Transcription :
[Les interventions de Norman Finkelstein sont retranscrites intégralement. Les autres sont résumées]
Peter Lavelle : Norman, pour revenir à notre question, quel est le vrai visage de l'électorat israélien
selon vous ? Pourquoi ont-ils voté pour Benjamin Netanyahou alors que lessondages le disaient perdant auparavant ?
Norman Finkelstein : Eh bien, toutes les analyses montrent que durant les derniers jours, Benjamin
Netanyahu a fait campagne sur deux points particuliers : le premier point était
« Non à un État Palestinien », et le deuxième est l'alarmisme raciste dans
lequel il s'était engagé en disant à l'électorat juif israélien que les Arabes
votaient en masse, et qu'il fallait une mobilisation pour stopper ce
raz-de-marée arabe aux bureaux de vote et c'est cela qui a fait basculer les 4
ou 5% de voix en faveur de Netanyahu. Maintenant, je suis d'accord avec M. [Gil] Hoffmann [contradicteur de M. Finkelstein, journaliste au Jerusalem
Post] pour dire qu'il se passe des choses insensées dans la région, c'est
une évidence : vous avez les fous furieux de Daech (État Islamique) en
Syrie et ailleurs, vous avez les fous furieux saoudiens, et bien sûr, vous avez
aussi les fous furieux israéliens.
Je ne vais pas me mettre à chanter des hymnes patriotiques à la gloire des États-Unis : nous avons très clairement aussi des problèmes de racisme, nous
avons une police raciste, nous avons un système judiciaire raciste, mais la
réalité est que durant les deux dernières élections, le peuple américain a élu
à deux reprises un Noir à la Présidence, un Afro-Américain. Mais en ce qui
concerne Israël, ils viennent d'élire rien moins que le Grand Dragon du Ku Klux Klan à la Présidence. Il y a beaucoup de choses démentes qui se passent en
Israël, et ces élections ont montré le véritable visage d'Israël, le vrai
visage de l'électorat israélien.
[Gil Hoffmann soutient que Netanyahu est en faveur d'un État
Palestinien, mais pas tout de suite, à cause du danger Daech ; que Netanyahu
n'est pas anti-Arabes Palestiniens mais anti-ingérence étrangère arabe].
Peter Lavelle : Norman, en
parlant d'influence étrangère, si je peux revenir à vous, que faisait Netanyahu
à Washington ? Ça, c'est une influence étrangère intéressante sur la politique
américaine ! Allez-y on vous écoute !
Norman Finkelstein : En fait, Gil nous donne un bon aperçu de la mentalité israélienne. Il
nous dit que le monde entier, qu'absolument TOUS les dirigeants du monde qui
ont affirmé que Netanyahu s'est opposé à un État Palestinien, ils se trompent
tous ! Ils sont tous victimes d'illusions, ils sont tous en plein délire ! Le
New York Times a tout faux, tous les dirigeants mondiaux ont tout faux, car en
réalité, Benjamin Netanyahu a soutenu la solution avec deux États ! Telle est
la mentalité israélienne ! Elle n'a rien à voir avec le monde réel.
Il
est manifeste que Benjamin Netanyahu n'a jamais soutenu une solution à deux États, et il s'est maintenant ouvertement déclaré contre. Et l'électorat
israélien – car il ne s'agit pas seulement de M. Netanyahu mais également de
tous les partis à sa droite qui s'opposent à une solution à deux États, et qui
représentent la majorité d'Israël.
Cela
fait des années et des années qu'on nous répète que les Israéliens supportent
une solution à deux États, mais si vous regardez les sondages d'opinion, 75%
des Israéliens sont en faveur de l'annexion des principaux blocs de colonies, 75%
des Israéliens sont en faveur de la conservation de la vallée du Jourdain par
Israël, 75% des Israéliens sont en faveur de la conservation de l'ensemble de
Jérusalem pour Israël… Ce n'est pas ça, la solution à deux États. C'est un État « plus territoires complémentaires » pour Israël, et une décharge pour les
Palestiniens. Tel est l'électorat israélien. Telle est la réalité.
Si
vous voulez comprendre Israël, en tant qu'Américain, tout ce que vous avez à
faire, c'est considérer la situation du Sud des États-Unis avant le mouvement
(noir) des Droits Civiques. La même cruauté, le même racisme implacable, le
même sentiment de supériorité. Mais en ce qui concerne les Israéliens, ce n'est
pas seulement une supériorité envers les Arabes, il y a cette sorte de suprématisme
juif, de supériorité juive envers tout le monde. C'est pour cela que lorsque M. Netanyahu est venu au Congrès, les premiers membres du Congrès qui se sont
retirés sont les membres de la coalition des Noirs, car ils ont immédiatement
compris qu'il ne s'agissait pas seulement d'un suprématiste juif, mais bel et
bien d'un sale raciste vicieux qui insultait le Président des États-Unis car
c'est un Afro-Américain.
Tout
le monde sait bien...
Gil Hoffmann : Est-ce que vous plaisantez ?…
Norman Finkelstein : …que si c'est George Bush qui avait été au pouvoir et non Barack Obama, M. Netanyahu n'aurait jamais osé une telle provocation. Il l'a fait car en plus
d'être un suprématiste juif, c'est un raciste.
Peter Lavelle : Ok Norman, je
veux vous accorder un temps égal, si vous voulez répondre Gil, allez-y, c'est
le but de cette émission.
[Gil prétend que Finkelstein n'a pas dit un mot de vérité, qu'il
n'y a pas de racisme en Israël mais aux Etats-Unis. Il refuse de s'exprimer sur
les colonies pour Juifs exclusivement et dénonce la menace nucléaire iranienne.
Il affirme que la grande majorité des
députés Juifs sont pour un Etat Palestinien.]
Peter Lavelle : Ok Norman,
voulez-vous réagir brièvement avant la pause ?
Norman Finkelstein : Eh
bien, nous avons là un autre exemple du degré de connexion d'Israël avec la
réalité, à quel point ce degré est faible. Il nous dit maintenant, après que
Netanyahu ait explicitement déclaré sur une tribune « Non à un Etat Palestinien » et qu'il ait remporté ce qu'on caractérise maintenant comme une victoire
écrasante en Israël, nous avons maintenant M. Gil Hoffmann qui vient dans votre
émission et nous déclare que l'opposition à un État Palestinien est inexistante
en Israël. C'est ce qu'il vous dit. L'opposition à un État Palestinien…
Gil
Hoffmann : Ce n'est pas ce que j'ai dit.
[Interrogé sur les colonies, Hoffmann répond que le danger de l’État
Islamique s’oppose à un État Palestinien maintenant mais que Netanyanhu y est
favorable, et que ce sont les Palestiniens qui ont élu le Hamas terroriste qui
rejette toute négociation avec Israël.]
Norman Finkelstein : Gil,
vous êtes vraiment en train de vous ridiculiser. Vous n'êtes pas en Israël.
Vous êtes sur une émission qui est diffusée dans le monde entier. Comment
pouvez-vous dire les choses que vous osez prononcer sur cette émission ? Les
Palestiniens ne veulent pas négocier ? Ce sont les Palestiniens qui sont un
obstacle ?
Vous
savez très bien que votre Premier Ministre a dit « Non à un État Palestinien ».
Vous savez très bien que l'électorat israélien, pour recourir au langage
employé actuellement en Israël, a massivement voté pour ce Premier Ministre. Vous
savez très bien que l'Autorité Palestinienne a essayé désespérément de parvenir
à une résolution du conflit avec deux États depuis maintenant 30 ou 40 ans
environ, et avant l'Autorité Palestinienne, c'était l'Organisation pour la
Libération de la Palestine : déjà aussi loin qu'en 1976, 1978, les Palestiniens
essayaient de négocier une telle résolution du conflit.
Vous
savez très bien que c'est Israël qui constitue un obstacle, et pas parce
qu'Israël est maléfique. C'est un fait très basique : Israël a une politique
d'Occupation qui ne lui coûte rien. Les Européens paient les factures en
Cisjordanie, et l'Autorité Palestinienne fait le sale boulot : ils emprisonnent
et torturent les Palestiniens – c'est ce qu'Israël appelle la coopération
sécuritaire –, et les États-Unis protègent Israël sur le plan diplomatique à l'ONU
et dans d'autres institutions internationales. Par conséquent, pourquoi les
Israéliens devraient-ils se retirer (des territoires occupés) ? Ils ont le
beurre et l'argent du beurre : ils peuvent construire leurs communautés
luxueuses sur les territoires palestiniens, voler les ressources aquatiques et
la majorité des terres arables palestiniennes, ils peuvent se relocaliser dans
les territoires palestiniens avec des subventions du gouvernement, et ils ne
perdent absolument rien. C'est une Occupation qui ne coûte rien, et c'est
probablement la première Occupation gratuite dans l'histoire de l'humanité. Par
conséquent, pourquoi les Israéliens devraient-ils se retirer ?
Il
n'y a qu'une manière de parvenir à une solution à deux États : c'est de faire
en sorte qu'Israël paie le prix de son Occupation illégale, immorale et
inhumaine des territoires palestiniens qui dure maintenant depuis bientôt un
demi-siècle.
[Gil Hoffmann prétend que les Palestiniens ont refusé une offre de
paix juste d'Ehud Olmert en 2008.]
Norman Finkelstein : Le
problème avec M. Hoffmann est qu'il compte sur l'ignorance de vos auditeurs, mais
je suis désolé de vous dire, M. Hoffmann, que je connais parfaitement le détail
des faits (historiques), et je vais les rappeler.
Premièrement,
[Olmert] n'a pas offert 100% de la Cisjordanie : il voulait garder pour Israël
ce qui est maintenant désigné comme 8 7% de la Cisjordanie, mais qui constitue
en réalité les principaux blocs de colonies [Hoffmann : « J'ai dit ‘avec
des échanges de territoires’ »], et qui inclurait les ressources aquatiques
vitales qui reviendraient à Israël, ainsi que la meilleure partie des terres
arables palestiniennes. Les Palestiniens auraient été coupés en deux au Nord et
également au Centre avec le bloc de colonies de Ma'ale Adumim s'étendant de
Jérusalem à Jéricho.
Vous
prétendez qu'il a proposé d'accueillir des milliers de réfugiés. Mais
considérons précisément ce qu'il a proposé : il a proposé d'accueillir 5 000
réfugiés, alors qu'il y a environ de 5 à 6 millions de réfugiés Palestiniens. Il
a proposé d'accueillir 5 000 réfugiés, 1 000 par an sur une durée de 5 ans au
titre de ce qui est appelé le « regroupement familial ».
Et
en réalité, cette proposition a été avancée à titre informel et Olmert était
déjà en train de quitter le pouvoir à cause de scandales de corruption. Il n'y
avait donc aucune possibilité pour que cette offre absolument insatisfaisante
et inacceptable [pour les Palestiniens] soit mise en œuvre.
Gil Hoffmann : Vous ne
serez satisfait que lorsque l'État juif aura complètement disparu. Je vous
connais, je connais votre passé…
Norman Finkelstein : M. Hoffmann, si vous me connaissez, puisque vous prétendez me connaitre, vous
savez que je suis très conservateur sur cette question : je suis en faveur de
l'application du droit international qui préconise deux États sur les
frontières de juin 1967 avec une solution juste de la question des réfugiés. C'est
ce que l'Assemblée Générale des Nations Unies, comprenant environ 165 pays
membres, soutient chaque année. C'est ce que la Cour Internationale de Justice
soutient. C'est ce que les principales organisations de Droits de l'Homme
soutiennent.
Gil Hoffmann : Si des
millions de réfugiés viennent de partout dans le monde, il n'y aura plus d'État
Juif.
[Interrogé sur une possible entente Obama-Netanyahu, Gil Hoffmann
répond que le peuple américain ainsi que les Démocrates et Républicains
soutiennent Israël, contrairement à Obama qui croit vainement pouvoir faire
pression sur Netanyahu. Mais dès qu'Obama sera parti, ça ira mieux.]
Peter Lavelle : Norman, que
répondez-vous à cela ? Est-ce que la relation US-Israël a vraiment des
conséquences pour les Palestiniens ?
Norman Finkelstein : Voilà encore un autre exemple de la mentalité israélienne. « M. Obama essaie de faire pression sur Netanyahu » [mots de Gil Hoffmann]. M. Obama, les 4 autres membres du Conseil de Sécurité permanent de l'ONU ainsi que
l'Allemagne essayent depuis longtemps de négocier un accord diplomatique avec
l'Iran. Il n'y a que deux pays au monde qui sont opposés à cet accord
pacifique, deux États déments qui rejettent la diplomatie et veulent entrer en
guerre…
Gil Hoffmann : Le Canada et
l'Australie ?
Norman Finkelstein : Ce sont les djihadistes wahhabis d'Arabie Saoudite, et les djihadistes
juifs d'Israël. Tels sont les deux seuls
extrêmes : l'Arabie Saoudite et Israël…
Gil Hoffmann : Et l'Égypte et
les pays du Golfe.
Norman Finkelstein : …veulent entrer en guerre, et le reste du monde veut un accord
diplomatique. Et ensuite, M. Netanyahu fait irruption au Congrès américain afin
d'humilier M. Obama.
M.
Hoffmann, encore une fois, je ne suis pas un nationaliste cocardier, mais vous
pensez vraiment que le peuple américain a besoin que Netanyahu vienne brandir
son illustration (issu des dessins animés) Looney Tunes à la Daffy Duck pour
nous expliquer la diplomatie avec l'Iran ? Excusez-moi, mais nous sommes assez
intelligents pour pouvoir comprendre ces questions…
Gil Hoffmann : J'ai les
sondages pour les États-Unis, 70% des Américains soutiennent les positions de
Netanyahu sur l'Iran, pas celles d'Obama.
Norman Finkelstein : ... sans les dessins Looney Tunes de M. Netanyahu.