Nouvelles d’Alger
(Copie
intégrale d’un article non signé publié par Aspects de la France, le
jeudi 19 avril 1962. L’original de cette coupure de journal m’a suivi
jusque dans mon exil asiatique.)
Le
12 avril 1962, vers 23 heures, un peu avant le couvre-feu, un jeune
Français de 20 ans, étudiant en 1ère année de Droit, Robert Boissières,
a été tué par les « forces de l’ordre », une patrouille de gendarmerie
de l’Air, près du Rectorat, route du Golf à Alger.
Il venait, avec quatre camarades, dont son frère, âgé de 18 ans, d’apposer des inscriptions "O.A.S." dans le quartier.
Ils rentraient chez eux lorsque, entendant une voiture militaire, ils se
cachèrent dans le rebord du talus, parmi les herbes. C’est là que sans
sommation aucune, Robert Boissières fut exécuté d’une rafale de
mitraillette, tandis que son camarade, Jean Zonza, 21 ans, étudiant en
Médecine, était grièvement blessé.
Le quartier fut mis en émoi par cette rafale et en particulier les
parents de Robert qui habitent au Clair Logis des P.T.T. Son père,
inquiet, descendit immédiatement sur les lieux du drame. Il rencontra un
militaire qui lui annonça froidement qu’il venait de « fusiller » un
jeune, en même temps qu’il lui tendait la carte d’identité de sa
victime. Douleur du pauvre père lorsqu’il reconnut que c’était celle de
son fils.
Les Agences de Presse ont donné différentes versions, des versions fausses surtout. On a prétendu qu’un coup de feu avait été tiré. C’est
faux. Ces garçons n’étaient pas armés. Mais on use du mensonge pour essayer d’excuser un acte odieux…
Les obsèques de la jeune victime ont été célébrées ce matin, lundi 16 avril, à 9 heures, à la "sauvette". On avait interdit tous faire-part et communiqués dans les journaux. On craignait l’affluence… J’y suis allé avec mes enfants et deux camarades de Robert Boissières.
Malgré toutes les précautions prises par les autorités, il y avait plus d’un millier de personnes à suivre ce malheureux convoi de quelques
mètres dans le cimetière de Saint-Eugène, entre la morgue et le dépositoire. Mais obsèques émouvantes, bouleversantes dans leur simplicité, dans leur clandestinité. Foule digne, très impressionnée… Les martyrs de la foi en ont eu d’identiques, et de telles morts, de
telles obsèques ne peuvent qu’affermir une religion ou un idéal…
Le jeune frère de Robert, retenu à l’école de police d’Hussein Dey, n’a pas été autorisé à rendre ce dernier hommage… Quelle tristesse.
Ce n’est pas avec de tels assassinats, de tels procédés pour essayer d’étouffer nos sentiments qu’on parviendra à l’apaisement d’une
population française de plus en plus survoltée.
Après cette pénible cérémonie, je suis allé ensuite, seul, me recueillir sur les lieux du drame. À l’endroit où est tombé ce pauvre enfant : des bouquets de fleurs, quelques-uns avec ruban tricolore et contre le tronc d’un arbre mort trois lettres sont épinglées : celle d’une mère bouleversée, et deux autres écrites par des camarades de la victime. Lettres qui crient une indignation bien légitime…
Le rédacteur, sous la menace de la censure et de la saisie du journal, malgré son émotion, reste très réservé. Il ne précise pas que la caserne de ces aviateurs jouxte l’immeuble du Clair Logis des P.T.T. Il ne s’interroge pas sur ce que faisaient réellement à cette heure hors de leur base ces aviateurs ? Retour de beuverie ? Ce qui est avéré est que le militaire assassin qui proclama froidement qu’il venait de « fusiller » un jeune, ses acolytes et toute la troupe, jusqu’à tard dans la nuit, fêtèrent ce haut fait de guerre sous les fenêtres des familles des victimes. De plus, nous ne pouvons manquer de nous interroger sur la sanction de cet acte de bravoure. L’assassin et ses complices furent-ils par la suite décorés ? La haine et la bêtise degaullistes n’excluent rien.
Depuis, en France, sur le territoire français métropolitain, partout, chacun risque de croiser l’un de ces ivrognes. Pourquoi ne serait-ce pas celui-ci ? Pourquoi pas celui-là ? De toute façon par leurs votes successifs, et d’abord celui en faveur de l’abandon de l’Algérie, les Français ont sans cesse réaffirmé leur complicité avec ces assassins… Décidément, ce pays m’est définitivement infréquentable… À présent, mon vœu le plus cher reste de n'avoir jamais à vivre dans ce pays d’infâmes, la France,… ni d'y crever,… ni que mes cendres y soient souillées.
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