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samedi 26 mars 2011

Au tribunal ! De Gaulle : 26 mars 1962 (massacres population civile - 1)


26 MARS 1962...
DE GAULLE PRÉMÉDITE UN MASSACRE DE LA POPULATION CIVILE FRANÇAISE,  RUE  D'ISLY À ALGER

Cette tragédie suit et est la conséquence préméditée du « siège de Bab-el-Oued » en application de directives  personnelles de De Gaulle : 23 MARS 1962 - LE SIÈGE DE BAB-EL-OUED 

« La France est en état de péché mortel et elle connaîtra, un jour, le châtiment »  
Maréchal Alphonse Juin

Lundi 26 mars 1962.
Un tract émanant de l’OAS, à l’instigation du colonel Vaudrey, demandait à la population du Grand Alger de gagner, en une «manifestation de masse, pacifique et unanime, drapeaux en tête, sans aucune arme et sans cri, le périmètre du bouclage de Bab-El-Oued ».
« Non ! Les Algérois ne laisseront pas mourir de faim les enfants de Bab-El-Oued. Ils s’opposeront jusqu’au bout à l’oppression sanguinaire du pouvoir fasciste. »
Peu désireuse de voir les Algérois dans la rue, la Préfecture de police interdit la manifestation et pour appuyer cette décision, un important dispositif fut mis en place. Il était plus important et plus lourd au fur et à mesure qu'on se rapprochait de la "frontière de Bab-el-Oued". Avenue du 8-Novembre, des chars de 30 tonnes braquaient leurs canons de 75 vers Bab-el-Oued et vers la place du Gouvernement.
De celle-ci au square Bresson, des half-tracks et des automitrailleuses avaient pris place, tourelles tournées vers les terrasses des immeubles et le centre de la ville. Boulevard Carnot on trouvait des C.R.S. Plus près de la Grande-Poste, des militaires de l'Infanterie et plus loin des Marsouins aux côtés desquels on voyait également des C.R.S. Rue Charles Péguy des camions militaires avaient été mis côte à côte, barrant la rue dans toute sa largeur.
Un pressentiment désagréable envahit cependant bon nombre d'Algérois. Si le Préfet, Vitalis Cros, avait vraiment voulu interdire la manifestation, pourquoi ne pas avoir, tout simplement  instauré le couvre-feu ? Pourquoi ne pas avoir informé la population des ordres d'ouverture du feu donnés aux forces de l'ordre ? Il est probable que bon nombre de manifestants seraient restés chez eux ce jour là.  Mais la manifestation devait se produire, on se contenta donc de l'interdire.
Le haut commandement militaire, pour des raisons qui ne seront jamais élucidées, avait désigné, en particulier, pour assurer le service d'ordre, le 4ème Régiment de Tirailleurs, composé en majeure partie de Musulmans, des appelés de surcroît. Ces hommes, fourbus, énervés, fébriles, agressifs à l'excès, avaient été « mis en condition » par le bouclage de Bab-el-Oued auquel ils avaient participé. Par ailleurs, ils avaient été enrôlés dans une armée qu'ils ne considéraient pas - ou qu'ils ne considéraient plus - comme la leur dès lors que le cessez-le-feu avait été proclamé et que  l'indépendance était imminente. Ils se devaient, par conséquent, de donner des gages de fidélité et de bonne conduite à leurs futurs chefs et amorcer, au mieux, leur « reconversion » dans la future armée algérienne. La situation était idéale ! Ainsi, le moindre incident, la plus minime provocation, pouvait faire craindre le pire et les autorités le savaient !
Cette unité, en l'absence étrange de son chef, le colonel Goubard, était commandée par le chef de bataillon Poupat qui avait reçu des ordres qui le firent sursauter : « Arrêter la manifestation par tous les moyens, au besoin par le feu ! »
L'officier était ahuri. Un ordre d'une telle gravité ne pouvait-être donné que par écrit... et il avait en mains la preuve de ce qu'on lui demandait de faire. Aussi, à son tour, il le transmit à ses commandants de compagnie en précisant toutefois de ne faire usage du feu qu'en cas de légitime défense.
Vers 14h45, la foule estimée à plusieurs milliers de personnes arriva aux abords de la rue d'Isly. Il y avait là des hommes de tous âges, des femmes, des enfants. On était venu en famille et comme pour le 13-Mai, on avait sorti les drapeaux tricolores et les médailles que les pères et les grand-pères arboraient fièrement.
Là, les manifestants allaient buter sur un barrage de tirailleurs commandés par le lieutenant Ouchène. Ce fut l'offensive du charme chère aux Algérois... et qui avait si bien réussi jusque là...
On parlementa, on chercha à fléchir le jeune officier en lançant un appel au patriotisme. "J'ai des ordres pour ne pas vous laisser passer", répondit-il. Finalement, le lieutenant accepta de laisser passer une délégation avec un drapeau tricolore en tête. Mais la foule trépidante s'infiltra à travers cette brèche et rompant le barrage se répandit dans la rue d'Isly poursuivant sa marche vers le square Bresson.
Aussitôt un renfort de soldats fut envoyé par le commandant Poupat afin de créer un nouveau barrage. Il s'agissait de quatre sections aux ordres du capitaine Gilet qui, très vite, allaient entrer en contact avec les manifestants. Comme précédemment, l'offensive de charme fut lancée. Cependant, le lieutenant Ouchène, ayant appelé sa seconde ligne à la rescousse, réussit à reconstituer son barrage, à couper et à arrêter le cortège. Ainsi, ceux qui étaient passés, se retrouvaient bloqués ; ils ne pouvaient plus ni avancer, ni reculer. Un sentiment de malaise envahit aussitôt quelques manifestants qui se voyaient enfermer comme dans un piège...
La tragédie se nouait.
Il était 14h50 à l'horloge de la Grande Poste. Soudain,  une rafale d'arme automatique  dirigée sur la foule déchira l'air. Elle provenait d'un pistolet mitrailleur servi par un tirailleur situé à proximité du bar du Derby, sur le trottoir des numéros impairs de la rue d'Isly. Cela est une certitude ! Ce fut le déclenchement de la fusillade généralisée.  Aussitôt, les armes crachèrent le feu, la mort et répandirent la terreur. Rue d'Isly, rue Chanzy, rue Péguy, rue Alfred-Lelluch, boulevard Carnot, ce fut une abominable boucherie.
Les premières victimes furent foudroyées dans le dos à bout portant, comme en témoigneront les brûlures constatées sur leur peau et leurs vêtements. C'était la confusion et la panique, la fuite générale et éperdue. Des gens se réfugiaient dans les entrées d'immeubles, d'autres se couchaient, certains, croyant être protégés dans l'entrée d'un magasin, s'y entassaient : quelques secondes plus tard, ils étaient tous touchés par une rafale. Les vitrines volaient en éclats entraînant d'horribles blessures. De partout, les tirailleurs musulmans, tout sang-froid perdu, les yeux fous, en transe, utilisant pour certains des balles explosives - comme le démontrera le type des blessures infligées - vidaient chargeur sur chargeur, parfois fusil mitrailleur à la hanche, sur le tourbillon humain qui s'agitait frénétiquement devant eux et qui, très vite, s'immobilisa sous les rafales, cherchant à se confondre avec le sol qui n'offrait le moindre abri.
Çà et là,  des corps sanguinolents s'amoncelaient. Des flaques de sang recouvraient l'asphalte et commençaient à courir le long des caniveaux. Chaque Européen était devenu proie, gibier.
Un enfant qui s'était accroché à un panneau publicitaire apposé à la façade de la Poste, s'écroula sur les marches, un mètre plus bas...
La tempête de fer et de feu faisait rage. Les armes de tous calibres semaient la mort avec une joie féroce, dirigée par des Français sur d’autres Français. Des hommes qui, déjà, se portaient au secours des victimes étaient touchés à leur tour.  Au fracas des armes se confondaient les hurlements de peur et de douleur, les plaintes, les râles et les prières de ceux qui  demandaient pitié. Mais de pitié il n'y en avait aucune chez ces monster- là.  C'était un spectacle horrible, inhumain. Dans le tumulte des détonations, on percevait d'autres cris de détresse :
« Halte au feu! Halte au feu ! »
« Mon lieutenant, faites cesser le feu, je vous en prie ! »
Des gamins se réfugiaient en hurlant sous les voitures à l'arrêt, des femmes se serraient dans les coins des paliers, criant et pleurant, d'autres, comme sonnées, écarquillaient les yeux, effarées par ce qu'elles voyaient.
La grêle de mitraille arrachait en cette confusion les hurlements de ceux qui étaient atteints. La vie déchirée gémissait, se retirait, en aboutissant péniblement au silence suprême. Qui sait combien de temps cette tuerie durera encore? Cherchant un abri, un jeune adolescent en culottes courtes, courbé, la tête protégée entre ses bras, traversa la rue en courant. Une rafale lui zébra le corps. Le malheureux tomba en criant sa douleur. Son corps roula plusieurs fois sur l'asphalte rougi avant de s'immobiliser. Un soldat portant distinctement des bandes vertes sur son casque visait lentement, patiemment : 50 mètres plus loin, un pauvre vieux courait, trébucha, se redressa, se remit à courir... le coup partit... et ce fut fini!
Pourquoi ? Assassin ! Pourquoi ?... Les gosses, les femmes, les vieux et même les hommes, quand ils sont désarmés ça ne peut se défendre. Dans le dictionnaire, y a-t-il un mot qui qualifie une action aussi abominable?
La foule subissait cette fusillade folle et, en dépit du vacarme assourdissant, l'on discernait clairement les flots de prières qui s'élevaient de cette arène sanglante, rendant plus tragique encore cette vision de cauchemar...
Au milieu de plaintes, de râles et de supplications, dans une jouissance frénétique, les tortionnaires achevaient les blessés. Le Professeur Pierre Goinard de la faculté de Médecine d'Alger, sommité algéroise, témoignera :
- Une femme de 40 ans, blessée, couchée par terre, boulevard Laferrière, se relève ; un soldat musulman la tue d'une rafale de P.M. Mat 49, à moins d'un mètre, malgré l'intervention d'un officier.
- Un vieillard, rue d'Isly. Le soldat musulman lui crie "couche-toi et tu ne te relèveras pas !" Et il l'abat...
- Deux femmes, blessées à terre, qui demandent grâce ont été achevées à coups de fusil-mitrailleur.
- Une femme, place de la Poste, blessée, gisait sur le dos. Un soldat musulman l'achève d'une rafale. L'officier présent abat le soldat.
- Un étudiant en médecine met un garrot à un blessé. Au moment où il se relève avec le blessé, il essuie une rafale de mitraillette.
- Un médecin a vu, de son appartement, achever pendant plusieurs minutes les blessés qui essayaient de se relever.
André Badin, colonel honoraire d'Infanterie et avocat à la Cour d'Appel d'Alger, dira :
« J’ai été blessé par la première rafale et suis tombé à terre. Un couple (mari et femme) a également été blessé à côté de moi, et alors qu’ils se trouvaient tous les deux à terre, le mari a reçu une balle dans la tête. J’ai vu sa femme lui soulever la tête et lui dire de lui répondre. Lorsque cette personne s'est rendu compte que son mari était mort, elle a poussé des cris atroces qui retentissent encore dans ma tête. »
Un civil, ancien de la Première Armée, cria en direction du lieutenant Ouchène :
- C'est sur une foule désarmée que vous tirez et d'où n'est venue aucune provocation. Arrêtez le feu, bon sang!
Et le lieutenant de répondre :
- Je devais faire mon devoir ; j'avais des ordres...
S'apercevant alors de l'épouvantable méprise, Ouchène et le capitaine Techer, des civils également, hurlèrent « Halte au feu! ». Mais une démence s'était emparée des tirailleurs, l'hystérie de tuer, la haine envers les Pieds-Noirs et, en cet instant, le rejet de la France.
« Arrêtez donc, calmez-vous ! »
« Au nom de la France, halte au feu ! »
En vain. Et soudain, le lieutenant Ouchène, que pressaient ou injuriaient les civils, fondit en larmes, à bout de nerfs...
Cette scène sera enregistrée par René Duval, envoyé spécial d'Europe n°1. Cependant, il n'y eut pas que les tirailleurs musulmans - dont la plupart avaient déjà peint leur casque en vert - qui firent preuve de sauvagerie. Les témoignages en ce sens sont formels : C.R.S. et gardes mobiles participèrent également à la tuerie, notamment, la CRS 147 qui barrait l'entrée du boulevard Baudin, la CRS 182 qui bloquait l'entrée de l'avenue de la Gare et la CRS12 qui occupait la rampe Chassériau.
Après avoir laissé passer une partie de la foule qui s'était avancée boulevard Baudin, les C.R.S. s'embusquèrent derrière leurs cars ou derrière des arbres. Sans provocation de quiconque ni tirs provenant des immeubles, ils ouvrirent brusquement le feu vers les rues Sadi Carnot, Clauzel et Richelieu et vers le bd Baudin, faisant d'innombrables victimes.
Une anecdote très caractéristique de la haine que vouaient ces "policiers" à la population algéroise a été rapportée par René Louviot, Officier de la légion d'honneur :
« À l'issue de la fusillade - à laquelle les C.R.S. ont participé - ces derniers faisaient lever les bras aux passants et les matraquaient sur le crâne à coups de crosse ».
Il rapportera qu'un jeune garçon et deux jeunes filles, dont l'une portait un drapeau tricolore plein de sang et crêpé de noir se firent violemment insulter par ces fonctionnaires de police en ces termes : 
« Vous pouvez vous le mettre dans le cul votre drapeau tricolore… Va sucer les tétons de ta mère ! »
« Des A.M.X. sont passées dans la rue Bertezène et, à la vue du drapeau taché de sang, les hommes ont fait un "bras d'honneur" ».
Les gendarmes mobiles (rouges), ne furent pas en reste dans l'accomplissement de ce massacre. Ils ouvrirent - sans provocation aucune - le feu au tunnel des Facultés vers la rue Michelet et vers la rue d'Isly par l'enfilade de l'avenue Pasteur, de même de la terrasse du Gouvernement général vers les immeubles faisant face au Forum.
Plus grave, après la fin de la fusillade, ils tirèrent sur les blessés et leurs sauveteurs se dirigeant vers la clinique Lavernhe dans l'avenue Pasteur, et longtemps après ils tuèrent Monsieur Zelphati qui avait cru – le danger passé - pouvoir s'approcher de sa fenêtre, devant son frère, sa femme, et son petit garçon.
Enfin la fusillade se tut, remplacée aussitôt par la ronde infernale des hélicoptères et le hululement des sirènes des ambulances.
Sur les lieux du carnage, le spectacle était abominable, insoutenable, inhumain. Des corps d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards jonchaient les trottoirs et la chaussée, se tordaient de douleur dans des mares de sang. Plaintes et râles s'élevaient, insoutenables, dans cette rue brûlée par un soleil fou et qui avait pris le visage de l'épouvante.
Le sol était jonché de morceaux de verre, de chaussures de femmes, de foulards, de vêtements, de débris de toutes sortes... et de centaines et de centaines de douilles. Un vague nuage de fumée et de poussière s'étendait au-dessus des maisons. L'ombre de la mort planait sur Alger. Les blessés appelaient, les survivants étaient blêmes, hébétés, traumatisés à jamais.
Les secours s'organisaient. On chargeait les blessés dans les ambulances, on réservait les morts pour les camions militaires. De l'un d'eux, non bâché, on apercevait avec horreur des corps sanguinolents, des corps empilés que l'on conduisait à la morgue, des corps qui ne demandaient qu'à rester français et à continuer de vivre dans le pays de leur enfance.
Adossé contre un platane, un homme dépoitraillé se tenait le ventre, du sang entre ses doigts, maculant son pantalon. Près du corps d'une jeune femme sans vie, une petite fille pleurait. Un peu plus loin, une jeune fille de dix-sept ans environ avait pris une rafale en pleine poitrine. Adossée à un mur, elle baignait dans son sang.
Les plaies des victimes atteintes par les balles explosives étaient impressionnantes, effroyables et provoquaient d'atroces douleurs.
Monique Ferrandis, gravement blessée ce jour-là, témoignera sur le pouvoir de destruction de ce type de munition :
« J’ai senti une brûlure atroce dans la fesse gauche, une brûlure qui s’est irradiée dans mon ventre et m’a fait énormément souffrir immédiatement. J’avais le bassin pris dans un étau… lourd, avec une brûlure. J’ai appris plus tard que c’était une balle explosive. J'ai d'ailleurs toujours des éclats dans le bassin. J'ai rampé à plat ventre pour me mettre à l'abri. Une seconde balle m'a fait exploser le pied droit. La balle est rentrée sous le pied et, en répercutant par terre, elle a fait exploser le pied qui n'était plus que de la charpie, une bouillie atroce. »
Durant quatre heures, les chirurgiens opérèrent Monique Ferrandis. Depuis ce jour funeste où sa sœur Annie-France fut également atteinte d’une balle dans le ventre et où sa troisième sœur, Renée, perdit la vie, tout n’a été que souffrance, soins et opérations…
À l'issue de l'intervention chirurgicale, la jeune fille (qui n’avait pas 20 ans) demanda qu’on lui remette les balles qui avaient été extraites. On lui répondit qu’elles avaient été aussitôt saisies par les enquêteurs. Il ne fallait qu'aucune trace de ce monstrueux forfait ne subsiste…
Sur les lieux du carnage, ceux qui n’avaient pas fuit l’apocalypse, contemplaient avec tristesse et colère le résultat de ce génocide et prirent alors conscience de l’horrible réalité. 
Ç'en était fini de leur invulnérabilité, protégés qu'ils étaient par les vertus de l'amour. Ah ! Tout était fini ! Oui, tout était bien fini ! Il n'y avait plus d'Algérie, il n'y avait plus de France, il n'y avait plus rien… que cette odeur fade de la mort qui vous prenait à la gorge.
De longs filaments de sang à demi coagulé teignaient ça et là la chaussée. Une femme hurlait, trépignait sur place. Une autre exsangue, trempait un drapeau tricolore dans une flaque de sang. Des soldats progressaient en colonne le long de la rue d'Isly. Alors elle leur cria :
« Pourquoi, pourquoi ?… Pourquoi avez-vous fait ça ? » 
Puis elle éclata en sanglots.
 Chez « Claverie », une boutique de lingerie féminine située face à l'immeuble de la Warner Bros, rue d'Isly, on dégagea deux cadavres qui avaient basculé dans la vitrine parmi les mannequins hachés par les rafales. Dans le magasin « Prénatal », d’autres victimes, poursuivies et abattues à bout portant, gisaient auprès des landaus et des poucettes renversés.
Dans un immeuble de bureaux où des dizaines de personnes hagardes, traumatisées s'étaient réfugiées, une jeune fille morte avait été amenée là par son père. Entouré de son autre fille, de son fils et d'un groupe de gamins, il tenait son enfant dans les bras, et parlait sans cesse, ne s'adressant qu'à sa fille morte : 
« Ma petite chérie ! Ma petite chérie ! Ils ne t’emmèneront pas à la morgue. Je te le jure. Je les tuerai tous plutôt. Je te défendrai. Ils ne te toucheront pas ! Je vais t’emmener à la maison, je te le promets, tu seras enterrée dans un grand drapeau. Comme un héros. Tu es morte pour la Patrie, tu as droit à un drapeau… Ils ne pourront pas m'en empêcher».
C'était insoutenable. Cette jeune fille, Michèle Torres, âgée de 20 ans s'était rendue avec son père, sa sœur, son frère, ses cousins et une quinzaine d'autres jeunes à la manifestation dans le but de fléchir les autorités et d'obtenir la levée du siège de Bab-el-Oued. Agneau innocent, elle fut sacrifiée à la folie des hommes et à leur barbarie.
L'hôpital Mustapha où les chirurgiens opéraient sans relâche des centaines de blessés fut pris d'assaut par la population. On voulait savoir si des parents ou des amis se trouvaient parmi les victimes. À la salle des premiers soins, au milieu des flaques de sang, c'était un défilé incessant de blessés qu'on soutenait ou de brancardiers qui ramenaient vers la morgue des cadavres que l'on n'avait même pas le temps de recouvrir d'un drap.
On s'interpellait en pleurant, des femmes tombaient en syncope. Un jeune homme s'écroula dans la foule, on le souleva, son pantalon ensanglanté, il avait une balle dans la cuisse et il ne s'en était pas aperçu.
Le plasma commençait à manquer. C'est alors que la solidarité prit corps. Les Algérois, retroussant leurs manches, se pressèrent dans la grande salle des soins. Et, de bras à bras, le sang des rescapés coula dans celui des blessés.
Dans le grand couloir qui menait à la morgue, c'était la macabre procession. Les visages trahissaient le chagrin, les mains tremblaient et se tordaient. Le flot de ceux qui s'y rendaient inquiets, tendus, fébriles, et la cohorte lente et désespérée de ceux qui revenaient : des femmes, des hommes, des enfants, des vieux, pliés en deux par la douleur.
Les morts étaient là, disloqués, les yeux encore ouverts dans leur stupeur. Il y avait beaucoup de femmes jeunes, de celles qui, hier encore, faisaient la beauté et le charme de la ville blanche. Des visages étaient recouverts d'un linge : c'étaient ceux qui avaient eu la tête fracassée par un projectile. En quittant ce lieu sinistre, ceux qui avaient vu ce spectacle ignoble et bouleversant savaient que seule la mort désormais les libérerait de l'horrible vision…
La nuit tomba sur la ville comme un linceul de mort. Pour ses habitants, c'était l'heure des prières, des lamentations, des pleurs, du désespoir, de la douleur et de la haine… plus forte que jamais. Ils ne parvenaient pas à oublier le vacarme terrifiant de la fusillade, ni les cris déchirants, ni les appels de détresse, ni le hululement sinistre des sirènes et il leur semblait que la ville gémissait, meurtrie de tous les amours passés sur elle, tandis que des vols d'oiseaux nocturnes, noirs, aux longs becs et aux griffes acérées, palpitaient dans la lueur ouatée du ciel.
« La mort n’est rien. Ce qui importe, c’est l’injustice » 
Albert Camus
Lien vers article original : José Castano, 26 mars 1962…

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