Les frères Zemour !… une renommée sulfureuse dans les années '60 à '80… ces juifs pieds-noirs parfaitement intégrés à une nationalité offerte dès la fin 1870, des prénoms bien français : Roland, Théodore, William, Gilbert, Edgar… loin de ces vulgaires Pieds-noirs aux prénoms encore souvent espagnols ou italiens, rebelles copinant avec l'OAS, eux parfaits gaullistes, activistes du SAC de Pasqua ces barbouzes du régime à DeGaulle… On les voit aussi, pendant la contre-manifestation gaulliste de mai 1968, aux côtés d'André Malraux et Michel Debré assurer,
avec d'autres, le service d'ordre des ministres.
La
grande spécialité des petits voyous d'origine israélite c'est alors le
bidonnage, un art dans laquel ils excelleront, spécialement dans le domaine du vin et des textiles. Modeste bizness de petites arnaques dans lequel nombre de futurs grands bandits juifs faisaient leurs classes…
Toujours des associés dans leur communauté juive pied-noir ou avec de bons Français, généralement corses, jamais d'Arabes dans leur relations… sauf pour aller contre eux à la baston à Sétif puis occasionnellement en Métropole…
Zemour, un nom aujourd'hui oublié !
N'oublions pas les aléas de la transcription des noms de l’arabe aux caractères latins, en arabe à l'origine Zemour ou Zemmour c'est toujours le même nom زمور et le même clan.
- Roland Zemour (né en 1925, mort à Paris en 1947),
- Théodore Zemour (né en 1927, mort le 19 mars 2019)
- William Zemour (né en 1930, mort le 28 février 1975),
- Gilbert Zemour (né en 1935, mort à Paris le 28 juillet 1983),
- Edgar Zemour (né en 1937, mort à Miami le 8 avril 1983).
Leur carrière criminelle a défrayé la chronique durant les années 1970.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A8res_Zemour
LES FRÈRES ZEMOUR
[synthèse]
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Edgar Zemour
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Les "Z" débarquent
Juifs
pieds-noirs originaires de Sétif, en Algérie, ceux que le Milieu
surnommera les "Z", ce sont cinq frères : Roland, né en 1925, Théodore,
né en 1927, William en 1930, Gilbert en 1935, et Edgard, né en 1937.
L'aîné, Roland, part pour Paris le premier, en 1945. Petit proxénète, il
est assassiné en 1947, rue Blondel. Les quatre autres frères débarquent
eux durant l'année '55. Ensemble, ils vengent leur frère. Puis Théodore
prend le large tandis que les trois autres restent à Paris.
Suivant
la voie du crime que leur frère a tracé, William, Gilbert et Edgard
démarrent dans le métier par des escroqueries aux trousseaux et au vin,
puis font tapiner quelques filles pour le compte des frères Atlan,
chefs de file de la communauté pieds-noirs de Paris. Une fois dans le
bain, les "Z" se détachent petit à petit de la houlette des Atlan et se
mettent à leur compte, faisant toujours dans le tapin et organisant
aussi un trafic de femmes en partance pour les Eros Center allemands.
Soudés,
les Zemour tirent leur force de leur complémentarité et de leur union
fraternelle. William, l'aîné des trois, est le chef de la bande.
Gilbert, lui, est organisé et dur en affaire. Quand à Edgard, c'est un
fou furieux. Chaque jour, des rapatriés d'Algérie arrivent à Paris et
grossissent la communauté pieds-noirs. Parmis eux, bon nombre de
truands. Et ces nouveaux venus préfèrent se ranger du côté des Zemour,
la valeur montante du Faubourg Montmartre (haut-lieu de la
prostitution), plutôt que chez les Atlan ou les Perret, dont le déclin
est amorcé.
Mais bien que les "Z" soient désormais réputés à
Paris, ils n'ont pas encore véritablement percés. Trop de fratries
pieds-noirs dans le IXe. Et la plus gênante, c'est celle des Atlan,
suivie de près par les Perret.
Dès lors les Zemour décident de
se charger de ces personnes gênantes. Le 2 octobre 1965, Sion Atlan est
abattu dans un café-restaurant. Les regards se tournent vers les Perret,
et les Zemour font tout pour que la rumeur circule dans tous les coins
de la capitale. Le plan marche : durant l'année 1966, les vengeurs de
Sion Atlan mitraillent les deux frères Perret (sans conséquence) et
tuent deux de leurs associés. Entre temps, le 2 décembre 1966, c'est le
second Atlan, René, qui est tué. Apeurés et vieillissants, les Perret
se retirent et vont s'installer dans l'ouest de la France. La voie est
libre. Les Zemour sont les nouveaux maîtres du Faubourg Montmartre.
Les Dalton parisiens
Les
"Z" tranquilles, ils investissent dans le IXe, puis sortent des limites
de leur arrondissement et deviennent les maîtres de toute la
prostitution parisienne, contrôlant hôtels de passe, bars à putes et
cabarets. Avec les bénéfices tirés du proxénétisme, ils investissent
dans un Eros Center de Francfort et dans l'immobilier à Paris.
William,
marié, mène en apparence une vie rangée mais continue de diriger le
clan, avec son frère Edgard. Celui-là aime à flamber, et le monde
d'argent et de violence qu'est le milieu lui plaît. Gilbert fait, lui,
bande à part. Marié et père de deux enfants, il est en quête
d'honorabilité et aimerait s'extraire de sa condition de voyou. Pour
cela, il se met à acheter des affaires légales. Devenu un homme
d'affaire avisé, il tient un restaurant et possède des parts dans trois
night-clubs parisiens. Puis en 1970, il part vivre au Canada, se retirant
ainsi complètement du milieu, et y monte une grosse compagnie
immobilière. La fortune est au rendez-vous.
Avant cela, ne
possédant qu'un petit club de jeu à Montmartre (le Bridge Club), les
Zemour veulent se faire une place dans le jeu parisien. C'est dans ce
but qu'ils se sont rapprochés de Marcel Francisci. En 1967, ils poussent
ce dernier à relancer les hostilités contre son rival Jean-Baptiste
Andréani. En plus d'être lui aussi un roi du jeu parisien, il a eu l'affront de refuser l'aide que leur proposaient les frères pieds-noirs,
préférant celle des deux frères Panzani. De la fin 1967 à l'automne
1968, six corps tomberont. Et au final, les Zemour se sépareront de
Francisci.
Par ailleurs, les "Z"' fournissent avec leurs associés
Riwen Liwer et Roger Bacry des colleurs d'affiches et des agents
électoraux aux candidats gaullistes, ce qui leur permet d'avoir des
protections jusqu'au début des années 70. Vers ce moment, William et
Edgard tentent une implantation en Israël, en association avec les
frères Abitbol. Ils veulent ouvrir des boîtes à Tel-Aviv, mais cette
tentative est un échec. Ils abandonnent l'idée en 1972.
Pieds-Noirs contre Pseudo-Siciliens
En
1970, un membre du clan Zemour, Roger Bacry, dit Petit Roger, propose
aux "Z" de faire dans la came. Ces derniers refusent. Bacry, avec ses
copains de la banlieue sud, dont entre autres Jean-Claude Vella, Marcel
Gauthier et Daniel le Polonais, fait sécession et monte sa propre
filière en association avec André Condemine. Le trafic tourne mal et la
filière est démantelée. Bacry et compagnie reviennent penauds chercher
du travail chez les Zemour, qui rejettent leur réintégration. Dès lors,
ils vont trouver du soutien chez des truands lyonnais, et se font
appeler le "gang des siciliens".
Les hostilités commencent en
1973. Le premier à tomber est Raphaël Dadoun, fidèle des "Z". Pour cette
seule année 73, on compte dix morts. En 1974, Bacry se suicide. Vella
et Gauthier sont abattus respectivement en 1975 et en 1976. Le 2 février
1975, une fusillade au bar Lætitia visant les frères Panzani fait
quatre blessés et un mort. Cette même année voit se dérouler un épisode
des plus tragiques pour les Zemour : le 28 février, William, Edgard et
deux amis doivent s'expliquer avec des membres de la bande adverse au
bar Thélème. La police, avertie, prévoit une fusillade et aperçoit les
parrains parisiens. Dès lors, elle décide d'intervenir. Edgard les a vus
et prévoit la riposte. Les policiers entrent dans le bar et tirent sans
sommation. La fusillade fera deux morts : William et son garde du corps
Joseph Elbaz. Edgard, lui, est grièvement blessé. Les combats
s'étaleront jusqu'à la fin des années 70 et auront fait au total près de
trente morts.
C'est le début de la fin pour les "Z". Gilbert perd ses établissements parisiens ainsi qu'une partie de sa fortune du Canada. Les bien immobiliers de la prostitution qui étaient gérés par William ferment, font faillite, sont rachetés... En 1976, une fois rétabli et après quelques mois de préventive, Edgard part se mettre au vert à Miami. Là-bas, il ouvre un restaurant et, acculé à la faillite, y met le feu.
En 1983 Edgard est de retour à Paris. Il veut
récupérer un million de dollars que lui devrait Marcel Francisci. Ce
dernier, menacé de mort, ne prend pas les menaces au sérieux. Pourtant,
le 14 janvier 1983, il est abattu dans son parking. Edgard est innocenté
mais préfère repartir vivre à Miami. Cela ne l'empêche pas, le 8 avril
de la même année, d'être tué dans sa villa de quatre coups de feu tirés
par un homme armé d'un fusil à lunette caché à quatre cents mètres de
là. Ce serait un ami de Francisci d'un poids important au sein du
Milieu, Paul Mondoloni, qui aurait envoyé l'un de ses lieutenants,
Gilbert le Libanais, abattre Edgard Zemour. Le 28 juillet, c'est
Gilbert qui s'écroule, abattu à Paris alors qu'il promène ses caniches.
À lire : "Les Derniers Seigneurs de la Pègre" de Le Taillanter
* * *
C'est
une drôle de fratrie que celle des Zemour. Issus d'une grande famille
juive d'Afrique du Nord, comptant un nombre incroyable de cousins,
cousines, oncles et tantes plus ou moins éloignés, ils seront cinq
frères au départ de Sétif à venir fouler le pavé parisien, sa faune
interlope, sa communauté pied-noir, ses filles, ses flingues, sa pègre
et ses embrouilles. Cinq frères au départ, un seul à l'arrivée. Les
quatre autres succomberont à ce terrible virus qui fait tant de ravage
chez ces messieurs les voyous : le flingage. Il faut dire que les Z
n'auront pour leur part jamais hésité à distribuer leur bonne parole à
coups de 11,43. Se faire une place au soleil de la voyoucratie
parisienne se fait rarement en douceur, et celle que briguaient les
frangins n'était pas des moindres, plus d'une rangée de dents raclant le
parquet - ce en quoi la petite taille des Zemour n'avait rien à voir.
De
Sétif au Faubourg Montmartre, du Faubourg Montmartre au Tout-Paris en
passant par Munich, Londres, Francfort, Bruxelles, Dusseldorf, Palma de
Majorque, Tel-Aviv, Fort-de-France, Montréal, Cayenne, Miami, il faut
reconnaître que les frères ont de la ressource, donnant dans
l'escroquerie, le proxénétisme, les jeux, le racket, le monde de la
nuit, l'immobilier, mais ne touchant vraisemblablement jamais à la
drogue (sauf peut-être Edgard à la fin de sa vie). Et laisseront dans
leur sillage de nombreux cadavres, dans leurs rangs comme dans ceux de
leurs ennemis, plus d'une quarantaine. En même temps, en presque trente
ans de carrière de malfrats ils se seront frottés tour à tour aux caïds de
la communauté juive pied-noir de Paris, aux barons corses des cercles
de jeux, à la pègre israélienne de Tel-Aviv, et aux redoutables gangs de
la banlieue sud de Paris. Bref, une vie bien remplit et bien mal finie.
Voyons donc ça de plus près, et commençons par le commencement : Sétif.
LE BERCEAU FAMILIAL
Les frères Zemour sont le fruit de l'amour d'un modeste couple de juifs algériens, Clairette Atlani
et Raymond Zemour, qui occupe quelques fonctions à la synagogue de la
ville. Leur premier enfant Roland né en 1925, suivit de Théodore dit
Dédé en 1927, William dit Zaoui en 1930, Gilbert en 1935, Edgard en
1937, auxquels succèdent quatre filles : Adèle, Renée, Josette et
Lucienne, nées entre 1938 et 1944. Cela fait beaucoup de bouches à
nourrir pour cette famille pauvre, qui peut néanmoins compter sur la
solidarité de la communauté et sur l'aide financière du père de Raymond
pour s'en sortir. Une situation difficile que beaucoup d'autres Zemour,
très nombreux dans cette ville, ne connaissent pas, plus fortunés que le
noyau familial qui nous intéresse, ce qui aura le don d'aiguiser
l'aigreur et le sentiment de revanche des cinq frères.
Très rapidement dans la cité Lévy
(aujourd'hui cité Tlidjene), l'important quartier juif de Sétif, et
malgré une éducation très religieuse, la fratrie se fait remarquer. "Ils
étaient turbulents bien sûr, raconte l'ancien commissaire Raulin en
1985, et un peu agressifs. On dirait aujourd'hui que c'étaient des
petits loubards". Dans
l'étouffante bourgade qu'est Sétif les cinq frères tuent l'ennui entre
le café Chez Maklouf, tenu par un parent, et le select Café de France,
rue de Constantine, à jouer
aux cartes et aux boules entre deux anisettes. L'école ils n'y restent
pas longtemps et bricolent ici et là pour se faire quelques billets, le
maire Brincat et le député René Meyer canalisant notamment leur énergie
pour en faire des agents électoraux et des colleurs d'affiches
efficaces. Gilbert est notamment connu pour ses coups de poings
ravageurs depuis qu'il s'est lancé avec succès dans la boxe, tandis
qu'Edgard fait office de tête brûlée depuis qu'un choc à la tête l'a
rendu, selon sa famille, bagarreur et colérique, multipliant les bastons
mémorables avec les Arabes de la ville. Côté professionnel Roland
apprend le métier de mécanicien, suivi dans cette voie par Gilbert et
Edgard, tandis que le futur chef de clan William devient coiffeur et que
son aîné Théodore-Dédé part s'installer à Alger pour vendre des
trousseaux. Du côté des filles Adèle épousera un artisan menuisier,
Renée et Josette d'honnêtes employés, et Lucienne un homme qui partira
rapidement vivre en Israël après leur rupture.
Roland
est le premier à partir pour Paris, en 1947, pour travailler comme
mécano. Mais il va très rapidement se tourner vers la carrière plus
lucrative et moins fatigante de proxénète, mais ô combien plus
dangereuse : le 17 novembre 1947 il est abattu de plusieurs coups de feu
rue Blondel par un concurrent mécontent. Comme un avertissement du
destin envoyé à ses quatre cadets pour les avertir du funeste avenir qui
les attend. Ils auront tout le temps de venger leur aîné, quelques
années plus tard. En Algérie, après le massacre de Sétif en mai 1945 et
la terrible répression qui s'en suit, la tension monte d'un cran
jusqu'au déclenchement "officiel" de la guerre d'indépendance le 1e
novembre 1954. La famille Zemour, qui a déjà vu trop de sang couler dans
sa ville natale, décide elle aussi de partir pour la métropole.
Théodore est le premier, en 1955, alors âgé de 28 ans, auquel succède
Edgard, 19 ans, qui a trouvé un métier d'ajusteur-tourneur, suivi progressivement par toute la famille, les parents Raymond et Clairette
s'installant d'abord à Saint-Denis puis dans un pavillon d'Ormesson.
Leurs
fils, eux, se lancent presque immédiatement dans des activités peu
recommandables. Et s'ils commencent petits, c'est qu'ils ne sont encore
que des caïds en devenir.
LE TEMPS DU BIDONNAGE
La
grande spécialité des petits voyous d'origine israélite c'est alors le
bidonnage, nombre de futurs grands bandits juifs faisant leur classe
dans ce "modeste" bizness de petites arnaques. Les années 50 c'est en
effet le temps de la relance économique, et la grande époque de la vente
à domicile et des "tireurs de sonnette", la marchandise allant aux
consommateurs plutôt que l'inverse, les grandes surfaces n'ayant pas
encore pointé le bout de leur nez dans nos chères provinces. Pour les
bidonneurs il s'agit donc de faire du porte à porte dans les coins
éloignés des grands centres urbains et d'embrouiller le client potentiel
en faisant passer des produits bas-de-gamme pour de la marchandise de
première qualité afin de la vendre très chère, la confusion entre
anciens et nouveaux francs aidant très souvent ces messieurs à mieux
arnaquer leurs victimes. Derrière ces vendeurs se trouvent des
entreprises qui les ravitaillent en marchandises, elles-mêmes
approvisionnées par des fabricants bien souvent basés au Sentier, le célèbre quartier juif de Paris.
C'est
dans cette optique que Théodore-Dédé fonde à Troyes une société dans
laquelle il va faire collaborer ses frères, qui lâchent rapidement leur
très courte carrière de travailleurs manuels pour embrasser celle de
malfrat. Commençant dans l'arnaque aux trousseaux ils vont ensuite se
lancer dans l'arnaque aux vins, plus rentable, branche dans laquelle ils
feront des merveilles. Ils fréquentent à cette époque un modeste
restaurant auvergnat rue de Trévise dans le IXe, Chez Baille, où ils
"lèveront" leurs premières conquêtes féminines et mettront ainsi un pied
dans le monde du proxénétisme, maquant quelques filles ici et là, suite logique et presque obligatoire à cette époque dans une carrière de
voyou digne de ce nom. Gilbert notamment aurait eu une gagneuse dans le Midi et une autre à Grenoble,
tandis que William protègerait une fille à Paris et une autre à Nevers.
Mais le monde des maquereaux est, comme on le sait, un panier de crabes
plein d'embrouilles, de jalousies et de coups fourrés. Edgard sera
ainsi blessé de quatre balles de pistolet en 1961 sur les Champs-Élysées
et Gilbert inquiété par la justice en 1963 pour une tentative de
meurtre sur un Yougoslave d'Aubagne, Simic Jacov, tandis que Théodore
est arrêté armé la même année au même titre qu'Edgard en 1959 et 1960.
C'est que dans ces premières années un peu timides les petites
condamnations pour escroquerie, vol et proxénétisme pleuvent sur les
quatre frères : entre 1955 et 1960 Gilbert est condamné deux fois, Dédé
quatre, Edgard trois tandis que William passe devant huit tribunaux à
travers la France. On les voit également faire les colleurs d'affiches
et les agents électoraux pour les gaullistes, aux côtés notamment du
petit Roger Bacry qui deviendra un
de leurs lieutenants et dont on reparlera, et fréquentent le SAC, la
police d'État de Charles De Gaulle (leur avocat est Pierre Lemarchand,
recruteur officieux de barbouzes anti-OAS), pour qui ils donnent
quelques coups de main. Et surtout, seize ans après son assassinat ils
vengent enfin leur frère aîné Roland en 1963 : cette année-là son
meurtrier présumé, un certain Filippi, proxénète sexagénaire, est retrouvé mort sur la route de l'Estérel à Nice.
Bref,
petit à petit les Z commencent à faire parler d'eux. Et dans le
quartier qui a leurs faveurs, le Faubourg Montmartre, fief de la
communauté juive pied-noir de Paris, ils commencent à devenir des
figures incontournables. Mais il y a déjà là des hommes bien en place.
Plus pour longtemps. Et les Zemour sauront saisir avec brio les
opportunités qui vont s'offrir à eux.
LE FAUBOURG MONTMARTRE
L'exode des Français d'Algérie va voir essaimer à travers toute la
France de nombreux groupes de Pieds-noirs, dont bon nombre de juifs qui
iront se fixer à Paris, principalement dans les quartiers de Belleville et du Faubourg Montmartre
où la communauté a des attaches depuis longtemps, y reconstituant
l'ambiance chaleureuse et animée du pays natal. Et parmi ces
inconsolables nostalgiques de l'Afrique du Nord, une frange a choisi la
voyoucratie pour seconde patrie, avec comme secteurs de prédilection
comme on l'a vu le bidonnage, et bien sûr le proxénétisme.
L'homme qui domine tout ce petit monde dans le quartier du Faubourg Montmartre, en plein cœur du IXe, c'est Sion Atlan,
né en 1929, accompagné de son frère cadet René et de quelques cousins,
tous originaires de Batna. Les cinq autres frères du bonhomme ont eux
officiellement embrassé des carrières tout à fait honnêtes de cafetier,
de boucher ou de grossiste en volailles, mais en réalité lorgnent bien
souvent sur le proxénétisme et épaulent leurs aînés dans leurs activités
délictueuses. Juge de paix respecté de la communauté, réglant les
problèmes privés en interne en faisant jouer de son aura pour calmer les
ardeurs des uns et des autres, Sion s'est fait avec son équipe une
spécialité de la "protection" des commerçants du Sentier
et du Faubourg, tout en donnant bien évidemment dans le "pain de
fesse", le classique du Milieu d'alors. L'autre redoutable fratrie du
quartier c'est celle des Perret, dits
les "demi-juifs". Ils sont trois, Marius, Clément et Gilbert, avec en
arrière plan la force faite femme en la personne de Léonie Benaïne, dite
"La Mère Léo", leur génitrice et
véritable matrone du clan qui a d'ailleurs servi pendant la guerre dans
l'armée américaine. Remuants et vindicatifs, les Perret se sont eux
spécialisés dans la protection des fournisseurs de vins et spiritueux,
fréquentant la célèbre bande des Trois Canards, tenant notamment le Bar
des Cornouailles rue des Martyrs et La Romance rue Pigalle. On trouve
dans leurs rangs de beaux mecs comme Ben Loulou dit La Volige, Oranais proprio de l'hôtel de passe le France-Italie rue Saint-Denis, Lucien Sans dit Bouboule,
un Basque bagarreur qui fréquente le gratin pied-noir, corse et
sudiste, spécialiste du vol de voitures connu pour plusieurs casses,
pour proxénétisme et pour avoir bossé avec le SAC, mais aussi les frères
Fouillat, Ninan Perrier, Michel Laurent, Roger Ferrand, Jean-Claude
Flershinger et Séraphin Meacci. Pour l'instant l'équilibre des forces
tient comme il peut, les frères Atlan et les frères Perret étant même
associés dans l'exploitation d'un commerce d'alcools dans le quartier de
la Madeleine.
Dans cet univers les Zemour se sentent comme des poissons dans l'eau. C'est à cette époque, dans la première moitié des années 60,
qu'ils entrent dans le sillage des frères Atlan. Et les quatre frères
partagent déjà la passion commune qui les unit : celle, dévorante, des
jeux. On les voit ainsi écumer les tripots clandestins du quartier, les
"flambes" comme on les appelle, ainsi que ceux de Belleville, y
dilapidant des nuits durant l'argent du proxénétisme et des arnaques.
Ils y fréquentent toute la faune malfrate de la capitale, se faisant
connaître, nouant contacts et amitiés, nourrissant les premières
inimitiés. C'est à cette époque que Gilbert, qui malgré une carrière de
voyou bien remplie cherchera toujours à se fabriquer une façade
d'honnête homme, se considérant plus comme un affairiste chassant les
bons coups à la limite de la légalité que comme un gangster, achète le
restaurant l'Assiette Carrée rue
de la Fidélité dans le Xe, spécialisé dans la cuisine orientale et
provençale, et qui deviendra le QG de l'équipe. Le véritable chef du
clan c'est alors Willam alias Zaoui. La place revenait avant à son frère Théodore-Dédé,
le très secret aîné des Z, mais depuis la fin de la période des bidonnages
en 1963 il a pris ses distances avec le Milieu, bien qu'il soit toujours
là pour épauler les siens en cas de coup dur et qu'il continue
d'arpenter les tapis de jeux parisiens. C'est donc au charismatique
William de tenir les rênes de la fratrie, homme discret qui aura vécu
toute sa vie dans une quasi-clandestinité, ne possédant absolument rien
en son nom propre, ni domicile, ni automobile, ni compte en banque. Il
vivra d'ailleurs une éphémère liaison avec Marie-Christine Guérini, la
fille de Barthélémy Guérini, figure du célèbre clan corse qui régnait alors à Marseille. Une autre preuve des liens noués par le chef pied-noir avec la cité phocéenne sont les intérêts qu'il détient dans le Pourquoi,
un tripot clandestin proche du Vieux Port qu'il tient en sous-main, y
associant des Marseillais corses, juifs et arméniens. Le plus jeune des
Zemour, Edgard, est quant à lui d'une autre trempe que son aîné,
colérique et démonstratif, une tête brûlée redoutée pour ses coups de
sang explosifs. C'est autour de ce noyau familial que se forme un
premier cercle de fidèles : il y a là les deux frères Spighel - Richard qui est un voyou pur et dur et qui mourra d'une tumeur au cerveau à la fin des années 60,
et Izi qui va rapidement se tourner vers le monde de la nuit dont il
deviendra une figure importante, vivant sept années durant avec la
chanteuse Annie Philippe et ami intime d'Alain Delon, Roland Attali né en 1937 à Constantine et arrivé en France à vingt ans, passionné de bijoux, d'armes à feu et d'automobiles, Raphaël Dadoun
dit "Yeux de Velours", juif marocain très "réglo" connu pour sa
participation au célèbre braquage de la bijouterie Colombo à Milan en
1964, Jean-Pierre Lehbar né en 1930 et grand ami de William, officiellement gérant d'un pressing, et encore quelques autres.
En
attendant, tout ce beau monde s'active tranquillement dans le monde
merveilleux du proxénétisme et de ses hôtels de passe, en très bonne
entente avec le clan Atlan tandis qu'avec les Perret on se regarde en
chiens de faïence. Mais l'équilibre se fissure en 1965, durant ce mois
d'octobre qui voit Sion Atlan se faire abattre par une équipe inconnue.
Les Zemour vont enfin pouvoir en profiter pour prendre leur envol après
déjà dix ans de "petits métiers" dans le Milieu.
Dans la deuxième partie l'on verra comment les Z vont s'adapter à la
nouvelle donne dans le quartier et vont véritablement débuter leur
ascension, se frottant par la suite aux Corses des cercles de jeux puis
aux caïds de Tel-Aviv, diversifiant et internationalisant leurs
activités.
* * *
LE FAUBOURG EN DEUIL, LES Z PRENNENT LA MAIN
Le 2 octobre 1965 Sion Atlan, le respecté juge de paix du quartier du Faubourg-Montmartre, passe sa soirée au Poussin Bleu,
café-restaurant de la rue Geoffroy Marie dont il est le patron
officieux, à boire du champagne et jouer aux cartes avec des amis. Aux
alentours de deux heures du matin deux hommes aux visages masqués font
subitement irruption dans l'établissement, l'un armé
d'un pistolet automatique et l'autre d'un fusil à pompe, et crachent la
mort sur Sion et les deux hommes qui sont attablés avec lui, son porte
flingue Albert Harroch, Oranais de 29 ans rapatrié d'Algérie, et Richard
Bensadoun, taximan ayant fricoté avec l'OAS. Une quinzaine de balles
sont tirées, puis une dernière, à bout touchant, est réservée à la nuque
du caïd. Bilan : trois morts.
Très
rapidement dans le Faubourg-Montmartre c'est la panique : on a osé tuer
Sion Atlan. Mais qui ? Mystère. En sa qualité de juge de paix il était
mêlé à beaucoup d'histoires ici et là, et son meurtre peut très bien
être le fait de vindicatifs mécontents de l'une de ses sentences. On
parle notamment de l'équipe Perret dont les trois frères sont pourtant
tous en prison pour de courtes peines au moment des faits. Le fait est
que sa tête décapitée, le clan Atlan commence à péricliter et ce sont
leurs alliés les Zemour qui tirent leur épingle du jeu. On commence à
reprendre les domaines "protégés" par Sion petit à petit, sans heurts
notables. Une année passe et les Z sont en train de devenir les nouveaux
boss du coin, bien que les Perret les attendent au tournant. À la fin
de l'année 66 ils vont se manquer mais les Z, eux, ne les manqueront
pas.
C'est
à cette époque que l'association Perret-Atlan dans le commerce de vins
et spiritueux de la Madeleine bat de l'aile, les premiers décidant de
rompre le contrat, sans doute suite à un différend sur des
affaires de racket.
René Atlan, très remonté, aurait alors crûment injurié la Mère Léo, la matrone du clan adverse, ce que ses fils ne pouvaient pas laisser passer. Le 21 décembre 1966 lorsque Gilbert Perret apprend que René Atlan se trouve à deux pas du bar louche de la rue de Trévises
où il passe alors la soirée avec une partie de son équipe, il part tout
de suite en virée avec ses hommes pour lui faire payer les mauvaises
paroles lancées à sa mère. Quelques heures plus tard l'affaire est
réglée : le gibier, repéré au Bon Coin rue Choron, a été abattu de huit
balles de 11,43. Cette fois-ci pas de doutes : l'offensive vient des
Perret, ces "demi-juifs" peu appréciés dans le quartier, qui ont
vraisemblablement été aiguillés par Lucien Sans dit Bouboule pour exécuter leur sombre besogne. Les Zemour se font alors un devoir de réparer les torts en vengeant leur ami René.
Un
mois plus tard, le 27 janvier 1967, Gilbert et Clément Perret ainsi
qu'une bonne partie de l'équipe sont réunis rue d'Abbeville au domicile
de la Mère Léo à faire la fête. Ben Loulou "La Volige"
est le premier à quitter ses amis. À tout jamais : il est en fait
discrètement enlevé, et son corps sera retrouvé le lendemain matin percé
de douze impacts sur la banquette arrière de sa voiture. Un peu plus
tard dans la soirée c'est Jean-Claude Flerschinger
qui prend congé du groupe et s'apprête à gagner sa voiture lorsqu'il
aperçoit une DS Citroën qui attire son attention. Repérés, ses occupants
lui tirent dessus avant de s'enfuir en quatrième vitesse. Flerschinger
s'écroule tordu de douleur, atteint d'une balle aux parties. Alertés,
les Perret décident alors de décamper et partent se barricader au
domicile de Clément à Fontenay-le-Fleury
dans les Yvelines accompagnés de Ninan Perrier, Roger Ferrand et
Séraphin Meacci, qui sur la route se font prendre en chasse et canarder
par l'équipe Zemour, sans dommages. Ils sont rejoints le lendemain par
Michel Laurent et Jean Fouillat pour préparer le match retour, puis le
surlendemain par... la Brigade Antigang
qui serre tout le monde. Direction quelques mois au trou pour port
d'armes. Quelques mois qui suffisent aux Zemour pour prendre encore un
peu plus d'ampleur, et lorsque les Perret and Co sortent de prison ils
comprennent que les rues de la capitale ne sont plus très sûres pour
eux. Leur mère décolle pour Saint-Martin-de-Ré où son fils Marius est
alors emprisonné, tandis que Gilbert et Clément partent se mettre au
vert en Bretagne avant d'entrer au service du GAL (Groupe Antiterroriste
de Libération), organisation clandestine espagnole chargée d'éliminer
discrètement les membres de l'ETA. Le 16 août 1985 les indépendantistes
basques ciblent les deux frères à Castellon de la Plan dans un
guet-apens dont Clément ne sortira pas vivant. Fin des Perret. Mais
reste encore pour les Zemour à s'occuper de Bouboule alias Lucien Sans,
celui qui a téléguidé à distance l'assassinat de René Atlan et qui se
cache alors sur la Côte d'Azur.
Le 2 mai 1967 plusieurs balles de calibre 7,65 viennent se figer dans
sa graisse alors qu'il se trouve dans un cabaret de Juan-Les-Pins,
vraisemblablement tirées par Raphaël Dadoun épaulé par Gilbert Zemour.
Il s'en sort miraculeusement mais à peine remis sur pieds s'envole
immédiatement pour l'Amérique du Sud où il s'activera dans le trafic
d'héroïne à destination des États-Unis, intégrant le célèbre réseau
d'Auguste Ricord (l'un des plus importants de la French Connection),
tout en enchaînant les séjours en prison. Après cinq cadavres et trois
blessés graves, la guerre du Faubourg est terminée.
Les Zemour ont désormais les coudées franches et deviennent les nouveaux patrons du Faubourg-Montmartre, et lorgnent sur Belleville
où Gilbert a ses habitudes. C'est à cette époque aussi que, se sentant
assez forts, ils se lancent dans la protection des tenanciers d'hôtels
de passe,
|
Le secteur des très grosses équipes du Milieu. |
La
mamelle de la pègre française de l'époque c'est en effet le
proxénétisme, ces demoiselles étant placées par leurs macs dans des
hôtels de passe plus ou moins renommés selon la réputation de leur
homme, tapinant en bas et montant faire leurs affaires dans les chambres
réservées, payant à chaque montée une taxe au gérant. Au-dessus du
gérant il y a le tenancier, parfois de petite envergure, d'autres fois
beaucoup plus important et à la tête d'un véritable parc hôtelier. Et
au-dessus de ces tenanciers on a les équipes de voyous qui les protègent
contre un pourcentage des revenus faramineux du bizness, faisant de ces
hommes des quasi-intouchables dans le Milieu tant les gangs qui leur
sont associés sont craints par leurs pairs. Les Zemour font désormais
partie de cette caste-là. Ils n'hésitent
pas par ailleurs à racketter un certain nombre de commerçants de la
communauté, non pas de manière systématique comme on peut le voir avec
certaines organisations criminelles à l'étranger mais saisissant les
opportunités à la faveur d'un service rendu, d'une dette non réglée ou
d'une embrouille créée de toute pièce. En 1967 ils auraient même prélevé
un impôt sur les juifs du quartier pour participer à l'effort israélien pendant la Guerre des Six jours.
On les voit aussi, pendant la contre-manifestation gaulliste de mai 1968, aux côtés d'André Malraux et Michel Debré assurer
avec d'autres le service d'ordre des ministres. C'est aussi à cette
époque qu'ils mettent la main sur plusieurs tripots clandestins,
notamment Gilbert qui devient le patron d'un flambe du boulevard
Belleville lié au bar d'un certain Tahar dit Robert le Dingue et dont il
a confié la direction à ses deux acolytes William Nakache et Roland Attali,
tandis qu'Edgard prend possession d'un cercle officiel de bridge du boulevard Montmartre qui se transforme la nuit en salle de jeux,
officiellement exploité par sa sœur Lucienne. William, toujours plus discret, drive lui aussi vraisemblablement plusieurs flambes de la capitale.
Mais, passionnés de jeux
et en pleine ascension, les Zemour visent plus haut. Leur ambition
nouvelle c'est de mettre un pied dans les grands cercles de jeux
officiels de la capitale, domaine réservé des clans corses. Deux barons
surnagent alors dans ce domaine : Jean-Baptiste Andréani et Marcel
Francisci. Et dans les années 60 rien ne va plus entre les deux chefs de clan.
FAITES VOS JEUX !
Ces deux-là ont de la bouteille et du métier. Jean-Baptiste Andréani,
né en 1905 en Corse, fut propriétaire de maisons closes à Saïgon,
résistant sous l'Occupation, puis s'enrichit après la guerre dans le
trafic d'or et de piastres en Indochine avant de partir s'installer à
Paris au début des années 50 où il devient propriétaire en 1959 du Grand Cercle,
rue de Presbourg près de l'Étoile, le plus huppé des clubs de jeux de
la capitale dans lequel il est associé au caïd marseillais Antoine Guérini, au cousin de Paul Carbone Antoine Peretti, à l'ex-commissaire nouveau voyou Robert Blémant, au patron du club de foot le Red Star Albert Zenatti, et à Marcel Francisci,
l'autre grand du jeu à Paris. Celui-là est né en 1919 à Ciamannacce.
Engagé volontaire pendant la guerre, prisonnier, évadé, résistant,
décoré, il nouera pendant cette période de solides amitiés gaullistes,
mais aussi malfrates, notamment avec Jo Renucci.
Après la guerre il donne dans le trafic de cigarettes et d'alcool à
Tanger, entre dans le service d'ordre du RPF, adhère au SAC, devient
conseiller général UDR de la Corse du Sud, et se lance dans les années
50, épaulé par ses quatre frères, dans le monde des jeux : il devient
actionnaire du Mammelstein à Beyrouth, du River Club à Londres et du
casino de Namur, contrôle les banques à tout va du casino de Nice et de
Forge-les-Eaux, acquiert le Cercle Haussmann puis l'Avation Club aux Champs-Élysées.
Quant
à l'association dans le Grand Cercle entre les Andréani, Francisci,
Guérini et compagnie elle ne tient pas bien longtemps, et vacille
définitivement à partir de 1962, occasionnant quelques fusillades et
surtout l'assassinat de Robert Blémant en 1965 qui entraînera la chute du clan Guérini
à Marseille. Côté parisien la haine que Jean-Baptiste Andréani et
Marcel Francisci nourrissent l'un à l'égard de l'autre laisse éclater
une nouvelle guerre des jeux en 1967. En décembre de cette année deux
poseurs de bombe, Roger Maracchini et Noël Renucci, meurent dans
l'explosion des charges de plastique qu'ils destinaient à la villa de
Francisci, lequel décide de répliquer subitement. La guerre se déplace
alors à Ajaccio
: en janvier 68 c'est le fidèle bras armé d'Andréani, Antoine Alfonsi
dit Antunarella, qui est blessé de deux balles, puis quelques jours plus
tard Dominique Nesa, un autre fidèle, échappe à un attentat. Le 21
juin, toujours à Ajaccio, le café Wagram avenue de Paris est mitraillé
par six gangsters alors que se trouvent à l'intérieur trois frères
Francisci qui s'en sortent tous indemnes, tandis qu'autour d'eux un
homme ne se relève pas et six finissent à l'hôpital.
Bref
la guerre bat son plein et c'est alors que les Zemour pointent le bout
de leur nez. Ils vont d'abord aller proposer leur soutien en qualité
d'alliés et de gardes du corps à Jean-Baptiste Andréani qui, méprisant
ces gens arrogants et sans manière, les éconduit et préfère s'adjoindre
l'aide des deux frères Panzani, Don
Jacques et Xavier dit Jo, deux figures corses du Milieu parisien qui
tiennent le Lætitia à Pigalle. Les Zemour se rangent alors du côté de
Marcel Francisci qu'ils ont rencontré par l'entremise de leur ami Joseph Khaïda,
un très grand du monde des jeux qu'ils connaissent depuis l'Algérie -
et dont on aura l'occasion de reparler. Un cousin, Sauveur Zemour,
devient alors le garde du corps du Grand Marcel, tandis qu'Edgard et
Gilbert sont vus de plus en plus souvent au Cercle Haussmann, intéressés
vraisemblablement dans certains jeux de l'établissement. Jean-Baptiste
Andréani préfère lui se mettre au vert et ne réapparaîtra que cinq ans
plus tard à Paris, en 1973. Mais les auteurs de la fusillade du Wagram à
Ajaccio qui a failli coûter la vie aux frères Francisci sont eux
toujours aux premières loges, ce que Marcel ne peut supporter. C'est
alors que les Zemour prennent les devants.
Le
3 octobre 1968 aux alentours de midi, François Andreani et Toussaint
Giovanelli sirotent tranquillement un verre au café La Musardière avenue Carnot,
à deux pas du Grand Cercle. Une voiture se gare alors à proximité, deux
hommes restent à son bord tandis que trois autres entrent dans le café
arme au poing en criant "police!". Ils fouillent vaguement les
consommateurs et embarquent Andréani et Giovanelli qu'ils ont au
préalable délestés de leurs armes et menottés l'un à l'autre. Mais à
l'approche de la voiture Andréani a un doute et commence à se débattre,
c'est la bousculade et les faux policiers abattent alors sommairement
sur le trottoir les deux Corses de dix balles de 11,43 dans la tête.
Dans le Milieu l'affaire fait grand bruit, et selon Michel Ardouin
c'est à ce moment-là que la "côte d'amour" des Zemour aurait
véritablement explosée. Abattre ainsi deux gangsters corses redoutés en
pleine journée sur une avenue ultra fréquentée, c'est qu'on n'est pas
n'importe qui. Désormais le Milieu sait à quoi s'en tenir. Pendant
ce temps la vendetta continue. Le 21 octobre c'est Ange Leca, autre
participant à la fusillade du Wagram à Ajaccio, qui est abattu, et le
lendemain deux physionomistes du Grand Cercle, Mathieu Mareschi et
Antoine Cesari, sont blessés dans une fusillade rue Richer. Pour le
ministre de l'Intérieur Raymond Marcellin s'en est trop. Il lance le 25
octobre des descentes dans les cercles de jeux et les tripots
clandestins, et interdit toutes les salles de jeux de France à Andréani
et Francisci. À la fin de l'année suivante les deux hommes arrivent à
lever l'interdiction et début 1970 ils enterrent officiellement la hache
de guerre afin de pouvoir mieux veiller à la bonne marche de leurs
affaires respectives. Les Zemour, eux, se font gentiment écarter des
affaires de Francisci, leur alliance ayant finalement amené plus de
désordre que de bienfait aux affaires du Corse. Peu importe. Après
l'élimination des Perret et le double assassinat de l'avenue Carnot les
frères pieds-noirs se sentent invulnérables et bénéficient d'une aura
sans pareil dans la pègre. Ils se mettent à déborder très largement de
leurs quartiers de prédilection et deviennent rapidement les plus gros
protecteurs de tenanciers d'hôtels de passe de la capitale.
Leur
équipe s'est en effet entretemps enrichie de nombreuses nouvelles
gâchettes, presque tous juifs ou pieds-noirs. L'union fait la force et à cette force-là personne n'a envie de s'y frotter. On trouve désormais
dans leurs rangs, en plus des Dadoun, Lehbar et autres Attali déjà cités, Claude Gragnon dit "P'tit Claude" né en 1940, dit aussi "le Balafré" en raison de la cicatrice qui lui barre le visage, Roland Lenoir dit Choukroune, né en 1941 et grand ami de Jean-Pierre Lehbar qui l'a fait entrer dans l'équipe, Joseph Elbaz né en 1946 et cousin de Roland Attali, lequel a également introduit un autre cousin, le jeune Jean-Claude Attali, surnommé La Puce en raison de sa petite taille et de son caractère incontrôlable, le petit Roger Bacry, un nerveux qui causera beaucoup de tort au clan, emmenant avec lui Marcel Barokhel
dit Le Coréen, Oranais né en 1931 qui connaîtra sa première
condamnation à 15 ans pour violence sur représentant des forces de
l'ordre, ancien du bataillon de Corée et gravement blessé dans un
règlement de comptes en 1960, et encore quelques autres comme Robert
Lévy, Albert Darmont, Joël Arfailloux, Jacques Amram ou encore Guy
Attali.
Bref
rien que du beau monde, certains étant entièrement dévoués à la cause
des Zemour sous l'égide du chef William, d'autres ayant une fidélité un
peu plus tangente comme on le verra. En attendant les Z sont au faîte de
leur puissance, et commencent à tourner leurs ambitions vers
l'étranger.
AVENTURES ÉTRANGÈRES
Leur position désormais assurée à Paris et forts de la fidélité de nombreux voyous, en cette fin des années 60
les Zemour décident d'élargir un horizon hexagonal désormais trop
étriqué. Et un pays qui a leur faveur c'est l'Allemagne et ses Eros
Center, établissements légaux entièrement voués à la prostitution où les
frères auraient vraisemblablement envoyé nombre de leurs protégées
travailler, du côté de Munich, puis un peu plus tard également à Francfort,
ville qui en compte alors près d'une quarantaine et où ont été vus à
plusieurs reprises William et Edgard, ainsi que quelques membres de leur
état-major - Roland Lenoir, Jean-Pierre Lehbar, Jo Elbaz, Albert Darmon
et Guy Attali en l'occurrence. Fin 1969 Edgard prend la gérance à Londres
du restaurant français Chez Victor et en profite pour monter quelques
trafics avec le continent, pas toujours très discrètement : rapidement
inculpé dans une affaire d'exportation de devises il est expulsé et
interdit de territoire. Théodore-Dédé,
l'aîné, entre tout comme ses frères au Fichier Central du Grand
Banditisme en 1970. Un statut qui ne lui plaît guère et implique que
tous ses déplacements soient dans la mesure du possible notifiés par les
autorités, chose insupportable à cet homme attaché plus qu'aucun autre
membre de la fratrie à la discrétion. Il part donc s'installer à Palma de Majorque
avec ses deux femmes illégitimes, Nièves Fernandez dont il a deux
enfants et Yvette Falgayrac qui lui a donné une fille, et y acquiert le
bar-discothèque Le Ringo, bien que toujours officiellement domicilié
chez ses parents - ce qui sera le cas tout au long de son existence.
Mais
la grande aventure que les Zemour tentent alors c'est celle d'Israël,
la terre promise. Entre 1968 et 1970 Edgard y voyage quinze fois avant
de s'installer en 1970 à Ashdod avec
sa concubine Fernande et ses trois enfants. William vient le rejoindre
peu après. Et la ville qui a leur faveur c'est Tel-Aviv, où domine le
"gang des Yéménites", emmené par les frères Danokh,
Shimson et Israël, spécialisés dans les jeux et le racket, bénéficiant
de nombreuses protections. Ils ont en face deux concurrents de taille,
un ancien de la bande prénommé Shem Tov Misrahi et l'équipe de Salomon Abu.
C'est alors qu'ils auraient fait appel aux frères Zemour pour leur ôter
ces deux épines du pied. Le 1e avril 1970 Shem Tov Misrahi est abattu
de quatre balles tirées à bout portant à la sortie d'un club près de la
place Allenby, tandis que Salomo Abu, étrangement abandonné par ses deux
gardes du corps, est arrêté à deux pas de là par une patrouille de
militaires parmi lesquels se trouve, toujours aussi étrangement, le
propre fils de son ennemi Israël Danokh. Abu sera condamné à la
réclusion criminelle à perpétuité pour ce règlement de comptes qui a
tous les aspects du coup monté. Dans les cercles autorisés il se
chuchote que ce seraient les Zemour qui auraient organisé le flingage,
téléguidés par les Danokh. On verra d'ailleurs un peu plus tard les deux
porte-flingues qui ont abandonné Salomon Abu équipés avec Edgard.
Entretemps avec son frère William ils se sont associés avec les trois frères Abitbol,
Maurice, Jacques et Elie, juifs pieds-noirs du Maroc, proches du Milieu
parisien, tenanciers d'un restaurant cannois et connus pour hold-up et
vols. Avec les Z ils achètent un café-restaurant place Malkhei-Israël
qu'ils renomment le Vesuvio et qu'ils transforment en établissement très
select. Mais les Danokh ne voient pas d'un très bon œil cette
installation qui risque de s'éterniser et, faisant jouer leurs appuis,
font se multiplier les contrôles sanitaires et administratifs abusifs.
Les Abitbol préfèrent alors prendre leurs distances et ouvrent de leur
côté le Marakech. Edgard de son côté fait équipe avec les deux anciens
associés de Salomon Abu, Georges Bismuth et Elie Meyzels, et commence à
mettre la main par la force sur quelques établissements de la ville,
notamment le réputé club Tiffany dont le patron Bernie Henson porte
plainte pour tentative de racket.
Décidemment
la présence de ces fratries françaises à Tel-Aviv n'est pas du tout du
goût des Danokh. Fin '71 Jacques et Elies Abidbol sont arrêtés pour port
d'armes dans ce qui a tout l'air d'un coup monté et début '72 ce sont
tour à tour le Marakech, le Tiffany et le Vesuvio qui flambent.
L'incendiaire présumé de ce dernier serait Ilan Ashrov,
gangster notoire de 29 ans lié à la bande de Josy Laria. On parle d'une
vengeance suite à une dette non honorée par les Zemour, d'un contrat
liquidé pour les Abitbol qui auraient vu dans les Z les traîtres qui les
auraient balancés, et enfin de la main des Danokh. Ilan Ashrov, lui, ne
pourra jamais lever le voile du mystère : son corps est découvert dans
les alentours d'Haïfa le 21 mars 1972, plombé de plusieurs balles de
revolver. Tous les regards se tournent bien évidemment vers Edgard qui
est interpellé puis expulsé d'Israël, tout comme William. Les autorités
leur font bien comprendre qu'ils ne sont plus les bienvenus dans leur
pays. Fin de l'aventure israélienne, retour aux affaires parisiennes.
Dont ils n'ont jamais été absents en vérité, multipliant sans cesse
durant ces deux années israéliennes les allers-retours avec la capitale
française pour veiller à la bonne marche du bizness.
Et
celui-ci ne va pas tarder à causer de terribles combats. La tension
avec les équipes ennemies, qui n'a cessé de monter tout au long de
l'année 72, éclate définitivement en 1973 et va causer beaucoup de morts
de part et d'autre dans une guerre impitoyable entre deux clans aux
dents trop longues. C'est ce que nous verrons dans l'article suivant
qui essaye de retracer le plus fidèlement possible les différentes
étapes de ce conflit, qui s'étale sur trois années au total.
* * *
|
William Zemour |
Au
début des années 70 les Zemour sont au faîte de leur puissance. À Paris
on les voit partout, écumant les bars, les boîtes, les cabarets, les
cercles de jeux et les tripots clandestins, eux ou leurs hommes,
fédérant les voyous juifs de la capitale et disposant ainsi d'un
réservoir de petites mains important et surtout très utile, faisant
jouer liens familiaux, amicaux ou communautaires, bien qu'en vérité le
noyau central de voyous sur qui le clan peut réellement s'appuyer compte
moins d'une vingtaine de personnes. Il y a là les trois frères Zemour,
âgés de 33 à 40 ans, Roland Attali 33 ans accompagné de ses deux
cousins, Jean-Claude la Puce 23 ans et Jojo Elbaz 24 ans, P'tit Claude
le Balafré 30 ans, les deux intimes de William Jean-Pierre Lehbar 40 ans
et Roland Lenoir 29 ans, le petit Roger Bacry 39 ans, Joël Arfailloux
24 ans, Robert Lévy 30 ans, Yeux de Velours Dadoun 41 ans, Albert
Darmon 27 ans, Jacques Amram 31 ans... L'état-major du clan. Au
Faubourg-Montmartre les Z sont les rois absolus. À Belleville et au
Sentier, comme des poissons dans l'eau. Ailleurs dans Paris ils jouent
les caïds, sûrs de leur force, mettant à l'amende les voyous qui se
seraient "manqués" avec eux. Ils fréquentent les tables des
Champs-Élysées et de l'Étoile, multiplient les coups de racket sur les
établissements de Pigalle, de la Madeleine, de la rue Saint-Denis, de la
Goutte-d'Or, des Halles, tiennent plusieurs flambes clandestins dans
les 9e, 17e, 18e, 20e arrondissements, mettent la main sur des enseignes
prestigieuse dans toute la capitale, multiplient les associations
commerciales à la limite de la légalité grâce à leur impressionnant
carnet d'adresse dans la communauté et en dehors, envoient des cheptels
de prostituées travailler en Allemagne, montent des affaires à
l'étranger... Bref l'équipe est solide et bouge bien, chacun prenant sa
part du gâteau. Pourtant après la guerre du Faubourg qui a fait 5 morts
et trois blessés graves, après la guerre des cercles de jeux qui a vu 6
hommes tomber et 10 être blessés, après les escarmouches israéliennes,
une nouvelle menace armée se profile : celle de la banlieue sud et du
« clan des Siciliens ». Un très gros morceau, celui-là.
La Scission
En
1972 le remuant associé des Z Roger Bacry propose aux frères de se
lancer dans l'héroïne, ce juteux bizness qui a fait la fortune du
banditisme français et dont on a réuni les nombreux réseaux sous
l'appellation French Connection, qui connaîtra son apogée entre 1965 et
1973. Mais un différent est apparu. Si la légende veut que Bacry se soit
brouillé avec les Zemour parce qu'ils ne voulaient pas "mettre les
mains dans la came", la réalité serait un peu moins romantique : les Z
aurait investi de grosses sommes dans l'héroïne, mais le parcours de
came ayant capoté Roger Bacry se serait retrouvé avec d'importantes
dettes envers les pieds-noirs, sources des premières tensions. La filière qui a été montée va en effet rapidement couler, articulée autour d'André Condemine dit Petit Ded, important
organisateur de réseaux installé à Bruxelles et notamment lié à la
Latino Connection d'Auguste Ricord, l'un des plus importants trafiquants
français de cette époque. Mais
la DEA américaine est sur le coup et la plupart des membres de l'équipe
sont arrêtés, dont Bensadoun qui était chargé de réceptionner la came à
New-York, et 120 kilos de blanche (un trésor !) saisis à Bruxelles.
Bacry, Barokhel et quelques autres échappent au coup de filet mais
tiennent à leur liberté : sachant Petit Ded dans le collimateur de la
justice ils craignent un coup de balance de sa part. Son corps inanimé
sera retrouvé en juillet 1973 au bord de l'eau près du port de
Saint-Cloud dans les Hauts-de-Seine.
Le
premier essai s'étant soldé par un échec, un autre envoi de drogue est
organisé. Mais l'équipe est visiblement doublée par Pierre Siméoni dit
"Gros Pierrot", grand parieur des clubs hippiques à qui la came avait
été confiée un temps et qui l'a fait disparaître dans la nature. Il est
abattu dans la soirée du 11 janvier 1973 dans une rue du 15e
arrondissement de six balles de calibre 38. Décidément la drogue ne
réussit pas au petit Roger Bacry qui se retrouve totalement ruiné. Il
retourne alors vers les Zemour qui l'envoient paître comme un malpropre,
ce qui va fortement alimenter sa rancœur à l'égard des frères
pieds-noirs. C'est alors qu'il entre dans le sillon d'une autre grosse
équipe qui monte, celle dite des Siciliens, originaire de la banlieue
sud, avec qui il avait commencé à s'acoquiner lorsqu'il montait ses
entreprises dans l'héroïne.
Le Clan des Siciliens
Nul
ne sait très bien pourquoi on les a appelé ainsi. On dit que l'origine
du surnom est dû à Kiki Piat, marqué par le film d'Henri Verneuil avec
Jean Gabin et Alain Delon sorti en 1969, un certain nombre de membres
de l'équipe ayant des origines italiennes.
|
Marcel Gauthier |
À la tête de cette bande on trouve un duo de choc, Jean-Claude Vella dit Petites Pattes et Marcel Gauthier, nés respectivement en 1938 et 1941. Amis inséparables depuis leur adolescence, ils font leurs classes à Villejuif dans la première moitié des années 60
en donnant dans le vol et sont notamment arrêtés ensemble en 1962 à la
suite d'une rixe et inculpés pour port d'armes. Ils sont alors équipés
avec Albert Serefian dit Le Criquet,
né en 1935, spécialiste des faux documents et soupçonné d'avoir
participé au célèbre casse de la Caisse d'allocations familiales de
Marseille en 1961 avec l'équipe de Tany Zampa, dont son frère Robert dit "Bert l'Arménien" est très proche, Jacques Piat dit Kiki, né en 1941 et premier voyou "tapé" par la brigade Antigang en 1964 sur la préparation d'un braquage, et Pierrino Rotondo,
né en 1930 de parents italiens et qui n'est à l'époque pas encore
l'indicateur de la police qu'il deviendra plus tard. Ensemble ils font
les macs et surtout les braqueurs, formant la première bande
d'importance issue de la banlieue sud, cette BS qui en connaîtra par la
suite bien d'autres, notamment dans le triangle à problèmes
Ivry-Vitry-Villejuif. Ils sont en ce sens tout à fait représentatifs de
la nouvelle génération de voyous issue de la "zone" qui pointe alors le
bout de son nez et connaîtra son embellie grâce aux attaques à main
armée, venant quelque peu secouer le vieux Milieu dont ils prennent
définitivement la relève dans la deuxième moitié des années 70.
|
Jean-Claude
Vella |
En
1963 Gauthier et Vella sont condamnés en Suisse à trois ans pour un
braquage commis à Genève avec trois autres complices, dont Paul Gardelli
qui a été tué par la police pendant l'arrestation, et Kiki Piat qui a
réussi à passer entre les mailles du filet. Ils retrouvent le pavé
parisien en 1966, forts d'une nouvelle réputation
qui n'a cessé de grandir pendant leur incarcération. Ils commencent
alors, vers 67-68, à protéger de très gros tenanciers d'hôtels de la
capitale, notamment Fernand Bernard dit Louis d'Auteuil. Leurs rangs s'enrichissent alors des bons services de Willy de Brabander, Pierre Abramovitch dit Krouchtchev et autres Jean-Pierre Maïone-Libaude,
cet ancien combattant de l'Algérie française et ex-OAS qui bien que
fils de famille s'est tourné vers le gangstérisme. Bref, une équipe qui
monte et dont les intérêts ne vont pas tarder à entrer en conflit avec
ceux des Zemour. Le marché parisien de la protection des hôtels de passe
a beau être étendu (on en compte entre deux et trois cents dans la
capitale), on a face à face deux clans qui en veulent toujours plus. Et
lorsque Roger Bacry entre dans le sillage de l'équipe avec Marcel le
Coréen, il ne va avoir de cesse de monter la tête aux Siciliens contre
ses anciens associés. La bande de la banlieue sud, à l'approche de la
guerre, continue d'ailleurs de grossir. Et les nouvelles têtes ne sont
pas des moindres : Daniel Abramovitch
dit Le Russe ou Le Polonais, né en 1946, qui rejoint son frère dans la
bande en 1973. Il est alors en liberté conditionnelle après une
condamnation à vingt ans de prison alors qu'il est encore mineur suite
au braquage d'une bijouterie durant laquelle il a tiré sur des
policiers. Jean-Claude Leclerc dit Le Bedeau
est lui né à Stains d'un père inspecteur de police et, passionné de
vélo, il enchaîne titres et compétitions à l'adolescence. Ce qui ne
l'empêchera pas de virer dans le banditisme malgré une religiosité à la
limite du mysticisme et cette bible qu'il garde toujours avec lui - elle
est en fait creusée et dissimule un 11,43 en guise de crucifix. À 23
ans il est condamné pour l'attaque d'un fourgon blindé et sympathise en
prison avec Pierre Lothoz dit Nat Le Lyonnais, né en 1939, meneur d'une fratrie de la cité des Gones qui commence à faire sérieusement parler d'elle.
Lorsque
le Bedeau et le Lyonnais sortent de prison ils s'équipent avec les
Siciliens. Ceux-ci tentent aussi d'intégrer à la bande leurs cadets du
"Gang de la Banlieue Sud", surnom donné par la police à une jeune et
solide équipe de braqueurs venue du même coin, dont beaucoup sont issus
de la communauté des Voyageurs, dont seul André Gau, né en 1946, accepte l'offre. On dit aussi que Titi Pelletier, futur caïd de Montreuil et de l'est parisien dont Claude Genova sera le bras droit, a un temps frayé avec l'équipe. Un peu plus tard c'est Nénesse Bennacer,
né en 1944, fils d'un maraîcher algérien de Fresnes et ayant connu sa
première incarcération à 18 ans, qui entre dans la bande.
On
a dans tous les cas là un redoutable gang, une "équipe de fers" de
premier choix, qui va donner bien du fil à retordre aux Zemour. Le
conflit, larvé jusque-là, éclate véritablement en 1973.
La Guerre est déclarée
Cette année-là Roger Bacry aiguille les Vella-Gauthier vers un coup de racket sur l'Aquarius,
l'un des plus juteux hôtels de passe de Paris, rue Greneta aux Halles.
Propriété de Gaby le Chanteur - qui tient une autre maison rue
Saint-Denis - l'établissement est protégé par Pierre Manley dit Manluche, Lyonnais de quarante ans ex-taximan et ex-marchand forain, et Raphaël "Yeux de Velours" Dadoun,
un fidèle de l'équipe Zemour depuis leurs débuts dans le Milieu. Bacry
aurait, dit-on, une dent contre lui. Quoi qu'il en soit, "Yeux de
Velours" n'est pas impressionné par Bacry et ses nouveaux amis et les
envoie chier sans ménagement. Au contraire de son associé Manluche
qu'ils arrivent à retourner, l'utilisant pour organiser le guet-apens du
12 mars 1973 : ce soir-là vers une heure du matin, dans le parking
sous-terrain de son domicile du boulevard Victor Hugo à Neuilly, Raphaël
Dadoun est criblé de balles par deux hommes armés d'un colt 11,43 et
d'un fusil à canon scié. Ce serait "Petites Pattes" Vella, Marcel
Gauthier et Marcel le Coréen qui auraient fait le coup, marquant là le
début de la "guerre des hôtels" qui va ensanglanter le pavé parisien
trois années durant et faire tourner bien des têtes.
La
mort de Dadoun, homme respecté dans le Milieu, fait en tout cas grand
bruit et ne peut rester impunie. C'est alors que son ami Jean-Louis
Augé, très grande figure du milieu lyonnais connu pour ses liens avec
l'OAS et le SAC qui sera assassiné par le Gang des Lyonnais de Momon
Vidal le 15 juin 73 pour une dette impayée, aurait dépêché une équipe de
tueurs pour venger son ami. Il s'agit d'un trio lyonnais arrivé depuis
quelques mois à Paris formé de Pépé Nesmoz,
47 ans, un "beau mec" qui a donné dans le braquage, le vol, le recel,
le proxénétisme et le faux-monnayage, d'Henri Simonelli, 37 ans, un
discret qui s'est fait oublier des services de police, et de Daniel
Renard, 31 ans, un colosse d'un mètre 90, braqueur et imprimeur de faux
docs, menant désormais tous trois l'enquête pour débusquer les assassins
de Raphaël Dadoun dont Nesmoz était un ami proche, ce qui laisse penser
qu'il agissait peut-être pour son propre chef et non pour Jean-Louis
Augé. Mais le machiavélique Roger Bacry, qui sent le vent tourner, a
plus d'un tour dans son sac et fait courir le bruit que ce sont trois
hommes du clan Zemour qui ont dézingué "Yeux de Velours" : Joël
Arfailloux, Jo Elbaz et Claude "le Balafré" Gragnon. Pour leur plus
grand malheur, l'intox fonctionne.
Le soir du 6 avril 1973 vers 23h le trio lyonnais repère Joël Arfailloux
dans le bar de sa maîtresse, Chez Clémence rue Claude-Bernard dans le
Ve où il joue au flipper avec un ami, et le fusillent sur place lui et
son compère, l'un prenant dix balles de 11,43 dans le corps, l'autre
deux. Les tireurs, cagoulés et armés de Colts, étaient épaulés par un
troisième homme positionné à l'entrée du bar qui a fait feu sur la
devanture à l'aide d'un P.38 pour couvrir leur fuite, tandis que deux
autres complices les attendent dans une 204 Peugeot à bord de laquelle
ils prennent le large. À peine mis au courant du flingage et des bruits
qui courent Edgard Zemour fonce à
Paris depuis l'Allemagne où il se cachait suite à une condamnation à
deux ans pour escroquerie (il sera arrêté un peu plus tard et relâché
sous conditionnel en février 74) et secoue Claude le Balafré
pour lui tirer les vers du nez sur son implication supposée dans
l'assassinat de Raphaël Dadoun. Il jure alors ses grands dieux que ni
lui, ni Elbaz, ni feu Arfailloux ne sont pour rien au monde liés à cette
affaire. Tout le monde commence alors à comprendre d'où viennent
réellement les coups. Les Siciliens désormais démasqués décident de
prendre les devants et tendent un piège au trio Nesmoz-Simonelli-Renard,
pourtant réputé très dur à cibler, le 19 mai 1973 : grâce à la
traîtrise d'Ischil Lévites dit Riton le Juif, un associé de Pierre Manluche, et de Rubio Emilio,
gangster espagnol de 45 ans connu pour avoir tué un policier à
Marseille en 1955, ils arrivent à attirer les Lyonnais au Gentilly, un
restaurant du boulevard Kellerman, où Rubio Emilio est censé leur donner
de précieuses informations autour d'un bon repas. Mais en guise de
hors-d'œuvre c'est une volée de plomb qui est servie à Pépé Nesmoz,
Henri Simonelli et Daniel Renard : deux hommes surgis dans
l'établissement les criblent de balles à l'aide d'un revolver et de deux
pistolets automatiques, ne laissant aucune chance aux trois hommes
d'atteindre les armes qu'ils dissimulent à leur pied dans une anodine
serviette, les laissant tous trois sans vie sur le carrelage. Le
commando aurait été formé de Jean-Claude "le Bedeau" Leclerc,
Jean-Claude "Petites Pattes" Vella, Marcel Gauthier, Daniel Abramovitch
et Jean-Pierre Maïone-Libaude.
Les
Zemour ne peuvent dans tous les cas pas laisser passer cet affront
supplémentaire et se doivent de châtier les traîtres qui ont permis ces
guet-apens. Huit jours après la fusillade du Gentilly, le 27 mai, c'est
chose faite : ce matin-là à 9 heures Pierre Manluche est abattu de cinq
balles de 9mm dans sa voiture au pied de son immeuble du XVe
arrondissement rue Dupleix, et Riton le Juif deux heures plus tard de
deux balles de Smith & Wesson en pleine tête alors qu'il étudie
tranquillement le tiercé dans sa voiture, en bas de l'appartement de sa
maîtresse rue Quentin Bauchart, un Rohm 38 à la ceinture. Quant au
traître Rubio Emilio il part se cacher peu de temps après en Espagne
(son corps inerte sera retrouvé en décembre 1977, flottant dans un sac
plastique sur la mer à Benalmada). Les Zemour auraient alors fait savoir
aux Siciliens qu'ils n'en voulaient qu'à la peau de Roger Bacry, en
échange de laquelle ils seraient prêts à abandonner toute velléité de
vendetta, malgré les huit hommes qui sont déjà tombés sur le pavé
parisien en moins de trois mois. Sauf que depuis le 18 juin le Petit
Roger est placé en hôpital psychiatrique, premier internement d'un
longue série. Homme traqué, fui comme la peste par les siens depuis que
ses machinations ont été mises à jour, le voyou vire en effet petit à
petit vers la folie, ne calmant ses crises d'angoisse que dans l'alcool
et le Valium.
C'est
à cette époque également que Gilbert Zemour va prendre quelques
distances avec le Milieu pour mieux entrer dans le monde des affaires,
lui qui a toujours été en recherche d'honorabilité. Avec Izi Spighel, dont le frère Richard a été un fidèle des Zemour dans les années 60,
il se rend acquéreur du cabaret l'Apostrophe, rue Princesse, et de
l'Aventure, avenue Victor Hugo. Il s'associe également avec René Juillet,
dit "le Petit Prince", une autre figure des nuits parisiennes qui
possède trois établissements, et effectue quelques belles affaires
immobilières ainsi que des escroqueries diverses ici et là, notamment
avec l'homme d'affaires Joseph Khaïda,
vieil ami de la famille. Fin '73 il part pour le Canada où il monte
avec plusieurs associés la compagnie immobilière Gipala Properties à
Montréal qui réalisera quelques très beaux coups jusqu'à ce que, victime
de la célébrité de sa famille, il sera expulsé du Canada et ira
s'installer à Miami. Sa société connaîtra encore quelques beaux jours,
désormais dirigée par sa femme Liliane Drai.
La Guerre bat son plein
Si
Manluche et Riton le Juif ont payé leur traîtrise de leur vie et que
Bacry est intouchable car en hôpital psychiatrique, il reste une épine
dans le pied du clan Zemour : Marcel Barokhel alias le Coréen, qui a frayé
un temps avec les pieds-noirs et aurait participé à l'assassinat de
Raphaël Dadoun. Dernièrement Izi Spighel est venu rapporter aux
intéressés que le Coréen s'était vanté dans un de ses établissements de
"mettre son colt dans le cul des Zemour". Pour les frères, et surtout William
(Edgard est alors à l'ombre et Gilbert au Canada) c'est l'affront de
trop : le 11 octobre 1973 le Coréen est arrosé de coups de chevrotine
alors qu'il gare sa voiture en bas du domicile de sa mère rue Dulong
dans le XVIIe. Le colt qu'il porte a la ceinture et qu'il destinait à
quelque orifice zemourien ne lui aura été d'aucune utilité, il s'écroule
mort sur le tableau de bord, percé de quatre impacts.
C'est
à ce moment-là vraisemblablement que Marcel Gauthier, l'une des têtes
pensantes des Siciliens, aurait été pris d'une véritable folie
meurtrière. Ne réussissant pas à localiser les Zemour ni leurs
lieutenants les plus proches il va ratisser large. Le 16 octobre c'est Désiré Dahan
qui en fait les frais, lui qui visiblement avait fourni les armes
utilisées pour l'assassinat de Barokhel. Il est descendu à coups de 9mm,
de 11,43 et de chevrotines alors qu'il quitte l'auberge de la Galette à
Saint-Maurice, dans le Val-de-Marne. Vingt-sept projectiles sont
retrouvés dans son corps. Le lendemain sa protégée Michelle Le Goff,
prostituée de 27 ans, se suicide dans son domicile du XIXe
arrondissement. Une semaine plus tard, le 23 octobre, c'est un cousin de
la famille, Roger Zemmour (avec
deux m), petit voyou marseillais que sa famille destinait pourtant au
rabbinat, qui est tué de douze balles de 11,43 et de plusieurs coups de
chevrotine chemin du Littoral à Marseille alors qu'il quitte le bar
qu'il tient non loin de là. Les tireurs seraient selon la rumeur Marcel
Gauthier, Jean-Claude Leclerc et Nat le Lyonnais, aiguillés par un
gangster local.
Autant
dire que la guerre fait rage lorsque Edgard sort de prison en liberté
conditionnelle en février 74, tout le monde s'attendant à ce que les
combats redoublent d'intensité. Pourtant c'est à ce moment qu'une paix
aurait été conclue entre les deux camps, à l'initiative des frères Panzani.
Les deux Corses, Don Jacques et Jo, la cinquantaine et qui avaient
épaulé Jean-Baptiste Andréani dans sa guerre contre Marcel Francisci,
font en effet office de juges de paix respectés dans le Milieu et
auraient organisé la rencontre dans leur bar du Laëtitia
à Pigalle, repère de bandits corses et de braqueurs lyonnais, au cours
de laquelle les deux équipes auraient accepté d'enterrer la hache de
guerre pour le bien de tous, avec toujours en ligne de mire la tête de
Roger Bacry qui entre deux séjours en hôpital psychiatrique se terre
dans des planques connues de lui seul. La trêve tiendra plusieurs mois
sans que le sang ne coule de part et d'autre.
Entretemps
le "Petit Roger" aura mis fin à ses jours. Le 12 juin 1974 au matin,
après une nuit d'ivresse, de médicaments et d'angoisse passée chez sa
maîtresse Josianne dans le XIIe arrondissement, il lui tire une balle
dans la tête avant d'en loger une dans la sienne. Gravement blessée la
jeune Josianne s'en sort pourtant miraculeusement et parvient même à
appeler les secours qui lui sauveront la vie. Mais pas celle de Roger
Bacry, dont les machinations auront causé le déclenchement de la guerre
des gangs qui ensanglante Paris depuis plus d'un an. Sa mort ne sonne
pourtant pas la fin des combats, loin de là.
Le carnage reprend, les Z perdent pied
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Le bar Le Laëtitia |
Quelques
semaines après le début de la "trêve", réelle ou non, conclue au
Laëtitia, Jean-Claude Leclerc est parti vivre avec femme et enfants au
château de Lesmoul à Ploumérin, en Bretagne, se retirant
vraisemblablement du monde des voyous pour se lancer dans des projets
agricoles. Il faut dire que depuis le décès de sa maîtresse dont il
était follement amoureux à l'été 73 des suites d'une interruption
volontaire de grossesse, l'homme n'est plus vraiment lui-même et verse
dans un mysticisme inquiétant. Assez en tout cas pour qu'un rendez-vous
mortel lui soit donné le 29 novembre 1974 boulevard Voltaire à Paris, où
aux alentours de 13h30 il est atteint de sept balles de 11,43 et de
9mm, dont quatre à la tête, tirées à bout portant par deux hommes
surgis d'un break Simca. S'il est tentant de voir là la marque des
Zemour, il se dit aussi que l'exécution de Leclerc serait le fruit de
dissensions internes au sein du gang des Siciliens, dissensions qui ont
déjà poussé Nat le Lyonnais à quitter la bande. Un mois auparavant c'est
Jean-Claude Attali dit la Puce,
redoutable porte-flingue des Z, qui aurait été blessé dans une fusillade
avec ses ennemis dans un flambe de la rue de Crimée, et dans cette
même période Jean-Pierre Maïone-Libaude aurait lui aussi été ciblé par
des coups de feu. Bref, autant dire que les hostilités ont repris.
C'est
dans ce contexte que survient la fusillade du Laëtitia. Le 2 janvier
1975 à 20 heures le bar de la rue Notre-Dame-de-Lorette est pris
d'assaut par six hommes masqués descendus d'une estafette, armés de
pistolets, de revolvers et de fusils, qui se mettent à canarder tout ce
qui bouge à l'intérieur. Claude Ducros, le comptable de l'établissement, est littéralement mitraillé et tué sur le coup tandis que sa secrétaire Christiane, protégée par son cadavre, n'est que légèrement touchée ; Jo Panzani est atteint de plusieurs projectiles malgré la table qu'il a retournée pour se protéger, grièvement blessé ; Nic "le Grec" Kastrinakis,
membre de l'équipe du braqueur lyonnais Jean-Baptiste Fournel dit le
Maréchal, se saisit d'une arme qui lui pète dans les mains et lui arrache la moitié des doigts ; la barmaid se couche derrière le bar et
s'en sort indemne tandis qu'un autre homme, Francis Poulain,
connu pour proxénétisme, saute par-dessus le comptoir pour se protéger
et reçoit une balle dans les fesses tandis qu'une autre lui lèse le
foie, le cœur et le poumon. En sortant le commando se précipite vers
deux voitures qui les attendent, mais alerté par le bruit le cambrioleur
"historique" Edouard Voss dit le
Baron, 58 ans, sort d'un bar voisin et a le malheur de voir le visage
d'un des tireurs qui avait ôté sa cagoule. Il lui met une balle dans la
tête. Les tueurs n'avaient en effet aucun intérêt à ce qu'un membre du
Milieu ne les reconnaisse. Car le plan mis en place était absolument
terrible selon ce qui se racontera par la suite : s'en prendre aux
Panzani chez eux dans une attaque sans pitié pour faire porter le
chapeau aux Zemour, afin de monter contre eux les frères corses et leurs
nombreux amis. Et si l'intox fonctionne un temps les frères pieds-noirs
courent crier leur innocence auprès des Panzani, qui les croient sans
problème.
|
Le bar du Thélème |
Deux mois plus tard c'est un autre carnage qui a lieu, la célèbre fusillade du Thélème.
Ce jour-là, le 28 février 1975, un tuyau parvient à la BRI : l'équipe
des Zemour et celle de Vella-Gauthier doivent se rencontrer dans un bar
du boulevard Saint-Germain, le J'ai du Bon Tabac. Les commissaires Leclerc et Broussard
partent subitement planquer sur place avec dix-huit hommes en soutien.
Dans l'après-midi ils voient Edgard Zemour et son cousin éloigné Edmond,
restaurateur de 64 ans à La Ciotat près de Marseille, s'installer au
comptoir du Thélème, juste en face du J'ai du Bon Tabac, rejoints peu
après par William Zemour, Jo Elbaz et Roland Attali.
L'équipe de Broussard décide alors d'intervenir avec huit hommes,
tandis qu'une autre emmenée par le chef de l'Antigang Marcel Leclerc
interviendra au J'ai du Bon Tabac où ils pensent trouver la bande
adverse - qui n'est en fait pas présente. Au Thélème c'est l'inspecteur
divisionnaire Chaix qui déboule le premier avec Lobjoix et Caillot. Subitement Jo Elbaz
dégaine et, croyant à un guet-apens de l'équipe ennemie, tire en
direction des policiers et atteint l'inspecteur Chaix juste au-dessus du
cœur. La réplique des inspecteurs Chaix et Lobjoix est immédiate : 14
coups de feu sont tirés en direction des cinq hommes dont quatre tombent
à terre. Les autres policiers entrent alors brusquement et ceinturent Roland Attali
qui n'a pas été touché et se débat comme un diable, causant à
l'inspecteur Guitard un traumatisme à la rate. Dans la bagarre les
policiers s'en prennent également à deux avocats algériens présents dans
le bar qui se font violemment molester car pris pour des membres de la
bande, maître Oussedik recevant un puissant coup de crosse sur la tête
tandis que maître Benachenou écopera d'un traumatisme crânien et d'une
fracture au visage. Mis à part ces "victimes collatérales", à terre
c'est le carnage : Jo Elbaz, 29 ans, meurt sur le coup, atteint de trois
balles. William Zemour reçoit lui trois projectiles tirés à moins de
dix centimètres de distance, et mourra peu après. Son frère Edgard est
touché de quatre balles tirées dans le dos, dont une logée au niveau de
la colonne vertébrale qui l'handicapera durement toute sa vie. Quant à
Edmond Zemour, le cousin éloigné et le seul de ces hommes à ne pas être
armé, il écope d'une balle dans le genoux. Bilan : deux morts et huit
blessés dont deux graves, huit semaines après la fusillade du Laëtitia.
Ici le piège aurait été orchestré par Pierrino Rotondo,
balance notoire qui avait frayé avec Vella et Gauthier au début de leur
carrière, qui a donné le tuyau à la BRI. A-t-il été téléguidé par les
Siciliens ou a-t-il agit pour son propre compte, son ami et associé
Jacques Renaudot ayant eu maille à partir avec les pieds-noirs la veille
alors qu'ils tentaient de racketter l'établissement de sa mère, le Trou
des Halles. Il ne pourra en tous cas pas donner sa propre version des
faits : peu après les Siciliens l'emmènent en belle dans un resto des
bords de Seine tenu par un ancien voyou et le somment de s'expliquer sur
ses fréquentations policières. Rotondo tente de mouiller Marcel
Gauthier qui, pris d'une rage soudaine, sort son arme et lui met une
balle dans la tête. Son corps aurait ensuite été découpé en morceaux et
jeté dans un bain d'acide pour en faire disparaître toute trace.
La
fusillade du Thélème sonne en tout cas le glas de la domination des Z
sur le Milieu parisien. William, le chef aimé et respecté qui fédérait
véritablement les différents électrons libres du clan, n'est plus. Les
obsèques de celui qu'on appelait affectueusement Zaoui seront à la
hauteur de l'aura dont il bénéficiait : grandiose, et il y a foule au
cimetière de Bagneux pour son enterrement. Edgard, autre éminence de la
famille qui en faisait trembler plus d'un, est lui immobilisé pour un
long moment : on l'a hospitalisé en prison et il ne sortira qu'un an
plus tard. Gilbert a quant à lui mis quelques distances avec le Milieu
comme on l'a vu, et ne parvient pas à empêcher la dislocation de
l'équipe après la mort de son chef. Il se brouille même avec son frère
Edgard à qui il reproche de s'être laissé attirer dans le piège du
Thélème. Affaiblis, les Zemour se rabattent alors sur la prostitution
allemande et ses Eros Center, où ils envoient leurs protégées dans les
établissements de Francfort, de Cologne et de Düsseldorf. La guerre
n'est pas pour autant terminée, même si elle semble désormais se faire
plus en interne que front contre front.
Tout le monde perd la tête
Le
13 septembre 1975 le corps sans vie de Jean-Claude Petites Pattes Vella
est découvert dans le coffre d'une voiture stationnée place de
Port-de-Prince dans le XIIIe, avec deux balles dans la tête. Marcel
Gauthier semblait ne plus supporter les oppositions systématiques de son
ami de toujours avec qui il avait fait les 400 coups à Villejuif, à tel
point qu'il aurait intimé l'ordre à Willy de Brabander, autre membre de
l'équipe, d'abattre son associé s'il ne voulait pas y passer lui-même -
il aurait été épaulé par Dédé Gau dans sa sombre besogne. Le 17 octobre
suivant l'équipe de Gauthier décide d'enlever Izi Spighel, cet homme
des nuit parisiennes associé à Gilbert Zemour dans plusieurs
établissements, afin d'attirer ce dernier dans un piège mortel. Mais
l'opération tourne court à cause de la présence imprévue de la femme et
de la belle-sœur d'Izi dans le deuxième sous-sol de son immeuble où il
est allé chercher sa voiture. Tant pis, ils se la font "à la sicilienne"
: quatre hommes tapis dans l'ombre font rageusement feu sur leur cible
qui s'écroule, morte sur le coup.
Suite à ce décès Gilbert Zemour et Marc Francelet,
journaliste trouble associé avec Gilbert à Spighel dans l'exploitation
du cabaret l'Aventure, se rencontrent et conviennent d'un arrangement
quant au partage de l'établissement. Les deux hommes se lient alors
d'amitié pour trois ans, et le journaliste deviendra le biais par lequel
Gilbert pourra s'exprimer publiquement dans les médias, chose qu'il ne
manquera plus de faire à de maintes reprises (notamment pour fustiger la
police dans l'affaire du Thélème). Le pied-noir prend également des
parts occultes dans les autres ex-établissements d'Izi Spighel, en
association cette fois avec René Juillet, le "Petit Prince de la Nuit" -
dont on reparlera.
Côté
flingage les armes parlent de nouveau au mois de mars suivant. Et
visent cette fois Jean-Claude Attali dit la Puce, cousin de Jo Elbaz et
de Roland Attali, tous deux présents pendant la fusillade du Thélème, et
considéré comme très dangereux. Du reste, tout comme un certain nombre
de protagonistes dans ce conflit armé - Roger Bacry, Jean-Claude
Leclerc, Marcel Gauthier - il va lui aussi glisser petit à petit vers
une forme de folie qui lui vaudra un internement en hôpital
psychiatrique en 1973 où on le dépeint comme un "psychopathe
caractériel, impulsif et dangereux au sens criminologique, avec une
réadaptation difficile". Hors de question donc pour Gauthier and Co de
laisser ce vindicatif de 29 ans en vie. Le 24 mars 1976 l'affaire est
réglée : après une nuit passée à jouer dans un flambe du XVIIIe
arrondissement il regagne sa voiture vers 5h du matin lorsqu'un feu
nourri s'abat sur lui. Ce ne sont pas moins de trente balles qui le
tuent net, crachées par un revolver, deux automatiques et une
mitraillette, dont un projectile réservé par Nénesse Bennacer, ce
nouveau venu dans l'équipe, à l'orifice anal de la victime - preuve
s'il en est du mépris qu'on lui accordait.
|
Le corps de Marcel Gauthier |
Six
mois plus tard la guerre prend définitivement fin. Dans le Milieu la
domination des Zemour n'est plus qu'un souvenir et le gâteau des hôtels
de passe, bien que périclitant et moins rentable qu'auparavant, s'est
réparti entre plusieurs hommes forts, anciens ou nouveaux, dont beaucoup
d'ex-Siciliens. Parce que l'existence de cette bande en tant que telle
n'est elle aussi plus qu'un simple souvenir. Les assassinats en interne
de Leclerc, de Rotondo et de Vella, ainsi que l'absurde fusillade du
Laëtitia, en ont sonné le glas. Et c'est peut-être pour éviter à son
tour d'être trahi que Marcel Gauthier est parti tout un été se mettre
au vert en Corse, dix semaines d'affilées, avec sa compagne et ses
enfants, son frère et sa belle-sœur, ainsi que quelques mystérieux amis.
Le 17 septembre il remet enfin le pied sur le continent. Pas longtemps. À peine a-t-il quitté à bord de sa voiture le car-ferry qui l'a mené de
Calvi à Nice qu'une estafette vient bloquer son véhicule. Deux hommes
armés en descendent et font feu sur lui. Gauthier parvient à s'extraire
de sa voiture malgré ses blessures et s'enfuit péniblement entre les
véhicules stationnés sur le port, mais il est rattrapé par ses
assaillants qui l'achèvent de plusieurs balles dans la tête.
C'est
Nat Lothoz alias Le Lyonnais qui aurait organisé l'opération, pour venger
la mort de "Petites Pattes" Vella et surtout de son ami Jean-Claude
Leclerc alias Le Bedeau une fois qu'il se fut convaincu de la
culpabilité de Gauthier dans ces assassinats, vraisemblablement épaulé
par Nénesse Bennacer, ce voyou qui monte et qui avait déjà logé quelques
balles indélicates dans les intimités de Jean-Claude la Puce. Marcel
Gauthier mort, la guerre des Siciliens se termine enfin. Étalée au total
sur trois ans elle aura causé la mort de près de 25 personnes, ce qui
en fait l'un des conflits les plus meurtriers de toute l'histoire du
Milieu français. Et permit à la nouvelle génération de mieux s'imposer
une fois le ménage fait parmi les anciens.
* * *
Après
les ravages de la guerre des gangs des années 70 contre les "Siciliens"
de la Banlieue Sud, le clan Zemour n'est plus que l'ombre de lui-même.
Son chef William est mort, tué par la police. Une partie de ses
principaux lieutenants – Raphaël Dadoun, Joël Arfailloux, Jojo Elbaz,
Izi Spighel, Jean-Claude Attali...- ont été abattus, les autres ont pris
leur indépendance. Mais la saga familiale n'est pas pour autant
terminée, et les Z vont encore défrayer la chronique judiciaire pendant
quelques années.
Les survivants prennent le large
Après
les remous médiatico-policiers de la fusillade du Thélème - et
peut-être pour mieux digérer le deuil de Wiliam- chacun des frères
Zemour va déménager. Théodore, l'aîné installé depuis cinq ans à Palma de Majorque vend sa discothèque le Ringo et décolle pour Fort-de-France en Martinique
avec ses deux femmes illégitimes et ses enfants, où il monte une
coopérative de produits divers route de La Folie qui fait bosser toute
une équipe de démarcheurs juifs, comme à ses débuts de bidonneur vingt
ans plus tôt. Fin '76 il ouvre une autre agence de sa société à Cayenne
en Guyane, rue Lalouette, dont il confie la gérance à son cousin Alain
Nakache. Son frère Edgard une fois libéré des suites judiciaires du Thélème en mars 1976 part pour Miami avec femme et enfants, où Gilbert
a lui aussi un logement. Il y achète la Bonne Maison, restaurant
français sur Biscayne Boulevard, mais n'obtiendra jamais la licence pour
vendre des alcools - selon Gilbert c'est la mafia italo-américaine
locale qui lui aurait mis des bâtons dans les roues car Edgard refusait
de collaborer avec elle. Puis en février 78 il achète avec Théodore Le
Privé, un bar-discothèque de Fort-de-France.
Gilbert lui est parti s'installer à Bruxelles
où il lorgne sur le domaine des jeux, tout en gardant un pied à Miami
et surtout à Paris où ses intérêts dans le monde de la nuit commencent à
lui causer du souci. Gilbert soupçonne en effet son associé René Juillet,
le "Petit Prince", d'essayer de l'arnaquer en simulant la faillite de
leurs affaires communes. Il envoie alors un gangster parisien, Claude
Pretot, accompagné de deux amis arméniens, pour "secouer" Juillet le 25
novembre 1977. Mais celui-ci les reçoit à coups de calibre et Pretot,
blessé d'une balle au ventre qui va se loger dans sa colonne vertébrale,
est déposé discrètement aux portes d'un hôpital. Paralysé des membres
inférieurs il se suicidera dix mois plus tard à la clinique où il est
hospitalisé en se taillant d'un coup de rasoir l'artère fémorale. Avant
cela, en janvier 1978, René Juillet porte plainte contre Gilbert Zemour
et son associé le journaliste Marc Francelet,
ainsi que trois hommes de main, pour racket. Dans ce dossier Gilbert
est condamné à dix mois de prison, une peine qu'il a déjà accomplie en
préventive à treize jours près - mais on le laisse quand même repartir
libre. N'ayant pas du tout été soutenu pendant son incarcération par
Gilbert et le reste du clan, Marc Francelet se brouille définitivement
avec son "ami" pied-noir, mais sa rancœur la plus forte va vers René
Juillet : un soir de l'été 78, au bar-restaurant l'Élysée-Matignon, il
passe à tabac le "Petit Prince dela Nuit" et son ami Alain Ciric, puis
essuie quelques coups de feu sans conséquence tirés par son ennemi en
pleine rue.
Un
an et demi plus tard c'est un épisode beaucoup plus désagréable dont
est victime René Juillet. Le 26 mars 1980 aura été une nuit festive de
plus pour le Petit Prince, qu'il termine dans son cabaret Le Miroir du
Temps rue de Balzac, près des Champs-Élysées. Il y a là du beau monde
venu prolonger la fête jusqu'au petit matin, comme Claude Brasseur ou le
chanteur israélien Yoni. Vers huit heures René Juillet aperçoit une
grosse voiture dans la rue dont il semble connaître les trois occupants.
Il sort alors pour aller à leur rencontre, la voiture se porte à sa
hauteur et le passager arrière salue le Petit Prince d'une bien curieuse
manière : un coup de fusil de chasse en pleine gorge qui tue la victime
sur le coup. Très étrangement le 13 mars précédent Gilbert Zemour avait
été volontairement balancé par un associé, Vincent Palomba,
qui avait appelé la PJ de Bruxelles pour leur signaler que le jour même
son boss passerait la frontière à Saint Aybert alors qu'il "doit"
encore treize jours de placard à la pénitentiaire. Ainsi mis à l'ombre
pour deux petites semaines Gilbert ne pouvait rêver meilleur alibi dans
le meurtre de Juillet ! les assassins directs de ce dernier se
trouveraient être Nénesse Bennacer et André Gau,
anciens alliés des Siciliens qui étaient alors en délicate négociation
avec Juillet sur plusieurs affaires et avaient une dent contre lui - il
les avait accusés lors du procès de Gilbert Zemour d'être les tueurs
d'Izi Spighel en 1975. Peut-être bien que pour une fois, la seule sans
doute, les intérêts d'un Z et de Siciliens se seraient rencontrés et
accordés pour mettre fin en bonne et due forme à la vie d'un ennemi
commun.
Edgard, la fin
À Miami les affaires d'Edgard ne fonctionnent plus tellement et son
restaurant fait faillite. Il subit même un mystérieux incendie, d'aucuns
voyant derrière cet accident une arnaque à l'assurance. Plus rien alors
ne va plus dans la vie du benjamin des Zemour, il se sépare de sa femme
et se marie avec Betty Case, une
jeune américaine dévergondée de vingt ans ayant un goût prononcé pour la
cocaïne, et on connaît l'aversion des Zemour pour la drogue en général -
à l'exception du hash, origines maghrébines obligent. Edgard infligera
même une sévère correction au frère de sa nouvelle femme qu'il
soupçonnait d'être son fournisseur, avant de plonger lui-même le nez
dans la blanche, et pas qu'un peu, avec le tempérament excessif qu'on
lui connaît. Quoi qu'il en soit Edgard est à sec, les revenus de son
"Bridge Club de Montmartre" que gère sa sœur ne suffisant pas à assurer
son train de vie fastueux. De passage en France il commence alors à
faire courir le bruit que Marcel Francisci, l'empereur des jeux à qui il fut associé avec ses frères à la fin des années 60,
a une dette envers lui de huit millions de francs et qu'il compte bien
tout faire pour les récupérer. Qu'il s'agisse d'une dette réelle ou
d'une tentative de racket en bonne et due forme, le résultat est le même
: Francisci éconduit l'importun. Il faut dire que niveau financier il
n'est pas au top non plus, la commission des jeux ayant fait fermer le
Cercle Haussmann. Edgard commence alors à se faire menaçant mais le
Grand Marcel n'a que faire des revendications de ce pied-noir teigneux,
malgré ses proches qui lui recommandent de s'en méfier, voir de le
châtier. Il aurait peut-être dû les écouter : la nuit du 14 janvier
1982 les menaces sont mises à exécution, et l'empereur des jeux est tué
de trois balles de 11,43 dans son parking souterrain de la rue de la
Faisanderie alors qu'il rentrait du cercle de l'Aviation.
Dès
qu'il apprend la nouvelle Gilbert fulmine et court jurer ses grands
dieux devant les Francisci que sa famille n'a rien à voir là-dedans.
Pourtant quelques jours plus tard l'impudent Edgard relance les frères
Francisci et leur rappelle que la dette de Marcel n'est toujours pas
réglée ! Pour Gilbert s'en est trop et il rompt définitivement avec son
cadet. Lequel va dès lors se garder de trop se montrer en France et
rester bien au chaud à Miami. Ce n'est pas pour autant qu'il s'y sent en
sécurité. En cette période Edgard se fait très suspicieux et méfiant
malgré les 5000 km qui le séparent de Paris, ayant fait l'acquisition
d'un Colt 45 et laissant constamment fermés les volets de sa chambre. La
DEA américaine le soupçonne également d'être au centre d'un trafic de
cocaïne local important, en partenariat avec ses amis pieds-noirs Jacky
Amar et Roger Saada, avec l'Israélien naturalisé américain Mike Gretah,
déjà connu pour stups au Canada, et surtout avec le trafiquant de drogue
Jean-Louis Rizza.
Peut-être
le début d'une grande période américaine ? il n'en aura pourtant pas le
temps. Le 8 avril 1983 aux alentours de 22h30 un tireur embusqué dans
le jardin de la villa d'Edgard lui tire quatre balles de 11,43 dans le
corps à travers la fenêtre de sa chambre, dont les volets avaient
étrangement été laissés ouverts. C'est sa fille adorée Myriam qui
découvre le corps sans vie de son père alors que sa femme Betty et les
autres enfants sont au cinéma. Beaucoup voient d'ailleurs dans ces
volets ouverts - alors qu'ils ne peuvent se manipuler que de l'intérieur
- une trahison de Betty qui, en ayant assez des accès de violence de
son mari aurait prêté son concours aux assassins.
L'enterrement
d'Edgard au cimetière de Bagneux sera beaucoup moins fastueux que celui
de son aîné William, avec la présence d'une petite centaine de parents
et amis. Le temps de régler quelques détails et Gilbert dépêche dès
qu'il le peut à Miami un détective privé pour enquêter sur l'affaire
avant de décoller lui-même pour la Floride. Il aurait alors appliqué ses
propres méthodes d'enquête en tabassant et menaçant d'un pistolet sur la
tempe Betty Case qui, selon le journaliste Marc Francelet, lui aurait
avoué avoir été enlevée par des gangsters français qui l'ont obligée sous
peine de mort à leur faciliter l'accès à la maison le soir même. Que
ces affirmations soient vraies ou pas, il semble évident que le meurtre
d'Edgard est une réplique à celui un an plus tôt de Marcel Francisci.
Selon les journalistes Nouzilles et Foullourou dans leur ouvrage Les Parrains Corses, ce serait Paul Mondoloni, le célèbre caïd corse de Marseille, qui aurait envoyé son homme de main Michel "le Libanais" Hoareau, ancien de l'équipe Zampa devenu empereur des nuits dans le sud, régler son compte au pied-noir qui avait tué son ami.
Gilbert, la fin
Si
en ce début des années 80 les affaires d'Edgard n'ont pas été au beau
fixe, celles de son aîné Gilbert en revanche sont florissantes, ce qui
avait le don d'attiser la jalousie du plus jeune.
Et
les vues de Gilbert se tournent tout d'abord vers Bruxelles. Il y est
officiellement domicilié depuis 1975 sur l'avenue Louise et fin 79 il
ouvre avec Vincent Palomba, ex-patron du Brummel's à Paris, le Calvados
rue de Livourne, un restaurant-discothèque dont certaines salles se
transforment la nuit en tripots clandestins, ainsi qu'une salle de jeux
au Night and Day rue Crépin et une autre doublée d'un restaurant au
Square, place Leemans. Mais ceci reste du menu-fretin. L'ambition de
Gilbert est encore et toujours de devenir un grand du monde des jeux.
En1980 l'opportunité semble enfin s'offrir à lui : le casino de Namur est à vendre. Il crée alors avec Joseph Khaïda, cet homme d'affaire qui le seconde depuis dix ans dans ses ambitions légales, et Michel Joseph Gonzalès,
ancien chef du service des courses et des jeux au ministère de
l'Intérieur, la société EXPANSA sous le nom de laquelle ils rachètent le
casino, sans oublier d'y adjoindre les notables influents de la ville
et de verser quelques pots-de-vin. Après des débuts difficiles le casino
commence à se refaire une renommée mais en novembre 1980 catastrophe :
il flambe, détruit aux deux tiers. On y voit la main probable de
concurrents allemands qui lorgnaient eux aussi sur l'établissement et
qui se l'étaient vu rafler sous leurs yeux par le trio
Zemour-Khaïda-Gonzalès. Peu importe, le casino continuera de fonctionner
dans les locaux restés intacts, et les 100 millions de francs de dégâts
sont laissés à la municipalité de Namur, propriétaire des murs. A Paris
Gilbert met la main, en association avec l'homme d'affaire marocain Maurice Ouanounou,
sur deux prestigieux clubs de jeux, l'Omar Sharif rue Dufrenoy et
l'Albaran avenue Malakoff. Il rencontre ensuite par l'entremise de
Joseph Khaïda le milliardaire Jean-Claude Mimran
en compagnie duquel il entreprend des négociations pour acheter le
casino niçois Le Palais de la Méditerranée ainsi que le Rhul. Autant
dire qu'à la veille de sa mort Gilbert Zemour est sur le point de
devenir le chef occulte - son nom n'apparaît quasiment nulle part - d'un
véritable empire des jeux, aboutissement de presque vingt ans de luttes
et de magouilles pour y parvenir.
Le
27 juillet 1983 a été une journée comme une autre pour l'élégant
Gilbert Zemour, toujours tiré à quatre épingles, cet entrepreneur
original de 48 ans mi-homme d'affaires mi-gangster, capable autant d'être
le plus affable des convives tout comme de se montrer extrêmement
menaçant, arrogant et agressif. Ce petit gars de Sétif passé des salles
de boxe d'Algérie aux tripots clandestins de Paris, puis des tripots aux
cercles de jeux et aux affaires légales. Il a ce jour-là déjeuné à la
villa de Joseph Khaïda à Gouvieux, puis est passé voir sa femme Liliane
et quelques associés au club Albaran, avant de retrouver Jean-Claude
Mimran à l'hôtel grand luxe Nova Park avec qui il s'en va dîner Chez
Régine accompagné de quelques collaborateurs milliardaires. Puis tout ce
beau monde part pour l'Albaran où Gilbert termine sa nuit, buvant ses
derniers verres en compagnie de son ami Maurice Lévy. Il rentre chez lui
avenue de Ségur sur le coup des cinq heures du matin, et ressort une
demi-heure plus tard avec ses quatre caniches qui réclament leur
promenade matinale. C'est alors qu'un homme surgit de la pénombre et
tirent deux coups de 357 Magnum sur Gilbert qui s'écroule, atteint à la
poitrine. Il parvient à se traîner à terre pour tenter de se cacher
entre les voitures garées là, mais le tueur le rattrape et lui colle une
dernière balle en pleine tête, sous les aboiements stridents des quatre
caniches.
Alors
qui a tué monsieur Gilbert ? si l'hypothèse d'une vieille vengeance
datant de l'époque de la guerre des gangs n'est pas exclue elle reste
peu probable, ses protagonistes les plus vindicatifs étant tous six
pieds sous terre. Un règlement de compte interne au monde des jeux n'est
pas impossible non plus, même si aucun indice ne vient étayer cette
piste. Plus sérieuse déjà est la piste des frères Francisci qui, non
contents d'avoir fait abattre Edgard trois mois plus tôt auraient voulu
parachever leur vendetta. Une dernière hypothèse enfin, plus originale
mais non moins sérieuse, certains détails venant mettre le doute, pointe
du doigt Betty Case, l'ex-femme d'Edgard que Gilbert a déjà violentée
une fois et menacée d'une arme à feu, jurant qu'il reviendrait "terminer
le travail". Alors qui sait ?
L'enterrement
de Gilbert en tous cas est des plus sobres et ne compte qu'une
cinquantaine d'assistants. C'est le quatrième frère que l'aîné de la
fratrie, mais également son dernier représentant, Théodore, voit
rejoindre le caveau familial de Bagneux où reposent déjà Roland,
William, Edgard et leur père Raymond. Peut-être se dit-il qu'en
choisissant la carte de la discrétion et des affaires lucratives mais
sans prétention il a fait le bon choix. Sa vie se poursuivra dans les
mêmes conditions, encore plus mystérieuse qu'auparavant, visiblement du
côté dela Martinique.
Survivants... mais pas longtemps
Le
célèbre adage "qui vit par les armes meurt par les armes" s'applique à
merveille aux survivants de la saga que nous venons de raconter. Car si
nombreux sont ceux des personnages que nous avons croisés qui sont passés
entre les balles des tueurs, beaucoup ne vivront pas bien longtemps par
la suite... voyons tout d'abord l'avenir d'un certains nombres
d'anciens associés des Siciliens qui vont continuer à faire parler d'eux
un certain temps :
-Kiki Piat,
membre de la première heure de l'équipe dès l'époque de Villejuif, va
continuer ses affaires avec les frères Venturi, célèbres corses de
Marseille, avec qui il donnera dans le trafic d'héroïne avant de se
faire dessouder le 1e avril 1997 devant sa villa de Mougins.
-Albert Seferian
dit le Criquet, autre "Sicilien" de la première heure, se spécialisera
lui dans la production de faux documents, fournissant principalement la
banlieue sud et tenant ses assises dans le bar qu'il a ouvert à
Montparnasse en 1970. Toujours à l'affût de belles affaires il se
diversifiera dans les années 90 dans le trafic d'héroïne, notamment en
association avec des voyous marseillais, tandis que son frère Robert dit
Bert l'Arménien prend la tête du "Gang des Alpes", une solide équipe de
braqueurs basée sur Manosque, jusqu'à sa mort le 5 septembre 1989 dans
un possible conflit interne.
-Willy de Brabander,
l'assassin présumé de Jean-Claude Vella, l'un des chefs des Siciliens,
sera abattu en 1994 par un maçon portugais qui lui devait de l'argent et
qui, pris de panique après avoir été mis au courant de sa réputation de
voyou, lui a tiré dessus au moment de leur rendez-vous.
-Jean-Pierre Maïone-Libaude
aurait commencé à bosser pour le GAL (Groupes Antiterroristes de
Libération), et participé avec l'organisation clandestine espagnole au
retentissant assassinat le 20 septembre 1979 de Pierre Goldman,
demi-frère du chanteur Jean-Jacques Goldman et militant d'extrême gauche
versé dans le braquage, ainsi qu'à celui d'Henri Curiel en 1978,
militant communiste et anticolonialiste. Il sera lui-même tué le 13 juin
1982 à Argent-sur-Sauldre dans le Cher, le lendemain de sa sortie de
prison.
-Le Lyonnais Nath Lothoz,
ex-fine gâchette de l'équipe qui a peut-être organisé le meurtre de son
ancien associé Marcel Gauthier en 1976, va continuer un temps sa
carrière de voyou parisien, ce qui lui vaudra d'avoir le foie perforé
par une balle reçue lors d'une fusillade à la terrasse d'un restaurant
avec des rivaux corses. Il donnera ensuite dans les machines à sous sur
Lyon avec ses deux frères Michel et Toto, avant de partir vivre à
l'étranger où il a aujourd'hui encore des intérêts du côté du Brésil,
des Pays-Bas et des Antilles.
-Nénesse Bennacer,
qui a participé à quelques-uns des derniers flingages de la guerre
Zemour/Siciliens et possible assassin de René Juillet, va s'équiper avec
Dédé Gau et Paulot Dieupart et continuer sa carrière de
protecteur-racketteur dans le Milieu, croisant à plusieurs reprises la
route des Z. Jusqu'au 11 novembre 1980 où il est tué par erreur dans un
tripot clandestin de la rue Trudaine par des tueurs qui en voulaient en
fait à Fouad Allia dit Michel le Libanais, qui sera lui aussi abattu
alors qu'il tentait de prendre la fuite.
-André Gau,
l'ancien du "Gang dela Banlieue Sud" qui avait rejoint les Siciliens,
commettra quelques braquos et escroqueries avec les frères Abramovitch,
et des coups de racket aux côtés de Bennacer. En 1987 il protège Henry
Botey, patron de bars, de cabarets et d'hôtels de passe à Pigalle qui a
survécu de justesse à une tentative d'assassinat peu auparavant. Il est
en effet en conflit avec Alain Picaud dit le Gitan, son ancien associé
qui tente alors de lui voler ses affaires, peut-être poussé en
sous-marin par le marseillais Jacky le Mat
qui à ce moment-là faisait son trou dans la "protection" des nuits
parisiennes. Le 10 décembre André Picaud "piège" Dédé Gau et Henry Botey
dans une cabine téléphonique de Neuilly alors qu'ils sont en compagnie
du braqueur Jean-Pierre Lepape, caïd de la banlieue sud et du 20e qui
sera sauvé par son gilet pare-balles. Au contraire de Gau, tué sur le
coup après que l'assassin lui ait mit deux balles de 6.35 dans la tête.
Du côté des fidèles des Zemour, trois têtes de proue continuent de faire parler d'elles après la fin de la saga familiale : Roland Attali, Roland Lenoir dit Choukroune et Claude Gragnon
dit le Balafré ou "P'tit Claude". En 1985 ils entrent en guerre avec
une équipe mélangeant voyous et affairistes, proche du show-bizness et
notamment d'Anthony Delon, que le
trio tente vraisemblablement de mettre à l'amende. Le prétexte ? Alain
Delon voit d'un très mauvais œil les fréquentations malfrates de son
fils, et les pieds-noirs décident alors de jouer les redresseurs de
torts et de rafler la mise au passage. Mais tout part rapidement en
vrille. En avril 1985 ils envoient David Taïeb,
un israélo-algérien ami de Gilbert Zemour qui aide sa veuve Liliane a
récupérer l'argent de son mari décédé, régler son compte à Ahmed Djouhri
dit Alexandre en raison de sa fascination pour l'empereur grec, autour
de qui s'articule la bande adverse. Grandi dans une cité de Sarcelle,
le jeune homme né en 1959 aura un parcours des plus atypiques, passant
du braquage de bijouteries avec les amis du quartier aux strass des
nuits parisiennes avant de côtoyer le monde des affaires et les plus
hautes sphères de la Ve République, se liant à des politiques tels que
Dominique Strauss-Kahn, Claude Guéant ou encore Dominique de Villepin,
et jouant vraisemblablement un rôle "d'homme de l'ombre" dans plusieurs
affaires de politique étrangère. En attendant c'est la guerre, et en ce
jour de 1985 Ahmed-Alexandre Djouhri a de la chance : l'arme de son
assassin s'enraye. Quelques jours plus tard, le 16 avril, c'est cette
fois son associé David Tordjmann qui
est visé par les anciens de l'équipe Zemour, échappant miraculeusement à
la mort malgré les trois balles de 11,43 qu'il reçoit dans le corps. Le
24 janvier 1986 match-retour : David Taïeb est abattu au Pecq dans les
Yvelines. Le 4 avril suivant Ahmed Djouhri est à nouveau la cible de
tueurs qui lui tirent dessus et le blessent au dos malgré sa riposte à
coups de 9mm, alors qu'il se trouve en compagnie de l'un des frères de
David Tordjmann. Le 1e juillet 1986 les locaux de l'entreprise de
vêtements dans laquelle sont associés Ahmed Djouhri, David Tordjmann et
Anthony Delon subissent plusieurs explosions d'origine criminelle. Le 10
juillet 1987 c'est cette fois Roland Lenoir, grand ami de William
Zemour, qui se fait tirer dessus alors qu'il se trouve dans sa voiture
avec sa femme et ses deux enfants. Grièvement blessé au thorax et à
l'abdomen, il s'en sort de justesse. Début 1989 son ami Claude Gragnon
est libéré de la prison de Fresnes où il a purgé une peine de trois ans
pour des arnaques aux faux policiers en compagnie de trois autres
complices avec qui il formait "l'équipe du commissaire". Quelques jours
après sa libération, le 10 janvier 1989, il est abattu à Bourg-la-Reine
par un certain Claude Pieto dit P'tit Claude lui aussi, braqueur breton
et inséparable ami d'Alexandre Djouhri à qui il a permis de mettre un
pied dans le Milieu parisien. Fin de cette guerre des gangs, et fin du
dernier représentant de l'épopée des Zemour.
* * *
Le Milieu du Grand Banditisme Français : Les Frères Zemour
Les Zemour Partie 1 - Les Débuts (1945-1965)
Les Zemour Partie 2 - L'Ascension (1965-1972)
Les Zemour Partie 3 - La Guerre des Gangs (1973-1976)
Les Zemour Partie 4 - La Fin du Clan (1976-1982)
La PJ de 68
Mai 68… Un vent de liberté souffle sur le pays. Mais, pendant la révolte, les affaires continuent, notamment avec l’émergence d’un nouveau clan : les Z. Natifs de Sétif, les frères Zemour débutent dans le négoce du vin, puis la protection des commerçants du Sentier, puis le racket, etc. Mais leur ambition grandit. Ils veulent eux aussi s’immiscer dans le monde du jeu, et avoir leur part de gâteau. Ils se tournent vers Francesci, lequel doit se dire que quelques gâchettes de plus ne seraient pas superflues pour lutter contre la concurrence. Il les prend sous son aile. Les Zemour feront leur pelote. Ils tiendront le haut du pavé durant de longues années, laissant dans leur sillage une trentaine de cadavres, avant, à leur tour, de devenir des cibles. Le dernier survivant, Gilbert Zemour, est abattu le 28 juillet 1983, alors qu’il promène son quadrille de caniches, comme un bon petit retraité. Alexandre Arcady s’inspirera de cette saga du grand banditisme dans son film, Le grand pardon, avec Roger Hanin.
ZEMOUR: LES FRERES MAUDITS !:
APRES ROLAND(1957), WILLIAM ( 1975) ET EDGARD (1983 ), GILBERT ZEMOUR MEURT A SON TOUR SOUS LES BALLES... (6 pages)
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Hugo Vermeren : Uniformiser la nationalité des Européens dans le Maghreb colonial
Louis Cros : L'Algérie et la Tunisie pour tous
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