En ce cinquantenaire de l'Indépendance algérienne, nous ne devions pas manquer l'aller voir l'ambiance là-bas… Voici un article d'El-Watan, paru en ce début de semaine, particulièrement significatif… Significatif aussi le français quasi parfait dans lequel s'exprime cinquante ans après ce journal algérien… Nous sommes bien loin du laxisme de Libération, ses fautes de français, ses fautes d'orthographe, ses fautes d'orthotypographie… et aussi du Monde, voire du Figaro qui a aujourd'hui perdu ses correcteurs de jadis, leur qualité… Et ne parlons surtout pas de cette horde de blogueurs blagueurs français-de-souche-pur-cochon qui n'hésitent pas à nous abreuver de leurs messages et commentaires incohérents…
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Alger, 2 juillet. Nous sommes à j-3 du grand évènement de l’été : le cinquantenaire de l’Indépendance. Quel regard portent les Algérois – les jeunes surtout – sur cette kermesse patriotique ? Quelle trace aura imprimée dans l’imaginaire collectif ce fameux chiffre « 50 » ? Quel bilan le peuple en tire-t-il ?
Alger la blanche… toujours aussi belle ? |
Première image : les drapeaux. Évidemment. Ils pavoisent à profusion les artères principales de la capitale. Mais nettement moins que la forêt d’emblèmes déployés massivement et spontanément au lendemain de la campagne d’Oum-Dourmane. Des affiches au logo officiel du cinquantenaire sont placardées un peu partout sur de grands panneaux. Les annonceurs y vont eux aussi de leur attirail de célébration. À l’image du légendaire Hamoud Boualem. « Kounna h’na ou mazalna » (On était et on sera toujours là) scande le limonadier historique à la marque de gazouz 100% DZ. La ville se pare de ses plus beaux atours pour faire honneur à l’évènement. Spectacles et réjouissances au menu. Aux abords de la Grande-Poste, une scène est apprêtée pour accueillir une série de concerts. Idem à l’Esplanade de Riadh El Feth. Sur fond de polémique autour de la venue de la star libanaise Elyssa (à l’invitation de la ville de Annaba) pour un cachet de 950 millions de centimes. Les plus hostiles crient au gaspillage.
Disons-le tout de go : les Algériens n’ont pas tellement le cœur à la fête. Et c’est un euphémisme. Au demeurant, en ce 2 juillet, c’est plus le dernier match de l’Euro, la finale Espagne-Italie, que le match France-FLN, qui alimente les palabres.
Virée dans les boyaux de La Casbah. Dans un atelier de couture, une femme, dans la cinquantaine, ne cache pas son amertume. Trônant derrière sa machine à coudre, elle confie: « Je suis une fille de moudjahida. Ma mère a même fait la prison de Berrouaghia. Mais vous savez, par les temps qui courent, on a presque honte de dire qu’on est fils de chahid ou fille de moudjahed. On vous criera aussitôt à la figure : tout le monde a fait la révolution. Du coup, on se fait tout petit. Moi, ma mère, à part sa petite pension, elle n’a rien eu. Et moi, je suis toujours célibataire et je vis dans un taudis au bidonville de Bousmaha, à Bouzaréah. J’ai dû construire ma baraque toute seule. Nous n’avons ni eau potable, ni électricité, ni route, ni rien. J’ai le sentiment que nous n’avons pas accédé à l’indépendance. lebled rahi fawdha ».
Une mémoire qui s’effrite
Quelques venelles plus loin, nous rencontrons Mohamed. Il tient une petite épicerie à l’ombre d’une treille. Mohamed avait 6 ans en 1962. Pour lui, le cinquantenaire, c’est surtout la plaie béante d’une Casbah qui s’effrite : « El Qasba meddat erdjal (la Casbah a donné des hommes), et regardez dans quel état elle se trouve ! », se désole ce natif de la vieille médina. Mohamed se voue à la restauration de sa douira avec les moyens du bord. C’est son combat. « Ana eddoula ma âtatni oualou, l’État ne m’a rien donné. J’ai fait un dossier pour obtenir une aide afin de pouvoir restaurer mon bien, mais j’attends toujours. Ils ont fait mille et un recensements. On nous a promis monts et merveilles, mais on n’a rien vu. Les familles de La Casbah sont en danger de mort !» fulmine-t-il. Entre les ruines et les détritus, La Casbah n’est plus qu’une citadelle avachie. Symbole vivant d’un pays qui a maille à partir avec son patrimoine mémoriel.
La vieille cité ottomane soutient mal la comparaison avec les médinas tunisiennes ou marocaines, savamment entretenues. Pourtant, et comme nous le rappelle à juste titre Mohamed, la mémoire passe aussi par la sauvegarde de ces murs qui accueillirent Abane, Ben M’hidi, Krim Belkacem et autres dirigeants du premier CCE (Comité de coordination et d’exécution), et qui sont maculés du sang de Ali La Pointe et de Hassiba Ben Bouali froidement exécutés par les paras du général Massu dans le feu de la Bataille d’Alger (1957).
Nous traversons la rue Larbi Ben M’hidi. Halte à la Cinémathèque qui propose une programmation spéciale pour la circonstance (dont Chroniques des années de braise de M.L.Hamina). Au Mama, une expo de Ben Bella. Pas le défunt président. Plutôt l’artiste peintre Mahjoub Ben Bella. A la Librairie du Tiers-Monde, les ouvrages historiques sont à l’honneur comme chez tous les bons libraires de la capitale.
Dans une rue parallèle à l’avenue Pasteur, brève discussion avec un jeune gardien de parking à propos du cinquantenaire. Sa réponse est lourde de sens : «Ya kho hada sujet saîb âliya. Loukan sakssitni âla el parking, kifache t’gari, n’jawbek. Hadja kh’ra khatini. (C’est un sujet trop compliqué pour moi. Si vous m’interrogiez sur l’organisation du parking, je vous répondrais volontiers. Le reste ne me regarde pas) ».
« On est indépendants mais pas libres »
Nous empruntons le métro pour nous rendre au Jardin d’essais. Le métro : objet urbain le plus emblématique de l’Alger 2012. La fierté de Bouteflika. Inauguré en grande pompe le 1er novembre 2011, il cartonne. Les rames sont climatisées, au bonheur des passagers. À la station Jardin d’essais, nous prenons le téléphérique pour gagner Riadh El Feth. Le téléphérique ne désemplit pas.
Des flots de visiteurs se déversent sans discontinuer sur le « Maqam ». Nous souhaitions visiter le musée du Moudjahid, mais l’on apprend qu’il est fermé au public pour cause de festivités officielles. Les gens se rabattent sur le musée de l’Armée situé à l’autre bout.
Loin d’être un temple de l’ANP, sa collection est un joyeux patchwork historique, de l’Antiquité à la Guerre de Libération nationale. Un jeune lycéen s’attarde sur les vestiges de la Révolution : « Moi, quand je vois ces héros qui ont pris le maquis si jeunes pour libérer le pays, je me dis simplement que nous n’avons pas le droit de les décevoir », dit-il, un brin ému.
Près de la salle Ibn Zeydoun, nous croisons le jeune comédien Mehdi Ramdani dont on a pu apprécier la prestation dans le court-métrage de Sofia Djama, Mollement, un samedi matin et dans Demain, Alger ? de Amine Sidi Boumediène. Mehdi plaide pour l’indépendance culturelle : « Il y a des artistes qui font des choses extraordinaires avec très peu de moyens. Il faut les laisser travailler. Il faut les affranchir du carcan bureaucratique et envisager une vraie politique culturelle pour libérer tous ces talents et leur permettre de s’exprimer. » Anis Saïdoune, 20 printemps, étudiant en pharmacie, un manuscrit sous le bras, celui de son premier roman intitulé La rivière de l’amour et des illuminations (avis aux éditeurs), est l’incarnation même de cette jeunesse bourrée de talent, pétillant d’intelligence, et qui ne demande qu’à s’épanouir et s’exprimer justement. Anis soulève la question ô combien sensible de la transmission : « L’histoire a été instrumentalisée par le régime. Chaque jeune Algérien doit faire sa ‘‘private investigation’’ pour s’imprégner de notre histoire, la vraie. Il faut développer un esprit de doute méthodique. Moi, je lis tout, la version officielle aussi bien que les récits occultés. Il est navrant de constater que notre histoire s’écrit par des étrangers. C’est aberrant qu’on soit obligés de voir un documentaire sur Arte fait par des Français ou des Américains pour connaître notre propre histoire. »
Atika, 23 ans, étudiante en critique et histoire de l’art, plaide, quant à elle, pour l’indépendance citoyenne des femmes : « on est indépendants mais pas libres », regrette-t-elle. « 50 ans après, où sont les droits des femmes ? C’est la tache noire de l’indépendance. La moitié de la société est encore sous-citoyenne. C’est grave. Il va falloir lutter davantage pour changer le statut des femmes, pour changer le code de la famille, pour arracher le droit à l’avortement, le droit à l’héritage, l’accès au logement. C’est un grand chantier qui attend notre pays, à croire qu’on vient seulement d’accéder à l’indépendance ».
Belcourt. Marché Laâqiba. Sofiane, 30 ans, tient une table de cigarettes. Il ronge son frein en ruminant sa peine : « je suis agent d’entretien et de nettoyage au ministère de l’Énergie et des Mines et je viens de me retrouver au chômage. Mon contrat qui vient d’arriver à son terme n’a pas été reconduit. Ils vont certainement placer des gens de leurs connaissances comme d’habitude. Plusieurs de mes collègues sont dans la même situation. Nous sommes dans la précarité la plus totale. Moi, tout ce que je demande, c’est un travail stable, dans une institution étatique. Je fais ce métier depuis sept ans. J’ai travaillé chez le privé et c’est pire que le colonialisme français. Le privé te suce ton sang. Ce n’est pas vrai que les jeunes Algériens sont des fainéants. Ils ne demandent qu’à travailler mais dans des conditions dignes. J’étais dans un ministère et voilà que je me retrouve vendeur de cigarettes au marché. C’est injuste. »
« Cérémonies indépendante »
Place Audin. Effervescence militante au café Le Podium. Tahar Belabès, figure de proue du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC), est venu spécialement de Ouargla pour diriger une grosse manif à Alger le 5 juillet. C’est l’autre face des commémorations. « Nous allons organiser un rassemblement des chômeurs en brandissant des drapeaux noirs. Nous décrétons ce cinquantenaire journée de deuil national », martèle le leader du Comité des chômeurs. Tahar Belabès qui estime le taux « réel » de chômage autour de 25% poursuit : « Aujourd’hui, les Algériens subissent un colonialisme interne. Nous vivons sous le joug de la hogra, de la corruption, du népotisme et de la répression. Nous nous battons pour notre dignité. Ce régime devrait avoir honte de célébrer le cinquantenaire de l’indépendance au moment où le pays enregistre des cohortes de harraga et d’immolés. Le peuple algérien n’a pas encore recouvré son indépendance. Vous n’avez qu’à aller voir ce qui se passe à Hassi Messaoud, où les multinationales américaines et autres font la pluie et le beau temps. Nous, citoyens du Sud, nous vivons une situation de marginalisation et de mépris épouvantables. Mais nous sommes déterminés à faire valoir nos droits. Et nous ne céderons pas ! Qu’ils disent qu’on est ‘‘Al Qaïda’’, qu’on est ‘‘irhab’’, nous ne cèderons pas ! »
Parallèlement aux festivités officielles, plusieurs cérémonies « indépendantes », convient-il de le souligner, seront organisées jeudi prochain 5 juillet (sauf intervention de la police). Comme cette initiative du collectif RDLD (Réseau de défense des libertés et de la dignité). « Nous allons organiser une manifestation symbolique durant laquelle nous allons allumer des bougies, et nous allons réaliser une fresque en collaboration avec des artistes en faisant contribuer tous les citoyens qui désirent s’exprimer sur cet événement », explique Kader Farès Affak, militant protéiforme, membre fondateur du RDLD. « C’est notre manière de nous réapproprier cette date si chère à nos cœurs et de lui redonner du sens. Le 5 juillet est avant tout la fête du peuple algérien. Il est grand temps de sortir de la légitimité historique pour entrer dans la légitimité populaire. »
Colloque El-Watan : 50 ans après l'Indépendance, quel destin pour quelle Algérie?