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mardi 27 décembre 2011

Marc-Édouard Nabe à propos de L-F Céline : « Cherchons un domaine dans lequel il n'excelle pas. Cherchons… »




Aujourd'hui 27 décembre, c'est l'anniversaire de Marc-Édouard Nabe (53 ans), et c'est lui qui fait le cadeau : deux heures d'entretien solo sur Louis-Ferdinand Céline ! L'intégrale de l'interview réalisée le 1er avril 2011 dont Arte n'a retenu qu'une minute et vingt secondes dans son émission Le Procès Céline, diffusée le 17 octobre 2011.

C'est un exposé savant et passionnant, posé, puissant. Il est nourri, c'est évident, par l'admiration — de quel droit pourrait-on la juger outrancière ? — que Nabe porte à Céline. Le propos frappe par la masse de connaissances détaillées et de réflexions personnelles que l'auteur du Régal des Vermines a accumulées sur l’œuvre célinienne depuis le jour de son adolescence où son père le jazzman lui a mis Rigodon entre les mains. Son premier choc littéraire qui sera suivi de beaucoup d'autres, mais décisif et fondateur : le dessinateur satiriste précoce, le teen-ager amateur de bandes dessinées, le jeune musicien de jazz, le peintre en devenir, sera finalement et définitivement un écrivain.

Nabe le dit à un moment, Céline n'est pas le seul écrivain qu'il admire, mais il est pour lui le plus grand car il excelle dans tous les compartiments de la littérature (élégance, préciosité, violence, lyrisme, sarcasme, psychologie, humour, poésie, romanesque, tragédie, blablaba, ..., tous). C'est ce qui le rend exceptionnel comparé à d'autres très grands auteurs qui travaillent dans un registre ou deux, mais ne couvrent jamais, au fil de leur œuvre, le spectre entier de la littérature, comme fait Céline. Des écrivains de son niveau, il n'y a, dit Nabe, que Shakespeare et Dostoïevski. 

Pour en revenir au pseudo Procès Céline de l'émission télé (génie ou salaud ?), Nabe tranche net. Sa démonstration tient en une proposition : l'homme-écrivain et son œuvre sont absolument et nécessairement indissociables, et rien de l’œuvre ne peut en être soustrait. Le dossier Céline est vide sur le plan judiciaire, et plein sur le plan littéraire. CQFD.

Il faudrait faire une captation à l'écrit (verbatim) de tout ce que Nabe dit dans l'entretien.

Cet entretien de deux heures couvre la vie et l’œuvre entière de Céline sous d'innombrables aspects (la cohérence totale, la chronologie et les romans, les titres, l'orgueil littéraire, la revanche, l'exagération, le rire, l'argent/l'or, les femmes, le personnage composé et son décor, Lucette, etc.). Nabe se resservira sûrement de cet exposé magistral d'une façon, d'une autre, ou de plusieurs, dans ses prochains livres. En attendant j'ai pris quelques notes sur les Pamphlets parce qu'on entend dans l'entretien que Nabe travaille actuellement à restituer leur statut d’œuvres littéraires à Bagatelles, Mea Culpa, L'École des cadavres, Les Beaux Draps. La thèse de Nabe est que ce que l'on appelle en raccourci Les Pamphlets ne peut être  dissocié du reste de l’œuvre.

“ Se poser la question de savoir si Les Pamphlets sont une œuvre littéraire, c'est à la fois : ne pas les avoir lus et ne pas savoir ce qu'est une œuvre littéraire.  ”

Bagatelles pour un massacre est une réaction très forte de Céline qui se venge des critiques littéraires qui n’ont pas bien compris Mort à crédit, son roman précédent. 
 Avec Mort à crédit, Céline et son éditeur espéraient prendre une revanche sur l’échec au Goncourt quatre ans plus tôt. Céline avait déjà très mal vécu le prix Renaudot attribué au Voyage au bout de la nuit. Mais loin d’obtenir le Goncourt, Mort, très mal accueilli, est une énorme déception, un choc émotionnel pour l’écrivain lâché par ses admirateurs du Voyage.  De là date sa rupture nette et définitive avec le milieu littéraire, et l’abandon de l’espoir qu’il avait porté de pouvoir lui plaire, en être. Son orgueil (grand, justifié) est bafoué. Tout part de là. Il interrompt l’écriture de Casse-Pipe, la suite de Mort à crédit qui devait couvrir la période 1912-1914 de son incorporation dans l’armée.


On est en 36, il a fait un voyage décevant à Moscou, et publié au retour Mea Culpa, son premier essai dans le genre pamphlétaire. Paradoxalement, Mea Culpa est bien reçu. On le flatte en louant sa plume de pamphlétaire. Cela enrage encore plus Céline. C’est un comble ! Un pamphlet de vingt-sept pages pondu durant l’été, un devoir de vacances, remporte plus de succès qu’une fresque romanesque sur laquelle il a travaillé pendant quatre ans !

Après le communisme pour Mea Culpa, il cherche et trouve une autre thématique, une autre tête de turc ! Ce sera Bagatelles. Sa secrétaire d’édition a rapporté qu’elle n’avait jamais entendu de la bouche de Céline, ou lu de sa plume quoi que ce soit d’antisémite avant les premières pages de Bagatelles pour un massacre. Pour Nabe, l’antisémitisme de Bagatelles est un projet littéraire. Cela ne vient pas de l'éducation. C’est apparu brutalement, par l’écriture.

Nabe remarque que tout le monde parle de Bagatelles, mais que personne ne dit ce que c’est, ce qu’il y a dedans :
— Je n'ai jamais vu, dit-il,  dans aucun livre de spécialiste ou pas, quelqu’un qui nous fasse le plan de Bagatelles !
— Et c'est pour ça que je vais le faire, d'ailleurs ! Mais pas chez vous (rire franc) ! Je vais l'écrire.

Bagatelles pour un massacre est un chef d'œuvre, et le jour où il ressortira.... on s'en apercevra… ”



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