Au mois de mai 1968, au Vietnam, la bataille pour Saïgon faisait rage. À Paris, le 10 mai, avaient débuté des négociations américano-nord-vietnamiennes pour une paix qui n'arrivait jamais. La guerre demeurait implacable sur le sol vietnamien. En France, les événements de mai 1968 maintenaient le pays dans une fièvre politique élevée et permanente. Dans les journaux, cette suite d'événements était chaque jour à la une de l'actualité.
C'est au cours de ce printemps, sous un horizon chargé d'orage, qu'à la mi-mai, les journaux d'Aveyron annonçaient la mort au Laos du père Lucien Galan de Golinhac ; il avait été assassiné le 12 mai. Dans la presse locale, quelques chroniques de 40 à 50 lignes seulement signalèrent l'événement. Le Laos, c'est loin. La guerre du Vietnam avait banalisé la mort violente sur cette région de la planète. À l'époque on n'eut pas une information abondante sur les circonstances de cette mort. Des renseignements détaillés arrivèrent plus tard.
DE L'AVEYRON À LA CHINE
Lucien Galan est né le 9 décembre 1921 à la Moissétie, près de Golinhac, d'une famille d'agriculteurs. Après ses études secondaires, il fut élève au Grand Séminaire de Rodez pendant quatre ans de 1942 à 1946.
Entré au Séminaire des Missions Étrangères de Paris en septembre 1946, il y continua sa formation théologique. Il fut ordonné prêtre le 29 juin 1948.
Le 15 décembre 1948, il partait pour la Chine méridionale. Il fut affecté à la Mission de Sichang dans la province de Kien-Tchang. Pour rejoindre son poste, il partit de la frontière du Tonkin. Après 20 étapes de voyage à cheval, à travers le Yunnan, il arriva à Sichang le 31 mars 1949. À l'époque, les armées communistes de Mao-Tsé-Tong occupaient une grande partie de la Chine. La province du Kien-Tchang n'était pas encore libérée.
Pendant quelques mois, Lucien Galan réside à l'évêché de Sichang ; il apprend la langue chinoise et se familiarise avec les usages du pays. Dès les débuts il écrivait à ses amis d'Espalion ses premières impressions de Chine [Écho de la Vallée, Bulletin du Petit Séminaire d'Espalion, mars 1949].
Un beau voyage à faire : celui du Rouergue au Kien-Tchang ! Jusquà Canton en bateau, de Canton à Kumming en avion, de Kumming au Sichang à cheval, enfin, 20 jours de marche.
La Chine est le pays des aventures ; on franchit des montagnes très élevées par des cols à plus de 3000 m d'altitude ; on redescend vers la vallée du Yang-Tse (Fleuve Bleu) à 800 m pour remonter à 2000 m. Le matin, vous quittez les pêchers en fleurs pour rencontrer, le soir, la neige à l'étape de haute altitude. Vous passez vite ainsi du printemps à l'hiver pour retomber, le lendemain, en plein été, avec des caravanes accrochées aux flancs des montagnes à pic, les précipices sans fond d'où monte un grondement sourd de cascade, les torrents qu'il faut passer sur un tronc d'arbre en tirant sa mule. Ce sont là quelques-uns des agréments du voyage.
La Chine est le pays des contours. Tout est contour, même l'esprit des gens. Les environs de Kumming (l'ancienne Yunnan-fou) forment un plateau sillonné de canaux aux larges contours, avec des rizières bordées de digues en serpentin. Comment ne pas voir là une des explications des détours et des ruses subtiles du caractère chinois ? La Chine est le pays de la misère. Une foule de gens en haillons, des estropiés, des aveugles, des mendiants déguenillés remplissent la rue ou le chemin. Les villes ont un aspect primitif, malgré une abondance de produits bien chers. On se croirait au Moyen-Âge : petites fabriques à l'outillage très primitif, boutiques à façades de planches, rues pavées avec de grosses dalles irrégulières et mal jointes. Tout est archaïque. Il y a cependant des quartiers très modernes aux magasins éblouissants. Quand on parcourt la campagne, on a la même impression. L'outillage du paysan est très simple : la houe seulement, ou, rarement, une petite charrue de bois ; un petit char aux roues de planches mal jointées et mal arrondies. On se contente d'un maigre bénéfice. Chaque jour, arrivent à Kumming des hommes, des femmes, des enfants même qui ont fait plusieurs jours de marche pour venir vendre 60 à 80 kilos de charbon de bois ou d'autres marchandises apportées sur le dos.
La Chine est un pays peu religieux. Les Chinois viennent aux pagodes, plutôt en touristes, et délaissent volontiers les statues innombrables aux visages grimaçants pour les restaurants d'alentour. Au point de vue chrétien, il y a beaucoup à faire, c'est le paganisme en plein. Les chrétiens sont très peu nombreux auprès de la masse des païens. Quand on arrive en Chine et que l'on voit le petit nombre des églises, on a l'impression d'être écrasé par la masse païenne. Il est difficile d'imaginer ce qu'est le monde païen tant qu'on ne l'a pas vu.
À la fin de 1949, il fut envoyé au sud de la zone de mission à Hweilli (Houilli). Le 5 décembre de cette année (année du bœuf, cycle Kichéou, le 15 de la 10e lune) il écrivait à un de ses amis. Je me trouve avec des habitants de différentes races qui font souvent du brigandage et de la petite guerre. Le pays de hautes montagnes sauvages est très intéressant pour guerroyer et se camoufler [Ces lettres de Chine citées ici, ont été adressées à ses amis ou à sa famille].
Il pressentait alors que la tourmente communiste se rapprochait. En 1950, les troupes communistes arrivèrent dans la province. Dès le mois de février, elles occupèrent Sichang. Lucien Galan passa l'année seul à Salien près de Hweili ayant encore la liberté de circuler.
Le 15 novembre 1950, il fut arrêté et accusé d'avoir eu, lors de ses nombreuses sorties pour visiter les chrétiens, des complicités avec des rebelles. Le 17 novembre, il fut transféré à la prison de Hweili. L'accusation portée contre lui ne fut pas retenue ; étant depuis peu en Chine, il expliqua aux autorités qu'il ne comprenait pas suffisamment la langue chinoise.
De Hweili où il était condamné à l'inactivité, il pouvait encore donner quelques nouvelles et en recevoir. Dans une lettre du 25 juillet 1951, il racontait sa vie à Hweili :
Ici autour de nous c'est la fièvre, la folie engendrée par les choses nouvelles. Le paradis terrestre ne s'élabore pas vite, tout le contraire. Ici, ce sont les meetings à l'église dans les petits villages pour éduquer le bon peuple et le mettre en garde contre l'impérialisme américain qui est même dans les bonnes œuvres. Les Chinois nous ouvrent les yeux. Ils veulent autant que possible éclairer tous les peuples et les aider à se libérer de ce grand mal qu'est l'impérialisme américain.
La jeune Chine, en ce moment, est toute frémissante de libération et vit dans la joie. Enfin tout va très bien.
Lucien Galan connut la période où les Chinois étaient convertis au marxisme par les séances d'autocritique et les jugements populaires. Lui-même n'eut jamais à subir ce genre de rééducation.
Plus tard, quand il revint en France, il raconta ces sinistres comédies où des enfants accusaient leurs parents et où l'on condamnait des gens en grand nombre pour les exécuter. Lui-même avait pu se faufiler parfois en curieux dans la foule. Il avait pu voir certaines de ces séances.
À la fin de 1951, il fut transféré à Sichang. En décembre, il fut expulsé.
Le 8 janvier 1952, il arriva à Hong-Kong avec son évêque Mgr Baudry. Après cette épreuve, au début de 1952, dans une autre lettre, Lucien Galan témoignait encore de ce qu'il avait vu en Chine [Bulletin inter-paroissial Villecomtal - Golinhac - avril 1952].
La Chine, après la guerre avec le Japon, donnait beaucoup à espérer... Dans 10 ans on aurait doublé et même triplé le nombre des chrétiens... Mais voilà la Providence en a disposé autrement. Je crois que les vieux chrétiens tiendront. Les prêtres se montrent admirables. Dans notre mission, il y en a 7 ou 8 sur 18 aux travaux forcés, ou en prison. Chez nous, église, école tout a été pris par le gouvernement.
En Chine, durant cette dernière année, les missionnaires ont eu bien des tristesses, mais aussi des consolations. Quand on est parti d'Houilli, les chrétiens et beaucoup de païens sont venus discrètement nous saluer en pleurant. Beaucoup avaient espoir que leur épreuve serait courte. Je ne pense pas que la majorité des gens soient communistes en Chine. Beaucoup sont écœurés par les jugements iniques. Les prisons regorgent d'innocents, et partout des forçats. Les mois les plus terribles furent avril et mai derniers : chaque jour dans la petite ville, où j'étais en résidence surveillée, des exécutions. Cela durant des heures entières. On exécutait les condamnés après les avoir insultés, roués de coups. Défense d'enterrer les cadavres...
Je ne crois pas que ce soit le paradis encore en Chine. Quand on est partis, c'était un véritable enfer. Les terrains avaient été partagés. Il y avait beaucoup de mécontents. Les meubles, les vêtements, les instruments de travail, tout avait été partagé. Ceux qui avaient reçu les maisons des riches y crevaient de faim. Le commerce est mort, les bourses sont plates ! Je crois que la Chine fait une triste expérience....
EN MISSION AU LAOS
À peine remis de son émotion chinoise, Lucien Galan reçut, le 26 janvier 1952, sa nomination au Laos.
Quand on est missionnaire de l'Évangile, on ne chôme pas parce qu'on a été expulsé d'un pays, on va dans un autre. En avril 1952, le voilà donc à Thakhek, centre de la mission où il est envoyé. Après le chinois, Lucien Galan étudia le laotien. L'apprentissage de la langue dura bien un an.
Avec ténacité et amour il se familiarisa avec les coutumes les mœurs du pays. Il approfondit peu à peu sa connaissance du peuple laotien.
Dès 1953, il était nommé dans la région de Paksé pour le sud de la mission. Il se fixa à Nason. À partir de cette date il passa les quinze années suivantes dans cette même région. Il se spécialisa dans le ministère auprès des tribus Khas (prononcer Kra). Celles-ci habitaient sur les pentes montant au plateau des Boloven en allant sur Pakson à l'est de Paksé.
De sa nouvelle mission, Lucien Galan écrivait alors [Bulletin interparoissial - juillet 1952] :
Les Laotiens sont un peuple heureux. Il a fallu que les peuples prétendus civilisés viennent troubler leur tranquillité et leur apprendre à faire la guerre, eux qui ne tueraient pas un animal, même nuisible, si celui-ci na pas attaqué le premier...
Au point de vue religieux, la plupart des Laotiens sont bouddhistes, il y a très peu de chrétiens... Je me trouve donc dans une mission toute neuve avec deux autres Aveyronnais, les pères Alazard de St-Geniez d'Olt et Lacombe de Saint-Santin tous deux âgés de plus de 70 ans, mais très actifs. Il y eut aussi autrefois un père Burguière de Nacoulorgue qui est mort dans cette mission [Il s'agit de Joseph Burguière 1877 - 1934, de Nacoulorgues situé sur la paroisse de Salrf
Félix de Lunel]. Celle-ci est donc un fief aveyronnais ; je ne suis pas dépaysé !
Malgré nos malheurs, Dieu nous fait la vie bien belle. Depuis ma sortie de Chine, que de randonnées, de parties de chasse dans la forêt d'où je reviens toujours bredouille, que d'invitations à droite et à gauche ! À présent c'est un peu plus calme.
Mais on vit toujours dans l'angoisse, du moins ceux qui sommes sortis de Chine. Il me semble qu'on ne peut pas éviter le communisme. C'est si bien organisé pour rouler les gens et les expédier ensuite au bagne ou au poteau d'exécution ! Même ceux qui se donnent tout entiers à lui n'y échappent pas.
Sur son terrain de mission, Lucien Galan avait des chrétiens fervents, mais aussi des mauvais témoignages d'Européens et il rencontrait le communisme par l'infiltration du Viet-Minh.
Dès 1953, telle de ses lettres reflétait une inquiétude face à la situation dont il analysait les aspects sociaux [Bulletin interparoissial - juin 1953].
Ce n'est pas la persécution qui détruit la religion, c'est plutôt l'exemple des mauvais chrétiens. Or ici pour l'indigène, un Européen est un chrétien. Chrétien et Européen, cela ne fait qu'un dans l'esprit des gens. Malheureusement, les Occidentaux trahissent ouvertement l'idéal religieux qu'ils devraient représenter.
Les colonies, c'est, en partie, un échec. On a fait du travail qui se voit : des ponts, des routes, des hôpitaux, des écoles. On a modernisé le pays. C'est du travail en surface, qui a dérouté ces gens un peu primitifs. Comme travail en profondeur, il n'y a eu que le travail missionnaire. On a matérialisé des peuples qui sont portés surtout vers le spirituel. Cette civilisation matérielle qu'on leur a apportée ne les a pas rendus plus heureux. Pour relever la situation, il faudrait des chefs à haute valeur morale et clairvoyants. Le communisme gagne parce que ceux qui le combattent ne le combattent pas sur le vrai champ de bataille qui est le sien. Le vrai champ de bataille du communisme c'est lesprit, c'est le champ des idées. Il répand son idéologie, sa pensée, son erreur. Si on appliquait l'Évangile (partager son pain avec les pauvres, partager ses biens, se contenter de son dû), la crise mondiale actuelle n'existerait pas. Il faut une grande révolution mondiale, pacifique et chrétienne. Il faut de grandes réalisations au point de vue social, économique et moral.
Je suis dans un petit village à une dizaine de kilomètres de Paksé. Il y a 200 chrétiens convaincus...
Ils ne sont pas riches, mais très généreux. Ils font la prière, chaque soir, à l'église. Il y a une école avec 60 élèves. Aujourdhui, l'évêque est venu me voir pour réparer les bâtiments de l'école. J'ai de quoi m'occuper.
Dans la mission de Nason, il y avait déjà beaucoup de Laotiens qui se préparaient au baptême et dès 1956 les baptêmes d'adultes étaient nombreux.
En 1957 enfin il eut la joie d'inaugurer et de bénir la nouvelle église de Nason en style Kha.
Lucien Galan demeurait très proche de sa famille et de ses compatriotes de Golinhac. Régulièrement il envoyait de ses nouvelles, les tenait au courant de ses activités, de ses aventures, de ses joies, de ses inquiétudes. Le Bulletin inter-paroissial que recevaient les familles de Golinhac portait souvent des extraits de ses lettres. Après chaque congé en Aveyron, il repartait avec joie et courage à son travail missionnaire qui le passionnait.
DANS LE VOISINAGE
DES VIETCONGS
ET DE LA PISTE HO-CHI-MINH
De 1960 à 1964, le père Galan eut la charge de la mission de Muong-Khrai. Celle-ci se trouvait à la limite des zones alors contrôlées par les Pathet-Lao (communistes) et les troupes gouvernementales. Cela rendait la situation difficile. Plusieurs fois, surtout en 1962, il fut momentanément arrêté, puis relâché. Il y avait continuellement le risque des pistes minées.
Son activité continua. Au début de 1961, une de ses lettres en donnait un aperçu à la paroisse de Golinhac qu'il remerciait pour l'aide qu'elle lui envoyait [Bulletin interparoissial - février 1961]. On le sentait soucieux du progrès social de la population.
En ce moment, écrit-il, j'ai pas mal de projets en tête, projets dictés par la nécessité : finir la chapelle commencée, en agrandir une autre, en déplacer une troisième, car le village s'est déplacé et en planter une quatrième. Ce serait vite fait si j'avais des gens actifs, comme à Golinhac, vite fait et à peu de frais, mais il faut compter avec le peu d'empressement de mes gens. Quelquefois, ils sont zélés et généreux, ils me surprennent même, quelquefois aussi il faut les secouer.
Ces jours derniers, j'ai fait les premières démarches pour obtenir la construction d'un pont sur un torrent, ouvrage d'un grand intérêt puisqu'il peut changer l'économie de plus de cent villages. J'ai chargé le chef du district de poursuivre les démarches les plus faciles, afin que cela soit une œuvre de la population. Après une semaine, je suis venu voir les résultats : rien na été fait. Ça viendra. J'ai déjà procuré à mes villages un char et des bœufs, en commun...
Je veux essayer de les faire travailler en commun.., travail moins pénible, plus rentable. On peut y arriver par la douceur et la persuasion. Les communistes y arrivent par la terreur et la mitraillette...
La paix n'est pas encore tout à fait rétablie, peut-être les jours tranquilles se feront longtemps, attendre.
La tâche et l'influence de Lucien Galan parmi les tribus Khas grandissait sans cesse. Le nombre des baptisés augmentait, même dans le voisinage de la violence, après 1965.
Dans ses lettres qu'il envoyait à Golinhac, il évoquait cette avancée de l'Église mais il parlait de plus en plus de la guerre au Laos et du danger croissant sur les pistes ou en forêt. L'insécurité s'étendait sans cesse sur toute la région de Paksé, Paksong… Il n'y avait plus le tigre dans la jungle, mais il y avait l'homme qui faisait la guerre.
MASSACRÉ SUR UNE ROUTE
PRÈS DE PAKSONG
Dans ce climat de violence et face aux risques, Lucien Galan gardait un courage lucide. En février 1960, avant de repartir de Golinhac pour sa mission, il avait dit à un des siens qui l'interrogeait : Eh bien, si on me tue, je resterai auprès de mes chrétiens !
Le 15 avril 1968 dans sa dernière lettre à sa famille, il annonçait sa prochaine arrivée pour un congé qu'il avait retardé afin de favoriser un autre missionnaire. Au lieu d'arriver en France le 1er juin comme il l'avait prévu, ce serait pour plus tard [Bulletin inter-paroissial mars et juin 1968]. Il écrivait : "Un de mes confrères est appelé d'urgence dans sa famille. Je lui cède mon tour de congé et je viendrai dans quelques mois. Il faut s'entraider. Pour vous, et pour moi, le sacrifice est immense. Faisons ce sacrifice pour la paix au Laos et dans tout le sud-est Asiatique". Le sacrifice devait être plus grand que prévu. Sur une des routes dont il était familier, une embuscade lui fut tendue et fut fatale.
Voici un récit de cette matinée tragique du 12 mai 1968, tel qu'il fut écrit, d'après le témoignage d'un rescapé du drame [Ce récit a été publié dans Peuples du monde d'août 1968 - Voir aussi Échos, rue du Bac -juillet 1968, pages 296 à 299].
Le père Lucien Galan a été assassiné le dimanche 12 mai dans la partie sud du Laos. La veille, il s'était rendu dans les villages de Nong Met et Nong Oi dont il avait la charge. Le dimanche matin, il y célébrait deux messes et vers 9 h 30, quittait Nongi Oi pour se rendre au km 15 de Paksé où il devait assurer une autre messe dans la journée ; il était accompagné de deux jeunes élèves catéchistes.
Au km 19 avant Paksong, il tombait dans une embuscade. Des deux élèves catéchistes, l'un fut tué sur le coup, l'autre fut blessé à la jambe en plusieurs endroits et c'est ce survivant du drame qui a raconté ce qui s'est passé.
D'après son témoignage, on a tiré de face sur la voiture du père, sans aucune sommation. Le père Galan devait être grièvement blessé lorsque sa voiture s'est arrêtée. Des soldats parlant le Vietnamien sont alors venus enlever le prêtre de son auto et l'on traîné un peu plus loin ; on a entendu alors plusieurs coups de feu. Peu après l'attentat, les soldats d'un poste se trouvant au km 17, donc à 2 km de là, sont venus sur les lieux. Ils ont pris dans une voiture le garçon blessé qui a été ensuite transporté par hélicoptère à l'hôpital de Paksong.
Quant aux deux morts, ils les ont laissés sur place et ce ne fut pas facile de ramener les corps à Paksé : il fallut organiser un convoi et il fut durement attaqué par les maquisards. Le père Galan portait plusieurs blessures sur le corps : de multiples plaies pénétrantes dans le dos, dans la région du cœur, à la mâchoire inférieure, à la main gauche, à la cuisse droite.
Une grande foule, au premier rang de laquelle se trouvaient le chef de la province et le général commandant la quatrième région, était à la cathédrale de Paksé, à la cérémonie d'enterrement. C'est du reste, grâce au dévouement et à l'énergie du général Phasouk, qui n'avait pas hésité à s'exposer en personne, que l'on avait pu récupérer les corps dès le lendemain de l'attentat.
Deux questions se posent à tous.
Quels sont les auteurs de cet assassinat ? D'après l'autorité militaire du Laos, ce sont des Vietcongs et des Khas Loven dissidents.
Mais pourquoi ont-ils tué le père Galan qui n'avait jamais fait de politique, était aimé de tous et à qui on ne connaissait pas d'ennemis ? Le père circulait sur cette piste de Paksong à Nong-Oi toutes les semaines et il était connu de tous comme missionnaire. La seule explication donnée, c'est que la mort de ce missionnaire faisait partie de la guerre psychologique : il était le chef spirituel de plusieurs villages, fidèles au gouvernement. En frappant à la tête, les communistes ont voulu châtier ces villages et semer la terreur.
Au sujet des raisons qui ont pu motiver les exécutants de ce meurtre, une autre analyse a pu être faite un peu plus tard. Le père Jean Vérinaud des MEP a eu à se déplacer dans cette région de Paksé et de Nomsin en 1973, donc cinq ans après la mort de père Galan. Il a trouvé le village de Nomsin complètement abandonné et la région dans une insécurité totale. Au vu de ce qu'il a constaté à cette époque là, il pense qu'il y avait dans le pays une situation pouvant fournir une explication complémentaire du massacre de Lucien Galan.
Il écrit : "Une des raisons dont on n'a pris conscience que quelques années plus tard, c'est que la piste Ho-Chi-Minh, par où transitaient les troupes Vietcongs allant dans le sud Vietnam, passait juste à lest de Paksong. Les Vietcongs et les Pathet-Lao ne voulaient pas de témoins étrangers à leurs allées et venues. Ce fut probablement une des raisons de l'élimination du Père Galan qui, par suite des connaissances qu'il avait dans toutes les tribus, aurait été à même de découvrir trop de choses [Lettre de Jean Vérinaud - 12/2/1985].
Après ce drame, Mgr Urkia, évêque de Paksé qui avait transmis les détails cités plus haut a écrit son témoignage sur ce missionnaire [Peuples du Monde - 1968 - Échos, rue du Bac, juillet 1968, p. 298]
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Le père Galan nous a quittés, véritable martyr du dévouement pastoral. C'était un prêtre humble et toujours disponible. Il a toujours aimé évangéliser les tribus les plus déshéritées, les Khas. Il vivait pauvrement au milieu de ces gens, préparant lui-même sa nourriture, logeant souvent dans une petite sacristie de chapelle de brousse. Disponible, il le fut toute sa vie. Il comptait prendre son congé régulier en France en février dernier. Après l'accident grave survenu au père Michel, il me proposa lui-même d'attendre, pour partir en congé, que le père fut rétabli. Son départ fixé pour le début juin fut de nouveau remis à plus tard, lorsque le père Godet fut obligé de rentrer en France pour des raisons de famille. La mort du père Galan crée un grand vide dans notre petite communauté missionnaire, une fois de plus cruellement éprouvée. Mais ces épreuves ne sont-elles pas la marque d'un amour spécial de Dieu pour nous et une promesse de fécondité apostolique ?.
Sur la terre du Laos, une dizaine d'Aveyronnais ont été missionnaires. Après Auguste Séguret et Augustin Canilhac, Lucien Galan fut le troisième à laisser la vie dans la violence sur ce terrain de mission.