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mardi 25 octobre 2022

Céline et nous : 90 ans de Voyage !

 

Nous fêtons cette année les quatre-vingt-dix ans de Voyage au bout de la nuit, ce « livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire ». L’occasion pour Émeric Cian-Grangé et ses invités de revenir sur la genèse et la réception de cette « manière de symphonie littéraire émotive », autant de manifestations symptomatiques de l’extraordinaire vitalité de ce roman phare qui, universel et révolutionnaire, continue d’interpeller les lecteurs du xxie siècle. « Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. » Ne manquez pas la soirée-événement autour du chef-d'œuvre de Louis-Ferdinand Céline.

Le mercredi 9 novembre à La Nouvelle Librairie, à partir de 18 heures. Avec la participation de Stanislas de la Tousche.




« Les malades ne manquaient pas, mais il n’y en avait pas beaucoup qui pouvaient ou qui voulaient payer. La médecine, c’est ingrat. Quand on se fait honorer par les riches, on a l’air d’un larbin, par les pauvres, on a tout du voleur. Des "honoraires" ? En voilà un mot ! Ils n’en ont déjà pas assez pour bouffer et aller au cinéma les malades, faut-il encore leur en prendre du pognon pour faire des "honoraires" avec ? Surtout dans le moment juste où ils tournent de l’œil. C’est pas commode. On laisse aller. On devient gentil. Et on coule. »

90 ANS DE VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

Le 15 octobre 1932 paraissait Voyage au bout de la nuit,
« du pain pour un siècle entier de littérature »


Émeric Cian-Grangé nous propose de découvrir la table des matières de "90 ans de Voyage, Céline et nous", ouvrage collectif à paraître ce 26 octobre 2022 dans la collection « Du côté de Céline » (Éditions de La Nouvelle Librairie).

Une soirée de lancement sera organisée à La Nouvelle Librairie le 9 novembre 2022, de 18 heures à 20 heures. Stanislas de la Tousche nous fera l’honneur d’interpréter des extraits du prix Renaudot 1932. — avec Thomas Desmond et 14 autres personnes.



















*   *   *

Entretien fantasmagorique…

« On sabote toujours les vivants… »

« Ça a débuté comme ça »

il y a 90 ans ! 90 ans que la sortie du fracassant
« Voyage au bout de la nuit »,
roman génial et fondateur.


Publication aux  éditions de la Nouvelle Librairie de « 90 ans de Voyage. Céline et nous »,  l'occasion pour le site « Éléments » de reproduire un entretien fictif d'Émeric Cian-Grangé avec l’auteur du Voyage au bout de la nuit, extrait la revue littéraire Livr’arbitres [François Gibault, Céline, Bouquins, 2022, 928 p.]. Un entretien fantasmagorique qui retrace les grandes étapes de la vie de Louis-Ferdinant Céline, où s’entremêlent vécu et littérature,  « rien qu’une histoire fictive ». Avec Émeric Cian-Grangé à la manœuvre, les réponses de Céline sont toutes extraites de ses livres.…


Émeric Cian-Grangé : Céline, où êtes-vous né ?

Louis-Ferdinand Céline : Courbevoie, Seine, Rampe du Pont, y en a que ça emmerde qu’il y a des gens de Courbevoie… l’âge aussi, je répète mon âge… 1894 !… La Seine a gelé cette année-là. Je suis né en mai. C’est moi le printemps. [D’un château l’autre et Mort à crédit]


Émeric Cian-Grangé : Que faisaient vos parents ?

Louis-Ferdinand Céline : Après la faillite dans les Modes à Courbevoie, il a fallu qu’ils travaillent double mes parents. On a quitté rue de Babylone, pour se remettre en boutique, tenter encore la fortune, Passage des Bérésinas, entre la Bourse et les Boulevards. C’était un magasin de « Modes, fleurs et plumes ». Y avait en tout comme modèles que trois chapeaux, dans une seule vitrine, on me l’a souvent raconté. [Mort à crédit]


Émeric Cian-Grangé : Comment s’est déroulée votre scolarité ?

Louis-Ferdinand Céline : Avec Grand-mère Caroline, on apprenait pas très vite. Tout de même, un jour, j’ai su compter jusqu’à cent et même je savais lire mieux qu’elle. J’étais prêt pour les additions. Le matin du certificat, ma mère a fermé sa boutique pour pouvoir mieux m’encourager. Le moment était solennel, elle pensait à Caroline, ça la faisait encore pleurnicher… Le lendemain tantôt, on a été avec maman chercher mon certificat… Monsieur Lavelongue nous l’a remis en personne… [Mort à crédit]


Émeric Cian-Grangé : Le certificat en poche, vous partez en Allemagne…

Louis-Ferdinand Céline : J’en sais un petit bout sur l’Allemagne !… hélas !… plus que je ne voudrais !… Diepholz, Hanovre !… Diepholz, la Volkschule !… 1906 !… on m’y avait appris le boche !… que ça me serait utile dans le commerce !… Salut ! ah ! Diepholz, Hanovre !… vous parlez de souvenirs !… [D’un château l’autre]


Émeric Cian-Grangé : Puis en Angleterre…

Louis-Ferdinand Céline : C’était une audace singulière, qu’on m’envoye si loin… Tout seul… Comme ça… Personne connaissait Rochester. On me donnait tout avant que je quitte. J’emportais tout en Angleterre, des bons principes… [Mort à crédit]
Émeric Cian-Grangé : Ces voyages d’études terminés, qu’ont décidé vos parents ?

Louis-Ferdinand Céline : On s’est demandé à ce moment-là ce qu’on allait me présenter ?… Ma mère, son plus grand désir c’était que je devienne bijoutier… Ça lui semblait très flatteur. Le lendemain, on s’est mis en quête d’une maison réellement sérieuse pour que je commence dans le commerce. Une place même un peu sévère, où on ne me laisserait rien passer. L’effroi de tréfonds, c’est d’être un jour « fleur », sans emploi… Je les ai en horreur les boulots. Je chierais bien dessus si on me laissait… C’est pas autre chose la condition… [Mort à crédit]


Émeric Cian-Grangé : La caserne de Rambouillet vous accueille en septembre 1912. Pourquoi avoir choisi d’être cuirassier ?

Louis-Ferdinand Céline : Ah ! Cavalerie indépendante ! Attendez, cavalerie d’élite ! d’Élite ! d’Élite ça veut reluire ! Gougnafes, que je bouille ! Le 17e cuirassiers ! Cavalerie lourde ! Corps cavalier ! Parfaitement ! Lourde ! Ma grosse branche ! Lourde, Parisien ! Mais bondissante ! Encule la légère tous les jours ! [Casse-pipe]


Émeric Cian-Grangé : Vous êtes blessé en octobre 1914…

Louis-Ferdinand Céline : J’ai payé… mutilo 75 % !… Oh, certainement depuis 14, il faut avouer il faut convenir les hommes de ma classe, c’est du rab !… c’est de l’arrogance de ne pas être morts… bien sûr que c’est équivoque !… [D’un château l’autre et Féerie pour une autre fois]


Émeric Cian-Grangé : Convalescent, on vous affecte en mai 1915 au consulat général de France à Londres, au service des passeports…

Louis-Ferdinand Céline : C’était pas tous les jours commode à cause des curieux ! Ça valait tout de même mieux qu’en face !… beaucoup mieux que faire le guignol au « 16e monté »… à crever mouillé tous les jours d’Artois en Quercy… Salut !… [Guignol’s band]


Émeric Cian-Grangé : Pourquoi, un an plus tard, partir en Afrique ?

Louis-Ferdinand Céline : Je n’avais pas assez d’argent non plus pour aller en Amérique. « Va pour l’Afrique ! » que j’ai dit alors et je me suis laissé pousser vers les Tropiques, où, m’assurait-on, il suffisait de quelque tempérance et d’une bonne conduite pour se faire tout de suite une situation. Si j’ai souffert aussi là-bas !… trois conjonctivites au Cameroun ! Bikobimbo, Rio Cribi, renseignez-vous ! [Voyage au bout de la nuit et Féerie pour une autre fois]


Émeric Cian-Grangé : Vous êtes effectivement rapatrié pour raisons sanitaires, en mars 1917. Vous travaillez alors pour une revue…

Louis-Ferdinand Céline : Le « Génitron » invention, trouvaille, fécondité, lumière !… C’était le sous-titre du journal. C’est bien moi qui devais me taper toute la bagotte des livraisons avec la voiture à bras… Tous les va-et-vient de l’imprimeur… Après deux mois à l’essai, Courtial avait parfaitement saisi que je me plairais jamais ailleurs… Que le condé du « Génitron » c’était entièrement pour mon blase, que ça me bottait exactement, qu’autre part dans un autre jus je serais toujours impossible… [Mort à crédit]


Émeric Cian-Grangé : Vous quittez néanmoins la revue quelques mois plus tard afin de travailler pour une fondation…

Louis-Ferdinand Céline : À la Carnegie, quand on conférenciait les ploucs d’un hameau à l’autre… toute la Bretagne et tout le Périgord… la fondation Carnegie… la propagande contre la vérole, les malformations infantiles… on en a collé des affiches dans les plus pires perdues bourgades… porté la bonne parole d’hygiène dans les provinces sans cabinets… Ah ! on s’est donné bien du mal, on a pas volé notre pognon… [Maudits soupirs pour une autre fois]

Émeric Cian-Grangé : L’obtention de votre baccalauréat en juillet 1919 vous permet d’entreprendre des études de médecine…

Louis-Ferdinand Céline : Toutes ses études en bossant, Ferdinand, d’un patron dans l’autre… Il marne depuis l’âge de douze ans !… 22 patrons Monsieur, 22… Ils l’ont tous foutu à la porte !… Il s’est caché dans les chiottes, il avait l’air d’aller se poigner, pour préparer ses examens… Je vous le dis tel quel… Mes études une fois reprises, les examens je les ai franchis, à hue à dia, tout en gagnant ma croûte. Quand j’ai eu tout de même terminé mes cinq ou six années de tribulations académiques, je l’avais mon titre, bien ronflant. Ainsi les bachots… la médecine… [Bagatelles pour un massacre et Voyage au bout de la nuit]


Émeric Cian-Grangé : En juin 1924, vous êtes embauché par la section Hygiène de la Société des Nations. Quel rôle y avez-vous joué ?
Louis-Ferdinand Céline : Par les circonstances de la vie, je me suis trouvé pendant quatre ans titulaire d’un petit emploi à la SDN, secrétaire technique d’un Juif, un des potentats de la Maison. Je faisais partie moi, du “petit Cadre”… des “auxiliaires”, des gens de peu. Mais alors, en fait d’expérience, je peux dire qu’elle m’a bien servi ! Je regrette pas mon temps à Genève. Quand je devenais inquisiteur, mon grand patron Yubelblat, il m’expédiait en voyages, en missions d’études… J’ai fait ainsi les continents à la recherche de la vérité. [Bagatelles pour un massacre]


Émeric Cian-Grangé : Vous trouvez ensuite un emploi dans un dispensaire qui s’ouvre à Clichy en 1927. Quelle était votre fonction ?

Louis-Ferdinand Céline : J’ai été nommé à la consultation d’un petit dispensaire pour les tuberculeux du voisinage. Il faut appeler les choses par leurs noms, ça me rapportait huit cents francs par mois. Comme malades c’était plutôt des gens de la zone que j’avais… Ils y passaient des après-midis et des semaines entières à espérer, dans l’entrée et sur le seuil de mon dispensaire miteux, tant qu’il pleuvait dehors, et à remuer leurs espérances de pourcentages, leurs envies de crachats franchement bacillaires, de vrais crachats, des « cent pour cent » tuberculeux crachats. [Voyage au bout de la nuit]


Émeric Cian-Grangé : En octobre 1932, Denoël publie votre premier livre : Voyage au bout de la nuit, qui rate de peu le Goncourt…

Louis-Ferdinand Céline : C’est le Voyage qui m’a fait tout le tort… mes plus haineux acharnés sont venus du Voyage… Personne ne m’a pardonné le Voyage… depuis le Voyage mon compte est bon !… encore je me serais appelé Vlazine… Vlazine Progrogrof… [D’un château l’autre]

Émeric Cian-Grangé : Mort à crédit sortira quatre ans plus tard, pendant le Front populaire…

Louis-Ferdinand Céline : Huit jours encore avant Mort à crédit pas un seul journal de la “gôche” qui ne soit venu par envoyé spécial, me passer une petite liche bien fourrée. M’offrir ses colonnes et à quels prix !… Huit jours plus tard quel déluge ! Ah ! les saloperies fumières !… Ah ! Comme ils sont tous vils et fiotes ! Ah ! si j’avais hurlé comme eux, comment qu’ils m’auraient trouvé beau ! Un Lion ! Prophétique messager ! Insurpassable ! Ah ! Qu’ils m’auraient intitulé : Une des Voix du Monde !… Ah ! S’ils peuvent courir vraiment aussi vite que je les emmerde comme ils vont le gagner le Grand Prix ! Quelle importance ces misères ? Je déraille !… [Bagatelles pour un massacre]


Émeric Cian-Grangé : De retour d’URSS, vous publiez Mea culpa en décembre 1936. Comment fut perçu ce pamphlet anticommuniste ?

Louis-Ferdinand Céline : À la suite de Mea culpa il m’est arrivé de Palestine tellement de lettres en quelques courriers, que ma concierge s’en est émue. Elle m’a demandé ce qu’elle devait faire. Les Juifs ils m’écrivaient en masse, de Tel-Aviv et d’ailleurs. Et puis alors sur un ton ! Dans les furies d’une de ces rages ! à en consumer les enveloppes ! Ils se poussaient au rouge-blanc, les énergumènes ! Ah ! les petits Passionistes !… Ah ! ils les aiment eux, les Soviets ! Ça je peux vous l’affirmer ! [Bagatelles pour un massacre]


Émeric Cian-Grangé : Entre 1937 et 1941, vous publierez trois autres ouvrages pamphlétaires : Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres et Les Beaux Draps

Louis-Ferdinand Céline : Parlons un peu d’autre chose… [Bagatelles pour un massacre]

Émeric Cian-Grangé : Soit… Comment avez-vous traversé la Seconde Guerre mondiale ?

Louis-Ferdinand Céline : C’était flatteur avant la guerre… « Céline, mon pote » !… Je savais par Pamela ma bonne les préparatifs de l’îlot… même de la Butte… la façon qu’on m’accommoderait… et puis mes cercueils, les « faire-parts » ? Je les rêvais pas ! Et les « condamnations à mort » solennelles, et jamais signées ? L’Allemagne 44… sous les bombardements ! et quels ! de ces bouillabaisses de bonhommes, incendies, tanks, bombes ! de ces myriatonnes de décombres ! et puis ensuite toutes les prisons ! et les cinq années de Baltique… et puis d’abord, j’oubliais ! toute la sauvette Bezons-la-Rochelle… et le naufrage de Gibraltar ! disons Bezons, Sartrouville, Clichy… ah, et aussi Siegmaringen !… [Féerie pour une autre fois et D’un château l’autre]


Émeric Cian-GrangéÉ : Siegmaringen ?

Louis-Ferdinand Céline : Là, y avait urgence un peu !… tous l’Article 75 au derge !… urgence, je répète ! Vous pensez si je sentais que ça venait à Siegmaringen !… “le mal a des ailes” !… que mon compte était bon !… d’une façon d’une autre !… “Bagatelles” je devais en crever !… c’était aussi entendu à Londres qu’à Rome où Dakar… et dix fois plus encore chez nous, là ! Siegmaringen sur Danube ! de toute façon j’y coupais pas ! « avec les livres qu’il a écrits » ! « ah ! vous n’aimez pas les juifs ! vous, Céline ! » la parole qui les rassurait !… que c’était moi qu’on allait pendre ! sûr !… certain !… mais pas eux ! pas eux ! ah, chers eux !… « les livres que vous avez écrits ! » je sauvais tout le monde par Bagatelles [D’un château l’autre]

Émeric Cian-Grangé : De Sigmaringen, vous partez pour le Danemark… où vous serez incarcéré le 17 décembre 1945, dans la prison de Copenhague. Votre état de santé nécessite alors une hospitalisation…

Louis-Ferdinand Céline : Oh mais pas que la pellagre au trouf ! l’Article 75 et le Parquet ! quatre « mandats » annulés, relancés ! et Gaëtan Serge d’Hortensia, l’Assesseur nègre de l’Ambassade, représentant l’union des Cingles, diplomatiques, politiques, coloniaux, et ectoplasmiques, qui m’injurie au jour levant ! Tomber plus bas qu’en réclusion, c’est difficile ! En plus de l’exil ! Gâté l’enfant ! Combien que le toboggan m’a pris ? Ressaisissez-vous faux curieux ! acquérez Féerie ! c’est tout ! Rentrez chez vous ! [Féerie pour une autre fois]


Émeric Cian-Grangé : À ce propos, vous ne rentrerez en France que le 1er juillet 1951, après avoir vécu à Klarskovgaard chez votre avocat, Thorvald Mikkelsen.

Louis-Ferdinand Céline : Puisque j’étais au Danemark, il fallait bien qu’ils me mettent quelque part !… Vous irez peut-être au Danemark en touriste… l’endroit vaut la peine… vous êtes forcé de vous reconnaître… Kongers Nytorv, place royale… Christian IV… cette Statue équestre… le tramway tourne autour, voitures très longues, couleur jaune… comme celui de Bruxelles… À Meudon, Bessy, je le voyais, regrettait le Danemark… rien à fuguer à Meudon ! mais elle a souffert pour mourir… oh ! elle ne se plaignait pas, mais je voyais… elle avait plus de force… c’était la fin… on me l’avait dit, je le croyais pas… mais c’était vrai, elle était dans le sens du souvenir, d’où elle était venue, du Nord, du Danemark, le museau au Nord, tourné nord… la chienne bien fidèle d’une façon, fidèle au bois où elle fuguait, Korsör, là-haut… [Rigodon et D’un château l’autre]

Émeric Cian-Grangé : Vous emménagez à Meudon en septembre 1951, au 25ter route des Gardes

Louis-Ferdinand Céline : Maintenant là, dix ans plus tard, à Meudon-Bellevue, on me demande plus rien… on me taquine un peu… mais à peine… je m’occupe pas des gens ! non plus !… d’autres soucis !… le gaz… l’électricité… le charbon ! et les carottes !… les pirates qui m’ont tout secoué, tout fourgué aux Puces, ont pas à souffrir de la faim, eux !… ni de rien !… le crime paye !… Mais j’ai peut-être tort de me plaindre… la preuve, je vis encore… et je perds des ennemis, tous les jours !… [D’un château l’autre]


Émeric Cian-Grangé : Oui, mais vous soignez les gens, tout en continuant d’écrire des livres…

Louis-Ferdinand Céline : Je me fais un tort énorme de porter moi-même les ordures… la preuve on m’appelle plus « Docteur »… seulement « Monsieur »… bientôt ils m’appelleront vielle cloche ! je m’attends… un médecin sans bonne, sans femme de ménage, sans auto, et qui porte lui-même ses ordures… et qui écrit des livres, en plus ! Mais un fait est là… mes livres se vendent plus… qu’ils disent !… ou presque plus… que je suis démodé, que je radote ! entourloupes ! salades !… coup monté ! je vous apprends rien, mes livres m’ont fait un tort immense !… décisif !… « avec les livres qu’il a écrits ! »… [D’un château l’autre]

Émeric Cian-Grangé : Céline, avez-vous des remords ?

Louis-Ferdinand Céline : On sabote toujours les vivants… on a mal le sens de la vie… comme j’en ai des remords intimes !… Courtial… Follet… Élisabeth… Édith… Jeanine… c’est autre chose que cent ans de prison !… Saloperie que je suis… Jules même, qu’est Dieu sait le vil être tout caméléon plein de venins je lui dois des philtres !… des reconnaissances !… Je mérite d’être traité effroyable… ce que j’ai saccagé ! bouzillman !… Je veux que mes morts me reconsidèrent !… « Pas si méchant que ça ! » ils diront… c’était les autres les vraies vaches !… les horreurs avaient déteint… [Féerie pour une autre fois]


Émeric Cian-Grangé : Pour clore cet entretien, comment envisagez-vous votre mort ?

Louis-Ferdinand Céline : Je suis pas fadé question longueur d’existence… Je me demande pour quand ça sera ? J’ai un sillon au bas du pouce… Ça sera-t-il une artériole qui pétera dans l’encéphale ? Au détour de la Rolandique ?… Dans le petit repli de la « troisième » ?… On l’a souvent regardé avec Metitpois à la Morgue cet endroit-là… Ça fait minuscule un ictus… Un petit cratère comme une épingle dans le gris des sillons… L’âme y a passé, le phénol et tout. Ça sera peut-être hélas un néo-fongueux du rectum… Je donnerai beaucoup pour l’artériole… À la bonne vôtre !… » [Mort à crédit]






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