Prêtre de la
Société des missions africaines, ayant travaillé en République démocratique du Congo pendant une bonne quarantaine d’années, je me trouve aujourd’hui à Nantes dans le
Service Diocésain de la Coopération Missionnaire, accompagnant une Communauté Chrétienne Africaine et assure aussi un service dans une paroisse au nord du diocèse. Je continue ainsi une longue tradition Missions Africaine d’une présence missionnaire dans le diocèse de Nantes et d’ouverture vers l’ailleurs. Spontanément nous avons une attention particulière pour les pays d’Afrique en tant que Missions Africaines. Entre autre, nous organisons des voyages en Afrique pour ceux qui souhaitent approcher ce continent. Cette année nous organisons un
voyage au Togo du 24 juillet au 8 août 2016 .
Mais notre sensibilité nous conduit aussi à nous rendre présents également ailleurs dans le monde. Cette année j’ai accompagné un groupe de 17 personnes [Syriens, Algériens, Néerlandais, Belges, Français] en Syrie, dans ce Proche Orient si agité par tant de forces venant de partout.
Une volonté commune à tous : vérifier au contact des populations syriennes, dans leur quotidien, la réalité de leur vécu par rapport à leur situation dans la guerre et la paix, les attentats, les éventuels clivages dans les populations, leur ressenti, leurs espoirs pour le futur… Autant de questions auxquelles chacun souhaitait une réponse.
Et en plus, une volonté de témoigner à cette population une amitié pour lui dire qu’elle n’est pas oubliée et qu’elle ne doit pas tomber dans le jeu des politiques d’intérêts hasardeuses des pays du Golfe, des Israéliens, des Américains et des Occidentaux.
Il s’agit ici de dire ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vécu au contact d’une population si diverse religieusement ou ethniquement… « tous Syriens » comme ils le disent.
En Syrie, au cœur de la résistance aux Forces internationales
Un voyage en Syrie ce n’est pas une folie, c’est possible et l’on peut même le souhaiter, cependant avec certaines conditions. La situation n’est pas celle qui nous est présentée généralement ici. Nous étions 17 à prendre l’avion « Air Serbia » pour Belgrade puis Beyrouth. La suite du voyage s’est faite par car jusqu’à Damas. Dans nos bagages : médicaments, fauteuils roulants, béquilles… transportés à titre gracieux par la compagnie.
Quelques constats :
Le mouvement des printemps arabes n’a guère été accueilli par les Syriens, mise à part quelques poches d’opposition des petits villages de campagne qui ont vainement tenté d’entrainer les villes dans la rébellion : « si vous voulez manifester, allez manifester chez vous dans vos villages… », leur a-t-on répondu. C’est bien le cas de Hama, une ville de 500 000 habitants : une ville considérée comme ville test pour tout mouvement d’opinion. Les villages qui ont refusé de suivre dans la rébellion ont payé le prix fort de leur refus : pillage, destructions, assassinats de masse avec des méthodes d’horreur.
L’ASL, (Armée Syrienne Libre) née de la défection de quelques officiers de l’armée régulière et suscitée par eux n’avait pas de grandes ambitions belliqueuses au départ, mais plutôt celle de protéger les manifestants dans leurs revendications. Très vite, comme beaucoup d’autres groupes, après quelques mois, l’ASL s’est militarisée en acceptant avec des armes venant surtout de l’Occident en versant dans la violence et l’horreur. Et, malheureusement ces mouvements ont ouvert des brèches pour l’entrée en Syrie des combattants étrangers qui, eux aussi, très vite, ont versé dans l’horreur. Aujourd’hui, la guerre en Syrie est la guerre des étrangers (islamistes venant d’Asie, de l’Europe Centrale, de l’Europe, du Maghreb, du Soudan…) avec l’association de quelques villages mécontents.
Nous avons circulé dans la zone contrôlée par l’État (40% du territoire avec ses 60% de la population totale) tout en approchant d’assez près (3 km) des lignes de front : Damas, Sednaya, Maaloula, Homs, Hama, les villages dans les montagnes au nord en direction d’Alep, Lataquié, Tartous, Damas.
Durant tout notre voyage nous avons été en contact avec l’armée présente partout, avec des points de contrôle à tous les carrefours, et très fréquents dans les villes. Elle a le soutien de la population qui lui voue une totale confiance. Partout des civils prêtent main forte aux soldats dans les points de contrôle pour empêcher ou du moins limiter au maximum les infiltrations de djihadistes. Tel ce coiffeur qui entre dans son salon de coiffure avec le treillis militaire, et devient coiffeur pendant la journée et qui consacrera une partie de l’après-midi ou de la nuit à seconder les soldats. « Nous sommes avec notre armée et le pouvoir, Bachar est notre représentant », entendons-nous régulièrement. « Nous aimons notre armée, sans elle que serions nous… ? ».
Nous avons vu les soldats vivre en harmonie avec la population, toujours corrects et rigoureux dans leur service avec une pointe de dignité. L’armée a toujours manifesté son attachement au pouvoir. Les quelques défections dans ses rangs ne semblent pas avoir beaucoup pesé dans l’enchaînement des événements.
Il était donc prévisible dès le départ que le régime ne tomberait pas facilement comme l’avait déjà dit, dès le début, l’ambassadeur de France à Damas. Il est en fait assez solide. Les problèmes de la Syrie auraient pu être réglés par les Syriens eux-mêmes s’il n’y avait pas eu cette nombreuse intrusion étrangère. On se prend à penser que ferions-nous, ici, dans notre propre pays si nous avions une vingtaine de milliers de djihadistes armés et financés de l’extérieur ?
« Notre problème ici, ce sont les pays du Golfe qui financent la rébellion et les djihadistes… (y compris toutes ces agences souterraines de recrutement de nouveaux djihadistes partout) avec leurs alliances avec les pays européens qui arment les rebelles… », nous disait le curé de la cathédrale de Homs qui a joué un rôle important d’intermédiaire entre les rebelles et l’armée dans sa ville de Homs et qui a permis d’éviter des tueries supplémentaires.
Quant à « l’opposition que vous appelez modérée, une opposition faite d’hommes qui ont commencé dans la contrebande, qui par la suite sont devenus des chefs rebelles et qui ont semé chez nous la terreur, qui ont égorgé, volé, violé, pillé… Ils sont aujourd’hui les interlocuteurs de la Syrie à Genève ! !… nous les connaissons, nous avons leur nom, nous savons où ils habitent… », nous dira un guide doublement déçu et blessé dans la ville martyre de
Maaloula, « nous sommes amis du peuple français, mais nous ne comprenons pas ses dirigeants… ».
L’Église en Syrie est une Église reconnue, respectée. Les chrétiens vivent en harmonie avec la population : le père de la famille musulmane, chez qui nous avons été hébergés, quand il a appris que j’étais prêtre, m’a dit : « laisse ton groupe avec son programme, demain tu viens avec moi nous allons voir les chrétiens… ». En cas de danger pour les chrétiens, ils ont leurs moyens de les avertir. En cas de situation difficile, on se tourne facilement vers les chrétiens pour trouver des solutions, y compris les rebelles eux- mêmes.
À la tombée de la nuit, nous nous trouvons sur une colline qui surplombe l’immense plaine agricole de Hama. À l’horizon trois villages, un alaouite, l’autre sunnite, le troisième chrétien. Un peu plus loin un village rebelle tenu par les hommes d’al-Nostra : les hommes sont restés seuls, ils ont envoyé leurs femmes et leurs enfants plus loin, dans un village de chrétiens pour les mettre en sécurité. Là elles reçoivent l’aide de l’État pour elles et pour leurs enfants : ils sont Syriens. « Partout on a besoin de nous mais partout on nous chasse » nous disait le curé de la cathédrale de Homs. Une Église discrète mais efficace, une Église d’une foi paisible et de la confiance, une Église de la prière et du courage. Plusieurs églises et des monastères ont été détruits ou abimés, mais partout on se remet à réparer ou à reconstruire.
La vie sociale
Dans la partie ouest du pays, contrôlée par le pouvoir et que nous avons visitée, la vie sociale, se déroule normalement : écoles, hôpitaux, Croissant rouge… dans un esprit de grande solidarité : les déplacés de guerre ne sont nulle part relégués dans des camps de réfugiés isolés. Ils sont tous pris en charge par les habitants qui leur offrent un coin de leur maison, ou bien on cherche des maisons à louer s’il le faut pour les loger, de façon à ce qu’ils soient chez eux. Nous avons pu visiter l’une de ces maisons qui abrite une trentaine de personnes avec qui nous avons échangé un bon moment assis ensemble dans une grande pièce : chacun racontant comment il avait fui de nuit leur village envahi par les éléments rebelles al-Nosra ou ASL. Ils en étaient encore horrifiés.