Carnets de Voyages en Syrie avec la Communauté syrienne de France

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mercredi 29 novembre 2023

Henri Dehérain : Rimbaud en Afrique


 




Et pourquoi ne pas rapprocher ce récit d’un voyageur qui se rend effectivement au Harar début 2012 avec ce qu’écrivait, près de 90 ans plus tôt Henri Dehérain, historien et géographe (1867-1941) particulièrement passionné par les voyageurs d’un autre temps. Sans être particulièrement privilégié dans ses travaux Arthur Rimbaud se retrouve dans plusieurs de ses publications, dont un bref article donné au supplément littéraire du Figaro du dimanche 14 janvier 1923 :


La scène se passe à Harar, la grande ville de transit de l’Afrique Orientale, où les produits apportés d’Abyssinie et des pays gallas sont concentrés pour être expédiés vers les ports de la mer Rouge. Un blanc en costume colonial est entouré d’hommes de couleur. Il fait peser du café, de l’ivoire, des cuirs et il en discute les prix avec les vendeurs indigènes, avec l’un en harari, le dialecte local, avec l’autre en galla qui se parle sur les plateaux du Sud, avec un troisième en amhara, la langue des montagnards de l’Abyssinie.
Ce négociant si attentivement appliqué à sa besogne mercantile, cet Européen qui s’exprime si aisément en ces étranges idiomes africains, c’est Arthur Rimbaud ; cas rare, unique probablement dans notre histoire coloniale, pourtant si féconde en destinées extraordinaires, d’un poète transformé en traitant et en explorateur.
La vie africaine d’Arthur Rimbaud n’est pas inconnue, mais quelques documents nouveaux nous ayant été obligeamment communiqués, notamment par M. Georges-Emmanuel Lang, l’occasion nous a paru propice pour revenir sur son aventure.

I

On sait que Rimbaud, après avoir entièrement rompu avec les milieux littéraires où il avait fréquenté dans sa prime jeunesse, erra longtemps à travers le monde. En août 1880, il arriva à Aden, et l’Orient éthiopien s’empara de lui. Il entra comme employé dans la maison de commerce Mazeran, Vianney et Bardey, aux appointements mensuels de 330 francs, portés en 1883 à 416 francs, plus la nourriture et 2% sur les bénéfices. Cette maison ayant ouvert un comptoir à Harar, il y fut envoyé.
« Je suis arrivé dans ce pays après vingt jours de cheval à travers le désert çomali, écrivait-il à sa famille le 13 décembre 1880. Harar est une ville colonisée par les Egyptiens et dépendant de leur gouvernement. La garnison est de plusieurs milliers d’hommes. Là se trouvent notre agence et nos magasins. Les produits marchands de la contrée sont le café, l’ivoire, les parfums, l’or, etc. »


Ces pays d’où il tirait ce café, cet ivoire, ces parfums, il voulut les connaître. Par nécessité professionnelle, il devint explorateur et géographe. Au sud de Harar s’étend, dans la direction de l’Océan Indien, un pays nommé l’Ogaden, qui est traversé par le Ouabi Chebeli. Ce grand fleuve a en quelque sorte manqué sa destinée. Il se dirige vers l’Océan Indien, mais avant de l’atteindre, il s’évapore et disparaît. Dépourvu de voie d’accès côtière, protégé en outre par la xénophobie de ses habitants, l’Ogaden resta terre inconnue jusque dans le dernier quart du XIX° siècle. A Rimbaud revient le mérite d’avoir apporté les premières notions sur ce pays.
Lui-même fit plusieurs expéditions au sud de Harar, dans le Boubassa, où il créa des marchés d’ivoire et de cuirs. Il fallait du courage pour y pénétrer, car les populations de ces contrées haïssent l’étranger, et vers cette même époque, le Français Lucereau et l’Italien Sacconi y furent assassinés.
Rimbaud organisait aussi des voyages pour le compte de sa maison. « Il dirige toutes nos expéditions du Çomal et des pays gallas, écrivait son patron Bardey, le 24 novembre 1883. L'initiative de l’exportation [sic ! lire ‘exploration’] du Ouabi, qui coule dans le pays d'Ogaden, lui est due. » Le plus fructueux de ces voyages fut celui du Grec Constantinu Sottiro qui s’avança, véritable exploit, jusqu’à une distance de 140 kilomètres au sud de Harar. Des observations qu’il avait faites, des notions rapportées par les agents subalternes ou données par les indigènes, Rimbaud composa une notice sur l’Ogaden, succincte mais pleine de substance, que Bardey eut la bonne idée d’adresser à la Société de Géographie de Paris, laquelle s’empressa de la publier.
Rimbaud réussit auprès des indigènes. Il se rendit promptement maître de leurs langues, dont, comme il l’écrivait un jour, « il se remplit la mémoire ».
Et puis, il traitait les hommes de couleur en hommes et qui méritent des égards ; il réussit à apprivoiser ces Çomalis de caractère pourtant si ombrageux. Il se fit des relations parmi les chefs de l’Ogaden, et il appelle quelque part l’oughaz de Malingour « notre ami Aram Hussein ». Les opérations commerciales auxquelles Rimbaud se livra furent assez fructueuses. Il fit des économies. En juillet 1884, il pensait envoyer à sa famille « au moins dix mille francs ». Et pendant plus d’une année, il continua « à ramasser quelques sous ».
Après une « violente discussion », il se sépara de son patron, Bardey, en octobre 1885. Il s’associa alors à un négociant français, nomme Pierre Labatut, qui faisait des affaires au Choa.

II

Ménélik commença sa carrière comme simple chef de la province la plus méridionale de l’Abyssinie : le Choa. Quand il mourut il était empereur d’Ethiopie, souverain par conséquent de toute l’Abyssinie et il avait conquis au sud du Choa un immense territoire qui jouxtait la colonie anglaise de l’Afrique orientale. Or, l’instrument de cette politique et de ces conquêtes, ce fut le fusil. Avoir des fusils, beaucoup de fusils avec les munitions nécessaires, telle était, les récits de tous les voyageurs concordent sur ce point, la préoccupation principale de tous les Abyssins, depuis Ménélik jusqu’au plus humble de ses sujets.
Labatut avait justement reçu de Ménélik, en 1885, une importante commande d’armes. Rimbaud participa à l’affaire et il y mit la plus grande partie de ses économies.
Pour recevoir les caisses d’armes et organiser la caravane qui devait les transporter au Choa, il séjourna dix mois, de décembre 1885 à octobre 1886, sur les rivages de la mer Rouge, à Tadjourah, localité située en face de Djibouti, malsaine et très désagréable. Que de difficultés il eut à surmonter ! avec les indigènes toujours, avec le gouvernement français, qui croyait devoir interdire le transport d’armes au Choa. Et puis, son associé Labatut tomba malade, partit pour la France et y mourut. Rimbaud pensa alors faire le voyage avec Paul Soleillet, un africaniste d’une certaine notoriété, qui avait jadis exploré le Soudan et récemment passé deux années en Abyssinie. Mais, à son tour, Soleillet succomba à Aden. En définitive, Rimbaud partit seul en octobre 1886. Il traversa l’affreux et dangereux désert de Danakil, gravit les pentes du massif abyssin et, le 9 février 1887, il atteignit Ankober, l’ancienne capitale du Choa. Il y rencontra Jules Borelli, un Français qui fit d’importants voyages en Abyssinie, de 1887 à 1888. De prime abord, Rimbaud donna une impression d’énergie à Borelli, qui écrit dans son journal :
« M. Rimbaud sait l’arabe et parle l’amharigna et l’oromo. Il est infatigable. Son aptitude pour les langues, une grande force de volonté et une patience à toute épreuve le classent parmi les voyageurs accomplis. »
Rimbaud séjourna trois mois en Abyssinie. D’Ankober il se rendit à Entotto, où Ménélik résidait avant la fondation d’Addis-Ababa. Il y reçut la lettre suivante, que nous croyons peu connue :
« Envoyé par le roi Ménélik.
« Parvienne à M. Rimbaud.
« Comment te portes-tu ? Moi, par la grâce de Dieu, je me porte bien.
« Ta lettre m’est parvenue. Je suis arrivé hier à Fel-Ouha (près d’Entotto).
« Cinq jours  me suffiront pour voir les marchandises. Tu pourras partir ensuite.
« Ecrit le 3 myarzya  [février ou mars 1887].

Financièrement, l’expédition échoua :
« Mon affaire a très mal tourné et j’ai craint quelque temps de redescendre sans un thaler » écrivait plus tard Rimbaud. Mais sous un tout autre rapport il réussit. Il redescendit en effet à Harar par un itinéraire qu’aucune Européen n’avait encore suivi. Accompagné de Borelli, il partit d’Entotto le 1er mai 1887 et arriva à Harar le 21, après avoir traversé le plateau du Mindjar, « pays magnifique, puis Carayou, halliers couverts d’arbres épineux, séjour des buffles et des éléphants », et finalement suivit la crête du Tchercher « où la végétation est incomparablement belle ».
La découverte de cette voie nouvelle fut très remarquée dans les milieux géographiques français et étrangers : succès auquel assurément Rimbaud ne s’attendait pas. Cette nouvelle route fut désormais fréquemment suivie, et notamment par la mission du commandant Marchand, pendant la dernière étape de sa célèbre traversée de l’Afrique.


III

Revenu d’Abyssinie, Rimbaud, après un court séjour au Caire, se fixa définitivement à Harar, non plus comme agent commercial, mais comme chef de factorerie. Le régime du pays avait changé depuis qu’il l’avait quitté. Les Egyptiens l’avaient évacué et les Abyssins l’occupaient : « Le gouvernement est le gouvernement abyssin du roi Ménélik, c'est-à-dire un gouvernement négro-chrétien, mais somme toute on est en paix et en sûreté relative. »
Grâce à la position importante qu’il s’était faite à Harar, grâce à ses relations avec le ras Makonnen et à son expérience, Rimbaud rendit des services aux Français et aux étrangers qui y passèrent en ces années 1888-1890. Il exerçait largement l’hospitalité. Il reçut, par exemple, pendant six semaines le Suisse Alfred Ilg, qui, arrivé en Abyssinie comme ingénieur y devint le conseiller et le ministre d’Etat de Ménélik. De ses rapports avec Rimbaud, Ilg avait surtout conservé le souvenir d’un homme renfermé et taciturne, ainsi qu’il nous l’écrivait il y a quelques années. Bardey a, plus tard, rappelé la bonté de Rimbaud pour les imprudents qui, pleins d’illusions, se lancent dans les pays exotiques et qui n’y éprouvent que déboires.
Jamais, dans ses lettres, Rimbaud ne faisait allusion à son passé, et, dans cette vie de la brousse pourtant favorable à l’abandon, il ne se laissait aller à aucune confidence. Que Verlaine ait pensé à Rimbaud, le poème Læti et errabundi permet de le supposer:
Nous allions, vous en souvient-il,
Voyageur où ça disparu ?
Filant légers dans l'air subtil,
Deux spectres joyeux, on eût cru !
Mais de ses anciennes amitiés, lui, Rimbaud, ne parlait jamais.

* * *

Qui ne connaît le martyre de ses derniers mois ? En février 1891, il éprouva dans le genou des douleurs qui, chaque jour, devinrent plus vives. Aucun médecin européen n’exerçant à Harar, il résolut d’aller se faire soigner à Aden. Il partit le 8 avril 1891, transporté dans une civière car il était incapable de se tenir à cheval. La traversée du désert çomali dura quinze jours. A Zeila, il est hissé à bord d’un bateau, et il arrive à Aden où le médecin de l’hôpital diagnostique « une tumeur synovite arrivée à un point très dangereux ».
Rimbaud décide alors de s’embarquer pour la France. En novembre 1891, il expire à l’hôpital de la Conception de Marseille.
Or, ce fut vers ces temps-là que la renommée littéraire d’Arthur Rimbaud commença de poindre et de s’élever au-dessus de l’horizon.

Henri Dehérain

lundi 20 novembre 2023

Alphonse Juin, Maréchal de France, est élu à l'Académie française le 20 novembre 1952



« … lorsque nous m’avez fait l’honneur de m’appeler à siéger parmi vous, il n’a échappé à personne, et encore moins au récipiendaire, que c’était au soldat et uniquement à lui qu’étaient allés vos suffrages. » (25 juin 1953)

Maréchal Alphonse Juin (dernier Maréchal de France), 2 juillet 1962 :


« … Que les Français, en grande majorité aient, par referendum, confirmé, approuvé l'abandon de l'Algérie, ce morceau de la France, trahie et livrée à l'ennemi, qu'ils aient été ainsi complices du pillage, de la ruine et du massacre des Français d'Algérie, de leurs familles, de nos frères musulmans, de nos anciens soldats qui avaient une confiance totale en nous et ont été torturés, égorgés, dans des conditions abominables, sans que rien n'ait été fait pour les protéger : cela je le pardonnerai jamais à mes compatriotes. La France est en état de péché mortel. Elle connaîtra un jour le châtiment. »




Fils d’un gendarme en poste à Mostaganem, Alphonse Juin fit ses études secondaires en Algérie, aux lycées d’Alger puis de Constantine, avant d’intégrer Saint-Cyr en 1910. Sorti major de sa promotion en 1912, il servit pendant deux ans au Maroc. Quand éclata la Première Guerre mondiale, il fut rappelé en Métropole et participa aux combats avec les Tabors marocains. Blessé en 1915, il perdit l’usage de son bras droit. Il repartit alors pour le Maroc où, après quelques mois de convalescence il refuse le poste d’officier d’ordonnance du général Lyautey pour servir à l’état-major de Rabat avant de recevoir, en décembre 1916, le commandement d’une compagnie de mitrailleuses du 1er régiment de tirailleurs marocains. En octobre 1918 enfin, il devait rejoindre l’état-major de la 153e division d’infanterie, puis fut détaché à la mission militaire française près de l’armée américaine.

Après la guerre, il enseigna une année à l’École de guerre avant de regagner l’Afrique, où il se battit dans le Rif. Son action vigoureuse en faveur de la pacification du Maroc au début des années 20 lui valut d’être proposé à titre exceptionnel pour le grade de chef de bataillon.

Étant repassé vers 1930 par l’École de guerre pour y dispenser un cours de tactique générale, il gravit tous les échelons de la hiérarchie militaire, fut promu chef d’état-major des forces armées de l’Afrique du Nord, puis, à la fin de l’année 1938, général de l’Armée d’Afrique.

En 1939, au moment de la déclaration de guerre, il fut nommé commandant de la 15e division d’infanterie motorisée. Il couvrit la retraite de Dunkerque en mai 1940, mena un combat désespéré, mais fut fait prisonnier le 19 mai. Libéré à la demande de Vichy en juin 1941, il fut envoyé pour succéder à Weygand comme commandant en chef des forces d’Afrique du Nord.

S’étant rallié aux Américains en novembre 1942, il prit la tête du contingent français qui arrêta la force de l’Axe en Tunisie, et contribua à l’anéantissement de l’Afrikacorps. Appelé à la tête du corps expéditionnaire français en Italie, il imposa aux Alliés son plan d’offensive et perça en mai 1944 le front allemand sur le Garigliano, ouvrant la route de Rome et de Sienne. Son corps fut ensuite affecté au débarquement de Provence… … 


par
André Maurois
directeur de l’Académie française
à l’occasion du décès du
Maréchal Alphonse Juin
décédé le 27 janvier 1967, à Paris


Le peuple de Paris, le Gouvernement, l’Église et l’Armée ont fait hier au Maréchal Juin des funérailles dignes d’un héros. Pour l’Académie française, ce deuil est intime et douloureux. Nous admirions le chef de guerre ; nous aimions le confrère et l’ami. Sa simplicité, sa bonté nous avaient conquis. Avant les événements et la maladie qui attristèrent sa fin, sa gaieté confiante éclairait nos rencontres du jeudi. « Les gens graves ne sont pas sérieux » disait-il. Nous savions qu’il était, sur le champ de bataille, le chef le plus ferme et le plus précis. Ici nous l’avons toujours vu cordial, attentif et prêt à prendre sa part de nos tâches familières. Ce grand soldat, quand il le voulait, devenait un écrivain.

Mais nous l’avions élu surtout parce que l’Armée française lui devait d’avoir retrouvé sa plus vieille amie : la victoire. On ne dira jamais assez ce qu’ont été son rôle et celui de l’Armée d’Afrique de 1942 à 1944. Que cette Armée ait été préservée, maintenue, entraînée et même accrue après la défaite, est un miracle dont deux des nôtres : Weygand et Juin, furent les artisans. Les armes sauvées avaient été camouflées, cachées dans des grottes de montagne, dans des puits de mine, sous les scènes des théâtres. Le devoir des commissions d’armistice ennemies eût été de découvrir ces ruses. Mais j’ai copié en 1943, lorsque j’étais à Alger sous ses ordres, une note du général Juin sur les réponses à faire aux commissions de contrôle. Elle n’a jamais été publiée et je me permets de vous en citer quelques phrases parce qu’elles montrent comment Juin, bien avant le débarquement, résistait à l’ennemi et préparait les combats futurs.

« Il convient, disait-il, que tout officier sache exactement dans quel sens il doit répondre pour éviter les pièges des questionnaires allemands. Les questions posées peuvent avoir pour but de connaître : 1°) la mission de l’unité en opération. Sur ce point il convient de rester absolument muet ; il y a lieu de répondre que l’on ne sait rien et que des directives seront données en temps utile par le commandement. 2°) l’orientation qui est donnée à l’instruction. Il y a intérêt à ce que les Allemands ignorent jusqu’à quel point est poussée l’instruction dans les particularités du combat moderne. Répondre par des généralités sur les chapitres bien connus du règlement. 3°) le degré d’entraînement et la valeur de la troupe. Sur ce point il faut éviter un double écueil. Si l’on exagère la faiblesse de l’Armée d’Afrique, on inspire aux Allemands le désir de se substituer à nous ; si l’on étale complaisamment les qualités de cette armée, on peut amener les Allemands à penser qu’elle constitue pour eux un danger. C’est entre ces deux écueils qu’il faut tenir le juste milieu. Signé : JUIN, commandant en chef. »

Voilà pourquoi il existait encore, en 1943, une Armée d’Afrique. Elle était mal vêtue, mal équipée, mal nourrie, mais elle possédait des soldats merveilleux, d’excellents officiers, de nobles et anciennes traditions. Elle était capable, au prix de souffrances et de privations, de faire campagne. En fait ce fut elle qui, après le débarquement et en attendant l’arrivée des grands détachements alliés, arrêta seule, avec ses pauvres moyens, l’avance des blindés ennemis. Je le répète, on ne dira jamais assez que, sans Juin et ses hommes, il n’aurait pas été possible de tenir en Tunisie. En pensant à leur dénuement, on les rapproche des soldats de l’An Deux ; en pensant à leur ténacité, à leur foi, on évoque les soldats de la Marne.

La fin de la campagne fut épique et foudroyante. Une manœuvre, dont le général Juin avait eu l’idée, fit roquer deux divisions blindées de la droite à la gauche du dispositif allié. L’ennemi, entièrement surpris, s’effondra. Toute son armée (224 000 hommes, 26 généraux, 1 000 canons, 250 chars) fut prise. La bataille d’Afrique était terminée. Le général Eisenhower, dans son bulletin de victoire, écrivait : « Les Français, avec un équipement pauvre et désuet ont effectué sur le champ de bataille un magnifique travail. Leurs combats ont égalé ce que l’on peut attendre de mieux de la meilleure armée du monde. »

Au général Juin, qui s’était révélé grand stratège, fut confié le commandement du Corps Expéditionnaire français en Italie. Là il me conduisit au pied des terribles montagnes qu’il fallait franchir et m’emmena dans ses tournées d’inspection aux avant-postes. Il inquiétait un peu son état-major par sa hardiesse et sa volonté de tout voir. Ses hommes adoraient ce chef qui, la pipe au bec et le béret étoilé en bataille, venait en jeep jusqu’aux points les plus dangereux. Ils aimaient sa bonhomie, ses boutades. On aurait pu dire de lui ce que Bossuet disait de Condé : « Jamais homme ne craignit moins que la familiarité ne blessât le respect. »

Avec sa remarquable intuition stratégique il fut le premier à comprendre que l’on n’enlèverait pas le Monte Cassino par une attaque frontale. Nourri des principes napoléoniens, il proposa une fois encore de créer la surprise par la manœuvre. (…) « Juin dessine d’un trait ferme le plan de sa manœuvre ». Il proposait de faire traverser en secret le Garigliano par 30 000 hommes et de jeter les tabors du général Guillaume dans le massif de Petrella que l’ennemi croyait inviolable. Il eut grand-peine à faire approuver ce plan hardi par les Alliés. Puis, non seulement ils acceptèrent ce ferme dessin tracé par un Français, mais ce fut l’Armée d’Afrique qui força le verrou des Abruzzes. Le général américain Clark écrivit à Juin : « Vous êtes en train de prouver à une France anxieuse que l’armée française a conservé ses plus belles traditions. » Quelques jours plus tard le général Juin faisait dans Rome une entrée triomphale. La défaite de 40 était effacée par la victoire de Garigliano.

Juin aurait voulu exploiter cette victoire. Il avait été Bonaparte à l’armée d’Italie ; il espérait pousser jusqu’au Brenner, entrer en Autriche et, qui sait, remporter une nouvelle victoire de Wagram. Mais des engagements avaient été pris et les plans des Alliés étaient différents. Il dut quitter son cher Corps Expéditionnaire pour devenir le chef d’état-major général de la Défense nationale. On sait comment, après la victoire finale, il revint au Maroc où ses anciens goumiers, ses tirailleurs, gens de poudre et d’honneur, lui faisaient une escorte invisible ; comment il devint commandant en chef des armées alliées de Centre-Europe ; comment il fut, à l’approbation de la France entière, fait Maréchal de France ; comment enfin cette éblouissante carrière fut brusquement interrompue par les événements d’Algérie. Né dans ce pays, il fut alors écartelé entre son attachement à sa terre natale et son respect de la discipline. À ses loyalismes il sacrifia sa vie. Il aura eu du moins cette consolation : la certitude d’avoir fait en toute circonstance ce que lui commandait sa conscience. En ces grands déchirements l’âme seule est juge.

Pour nous, le souvenir que nous conservons de lui est à la fois celui du confrère souriant et affectueux qui, chargé de gloire, se pliait avec tant de bonne grâce à nos paisibles travaux, et celui du chef qui, debout au milieu de ses troupes, entrevoyait, en des éclairs de génie, les manœuvres décisives. En votre nom, je dis la respectueuse sympathie de l’Académie à la Maréchale Juin, à ses deux fils et aussi à ses soldats d’Italie qui, ayant servi sous ses ordres et l’ayant aimé, se souviennent avec gratitude qu’il les conduisit à la victoire.


Académie française : Discours de réception du maréchal Juin (25 juin 1953)

Académie française : Réponse de M. Maurice Genevoix au discours de M. le maréchal Juin (25 juin 1953)

Académie française : Allocution lors du décès du maréchal Alphonse Juin (2 février 1967)

Académie française : Alphonse Juin, élu le 20 novembre 1952 au fauteuil 4, biographie


*     *    *


Le hasard a voulu que je relise à la veille de ce 20 novembre 2023 des éléments biographiques de deux immenses soldats : celle du Maréchal de France Alphonse Juin (élu à l’Académie française le 20 ovembre 1952) ainsi que celle du général Franco (décédé à Madrid le 20 novembre 1975).

Jamais je n’avais encore réalisé combien leur contemporain le politicien DeGaulle le dispute tout autant au dérisoire qu’à la grandiloquence du ridicule… certes trouvant encore grâce auprès de quelques vieux fidèles psittacidés au plumage flétri, d'homologues politiciens modernes à droite ou à gauche mus par un ego incertain et une ambition verbeuse, sans oublier une chienlit immature murée dans l’infantilisme…






In memoriam : Generalísimo Francisco Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios


Francisco Franco Bahamonde, né le 4 décembre 1892 à Ferrol et décédé le 20 novembre 1975 à Madrid, est un soldat et homme d'État espagnol. Durant la guerre d'Espagne, il s'impose comme chef du camp nationaliste qui remporte la victoire sur les républicains. De 1939 à 1975, il dirige un régime politique (État franquiste) avec le titre de Caudillo (chef ou guide) : « Generalísimo Francisco Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios ».



Conscient de son inexpérience en matière politique, Franco s'appuya sur son beau-frère, Ramón Serrano Súñer, la Phalange et l'Église catholique, ralliée à son camp après les massacres anticléricaux de 1936, sans oublier les monarchistes (carlistes, conservateurs et autres). Il reçut le soutien des Espagnols effrayés par l'anti-catholicisme et la violence à laquelle avait fait face la République comme l'assassinat de Calvo Sotelo, les massacres de 7 000 prêtres et autres manifestations de sacrophobie.

En revanche, Franco n'est ni phalangiste, ni carliste, ni fasciste, ni libéral, ni démocrate-chrétien. Ce n'est pas un idéologue mais un militaire conservateur, déçu tout à la fois par Alphonse XIII et par la République. Sa stratégie repose sur son prestige personnel. Elle consiste à s'entourer de toutes les familles idéologiques de son camp et à arbitrer leurs conflits sans jamais souscrire personnellement à aucune tendance. Sa conception de la société et de l'État est dans la lignée de la pensée de Juan Donoso Cortés. Il voulait un État et un gouvernement en accord avec les anciens principes de l'Église catholique.

L'anticommunisme constitue l'autre grand pilier de sa politique. Franco considère insensée la guerre mondiale qui oppose les peuples de l'Europe au seul profit de l'Union soviétique. Il lui paraît qu'il y a deux guerres : une, légitime, celle de l'Europe contre le communisme (ce qui explique l'envoi de la Division bleue en réponse aux Brigades internationales), l'autre, illégitime, entre les Alliés et l'Axe. Selon l'historien américain Robert Paxton, Franco était « d'une hostilité maladive à la démocratie, au libéralisme, au sécularisme, au marxisme et tout spécialement à la franc-maçonnerie ».
Selon Pierre Milza ce régime ne répond pas, du fait de son appui principal sur l'Armée et l'Église, à la définition du fascisme tel qu'il s'est installé dans l'entre-deux guerres en Italie et en Allemagne.


Par ces liens familiaux, le général Franco très proche de la France légitime !…
Maria del Carmen Polo y Martínez-Valdés (1902-1988), après avoir rencontré Franco en 1917, l'épouse en 1923 et en 1926, donne naissance à leur seul enfant, María del Carmen. Elle est décédée à Madrid en 1988.

María del Carmen Ramona Felipa de la Cruz Franco y Polo, duchesse de Franco : sa fille. Elle a épousé Cristóbal Martínez Bordiú, marquis de Villaverde, le 10 avril 1950. Elle vit aujourd'hui surtout à Miami (Floride). Elle dirige La Fundación Nacional Francisco Franco, fondée en 1977, avec pour objectif de défendre la mémoire de son père.

Carmen Martínez-Bordiú y Franco, sa petite-fille, aînée des enfants de Carmen. Elle avait épousé en première noce Alphonse de Bourbon, duc de Cadix, cousin du roi d'Espagne Juan Carlos et aîné des Bourbons.

Leur fils Louis de Bourbon est aujourd'hui le prétendant légitimiste à la couronne de France. Il est à la fois l'arrière-petit-fils de Franco et l'arrière-petit-fils du roi d'Espagne Alphonse XIII.



Le prince Louis de Bourbon en compagnie de son épouse la princesse Marie Marguerite
et de leurs enfants la princesse Eugénie, le prince Louis et le prince Alphonse…

De jure, Louis XX, roi de France.
Arrière-petit-fils du Generalísimo Francisco Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios 
et arrière-petit-fils du roi d'Espagne Alphonse XIII…



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Le hasard a voulu que je relise à la veille de ce 20 novembre 2023 des éléments biographiques de deux immenses soldats : celle du Maréchal de France Alphonse Juin (élu à l’Académie française le 20 ovembre 1952) ainsi que celle du général Franco (décédé à Madrid le 20 novembre 1975).

Jamais je n’avais encore réalisé combien leur contemporain le politicien DeGaulle le dispute tout autant au dérisoire qu’à la grandiloquence du ridicule… certes trouvant encore grâce auprès de quelques vieux fidèles psittacidés au plumage flétri, d'homologues politiciens modernes à droite ou à gauche mus par un ego incertain et une ambition verbeuse, sans oublier une chienlit immature murée dans l’infantilisme…