Croquis de Stéphane Montavon |
L’idée se répand insidieusement de délocaliser ces citoyens coûteux en Thaïlande ou en Croatie.
Quelques petits cantons et communes ont fait travailler leurs neurones afin de trouver comment éviter un certain nombre de dépenses publiques. Tous ces vieux qui n’ont pas les moyens de payer entièrement les 5 à 6 000 francs suisses mensuels de l’EMS les ont titillés. Devoir assurer le complément de ce paiement leur est sans doute apparu moins naturel que le financement de grandes banques en difficulté. Aussi l’idée se répand-elle insidieusement de songer à délocaliser ces citoyens coûteux en Thaïlande ou en Croatie. Comme l’a fait remarquer subtilement un de ces penseurs à la mode : « De toute façon, les vieux devenus déments ne se rendront même pas compte qu’ils ne sont plus en Suisse. »
Au 19e siècle dans notre pays, en pleine période de crise voire de famine, des cantons et des communes ont préféré payer le voyage dans les Amériques plus un petit pactole à des familles plutôt que de risquer devoir leur offrir un logement et une aide matérielle. À cette époque, il n’existait aucune assurance sociale et le colonialisme paraissait être une solution, selon le principe du « gagnant-gagnant ».
Point de rupture de la solidarité
Dans le cas des vieux externalisés, il ne s’agit pas vraiment de cela. Mais bien plutôt de la volonté de faire disparaître du paysage helvétique les vieux qui ne sont pas riches. Ce n’est pas seulement le comble de la dérive du marché et de son cynisme. C’est pire. On atteint ici le point de rupture de la solidarité. La remise en cause de principes essentiels comme celui qui veut que le bien portant paie pour les malades, que les vieux paient des impôts pour financer les écoles et la formation, que le monomaniaque de la voiture aide à financer les transports publics, que celui qui ne sort jamais la nuit paie l’éclairage public, que le riche partage. Cette solidarité est grignotée chaque jour. Et l’on va même jusqu’à agir comme si les liens avec sa famille, ses petits enfants, ses amis, ses souvenirs, ses racines étaient sans valeur par rapport au fric. Le vivre ensemble n’existerait-il qu’entre gens professionnellement actifs ? Après les vieux expatriés, à qui le tour ?
Des centaines de retraités allemands ont déjà été déportés en Hongrie ou en Slovaquie, vu les coûts des EMS. Bien entendu, d’habiles entrepreneurs organisent et gèrent ces relégations en pays lointains, arguant que les familles peuvent en profiter pour y passer une fois l’an de chouettes vacances auprès de leur cher papy ou mamie. Nul doute que des pompes funèbres envisagent déjà de gagner quelque argent dans le rapatriement des corps de retraités exilés défunts, dernier profit que l’on pourra en tirer.
Des dérives qui conduisent à l’exclusion
Notre société en est-elle arrivée à ce point de marchandisation ? Elle qui se targue dans le préambule de la Constitution fédérale que le peuple suisse et les cantons sont « déterminés à vivre ensemble dans leur diversité… sachant que la force de la communauté se mesure au bien être du plus faible de ses membres ». Vat-on tolérer l’exclusion plus ou moins volontaire de ceux qui ont construit la prospérité du pays et qui ont lutté pour créer des assurances sociales dont la plus ancienne, l’AVS, n’a que 65 ans ? La marchandisation de la santé qui est en marche démontre ici de façon éblouissante sa stratégie obstinée et les dérives qu’elle implique.
Certes, en théorie, personne ne peut contre son gré être embarqué dans une telle galère. Mais les pressions, la culpabilité de « coûter cher à la société », le sentiment d’être inutile vont faire leur œuvre sournoise.
Dans un communiqué, l’Avivo suisse a fait savoir son inquiétude et son indignation.
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