Après les destructions systématiques des sites historiques de l’Irak et de la Syrie, le patrimoine culturel du Yémen est pris pour cible. À croire que les conflits armés au Moyen-Orient ne visent qu’un seul objectif : raser la mémoire plusieurs fois millénaire de cette partie du monde, pour ne garder qu’une terre témoin de sang et d’horreur.
Des dizaines de milliers d’œuvres dont certaines inscrites au patrimoine mondial de l’humanité ont été détruites, endommagées ou pillées… Un raid sur la vieille ville de Sanaa a détruit des bâtiments d’avant le XIe siècle.
« Les pillages et les destructions des sites archéologiques ont atteint une échelle sans précédent. » Selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies basé sur des images satellites, près de 300 sites du patrimoine culturel syrien ont été détruits, endommagés ou pillés. En Irak, la liste n’en finit pas de s’allonger : Mossoul, Assour, la cité antique de Hatra, les ruines de Nimrud (XIIIe siècle avant J.-C.), la citadelle de Tal Afar, ou encore Samarra, la capitale du califat abbasside, sont saccagées au marteau-piqueur ou à coups de bulldozers et d’explosifs. Et depuis des mois, l’héritage historique de l’Arabia Felix (Arabie heureuse, surnom qui n’est plus d’actualité, évidemment...) est ravagé par la violence du conflit armé opposant les Houthis à la coalition arabe menée par l’Arabie Saoudite.
Les informations reçues par l’Unesco à Beyrouth font état d’importants dommages affectant des zones inscrites au patrimoine mondial de l’humanité, notamment à Sanaa, Shibam, Saada et Zabid, ainsi que le site archéologique de la ville préislamique de Baraqish.
Un musée à ciel ouvert en péril
Considérée comme un des plus anciens joyaux du paysage urbain islamique, la vieille ville de la capitale Sanaa n’a pas été épargnée. Les raids aériens ont atteint de plein fouet le quartier al-Qassimi, dont les célèbres maisons-tours en pisé, richement festonnées de motifs géométriques en brique et en blanc de chaux, sont « un témoignage unique de l’architecture d’avant le XIe siècle ». Plusieurs de ces habitations se sont effondrées. De même, le secteur historique d’al-Owrdhi, abritant des hammams et des caravansérails, une centaine de minarets et de coupoles datant de l’ère ottomane, a subi « des dégâts irréparables ». L’organisation onusienne a inscrit la vieille ville de Sanaa sur la liste du patrimoine en péril.
La Manhattan du désert
La sonnette d’alarme a été tirée pour un autre site inscrit au patrimoine mondial depuis 1982 : la vieille ville fortifiée de Shibam, surnommée la « Manhattan du désert », en raison de ses impressionnants bâtiments en brique crue, élancés sur sept étages. Édifiée sur un éperon rocheux dans la vallée de Hadramaout, elle est restée identique depuis sa fondation au XVIe siècle. « D’une valeur universelle exceptionnelle », selon les termes de l’Unesco, elle offre « l’un des plus anciens et des meilleurs exemples d’un urbanisme rigoureux fondé sur le principe de la construction en hauteur ».
Le plus grand barrage de l’antiquité
Par ailleurs, les photos postées sur le web par les blogueurs et l’Institut allemand d’archéologie montrent le barrage de Marib, construit au VIIIe siècle avant J.-C., quasi pulvérisé par un bombardement. Ancienne capitale du royaume de Saba, Marib est un des sites antiques majeurs du Yémen et de la péninsule Arabique. Outre les monuments culturels, tels la colonie de Wadi Ghufaina et le temple Awam et sa nécropole, la cité renferme les vestiges du plus grand barrage de l’antiquité. Avec ses vannes monumentales en forme de tours de vingt mètres de haut sur cent de large, il est considéré comme l’une des merveilles de l’ingénierie.
Rien que de la poussière...
Scène de dévastation aussi à Dhamar, capitale d’un des gouvernorats au sud de Sanaa, où une explosion a causé la destruction du Musée national et réduit en poussière plus de 10 000 objets archéologiques de la civilisation himyarite. Des centaines de stèles, de brûle-encens et d’éléments d’architecture portant des inscriptions en sabatéen sont à jamais perdus. Ces pièces avaient été documentées et archivées par des spécialistes italiens de l’université de Pise.
De Zabid à Saada, les stigmates de la guerre
En bref, ce tableau désespérant donne la mesure de la menace qui plane sur un patrimoine qui a livré « un témoignage exceptionnel de la grandeur de la civilisation islamique » et qui est « dépositaire de l’identité, de l’histoire et de la mémoire de la population yéménite », a affirmé la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova. Mais les appels qu’elle a lancés à toutes les parties pour tenir cet héritage hors de portée des conflits sont restés lettre morte.