Disparition de Jean-Marie Curutchet
Alphonse Raymond nous livre un bel hommage à Jean-Marie Curutchet, Basque, Saint Cyrien, officier parachutiste engagé dans le combat pour l'Algérie française pour aller jusqu'au bout de l'honneur.
Jean-Marie Curutchet vient d'être rappelé au Ciel le vendredi 1er mars 2013 en début d'après-midi.
Ce Basque né en 1930 à Toulon passe sa jeunesse à Alger et Paris. Chez les scouts, il assume très vite la fonction de chef de patrouille. Il entre en «corniche» au Prytanée militaire de La Flèche.
Sorti chef de section d'infanterie de l'École de Saint-Cyr-Coëtquidan (promotion Union Française), il est muté à sa demande au 14e régiment de chasseurs parachutistes, composé en grande partie d'appelés musulmans, où avait eu lieu une mutinerie.
Il contribue à ramener la sérénité, l'esprit de corps, l'ambiance offensive et le haut niveau de combativité.
Ce célibataire qui affronte la mort au combat savoure pleinement la vie lors du repos du guerrier, n'en déplaise aux esprits étriqués.
Excellent officier, remarquablement noté, apprécié de ses supérieurs, fanatiquement aimé de ses subordonnés, il étonne parfois ses camarades officiers. Plusieurs d'entre eux deviennent des amis, mais d'autres le ressentent comme un implacable combattant capable de payer de sa vie une mission qui l'exigerait, au professionnalisme sans état d'âme si ce n'est l'économie du sang de ses soldats.
À Philippeville, meurtrie par les massacres de 1955 et nettoyée par les parachutistes, il rencontre une jeune femme qu'il épouse et qui lui donne trois fils. Au grand étonnement de jeunes officiers, ses pairs, qui l'avaient estimé détaché de considérations affectives à l'égard de l'Algérie française, il tire les conséquences ultimes de la guerre qu'il considère comme une véritable croisade et une application du code de l'honneur du guerrier : il entre dans la clandestinité en septembre 1961.
Chef de la branche ORO (Organisation Renseignements-Opérations) de l'OAS-Métropole, il mène une guerre sans merci aux porteurs de valise, aux convoyeurs de fonds, aux officiers gaullistes ayant empêché l'OAS de sécuriser des points sensibles, aux barbouzes qui usent de méthodes terroristes.
En sa qualité de Saint-Cyrien, attaché au pli éthique des officiers de tradition confrontés à la rupture ontologique que représente le rejet des institutions adultérées par un pouvoir renégat, il est le mieux placé pour seconder le colonel Argoud, polytechnicien ayant tiré les mêmes conclusions que les siennes.
Co-fondateur du Conseil national de la Révolution, il se heurte parfois à des gens sincères mais dont l'attachement aux écorces mortes d'un monde défunt les empêche d'envisager la situation telle qu'elle est.
Rompu aux techniques de la guerre de partisans et à la survie en milieu hostile, il échappe pendant deux ans aux recherches des polices françaises et étrangères.
Transitant par Dakar, il est enlevé par des barbouzes alliés de la police de Senghor. Comme le duc d'Enghien au siècle précédent, il ramené de force à Paris.
Déféré devant le juge d'instruction, il lui rétorque qu'il ne reconnaît ni la légalité ni la légitimité du pouvoir judiciaire et encore moins du maître élyséen de l'exécutif qu'il considère comme un scélérat coupable de haute trahison ; il informe le juge qu'il sait d'avance qu'il sera exécuté, donc il n'a aucune raison de collaborer de la moindre façon à l'interrogatoire.
Au juge qui prétend lui donner une leçon de morale en l'informant que d'autres inculpés ont assumé leur responsabilité, lui parlant même d'honneur, il répond sèchement qu'il ne tombera pas dans le piège.
Jugé par la Cour de sûreté de l'Etat, il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Détenu à l'île de Ré, il s'inscrit en Faculté et passe une licence d'histoire.
Lors de l'amnistie de 1968, il est le dernier condamné à être élargi, le pouvoir ne lui ayant jamais pardonné d'avoir récusé sa légitimité ; il dénonce la nature perverse et satanique du gaullisme, son néant absolu, la fascination hystérique et psychiatrique qu'il exerce.
Il considère que Maurras s'est trompé dans «Politique d'abord», que nous sommes définitivement sortis de l'âge politique défini par Aristote et repris par saint Thomas d'Aquin. La captivité l'ayant conduit à cheminer spirituellement en lui-même, il se souvient alors de son éducation religieuse.
Il sait aussi que l'Église de Mohammed Duval et du concile de Vatican II sont des chimères : il le comprend parmi les premiers. Doté d'une intelligence fulgurante et d'une intuition à la rapidité hors du commun, Curutchet découvre que la vraie guerre est d'ordre spirituel.
Il va méditer à Montségur en ermite, suit la difficile et austère règle de saint Jean Stylite, mais en sa qualité de Basque - dont il redécouvre les racines et l'identité somatique - il se sent proche des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola.
Se moquant éperdument de l'opinion d'autrui, voire de celle de ses propres anciens camarades de combat qui parfois peinent à le comprendre, il veut se mettre en ordre avec lui-même quoi qu'il dût en coûter. Il rédige alors Le procès Jean-Marie Curutchet. Compte-rendu sténographique des débats, réquisitoire et plaidoiries, NEL, 1965 et Je veux la tourmente, Robert Laffont, 1973.
Il acquiert une vieille ferme dans l'arrière-pays basque à laquelle il rend son aspect authentique, nécessaire à un ré-enracinement ; parallèlement, il fonde une maison d'édition artisanale consacrée à l'ethnographie basque.
Ses collections couvrent des domaines en apparence assez divers, mais en réalité tenus par une colonne vertébrale du corps subtil : cuisine basque, souvenirs et mémoires d'anciens de l'OAS (dont le célèbre docteur Jean-Claude Pérez), architecture paysanne régionaliste, chapelles et oratoires du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, lieux druidiques et préchrétiens des tribus euskariennes antiques. Estimant sa tache éditoriale accomplie, il conclut son œuvre écrite en publiant le fac-simile d'Augustin Chaho Paroles d'un voyant, un visionnaire du XIXe siècle ayant eu des prémonitions tant à l'échelle du pays basque que de la planète tout entière.
Dans l'intervalle, Curutchet avait estimé souhaitable de s'intéresser à la franc-maçonnerie, imaginant comme le métaphysicien René Guénon qu'une trace de la Tradition primordiale et de la religio perennis avait pu y subsister, mais après sept ans d'assiduité à la loge de la rue des visitandines à Bayonne, il ressent comme un impératif de mettre fin à une expérience qu'il estime contreproductive, voire néfaste.
Pleinement revenu à l'Église, il dédaigne le nouveau rituel. Il déclare même à un de ses jeunes amis : « La Présence Réelle sur l'autel ? Il ne se passe plus rien dans les églises depuis le concile de Trente !» Fidèle à l'Église johannique, il expérimente la théologie apophatique, pratique la voie de l'oraison, récite quotidiennement les prières en les rythmant grâce à la respiration synchronisée avec les accents toniques (ce que les Grecs appellent hésychasme).
Il s’agit la vision de Denis l'Aéropagite décrivant les Hiérarchies, mais il lui est donné la permission de choisir entre rester au ciel contempler le monde séraphique ou redescendre sur terre achever sa mission de combat spirituel. Cet ancien officier répète en lui-même la prière des parachutistes : «Mon Dieu, mon Dieu, donnez-moi la souffrance». Remarquablement soutenu affectivement et soigné par sa seconde épouse, il met à profit ce dernier répit afin d'attirer dans le monde visible les grâces de l'invisible, jusqu'à ce qu'il estime sa mission remplie. Caractère inflexible ? Intransigeant ? Soldat avide de plaisirs et d'émotions terrestres devenu mystique en quête d'amour divin ? Comprenne qui pourra.
Alphonse Raymond
* *
*
Extrait de Je veux la tourmente (Robert Laffont) par Jean-Marie Curutchet
À propos de Jean de Brem, historien, journaliste et militant nationaliste membre de l’OAS, assassiné le 17 avril 1963…
|
Jean de Brem |
« Je venais d’apprendre par ma femme la mort de mon ami Jean de Brem, dit Alex. Il avait accepté de travailler à mes côtés à l’étranger. Mais par loyauté envers ses camarades et ses chefs parisiens, il avait tenu à retourner à Paris où il lui restait encore une dernière mission à accomplir.
C’est au cours de cette ultime mission qu’il trouva la mort. Surpris par les policiers au moment où il s’emparait avec Serge Bernier d’une voiture destinée à une mission opérationnelle, Alex ouvrit le feu pour se dégager. Il blessa mortellement un policier, mais fut à son tour atteint par une rafale de PM. Tombé à terre il porta à sa bouche une feuille de carnet où se trouvait quelque renseignement qui ne devait pas tomber aux mains de l’adversaire. Un policier arriva à sa hauteur, l’acheva d’une balle dans la tête, puis lui trancha la gorge pour récupérer le papier qu’il n’avait pas eu le temps d’avaler. « Je mourrai sans postérité, stérilisé par l’atome ou égorgé par un fanatique » avait-il écrit dans l’avant-propos de son « Testament d’un Européen ». Bernier, que les policiers avaient capturé et déjà fait allonger par terre, ne dut d’avoir la vie sauve qu’à l’arrivée de quelques passants attardés. Cela se passait le 17 avril 1963 en plein Paris, rue de l’Estrapade, à deux pas du Panthéon !
Jean de Brem a traversé comme un météore le ciel sombre de ma clandestinité. Notre amitié n’a pas duré trois mois. Je ne pourrai cependant jamais oublier ce lumineux ami de vingt-sept ans. Ni les nuits passées à discuter de l’avenir que nous voulions bâtir ensemble. Ni cette dernière soirée de Pully, une semaine avant sa mort et quarante huit heures avant mon arrestation. Ni ce 21e concerto de Mozart, écouté plusieurs fois de suite ce soir là, et dont je ne puis plus entendre l’andante sans penser à mon frère assassiné. »