Tabataba
Ce film, l’un des plus célèbres longs-métrages malgaches, a obtenu plusieurs prix aux festivals de Carthage puis de Cannes (Quinzaine des réalisateurs) et Taormina en 1988. Tourné en malgache et sous-titré en français, joué en partie par des habitants d’un village de la forêt de l’Est (pays tanala), il présente, par le regard d’un jeune garçon, l’insurrection de 1947 et sa répression sanglante par les Français qui fit plus de 70 000 victimes.
Avec : François Botozandry (Solo l’enfant), Lucien Dakadisy (Lehidy), Soavelo (Bakanga), Rasoa (Ndridy), Soatody (Harondro), Philippe Nahoun (le capitaine).
Fin 1946, dans un petit village isolé à l’est de Madagascar, la paix quotidienne est troublée par l’arrivée d’un étranger qui vient de la ville avec des idées nouvelles. Annonçant la tenue prochaine d’élection organisée par le colonisateur français, il prône le refus de s’y soumettre. À la place, il milite pour la lutte armée contre l’envahisseur et l’exploitation. Le village, sceptique, est désormais coupé en deux : ceux qui sont prêt à prendre les armes, et ceux qui préfèrent l’option pacifique du vote pour l’élection du député qui les représentera à Paris. La doyenne du village, qui a vu mourir son mari face aux troupes française, s’oppose à toute réponse violente mais Lehidy, son fils, certain du soutien des Américains et de leurs armes, pousse à prendre le maquis. Mais lorsque les Français arrivent dans le village avec l’urne et les bulletins de vote, Raomby, l’instituteur découvre que les bulletins du MDRM, le parti pour l’indépendance de l’île, manquent. Il prend alors la décision de tourner le dos au vote, entraînant de fait avec lui l’ensemble du village dans la voie de la sédition… Solo, un jeune garçon, est le témoin privilégié de la guerre qui oppose les insoumis aux Français.
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29 mars 1947 - Révolte à Madagascar
Le 29 mars 1947 éclate une insurrection dans la colonie française de Madagascar. La répression va provoquer des dizaines de milliers de victimes… Joseph Savès
Plantations tropicales et travail forcé
En 1947, la Grande Île compte 4 millions d'habitants sur une surface aussi grande que la France et la Belgique réunies. Parmi eux 35 000 Européens.
La côte orientale, au climat tropical, compte beaucoup de plantations coloniales où l'on cultive le clou de girofle et la vanille, principale richesse de l'île. Les habitants de cette région ont souffert plus que les autres du travail forcé. Celui-ci, qui a donné lieu à de nombreux abus, a été remplacé en 1924 par des « travaux d'intérêt général », guère plus réjouissants ! C'est de cette région que va jaillir l'insurrection…
Humiliations
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'administration de l'île se met aux ordres du Gouvernement du Maréchal Pétain avant de rendre les armes aux Anglais qui occupent Madagascar dès 1942.
Malheureusement les Anglais remettent l'île aux représentants de DeGaulle. Aussi ignares des réalités de la Grande Île que maladroits et brutaux, ces derniers multiplient les réquisitions sous prétexte d'accélérer le développement de l'économie. Ils humilient les habitants en leur appliquant de façon rigoureuse le statut de l'« indigénat ».
Mais dès la fin de la guerre, à Tananarive, la capitale, les élites malgaches se prennent à rêver aux principes de liberté édictés par les Anglo-Saxons dans la Charte de l'Atlantique. Beaucoup revendiquent malgré tout une intégration complète de l'île dans la République française.
Trois députés malgaches à l'Assemblée constituante française fondent dès 1946 à Paris le Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache (MDRM) avec l'objectif d'une pleine participation des Malgaches à la vie politique…
L'un d'eux, cependant, Joseph Raseta, ne s'en tient pas là. Il crée la même année une société secrète, la Jina (Jeunesse nationaliste), et prépare un soulèvement violent en vue de conquérir l'indépendance. Son message est bien reçu dans les villages et plantations de la côte orientale.
Insurrection
Les dirigeants de la IVe République ignorent le projet d'insurrection bien que les services de la Sûreté dirigés par le commissaire Marcel Baron en soient informés grâce à des agents infiltrés dans la Jina et d'autres sociétés secrètes.
Le MDRM, également informé, diffuse dans les villages un télégramme demandant à chacun d'éviter les violences. Mais l'appel est sans effet. Selon certains commentateurs, les autorités françaises auraient fait en certains lieux arracher les affiches comme si elles souhaitaient en découdre avec les opposants cachés !
C'est ainsi que le 29 mars, quelques centaines d'hommes simplement armés de sagaies et de coupe-coupe attaquent des petites villes côtières et des plantations. Ils s'en prennent aux Européens mais aussi aux Malgaches qui vivent et travaillent avec eux. Les colons sont pris au dépourvu et ne peuvent réagir faute de moyens militaires sur place.
Le gouvernement socialiste de Paul Ramadier, désemparé, fait porter la responsabilité des troubles sur les trois parlementaires du MDRM. Les députés, y compris l'extrême-gauche communiste, lèvent sans rechigner leur immunité parlementaire. Ils sont arrêtés. Deux seront condamnés à mort mais leurs peines heureusement commuées en exil.
Malgré cela, la jacquerie s'étend. Elle embrase rapidement toute la partie orientale de l'île, où la misère et les frustrations sont les plus grandes. Les rumeurs les plus folles courent sur le compte des insurgés, soupçonnés des pires atrocités.
Le gouvernement français envoie à Madagascar des renforts, essentiellement des troupes coloniales (tirailleurs sénégalais) : au total 18 000 hommes début 1948. La répression donne lieu à de nombreux débordements et crimes de guerre : tortures, exécutions sommaires, regroupements forcés, mises à feu de villages…
Parmi les crimes les plus graves figure celui du 6 mai 1947, quand le commandant du camp de Moramanga, dans la crainte d'une attaque, fait mitrailler plus d'une centaine de militants du MDRM emprisonnés dans des wagons.
L'armée française expérimente aussi une nouvelle technique de guerre psychologique : des suspects sont jetés vivants d'un avion pour terroriser les villageois de leur région.
En vingt mois, la « pacification » va faire 89 000 victimes chez les Malgaches selon les comptes officiels de l'État français. Mais ces comptes auraient été exagérés par méconnaissance du terrain et pour alourdir le dossier d'accusation du MDRM.
Jean Fremigacci, maître de conférences à Paris-I et enseignant à l'université de Tananarive, établit le nombre des morts entre 30 000 et 40 000, dont 10 000 de mort violente et le reste de faim ou de maladie, ce qui est déjà beaucoup si on le rapporte aux 700 000 habitants de la région concernée.
Les forces coloniales perdent quant à elles 1 900 hommes (essentiellement des supplétifs malgaches). On relève aussi la mort de 550 Européens, dont 350 militaires. La disproportion des pertes tient à ce que les rebelles ne disposaient en tout et pour tout que de 250 fusils.
En métropole, Le Figaro et L'Humanité parlent du soulèvement mais le gouvernement et l'ensemble des organes de presse minimisent son importance et ne disent rien de la répression. L'opinion publique, il est vrai, est davantage préoccupée par le rationnement, les incessantes grèves et la guerre froide.
L'insurrection de 1947 a été gommée de la mémoire collective des Français mais aussi des Malgaches qui admettent mal que les leurs aient pu très durement s'affronter.
Bibliographie
Le professeur Jean Fremigacci, qui a enseigné de 1969 à 1988 à l'université de Tananarive, a publié un article sur le sujet : « La vérité sur la grande révolte de Madagascar », in L'Histoire, N°318, mars 2007.
Il existe aussi un ouvrage de référence : "L'insurrection malgache de 1947" de Jacques Tronchon, éditions Karthala, 1974.