Qui ne risque rien n'est rien… sur le chemin de Damas, alors que les opinions ont cédé face aux faits…
on ne le dit assez : un âge n'en chasse pas un autre, tous les âges qu'on a vécu coexistent à l’intérieur de soi, ils s'empilent, et l'un prend le dessus au hasard des circonstances.

mercredi 14 juillet 2021

Pierre d'Angles : « Je ne fêterai pas votre révolution », janvier 1989


 

 
« On voit la paille dans l'œil de son voisin,
mais pas la poutre qui est dans le sien ».


« Je ne fêterai pas votre révolution »,
Pierre d'Angles,
janvier 1989
(partie 1/3)



Jeune historien, Amaury Guitard nous confie : « Je passe mes vacances en Vendée depuis que je suis petit. Au cours de ces années, j’ai pu constater qu’il existait deux versions de l’histoire sur ce qu’il s’est passé en Vendée durant la Révolution française »… Aussi Amaury Guitard nous propose de découvrir à l'appui d'un superbe texte en alexandrins de Pierre d'Angles l'authenticité des faits. Voici son analyse…


Grâce aux prisonniers !
Grâce aux prisonniers !

L'origine...

La révolution française, ce grand socle mythifié sur lequel repose toute l'histoire française moderne depuis plus de deux siècles, est la cible principale du poème de Pierre d'Angles :
« Je ne fêterai pas votre révolution »
Dès le titre (qui constitue aussi le premier vers du poème), le poète est catégorique, et le lecteur sait déjà à quoi s'en tenir. À travers ce texte composé au tout début de l'année 1989 (année du bicentenaire), Pierre d'Angles exprime clairement sa volonté de ne pas se joindre, ni de cautionner les commémorations révolutionnaires à venir, qu'il présente comme une grande supercherie historique, et se revendique solidaire au regard des victimes.
Véritable prouesse poétique et littéraire qui prend des airs de plaidoyer en défense d'une mémoire plus juste et surtout moins sélective, ce poème de 21 quatrains se propose de revenir, avec force détails, sur certains faits marquants, trop souvent occultés par l'historiographie républicaine…

Je ne fêterai pas votre révolution.
On ne célèbre pas le vol, le viol, le crime.
Mais je prendrai le deuil de vos pauvres victimes.
Elles seules ont droit à ma vénération.

Je ne fêterai pas l’espérance trahie
Du peuple demandant l’arbitrage royal
Jusqu’alors rendu juste, équitable et loyal
Mais au nom d’une foi par votre orgueil haïe.

Je ne célèbrerai pas votre intolérance.
Ni vos sacrilèges, ni vos profanations.
Ni les grands mots ronflants de vos proclamations
Prônant la liberté dont vous priviez la France.

Je ne fêterai pas l’infâme Cordelier
Faisant assassiner, par sa triste colonne,
En l’Eglise du Luc, près de six cents personnes
Dont cent cinquante enfants réunis pour prier.

On ne pardonne pas les Oradours-sur-Glane
Et vous seriez fondés d’en tarer les nationaux-socialistes
Si vous n’aviez, chez nous, fait pire aussi
Vous êtes précurseurs, Messieurs, et non profanes.

Quand vous jetiez aux fours, par vous chauffés à blanc,
Les mères, les enfants, les vieillards, les mystiques,
Vous disiez faire le pain de la République…
Mais Amey, mieux qu’Hitler, les y jetait vivants !

Car c’est bien cet Amey, de sinistre mémoire,
L’un de vos généraux prétendu glorieux,
Qui fut l’instigateur de ce supplice odieux…
Vous avez, aussi vous, eu vos fours crématoires.

Et Turreau trouvait tant de plaisir à ces jeux
Qu’il faisait ajouter, quand manquaient les dévotes,
Et malgré tous leurs cris, les femmes patriotes…
Votre fraternité les unissait au feu.

Décryptons ensemble les huit premières strophes de ce poème...

Une prouesse littéraire et poétique

Exclusivement sous forme de quatrains (strophe de base de la poésie française), ce poème est majoritairement composé en alexandrins, vers de douze pieds traditionnellement réservé aux sujets graves et solennels.

Les très nombreuses rimes de ce poème ne sont jamais anodines, et ce n'est pas un hasard si Pierre d'Angles réussit à faire rimer « crime » avec « victimes », « arbitrage royal » et « équitable et loyal » (exprimant ainsi la nostalgie d'une époque à laquelle la révolution a subitement mis fin), « profanations » et « proclamations », et les non-moins symboliques « dévotes » / « patriotes », soulignant par là que les populations, qu'elles fussent Blanches ou Bleues, étaient massacrées sans distinction, pourvu que cela divertisse leurs bourreaux (« plaisir », « jeux »).

Et des bourreaux, il en est bel et bien question dans ces quelques strophes, qu'ils soient anonymes (« vos », « messieurs »), ou clairement identifiés : Cordelier, tout d'abord, jugé « infâme », puis c'est au tour des généraux « prétendu(s) glorieux » Amey et Turreau d'être évoqués ensemble successivement dans les deux dernières strophes.

Turreau et Amey, deux généraux présentés comme instigateurs des même barbaries ; deux généraux dont les patronymes se trouvent justement inscrits dans la pierre des voûtes de l'Arc de Triomphe… Coïncidence, ou volonté délibérée du poète de dénoncer les panthéons artificiels fabriqués par une histoire républicaine amnésique ? On peut légitimement se poser la question.
De quelle mémoire parle t-on ?, est-ce cela que vous voulez fêter ?, semble nous souffler le poète.

L'histoire mise en forme

En parfait connaisseur de ce qui s'est passé en Vendée, Pierre d'Angles ne manque pas d'adresser une petite piqûre de rappel au sujet de toutes les exactions commises par ces généraux, devenus tristement célèbres :

Cordelier et sa « triste colonne » sont bien évidemment associés au sanglant massacre des Lucs-sur-Boulogne (28 février 1794), et l'extrême barbarie dont ils firent preuve ce jour-là (« assassiner ») contraste avec l'innocence et l'inoffensivité de leurs victimes, (« six-cents personnes dont cent-cinquante enfants »), massacrées en haine de la foi : « réunis pour prier ».



Vitrail de l'église des Lucs
Vitrail de l'église des Lucs


Par-delà cette cruauté, Pierre d'Angles n'hésite pas à tisser un lien très clair entre ces mises à mort et celles qui eurent lieu en juin 1944, dans l'église du village d'Oradour-sur-Glane, par les Panzergrenadier de la Waffen-SS. La filiation entre ces deux actes apparaît toute tracée.
Vu sous cet angle, le reproche à peine déguisé que le poète adresse aux défenseurs de la révolution : « Vous seriez fondés d'en tarer les nazis si vous n'aviez, chez nous, fait pire aussi » trouve-là un écho historique, et le verdict : « Vous êtes précurseurs, Messieurs, et non profanes » tombe comme un couperet (pardonnez-moi l'expression…).



* En janvier 1794, l'officier de police Gannet témoigne de ce qu'il a vu :
« Amey fait allumer des fours et lorsqu'ils sont bien chauffés, il y jette les femmes et les enfants. Nous lui avons fait des représentations ; il nous a répondu que c'était ainsi que la République voulait faire cuire son pain ».
Ces crémations, Pierre d'Angles les reprend dans son poème quand il évoque et accuse « Les fours, par vous, chauffés à blanc ». Normalement connu pour être l'œuvre des tortionnaires nazis lors de la seconde guerre mondiale, ce procédé n'aurait donc rien de nouveau puisqu'en Vendée, la folie révolutionnaire n'a donc pas hésité, pour « faire le pain de la République », à inaugurer ce « supplice odieux », qui sera malheureusement repris cent-cinquante années plus tard… Pour le poète, sur l'échelle de l'horreur, la cruauté d'Amey surpasserait même celle d'Hitler, puisque les victimes étaient alors incinérées vivantes, unies dans les flammes par « Votre fraternité », un de « ces mots ronflants » nés de la révolution.
Par-delà cette mention des fours crématoires, l'historien avertit peut aussi y voir une subtile allusion à un autre procédé lui aussi mis en œuvre contre les « brigands » vendéens : la fonte de graisse humaine, que l'on envoyait ensuite aux hôpitaux de la région.

Entre histoire et poésie

À la croisée des chemins entre histoire et poésie, ce poème pointe du doigt "la face cachée" de la révolution, et toutes les horreurs que celle-ci a engendrées. La longue liste de faits historiques évoqués par Pierre d'Angles apparaît alors, sous un jour poétique, comme autant de justifications qu'il apporte à son « Je ne fêterai pas votre révolution » initial, qui sonne comme un refrain tout au long de ces huit premières strophes.




 

Amaury Guitard nous propose de nous intéresser à présent aux huit prochaines strophes, qui constituent la partie centrale du poème de Pierre d'Angles.


Taillé pour toujours dans la pierre…
Taillé pour toujours dans la pierre…


Je ne fêterai pas vos tanneries humaines
Dont votre chirurgien, Pecquel, fut l’écorcheur,
Ni son ami Langlois, de Meudon, le tanneur…
Ni votre grand Saint-Just disant qu’en ce domaine

Peau d’homme vaut bien mieux que celle du chamois
Que celle de la femme plus souple et plus fine…
Vous étiez sans culottes, alors ça se devine
Vous vous en fîtes faire en peau de villageois.

Quand vous abominez les gardiens sataniques
De l’affreux Buchenvald écorchant de leur peau
Nos morts, les laissant nus en leurs chairs en lambeaux
Avez-vous des remords ou restez-vous cyniques ?

Je ne fêterai pas les enterrés vivants
Dans les puits de Clisson et ceux de mon bocage
Ni du fameux Carrier les célèbres mariages
Voulus républicains mais surtout révoltants.

Attachant l’un à l’autre, une fille et son père,
Une mère et son fils, un prêtre et une sœur,
Et nus, bien entendu, pour que leurs massacreurs
Aient, humiliant leur mort, à rire et se distraire.

Quand, en les entassant dans barques à sabords
On les faisait sombrer dans les eaux de la Loire.
Et le fleuve royal garde encore leur mémoire,
Il apparaît plus triste à l’approche du port.

Je ne fêterai pas, non plus, la guillotine,
Ce symbole attitré de la révolution.
Ce moyen fraternel d’abreuver nos sillons,
Comme vous le chantez d’un sang que moi j’estime.

Je ne chanterai pas votre révolution.
Elle a fait trop coulé de sang, de pleurs, de larmes.
De notre vieux royaume elle a rompu le charme
Et fait perdre, au pays, sa noble vocation

La guerre de Vendée en poésie : « Je ne fêterai pas votre révolution », Pierre d'Angles, Janvier 1989 (partie 2/3)


Tout au long de cette seconde partie, le poète s'adresse aux farouches défenseurs de la révolution en leur exposant toute une série de crimes, tous plus innommables les uns que les autres, qui font que Pierre d'Angles ne peut se reconnaître ni même cautionner de telles cérémonies commémoratives…

Les tanneries de peaux humaines

Dès la première strophe, Pierre d'Angles introduit une pléiade de noms de bourreaux qui s'illustrèrent naguère en Vendée par les actes particulièrement odieux qu'ils commirent. Et afin de donner encore plus d'impact à ses accusations, le poète accole un attribut spécifique à chaque patronyme : Pecquel, chirurgien de métier, est « écorcheur » ; de même que Langlois est « tanneur »… L'un commence le travail, l'autre le termine.
L'ajout du possessif « votre » (« votre chirurgien », « votre grand Saint-Just ») est pour le poète une façon très habile de se désolidariser et de dénoncer ces pratiques barbares qui vont même jusqu'à remettre en question toute la dignité des victimes.

Bien que l'historiographie républicaine du XIXe siècle (période charnière pour la construction de l'histoire nationale officielle) ait bien bien souvent présenté ces tanneries comme des actes ponctuels, isolés, voire inventés de toute pièce, les archives, de leur côté, sont sans équivoque. J'en veux pour preuve ce document retrouvé aux Archives Départementales du Maine et Loire (1L127/3), qui nous livre la déposition d'un témoin de l'époque qui, le 19 Brumaire an II (novembre 1793), raconte :

« Dans le nombre, il y en a eu une trentaine [de victimes] que le nommé Pecquel, officier de santé, a fait écorcher. Il a ensuite envoyé les peaux chez des tanneurs des Ponts-Libres, qui refusèrent de les travailler. Un seul, nommé Langlois, a laissé travailler six peaux chez lui ».

Le fait que Pierre d'Angles ait eu ce témoignage à sa connaissance n'est que trop certain : l'évidente allusion qu'il fait dans son poème ne laisse guère de place au doute.
Pour étayer ses accusations (et toujours en se servant de l'alexandrin pour seule arme), il reproduit indirectement les propos du conventionnel Saint-Just qui, dans son rapport du 14 août 1793, explique :
« La peau qui provient d'hommes est d'une consistance et d'une bonté supérieure à celle du chamois. Celle des sujets féminins est plus souple, mais elle présente moins de solidité ».

Ces propos pourraient paraître surréalistes, mais ils sont pourtant historiquement attestés. Le lecteur attentif remarquera au passage le jeu de mots autour du terme de « sans-culottes », afin de tourner en dérision ceux qui chercheraient de vaines justifications à ces actes impardonnables.
Encore une fois, Pierre d'Angles établit un parallèle historique entre ces faits et les exactions nazies qui furent commises de manière à peu près similaire lors de la Seconde Guerre mondiale, dans le camp de concentration de Buchenwald, près de Weimar. Là encore, ces pratiques, plus récentes, sont attestées par de nombreux témoins qui passèrent aux aveux par la suite : il suffit de lire cet extrait des actes du procès de Nuremberg pour s'en convaincre :

« - [À Buchenwald], on a donc écorché des gens ?
On leur enlevait la peau, répond un témoin rescapé du camp, puis on la tannait.
Pourriez-vous donner des informations plus précises ?
J'ai vu des S.S sortir du Bloc 2, des peaux tannées sous le bras. Des camarades travaillant dans ce bloc m'ont dit qu'on y recevait des commandes de peaux et que l'on donnait des peaux tannées à des gardes et à des visiteurs.
 »
 
À la lueur de cet extrait, l'expression « gardiens sataniques de l'affreux Buchenwald » prend tout son sens. Et face aux drames humains que ces barbaries ont engendrées (et ce à quelque époque que ce fût), l'auteur se permet d'adresser une remontrance, en signe de bravade : « Avez-vous des remords ou restez-vous cyniques ? ».
Avec cette interrogation purement rhétorique, Pierre d'Angles fait coup double, reprenant à son compte le célèbre proverbe : « On voit la paille dans l'œil de son voisin, mais pas la poutre qui est dans le sien ».
Sans doute une manière de dire que au sujet de la Vendée de Robespierre ou bien à propos des camps d'Hitler, le temps passe mais le souvenir reste. Malgré tout.

Les « mariages républicains »
En guise de transition entre les tanneries et les mariages républicains, le poète n'omet pas de signaler brièvement (deux vers) les « enterrés vivants », dans les puits de Clisson notamment, puisque ceux-ci sont devenus tristement célèbres lors de la guerre de Vendée.

Lorsqu'il s'apprête ensuite à parler du « fameux Carrier » et de ses sinistres mises à mort, Pierre d'Angles oppose les adjectifs « républicains » et « révoltants »… Histoire de montrer que derrière une notion en apparence anodine peut se cacher une bien cruelle réalité.
Au cas où le lecteur ne serait pas au courant, le poète prend le temps de détailler ce en quoi consiste ces « célèbres mariages ».
Loin d'être inutiles, ces quelques précisions ont la double fonction de rafraîchir encore une fois la mémoire de ces ardents révolutionnaires qui au moment de l'écriture (1989), se revendiquent dignes héritiers de 1789, et qui s'apprêtent à célébrer cela comme il se doit, avec faste et louanges.

Les bourreaux, les organisateurs de ces mariages sont présentés de manière chaque fois plus cruelle : en effet, ils ne se contentent pas de donner la mort, mais, comble de l'indécence, il faut qu'ils « aient […] à rire et se distraire » en « humiliant leur victimes ». Si les tanneries précédemment évoquées étaient une barbarie "post-mortem", les présents mariages relèvent ici d'une cruauté qui intervient avant même l'exécution des victimes. L'horreur est totale. L'effroi, complet.
Car une fois attachées, celles-ci étaient chargées dans des « barques à sabords » [on remarquera au passage l'usage du verbe « entasser », pour souligner toute la déshumanisation qu'exercèrent les révolutionnaires à l'égard de leurs victimes], puis noyées « dans les eaux de la Loire », alors appelée « torrent révolutionnaire » ou « baignoire nationale » par Carrier et ses acolytes.
Destin tragique de ces victimes qui furent noyées par centaines au nom de cette révolution beaucoup trop extrémiste et qui ne rencontre aucune entrave sur sa route. Les eaux ligériennes furent donc leur linceul, et grâce à Pierre d'Angles, la mort et la tragédie sont ici poétisées, ce qui renforce considérablement l'impact et l'émotion véhiculés par ces explications sur le lecteur.

L'expression « le fleuve royal » est bien évidemment un clin d'œil au grand héritage qui, historiquement, unit la Loire aux différents monarques de « notre vieux royaume » (châteaux, demeures royales et enjeux stratégiques du fleuve et de ses abords…).
 
Les mariages républicains : un homme, une femme, attachés dos à dos (et de préférence nus)…
Les mariages républicains : un homme, une femme, attachés dos à dos (et de préférence nus)…


La guillotine et la Marseillaise, emblèmes de la Révolution..

Dans les deux dernières strophes, Pierre d'Angles s'attarde sur la machine à Guillotin, du nom de son inventeur, et qui est selon lui devenue un « symbole attitré de la révolution ». Mais ce terrible instrument est, dans le poème, accompagné d'un autre emblème révolutionnaire qui est lui aussi un pur produit de cette trouble période : La Marseillaise, devenue notre hymne national, et dont le seul refrain : « Marchons, marchons, qu'un sang impur abreuve nos sillons » est loin d'être un appel à devenir philanthrope…
Pour le poète, la guillotine est un bon complément à la Marseillaise puisqu'en plus d'être un symbole, elle doit être avant tout considérée comme « un moyen fraternel d'abreuver nos sillons ». Tout est dit. C'est clair comme de l'eau de roche.
La volonté de Pierre d'Angles de s'inscrire en opposition à cela se reflète dans l'alternance et le contraste des pronoms personnels « vous » / « moi », revendiquant clairement que, lui, estime beaucoup le sang français que d'autres se complaisent à faire couler.

Enfin, la dernière strophe de cette seconde partie prend des allures de bilan, comme un récapitulatif de tout ce que la Révolution a laissé derrière elle : « sang », « pleurs », « larmes »... Rien de positif.
Et pour le poète, c'est même pire que ça puisqu'en voulant bâtir le nouveau monde qu'elle promettait à tous les citoyens, la révolution a détruit complètement l'ancien, c'est-à-dire le « vieux royaume » de France, qui donnait au pays tout son charme, et qui lui a depuis lors fait perdre sa « noble vocation ». Un nouveau monde qui a vu le jour dans la douleur. La montagne a accouché d'une souris.

Conclusion

Dans cette seconde partie, par-delà la folie révolutionnaire, c'est bel et bien l'horreur des massacres qui est mise en scène. Aucun détail n'est laissé au hasard par Pierre d'Angles, qui manie à merveille les alexandrins pour donner au poème toute sa force évocatrice.

Amaury Guitard





Pour clore cette étude sur la guerre de Vendée en poésie, voici le troisième et dernier volet sur le poème de Pierre d'Angles, « Je ne fêterai pas votre révolution ».
Amaury Guittard s'attarde sur les cinq dernières strophes du poème, qui nous conduiront progressivement vers une conclusion générale, véritable récapitulatif de tout ce que le poète a détaillé auparavant…


« Je ne fêterai pas votre révolution » ou La guerre de Vendée en poésie, Pierre d'Angles, Janvier 1989 (partie 3/3)


Vous avez tout brûlé, chez nous, châteaux, chaumières,

Étables et clochers. Vous traîniez les enfers

Pour faire du bocage un immense désert

Sans une âme qui vive et sans pierre sur pierre…

Vous n’aviez pas pensé que tout le sang versé

Au terroir de l’amour serait semence vive.

Il germe en attendant nos prochaines métives ;

Il fleurira, demain, épi de liberté.

La liberté de croire en un Dieu qui pardonne.

En un ordre qui met, au sommet, le devoir

Le courage et la foi. Qui veut que le pouvoir
Ne dépende jamais du nombre et de la somme…

Aujourd’hui nous pouvons vous juger à vos faits.

Votre révolution a incendié notre terre.

Elle a porté, partout, la misère et la guerre,

Quand le monde a jamais plus désiré la paix…

Je ne peux pas fêter votre révolution.

On ne célèbre pas le vol, le viol, le crime.

Je porterai le deuil de toutes ses victimes.

Elles seules ont droit à ma vénération


Un douloureux bilan...

 
« Je ne fêterai pas votre révolution » ou La guerre de Vendée en poésie, Pierre d'Angles, Janvier 1989 (partie 3/3)




Pierre d'Angles dresse tout d'abord une longue liste de tous les ravages que la Révolution a laissés derrière elle. Ses affirmations, qui prennent des allures de reproches et d'accusation, visent en fait à montrer que les dégâts (matériels [« pierre »] et humains [« âme »]) provoqués par les armées de la République en Vendée sont inoubliables et indélébiles, tellement ils ont marqué de manière profonde le conscient et l'inconscient populaires pendant plusieurs générations.
Avec cette liste qui n'en finit pas de s'allonger, l'énumération « vous avez tout brûlé, chez nous, châteaux, chaumières, étables et clochers » montre bien qu'il s'agit d'une destruction totale (« sans une âme qui vive et sans pierre sur pierre »), menée au nom de cette Révolution que d'autres s'apprêtent, en 1989, à louer et à célébrer . Cette destruction concerne d'ailleurs la population dans son ensemble : nobles et aristocrates (« châteaux »), prêtres et paroissiens (« clochers »), paysans et gens du peuple (« étables », « chaumières »)...
Les armées républicaines sont ici assimilées à des légions sataniques (« vous trainiez les enfers »). Sans doute un clin d'œil aux terribles colonnes dites infernales du général Turreau, qui en Vendée, pratiquaient la politique de la terre brûlée. Le temps a passé, mais pour le poète, le souvenir reste néanmoins très vivace, et si certains feignent d'être amnésiques (ou ne veulent pas, tout simplement, reconnaître cette froide réalité), d'autres, comme Pierre d'Angles, se souviennent et accusent.
Cette perrénité du souvenir se reflète d'ailleurs dans la présence du champ lexical de la fécondité, de la fertilité et de la récolte : « semance », « il germe », « métives », « fleurira », « épi ».
Les rimes des termes « sang versé », « vive », avec « liberté » et « métives », sont là encore loin d'être anodines. Le poète nous suggère par là que lors de sa Grand'guerre, la Vendée n'a pas souffert pour rien, et que le sang que ses fils ont versé pour elle, n'a pas été inutile : il a, par la suite, généré l'amour qui aujourd'hui, enveloppe le souvenir tragique de ces drames.
Parce que la Vendée est morte, la Vendée est née.

Une liberté revendiquée haut et fort

« Je ne fêterai pas votre révolution » ou La guerre de Vendée en poésie, Pierre d'Angles, Janvier 1989 (partie 3/3)



Comme un pied de nez à la sacro-sainte « Liberté » si chère aux révolutionnaires d'hier et d'aujourd'hui, le poète revendique, lui, sa propre liberté : la liberté de culte tout d'abord, c'est à dire, pouvoir « croire en un dieu qui pardonne ». L'historien avertit peut voir à travers ces mots une subtile allusion au Pardon des Vendéens, connu aussi sous le nom Pardon de Bonchamps. Le Pardon, une des valeurs fondatrices du christianisme.
L'évocation de cet « ordre » que certains se sont acharnés à détruire permet à Pierre d'Angles de replacer « le devoir, le courage et la foi » comme valeurs suprêmes. Des valeurs fermes et sûres, qui font que le pouvoir n'obéisse plus à l'arbitraire « du nombre et de la somme ».

Le terme « Aujourd'hui » actualise les propos du poète dans un contexte précis et clairement identifiable : 1989, année du bicentenaire.
La sentence « Votre révolution a incendié notre terre » est un coup porté à cet événement mythifié, glorifié, au point de devenir deux-cents ans plus tard le socle de toute l'histoire française moderne. Le bilan de cette révolution ne peut qu'être négatif puisqu' « elle a porté, partout, la misère et la guerre », à une époque où « le monde a jamais plus désiré la paix »… Pierre d'Angles souligne ici l'un des grands paradoxes de notre révolution. À cette remarque, on ne peut s'empêcher de repenser aux propos d'Alexandre Soljenitsyne qui, le 25 septembre 1993, au moment de l'inauguration du Mémorial de la Vendée, faisait remarquer :

« Le mot révolution lui-même, du latin revolvere, signifie rouler en arrière, revenir, éprouver à nouveau, rallumer. Dans le meilleur des cas, mettre sens dessus dessous. Bref, une kyrielle de significations peu enviables. De nos jours, si de par le monde on accole au mot révolution l'épithète de «grande», on ne le fait plus qu'avec circonspection et, bien souvent, avec beaucoup d'amertume ».

C'est pourquoi, au moment de l'écriture, Pierre d'Angles ne peut se joindre ni se reconnaître dans de telles célébrations commémoratives.
Le verbe « pouvoir », placé ici dans sa forme négative : « Je ne peux », révèle justement cette incapacité du poète. Comme des justifications apportées, celui-ci remarque : « On ne célèbre pas le vol, le viol, le crime ». Et comment pourrait-on le faire ?, semble t-il nous murmurer.
Une fois encore, il s'inscrit en totale opposition à tout cela, et se réclame solidaire des victimes dont il endosse le deuil, plein de respect et d'humilité, car finalement, « elles seules ont droit à [sa] vénération ».

Conclusion

« Je ne fêterai pas votre révolution » ou La guerre de Vendée en poésie, Pierre d'Angles, Janvier 1989 (partie 3/3)

 
Véritable prouesse littéraire, majoritairement composée en alexandrins, ce poème de Pierre d'Angles est parfaitement abouti, tant dans sa forme et que dans son contenu. Mêlant deux registres (l'histoire au service de la poésie) qui n'ont d'ordinaire pas l'habitude de se rencontrer, ce poème est emprunt d'une musicalité particulière : les très nombreux « Je ne fêterai pas votre révolution » sonnent comme un refrain, alors que les différentes strophes de cette ode à l'histoire de la guerre de Vendée peuvent être vues comme autant de couplets complémentaires.
Composé en 1989, ce poème s'avère être singulièrement moderne et atemporel, il aura retrouvé toute sa pertinence à l'occasion du 220è anniversaire de l'insurrection vendéenne en 2013. Mais ça, c'est une autre histoire…
Amaury Guitard
Amaury Guitard à La Durbelière
Amaury Guitard à La Durbelière

Sources : Vendée Chouannerie - L'Histoire à la Une

« Je ne fêterai pas votre révolution », Pierre d'Angles, janvier 1989 (partie 1/3)

La guerre de Vendée en poésie : « Je ne fêterai pas votre révolution », Pierre d'Angles, janvier 1989 (partie 2/3)

« Je ne fêterai pas votre révolution » ou La guerre de Vendée en poésie, Pierre d'Angles, Janvier 1989 (partie 3/3)

Y'a une route !… Thibault Devienne de retour de Corée du Nord…









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