Monsieur le Ministre,
Le Centre de crise et de soutien de votre Ministère m’a contacté avant mon départ en Syrie, le 5 de ce mois. Il m’a formellement déconseillé de procéder à un tel voyage. Bien que sensible aux arguments développés dans son message électronique, j’ai néanmoins décidé de me rendre dans ce pays, dont je suis revenu aujourd’hui, après avoir pris soin de m’inscrire sur le fichier Ariane. Intégré à un groupe de douze personnes de nationalité française, je m’exprime ici à titre strictement individuel pour évoquer deux sujets. Le premier concerne le rapport que le gouvernement français entretient avec la Syrie, le second concernera l’organisme auquel j’ai choisi de m’adresser. Je m’en tiendrai à quelques impressions générales, que j’exprimerai en toute indépendance, après être tout juste rentré d’un périple qui a profondément changé mon état d’esprit.
N’étant impliqué dans aucun domaine de la vie politique française et ne militant dans aucune association, je m’étais néanmoins efforcé de me tenir au courant des développements politiques et géopolitiques en relation avec la Syrie, et tout particulièrement ceux qui concernaient les communautés chrétiennes de ce pays. J’avais ainsi noté que vous aviez manifesté à plusieurs reprises de la compassion pour celles, de plus en plus nombreuses, qui souffraient d’un acharnement criminel de la part des djihadistes.
J’avais également noté mais avec peine que le gouvernement auquel vous appartenez entretenait de bons rapports avec des États qui soutiennent directement ou indirectement ces djihadistes, notamment en leur permettant d’acquérir les armes qui blessent et qui tuent les chrétiens de la région.
Alors que je m’étais rendu à Damas avec un a priori plutôt méfiant vis-à-vis d’un régime syrien dont vous dénoncez régulièrement la cruauté, mon circuit rapide en Syrie me permet aujourd’hui de formuler trois observations principales :
- Les communautés chrétiennes que j’ai rencontrées entre Damas et Lattakié semblent vivre en harmonie avec les communautés musulmanes de leur région ; ces rapports bienveillants s’inscrivent dans une tradition très ancienne qui ne semble pas près de disparaître.
- Dans l’ensemble les régions placées sous le contrôle du régime du président Bachar el-Assad sont calmes ; leurs habitants, malgré la crainte permanente de possibles exactions des terroristes, font preuve d’un grand courage et vaquent le plus possible à leurs occupations quotidiennes, y compris en prenant quelques jours de villégiature sur les côtes syriennes ; ils reconstruisent avec ardeur et espoir leurs maisons, leurs églises et les infrastructures de leurs villages.
- Ces mêmes populations, chrétiennes aussi bien que musulmanes, se montrent reconnaissantes au président Bachar el-Assad et à son armée de préserver leur quiétude, de prendre efficacement soin de leur sécurité et de leur permettre de faire fonctionner l’économie de la partie du pays toujours sous contrôle du régime. Les habitants n’hésitent pas à se protéger en prenant en main leur propre sécurité, aussi bien en ville qu’en campagne.
Bref, je veux témoigner auprès de vous, moi qui étais plutôt réticent vis-à-vis du régime syrien avant de me rendre sur le terrain, à la fois du caractère apaisé – si tant est que ce terme soit pertinent – de la société syrienne dans l’entité placée sous contrôle gouvernemental, de l’harmonie et du respect exemplaires qui règnent entre les communautés religieuses, et du soutien évident et non contraint de la population aux autorités officielles.
Cette description louangeuse effectuée, j’ai malheureusement constaté à quel point l’embargo décidé contre la Syrie par les puissances occidentales, dont la France, se révèle dommageable pour son peuple. Vous savez mieux que personne les souffrances que celui-ci a jusqu’alors endurées, que les habitants aient choisi de tenir bon sur leurs terres, de se déplacer ou de s’exiler. En toute hypothèse, l’embargo rend cette souffrance plus pénible encore, notamment quand il prive la population de produits de première nécessité.
C’est pourquoi, Monsieur le Ministre, je me permets de vous demander d’user de toute votre influence et de faire appel à votre cœur pour que soit mis fin à cet embargo le plus rapidement possible, au minimum en ce qui concerne les produits pharmaceutiques et médicaux. L’image de la France, si elle devait rester associée à cette mesure injuste puisqu’elle punit prioritairement les plus faibles et les plus innocents, serait durablement ternie non seulement en Syrie mais aussi dans le reste du monde.
Comme vous le voyez, Monsieur le Ministre, je n’entre pas dans des considérations politiques ou idéologiques, puisque je me contente – sans en avoir reçu le mandat mais en toute naïveté serais-je tenté d’écrire – de vous faire part de mon émotion et de ma tristesse après avoir constaté la situation des Syriens des régions que j’ai traversées. J’aime trop la France pour imaginer qu’elle puisse, par votre politique, aggraver les souffrances d’un peuple qui aime tant notre pays.
Je compte donc sur vous et j’en viens au deuxième sujet annoncé, qui porte sur l’organisme qui m’a permis d’effectuer ce voyage.
J’ai contacté l’association « Rassemblement de la Communauté Syrienne de France » (RCSF), dirigée par une franco-syrienne Madame Rima Khlifaoui, début juillet, ne connaissant rien d’elle. Après un échange de courriels j’ai décidé de rejoindre le deuxième « voyage de solidarité » organisé pour la première semaine d’août par cette association, non sans appréhension. Par prudence j’avais contacté vos services, qui ne m’ont pas rassuré. Néanmoins j’ai franchi le pas, essentiellement poussé par le désir de constater ce qui se passait sur le terrain, et tout particulièrement l’état d’esprit de la communauté chrétienne locale.
Loin de regretter mon voyage, qui s’est pourtant déroulé dans des conditions chaotiques, je remercie Madame Khlifaoui de m’avoir offert une telle opportunité de découvrir cette réalité du terrain. Cette femme, par sa connaissance précieuse du milieu syrien et par ses contacts de tous ordres sur place, a réussi à nous guider pendant une semaine à travers des lieux touristiques de première importance mais aussi à nous faire rencontrer des communautés chrétiennes locales, tout en accordant une importance primordiale à la sécurité des membres du groupe qu’elle avait constitué. Le Ministère du tourisme syrien s’est joint à elle dans cette tâche, notamment pour veiller à ce que nous soyons constamment escortés par des forces de sécurité aussi efficaces que sympathiques.
Si aujourd’hui je regrette le flou administratif et financier qui entoure cette jeune structure, et qui devrait rapidement disparaître, l’essentiel est ailleurs. Madame Rima Khlifaoui, son mari, ses amis syriens et mes compagnons de route, sans exclusive, m’ont fourni une opportunité unique – et très fatigante ! – de connaître les habitants de ce beau pays qu’est la Syrie, de sa culture, de son histoire et c’était là précisément ce que je recherchais.
En vous écrivant aujourd’hui, je tiens donc à rendre publiquement hommage à tous ces Français qui, bien qu’ayant comme moi transgressé vos directives, méritent le respect. J’espère que l’association pourra, sous une forme encore plus élaborée et transparente, renouveler cette expérience afin que d’autres Français participent de cet élan de solidarité qu’elle a su initier. Je forme le vœu que votre Ministère saura se montrer compréhensif malgré les légitimes conseils de prudence qu’il continuera certainement de prodiguer. J’espère enfin et surtout que les dirigeants français infléchiront leur politique afin que Français et Syriens puissent se découvrir et s’apprécier davantage.