sa première année de mandat. Il lui a expliqué, dans de mémorables discours que le candidat s’est contenté de réciter sans en saisir l’essence, à quel point une identité occidentale forte était importante face à la tentation de l’éternelle repentance historique et de la haine de soi qui afflige l’Occident.
Mais tout cela n’était que poudre aux yeux. La politique du chef de l’État a ce je-ne-sais-quoi d’irrémédiablement médiocre, de complaisant et d’artificiel. Il est allé d’échec en échec avant de transposer son arrogante logique de fiasco à l’échelle européenne et internationale. Il s’est notamment lancé, avec toute sa hâte hyperactive, dans une guéguerre des cieux, se prétendant arbitre de la guerre civile en Libye, sous le fallacieux prétexte d’une cause humanitaire. Chers lecteurs, encore une fois, je vous demande pardon. Sarkozy a fait sien le plus virulent nationalisme économique ; on est bien loin de la révolution du marché dans une France assistée, fainéante et étatique. L’Hexagone ne supporte plus la comparaison avec l’Allemagne européiste, son économie est synonyme de faible croissance et de déficit budgétaire colossal, à 8 %. Le gouvernement a lancé une première série de réformes cruciales, grâce à la persévérance de son Premier ministre François Fillon, mais guère plus. Concernant la laïcité, la France a réalisé de grands progrès sous Sarkozy. Des progrès certes, mais sur la mauvaise pente. Par ailleurs, l’ouverture à gauche, qui avait atteint son paroxysme avec les nominations de Bernard Kouchner au ministère des Affaires étrangères et de Dominique Strauss-Kahn au Fonds monétaire international, est morte et enterrée.
La tradition socialiste et humaniste de la France du Front populaire, cette sorte de radicalisme empli de sens de la tradition et d’esprit populaire, a laissé place à un vague populisme médiatique marqué par l’hyperactivité d’un président ringard et bling-bling, selon les expressions consacrées [en français] pour définir sa vulgarité et sa médiocrité. Si la personne de Silvio Berlusconi est théâtrale et digne d’un casting, celle de son homologue français est mondaine, arriviste, tout juste bonne à alimenter les rotatives pour assouvir sa soif d’image et de publicité gratuite, tel un ambitieux sans charme.
Sa politique étrangère, il la doit désormais à BHL, un loustic de la rive gauche homme de spectacle à qui la veste de philosophe ne sied guère. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Bernard-Henri Lévy a critiqué Guaino, inventeur d’un président idéal trahi par le président réel, en s’appuyant sur de ridicules arguments moralisateurs. Le conseiller spécial a alors rétorqué : “Ce petit con prétentieux ne m’intéresse pas. Qui est-il donc ? Qu’a-t-il fait dans sa vie de si extraordinaire pour se permettre de juger ?” Et voilà que Nicolas Sarkozy renie son créateur littéraire et embrasse la version grotesque du pouvoir philosophique des intellos post-soixante-huitards, avec toute sa banalité et son conformisme projeté sur le théâtre de la Méditerranée. Une région que Sarkozy avait d’ailleurs promis de sauver et d’unifier en s’affichant aux côtés de, je vous le donne en mille… Hosni Moubarak.