Carnets de Voyages en Syrie avec la Communauté syrienne de France

Pages spéciales…

samedi 23 février 2013

Hommage à Monseigneur Pierre Boz…


« Il nous reste l’immense regret de n’avoir pas eu assez tôt la conscience d’une communauté, d’un peuple nouveau qui était en train de naître dans ce pays. Communauté et peuple nouveau que nous n’avons pas pu défendre. »


Monseigneur Pierre Boz,
Exarque patriarcal des melchites catholiques
est décédé à l'âge de 87 ans  le 15 février 2013 à l’hôpital du Val de Grâce


Ses obsèques seront célébrées
ce samedi 23 février 2013 en la Chapelle du Val de Grâce
Place Laveran 75005 Paris


Monseigneur Pierre Boz était Exarque Patriarcal des Melkites catholiques (Exarque du patriarche de Damas et de tout l'Orient), président de l'Association des Chrétiens originaires de Kabylie et de leurs amis, conseiller pour l'islam auprès de l'archevêché de Paris.

Oranais d'adoption, père blanc à Fort national, assistant de Monseigneur Bertrand Lacaste évêque d’Oran en 1962, chargé de mission par le cardinal Feltin en 1965, arabisant de longue date, spécialiste des dialectes du Maghreb, fin connaisseur de la culture berbère, islamologue, Monseigneur Pierre Boz est l'auteur d'un livre à découvrir « L’islam découverte et rencontre ».

Le 29 juin 1962, alors aumônier de la Petite Chapelle, il a participé à des négociations officieuses afin de faciliter le départ des commandos de l'OAS-Oran dont une partie quitteront le port d'Oran à bord du bateau le « Ville d'Alger » destination Marseille en tenue de brancardiers de la Croix-Rouge.

Le 5 juillet 1962, Pierre Boz présent à Oran vivra l'horreur des massacres des Musulmans et Européens français d'Algérie par les hordes FLN…


Un livre à découvrir…


Très soucieux d'entendre l'intériorité religieuse de cette expérience, il met en valeur ses proximités et ses différences avec celle des juifs et des chrétiens. Lors de la première édition de ce livre au début des années 1990, le contexte de l'islam était différent, moins marqué par la percée des mouvements fondamentalistes, la question du terrorisme, le développement et l'organisation d'un islam propre à la France. Cette nouvelle édition propose donc des informations complémentaires, avec de nouveaux chapitres consacrés par exemple à la notion de Djihad, aux forces en présence au sein de l'islam de France, ou aux commentaires nouveaux du Coran. Une excellente initiation à l'islam, conçue dans un esprit de compréhension, de respect et de dialogue.

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Homélie de Monseigneur Pierre Boz à Notre Dame de Paris, le 5 juillet 2012

Membre du groupe de recherche des Français disparus en Algérie, le 5 juillet 2012 à Notre-Dame de Paris Monseigneur Pierre Boz concélèbre avec Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, évêque auxiliaire de Paris, président de la cérémonie, une messe solennelle du souvenir pour toutes victimes des évènements 1954-1962, avec une intention particulière pour les enlevés et disparus et les religieuses et les religieux tués lors de ces troubles. Lors de cette messe Monseigneur Pierre Boz, l'Oranais, a prononcé cette très belle homélie :


Pierre Boz a passé une grande partie de sa vie en Algérie, comme enseignant de la langue arabe, ouvrant sur la lecture du Coran. Initié également au monde berbère par des années passées chez les Pères Blancs à Fort-National (Béni-Iratem), il a vécu d'abord à Alger, et ensuite à Oran, durant les évènements d'Algérie qui ont abouti à son indépendance en juillet 1962. Comme des centaines de milliers de Pieds-noirs et d'Algériens musulmans, qui ne pouvaient plus vivre dans ce pays, il a connu l'Exode et une "fin des temps". Il témoigne.

Monseigneur,

Chers amis « Pieds-Noirs »,

Nous sommes ici ce soir pour le souvenir et la prière d’intercession pour toutes les victimes de la guerre d’Algérie de 1954 à 1962. Le Seigneur les a déjà sûrement prises en grâces et en pitié, quelles que furent leur religion et leur foi.

Nous aurons une intention particulière pour les religieuses et les religieux massacrés durant ces évènements et les hommes, les femmes, les enfants enlevés et disparus à jamais.

S’il nous arrive encore de nous souvenir des drames vécus, des atrocités, des enlèvements et de ne pouvoir encore effacer certaines images qui rendent nos nuits interminables, c’est que nous ne sommes pas totalement guéris de cette fin des temps que beaucoup d’entre nous ont vécue. Comment réparer des blessures, les fêlures irréversibles striées dans nos cœurs et nos vies ? Cela donnera à notre mémoire l’empreinte de la douleur, du mal subi qui nous rendent solidaires de tous les peuples ou communautés victimes de génocide, même si ce mot terrible n’a pas encore é appliqué à notre histoire.

Mais une longue marche, une longue maturation ont été accomplies et assurées depuis cinquante ans par les hommes et les femmes de communautés si diverses qui constituaient notre quotidien sur notre Algérie natale, Ces hommes et ces femmes, nous sommes de ceux-là, juifs, musulmans, chrétiens ou sans aucune religion, furent condamnés à la Dispersion à la suite d’un invraisemblable mélange d’erreurs de jugement, de passions et peut-être aussi de haine et de trahisons. Si pour les décisions au plus haut niveau, si pour les engagements de toutes sortes qui sont à l’origine de notre sinistre destinée, nous n’avons pas été consultés, et délibérément écartés, nous savons du moins comment tout cela s’est passé. Et nous avons eu le temps avec le temps qui passe, de prendre la mesure de nos propres responsabilités comme « pieds-noirs », mais aussi une plus grande clairvoyance sur les responsabilités des autres acteurs du drame qui fut le nôtre.

Et jamais, dans cette quête, aucun sentiment de repentance ou une quelconque demande de pardon ne se sont imposés à nous. Il nous reste l’immense regret de n’avoir pas eu assez tôt la conscience d’une communauté, d’un peuple nouveau qui était en train de naître dans ce pays. Communauté et peuple nouveau que nous n’avons pas pu défendre. Nous fûmes même traités d’assassins lorsqu’il fut question de défendre la terre de nos morts.

Au-delà de toute rancune, au-delà de toute haine, la mémoire de ce passé reste une nécessité absolue pour sa transmission dans les temps à venir, comme une part irremplaçable de l’Histoire de la France, de l’Europe, de notre Mer commune, et aussi de l’Église. Ce passé fait désormais partie de l’héritage spirituel de nos enfants et des générations à venir. Il doit également peser sur notre propre réflexion, pour un retour et la cohérence sur nous-mêmes, la réconciliation avec notre histoire et notre place dans le monde et dans notre nouvelle patrie. Pour aller de l’avant, la réconciliation est nécessaire et signe de notre humanité, avec tout homme de bonne volonté qui a pu être notre adversaire, peut-être même notre ennemi, jusqu’à celui qui, par temps de folie, a tué ou enlevé l’un des nôtres.

Comme dit l’Écriture, jusqu’en éternité, seront reconnus ceux qui ont « traversé la Grande Épreuve » et qui restent signés du Sang de l’Agneau.

Mais il fallait aussi que Lumière soit faite sur ce passé.

Il fallait à tout prix, extraire de l’histoire, nos communautés d’Algérie, du magma idéologique et tragique dans lequel a baigné pendant des décennies, toute l’Afrique du Nord : fin de l’Empire Ottoman (1917), première revendication d’indépendance de l’Algérie en 1926, à Paris, et les 10 000 Algériens assassinés ou disparus, victimes des combats en France entre partisans algériens du pour ou du contre la France (entre 1945 et 1954), proclamation au temps de la « guerre froide » de la Troisième Internationale du Komintern Soviétique, déclarant que toute colonisation, identifiée à l’exploitation « de l’homme par l’homme », était le crime absolu pour les pays qui en bénéficiaient.

Plus profondément, il fallait séparer la guerre de conquête de l’Algérie, guerre hélas semblable à toutes les guerres durant lesquelles assaillants et assaillis commirent des actes irréparables, séparer la guerre de conquête d’avec l’arrivée sur ces terres africaines, des hommes et des femmes les plus pauvres de la Méditerranée. Les Métropolitains eux-mêmes se rendirent compte, lors du l’Exode imposé en 1961-1962, que les descendants de ces premiers arrivés, appelés « Pieds Noirs » n’avaient aucune ressemblance avec les découvreurs conquérants d’Isabelle la Catholique, revenant des Amériques, sur des galions remplis des trophées et d’or. Plus de cent ans de « colonie » n’avaient pas transformé ces hommes et ces femmes en « maîtres d’esclaves », ni en possesseurs de trésors. Ils n’avaient que le souvenir de leurs morts, leurs ancêtres qui n’ont vécu, la plupart d’entre eux, sur cette terre, que les années de leur jeunesse de pionniers et d’ouvreurs d’espaces nouveaux, tant cette terre était ingrate et dure, et depuis des siècles fermée sur elle-même. Leur existence ne dépassait pas trente cinq ans.

Et pourtant que de liens créés, qui ne nous font que regretter cet immense gâchis de cette fausse guerre d’Algérie, durant laquelle les habitants de ce pays ont failli perdre leur âme et le culte héréditaire de la lumière et de terre et de la mer ! Ce fut une histoire achevée par un simulacre de traité de paix entre des communautés qui avaient déjà appris à vivre ensemble, à faire la fête ensemble, et à mourir ensemble.

Et mourir ensemble aussi pour une Patrie, découverte dans la douleur et dans le doute, mais avec quelle loyauté et quelle générosité. Ceux de nos frères algériens qui sont morts et ont souffert pour notre commune patrie ne sont ni des traitres ni des renégats. Ce sont les meilleurs d’entre nous. Car leur route fut plus longue et souvent plus cruelle que la nôtre, combien semée de malheurs. Mais ils sont avec les « Pieds-Noirs », les annonciateurs de temps nouveaux que nous vivons. Avec le retour parmi nous en « terres d’Occident » de nos frères d’Afrique du Nord. C’est avec eux qu’il faudra construire un monde nouveau. Si le chagrin, surgi de l’abandon de leur terre l’Algérie, a fait mourir prématurément, nombre de nos anciens, lors de leur exil en 1962 en France ou ailleurs en Méditerranée, jamais le suicide pratiqué par nos ancêtres les Donatistes n’a traversé le cerveau d’un « Pied-Noir ». Revenus en Europe, les «Pieds-Noirs » se sont remis à la tâche avec un courage et une persévérance qui étonnèrent les Métropolitains. Ceux-ci eurent du mal à reconnaître en ces hommes et ces femmes, ceux ou celles qui « auraient fait suer le burnous » ou auraient humilié l’ « indigène » comme on disait alors. C’est ainsi que certains observateurs de la vie économique de l’Europe n’hésitent pas à signaler, à décrire le rôle et la part non négligeable prise par les Français d’Algérie, dans l’embellie économique et les progrès acquis durant les « Trente Glorieuses » en France.

Nos frères des communautés ecclésiales d’Europe furent étonnés de la ferveur, de la chaleur des chrétiens venus d’Algérie dans l’expression de leur foi et aussi de leur expérience et des difficultés de la Rencontre avec l’Autre.

Mais à une autre échelle ou perspective, cette vie commune de plus d’un siècle, et cette rencontre au niveau de la pensée et du comportement quotidien, qui sont les bases de toute rencontre durable au-delà des cultures, cette première rencontre entre Orient et Occident après les Croisades, dans un tout autre contexte, n’a-t-elle pas semé des germes qui ont lentement mûri pour au moins initier ces mouvements profonds qui bouleversent actuellement, dans un sens positif, nous l’espérons de tour notre cœur, le monde arabo-musulman ?

C’est ce rôle qu’ont joué les chrétiens du Moyen-Orient auprès de leurs compatriotes, lors de la « Renaissance » de ce continent à la fin du 19e siècle.

Et commence à se lever au milieu de nous ce souffle, non pas de l’oubli qui serait une trahison pour notre histoire, commence à se lever au milieu de nous, ce Souffle de l’Esprit, ce souffle de l’Espérance, cet espoir qui purifie, qui dégage des horizons nouveaux pour des routes nouvelles, fi sabil lillah, « sur la voie de Dieu » comme on disait autrefois ?

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