La particularité historique du français est d’avoir été développé, et codifié, par des institutions d’intellectuels indépendants. La Pléiade d’abord. Ensuite, l’Académie française depuis 1635. Applicable dès la rentrée prochaine, la réforme de l’orthographe a été votée il y a 26 ans par cette même Académie française. La réforme modifiera l’orthographe de 2400 mots et ne fera malheureusement qu’appauvrir un peu plus notre langue. Les manuels de français porteront même un macaron indiquant que leur orthographe est à jour…
Je suis assez circonflexe quant à l’utilité de cette réforme, pardon circonspect. J’irais même jusqu’à dire que cette réforme va dénaturer profondément notre langue. À partir du mois de septembre prochain, écrire « nénufar » ne sera plus considéré comme une faute d’orthographe, l’« ognon » sera privé de son « i » et les accents circonflexes sur les u et les i seront voués à l’oubli. Nous avons évité le pire, le mot « jeûne » n’est pas concerné par la réforme pour l’instant. Cela aurait pourtant pu donner lieu à des écrits cocasses comme : « Je suis en train de me faire un petit jeune pour retrouver la forme ».
L’accent circonflexe d’un mot est ce que la moustache est à l’homme. Une particularité irritante pour certains mais charmante pour d’autres. Abîme, aîné, chaîne, chaînon, cloître, dîme, dîner, flûte, fraîche, gîte, huître, maîtrise, piqûre, traîne et voûte s’écriront prochainement sans accent circonflexe. Le français prend le chemin de l’anglais. La langue se simplifie, s’abandonne à l’air du temps, s’abîme dans un abîme que l’on nomme parfois déclin. Les préfixes et suffixes en « ph » nous rappelaient nos racines grecques, l’accent circonflexe nous rappelait nos racines latines. En s’attaquant à l’orthographe, les obsédés de la réforme s’attaquent à notre identité, à notre héritage commun. Qui se souviendra demain que Philippe vient du latin Philippus, lui-même issu du grec ancien Phílippos qui se traduit en français par « celui qui aime les chevaux » ?
Maîtriser l’orthographe de notre langue est un exercice qui nécessite de la patience et du travail. L’apprentissage de la langue dure toute une vie. Une vie passée à lire et à écrire sans relâche. La connaissance de la langue nous permet d’appréhender le monde car le langage est le véhicule des idées qui ont traversé l’histoire pour parvenir jusqu’à nous. Une chauve-souris prend un trait d’union parce que les chiroptères ont d’abord été pris à tort pour des rongeurs. On écrira désormais « chauvesouris » comme si le mot était entier alors qu’il est composé de deux mots. Idem pour le « millepatte », le « tirebouchon » ou le « portemonnaie ». Supprimera-t-on demain l’usage du subjonctif, trop complexe pour les « jeunes » ?
S’engager pour la langue française n’est pas un combat d’arrière garde. L’avenir se conjugue au présent et prend racine dans le passé. « Apprendre plusieurs langues, c’est l’affaire de peu d’années ; être éloquent dans la sienne, c’est l’affaire de toute la vie. » disait Voltaire. Il semble que plus personne n’ait le courage de passer sa vie à améliorer sa maîtrise de la langue. Il faut donc la détruire méthodiquement jusqu’à n’en laisser la maîtrise qu’aux castes les plus cultivés. Les sans-grades, les modestes et les moins chanceux devront-ils se contenter d’une langue phonétique ? C’est là tout un pan de l’inconscient collectif qui leur sera arraché. Notre langue n’est pas qu’un outil, elle est une somme de sensations.
Académiciens, ressaisissez-vous. Vous, gardiens du français, amoureux des belles lettres, ne pouvez rester insensibles à ce massacre. Il y a peu, Alain Finkielkraut publiait « L’identité malheureuse », comment pourrait-il se réjouir de cet oubli de notre identité culturelle nationale ?
Gabriel Robin
Source : Tribune libre pour le Collectif Culture Libertés et Créations
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