1941… La guerre, une nouvelle fois la guerre ! Dans de Beaux Draps la France et l'Europe ! mais où sont les responsabilités ? L'école n'y est pas étrangère… Aujourd'hui encore, avec le concours de nouveaux instruments de propagande et d'abrutissement, bien plus efficaces…
Oh ! C’est pas que je vienne dire du mal des Beaux-Arts et de leur enseignement. Je trouve rien de plus essentiel. « Donnez-moi le privilège d’écrire les chansons d’un peuple et je serai bien au-dessus de celui qui fait les Lois. »
Voici le précieux adage tout à méditer.
Vous dites : « Le peuple a aucun goût ! Il aime que le faux, les ordures… »
Où qu’il aurait pris son goût ? Pas à l’école, on l’apprend pas. On se désintéresse du goût, de l’enthousiasme, de la passion, des seules choses utiles dans la vie… On apprend rien à l’école que des sottises raisonnantes, anémiantes, médiocrisantes, l’air de tourner con râbacheur. Regardez les petits enfants, les premières années… ils sont tout charme, tout poésie, tout espiègle guilleretterie… À partir de dix, douze ans, finie la magie de primesaut ! mués louches sournois butés cancers, petits drôles plus approchables, assommants, pervers grimaciers, garçons et filles, ragoteux, crispés, stupides, comme papa maman. Une faillite ! Presque déjà parfait vieillard à l’âge de douze ans ! Une culbute des étoiles en nos décombres et nos fanges !
Un désastre de féerie.
Quelle raison ? La puberté ? Elle a bon dos ! Non ! Parce que dressés tout de suite en force, sonnés d’emblée dès l’école, la grande mutilante de jeunesse, l’école leur aura coupé les ailes au lieu de leur ouvrir toutes grandes et plus grandes encore ! L’école n’élève personne aux nues, elle mutile, elle châtre. Elle ne crée pas des hommes ailés, des âmes qui dansent, elle fabrique des sous-hommes rampants qui s’intéressent plus qu’à quatre pattes, de boustiffes en égouts secrets, de boîtes à ordures en eaux grasses.
Ah ! C’est vraiment le plus grand crime d’enfermer les enfants comme ça pendant des cinq ou dix années pour leur apprendre que des choses viles, des règles pour mieux s’ahurir, se trivialiser à toutes forces, s’utiliser l’enthousiasme aux choses qui s’achètent, se vendent, se mangent, se combinent, s’installent, dilatent, jubilent Capital, qu’on roule avec, qu’on trafique, qu’on goupille, chignolle, lamine, brase, en cent enfers mécanisés, qu’on accumule dans ces dépôts pour les refiler à bénéfices… à la grouillerie des brutes d’achat. Quelle atroce farce ! Saisir les enfants à leurs jeux, les empêtrer minutieusement par examens impeccables de notions toujours plus utiles, tourner en plomb leur vif argent, leur river après les quatre pattes, que la bête gambade plus jamais, qu’elle reste prosaïque à toujours, fardée à hurler à mort, sous chape effroyable, à désirer toutes les guerres pour se dépêtrer comme elle peut d’une existence qui n’en est plus, qu’est une espèce de survie d’une joie trépassée depuis longtemps, enterrée toute vive à l’école.
Parce que si ça doit continuer notre existence pareille et même, telle qu’elle se déroule aujourd’hui, sur cette boue ronde, je vois pas beaucoup à quoi ça rime… Des catastrophes comme distractions… des hécatombes comme dessert… ça peut encourager personne…
On pourrait peut-être aviser, varier un peu nos usages… se demander par où ça pèche… À moins qu’on aime l’atrocité… les grands Beaux-Arts de catastrophe…
C’est important les Beaux-Arts, c’est pas moi qu’en dirais du mal… C’est la manière de s’en servir, c’est là qu’est le hic… Ça serait peut-être même une façon de rénover de fond en comble l’Europe et ses tristes vilains penchants, de lui retrouver un petit peu une âme, une raison d’être, un enchantement, une gaîté surtout, c’est ça qui lui manque le plus, une gaîté pour commencer, puis une mélodie bien à elle, une ivresse, un enthousiasme, un racisme d’âme et de corps, qui serait l’ornement de la Terre, la fontaine des plus hautes féeries ! Ah, nom de Dieu y en a besoin !
Pas un racisme de chicane, d’orgueil à vide, de ragots, mais un racisme d’exaltation, de perfection, de grandeur.
Nous crevons d’être sans légende, sans mystère, sans grandeur. Les cieux nous vomissent. Nous périssons d’arrière-boutique.
Vous voulez retrouver l’entrain ? la force créatrice ? alors première condition : Rénovez l’école ! recréez l’école ! pas qu’un petit peu… sens dessus-dessous !…
Tout doit reprendre par l’école, rien ne peut se faire sans l’école, hors l’école. Ordonner, choyer, faire éclore une école heureuse, agréable, joyeuse, fructueuse à l’âme enfin, non point morne et ratatinière, constipante, gercée, maléfique.
L’école est un monde nouveau qui ne demande qu’à paraître, parfaitement féerique, tous nos soins envers ce miracle ne consistent encore à ce jour qu’en brutalités méthodiques, en avortements acharnés.
Le goût du public est tout faux, résolument faux, il va vers le faux, le truqué, aussi droit, aussi certainement que le cochon va vers la truffe, d’instinct inverti, infaillible, vers la fausse grandeur, la fausse force, la fausse grâce, la fausse vertu, la fausse pudeur, le faux bonhomme, le faux chef-d’œuvre, le tout faux, sans se fatiguer.
D’où lui vient ce goût-catastrophe ? avant tout, surtout de l’école, de l’éducation première, du sabotage de l’enthousiasme, des joies primitives créatrices, par l’empesé déclamatoire, la cartonnerie moralistique.
L’école des bourrages, ressassages, des entonnages de fatras secs, nous conduit au pire, nous discrédite à jamais devant la nature et les ondes…
Plus d’entreprises de cuistreries ! d’usines à rogner les cœurs ! à raplatir l’enthousiasme ! à déconcerter la jeunesse ! qu’il n’en réchappe plus que noyaux, petits grumeleux rebuts d’empaillage, parcheminés façon licence, qui ne peuvent plus s’éprendre de rien sauf des broyeuses-scieuses-concassières à 80 000 tours minute.
Ô pions fabricants de Déserts !
Louis-Ferdinand Céline : Les Beaux Draps
Jean-Paul Brighelli est prof de lettres ; il a enseigné aussi bien en ZEP qu'en classes prépas. Il nous explique pourquoi et comment le niveau scolaire a tant baissé depuis maintenant plus de 50 ans (?)… et le constat déjà fait en 1941 par Louis-Ferdinand Céline ! Il pense que ceci est concerté. Que le néo-libéralisme triomphant fabrique consciemment des crétins, un peuple sans culture, qui ne pourra pas se révolter et se transformera en une sorte de société moderne d'esclaves, corvéables à merci.
Il décrit les moyens déployés pour rendre cette école inefficace :
1°) La méthode globale (et sa conséquence immédiate, la dyslexie). Le moyen est radical : grâce à cette aberration, c'est encore un miracle si certains élèves savent à peu près lire.
2°) Le Collège unique, instauré dès les années 70. L'idée de départ était séduisante mais le principe confond "égalité" et "équité". D'autant plus que le système est tout sauf équitable, faisant perdre des années de vie à des élèves obligés de s'ennuyer jusqu'à 16 ans dans des collèges où ils ne comprennent plus rien depuis des années...
3°) 'L'élève au centre du système" ? Autre fausse bonne idée, car elle a abouti à la baisse générale du niveau. Le but de l'école est d'élever ces ados jusqu'à un niveau de culture et de savoir, alors que, concrètement, depuis des années, on abaisse le savoir jusqu'au niveau des élèves.
4°) "80 % d'une classe d'âge au Bac". Résultat : les consignes de correction totalement aberrantes, des fautes flagrantes qui ne sont plus sanctionnées (directives ministérielles oblige), des notes augmentées en douce par les rectorats, un bac quasiment donné et qui, au final, ne vaut plus rien. Brighelli remarque avec justesse que les métiers qui, autrefois, recrutaient au bac, recrutent maintenant à la licence.
Jean-Paul Brighelli aborde de nombreux autres domaines ; dans ses chapitres thématiques, il parle des manuels scolaires, de la laïcité, de la violence, des ZEP, etc. Là où il est le plus frappant, c'est quand il nous rappelle le fossé gigantesque qui sépare l'immense majorité des établissements d'un côté, et les lycées ultra-favorisés de l'autre. La société a besoin d'une élite, qui sera toujours protégée contre les dérapages de la nouvelle pédagogie post-soixante-huitarde. Le problème, c'est que ces élèves d'élite sont les enfants des élites déjà au pouvoir. Plus aucune mixité sociale. Plus aucune chance pour ceux qui partent du bas.Un livre qui s'adresse autant aux parents qu'aux enseignants. Tout parent comprendra mieux pourquoi son enfant ne progresse pas intellectuellement à l'école. L'enseignant y retrouvera toutes les réflexions qui ont pu lui venir à l'esprit au sujet de la pratique de son métier.
Jean-Paul Brighelli : La Fabrique du Crétin, La mort programmée de l’école


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