Qui ne risque rien n'est rien… sur le chemin de Damas, alors que les opinions ont cédé face aux faits…
on ne le dit assez : un âge n'en chasse pas un autre, tous les âges qu'on a vécu coexistent à l’intérieur de soi, ils s'empilent, et l'un prend le dessus au hasard des circonstances.

samedi 28 décembre 2019

Le souk al-Hamidiyeh, un repère infaillible à Damas…


Qui ne connaît le souk al-Hamidiyeh ? Si vous n'y avez jamais flâné, ne vous êtes jamais arrêté dans un de ses glaciers pour y déguster une "bouzza" nulle part aussi délicieuse, si vous ne l'avez jamais arpenté pour vous rendre à la mosquée des Omeyyades… alors vite accourez à Damas… La Communauté Syrienne de France vous y conduira ! … …
En Syrie, comme partout ailleurs en Orient, la culture du pays ne vibre jamais autant que dans les marchés traditionnels, les souks… Damas offre au visiteur cette chance extraordinaire d'une plongée dans l'Histoire indissociable d'une immersion dans le bouillonnement du présent. Présent et passé s'y côtoient en parfaite harmonie. Les places historiques les plus significatives s'insèrent dans les souks. Pas de dilemme pour le voyageur, s'intéresser au passé ou vivre dans le présent ? En visitant les souks à la rencontre de gens merveilleux il pénètrera aussi dans l'Histoire.

Certes Damas abrite d'autres marchés, partout dans ses autres quartiers, et qui méritent d'être fréquentés. Mais c'est d'abord dans la vieille ville que le visiteur s'aventure. Repère infaillible pour des allées et venues en terre encore inconnue, le souk al-Hamidiyeh [سوق الحميدية]. Le souk al-Hamidiyeh se parcourt de l'extrémité ouest de la vieille ville jusqu'à la mosquée des Omeyyades (الجامع الاموي), cœur historique de Damas. Divers autres et nombreux souks, avec chacun sa spécialité, bifurquent et s'étendent à partir de cet axe central. Impossible de tous les citer, à chacun le plaisir de les découvrir tout seul… … Au sud de la mosquée des Omeyyades (الجامع الاموي), par le souk Assagha [سوق الصاغة], celui des bijoutiers, l'on se dirigera vers le Palais Azem [قصر العظم] puis dans son prolongement l'on découvrira le souk aux épices, le souk al-Bzouriyeh [سوق البزورية] bordé par Khan Assad Basha (خان اسعد باشا) et le hammam Nour ed-Din al-Shaheed [حمام نور الدين الشهيد]… À moins que vous n'ayez décidé d'aller au nord ou à l'est de la mosquée des Omeyyades !… …






Chacun aura constaté que la grande animation du souk, bien que beaucoup des photos présentées aient été prises en fin de matinée, ce qui est relativement tôt pour des Damascènes lève-tard… Mais ce qui doit frapper le plus c'est la nature des marchandises… Surtout des vêtements, des jouets, des plastiques, des produits de toilette : que des produits fabriqués en Syrie. Ici absence totale de téléphones et d'accessoires de communication : l'embargo sévit. À Damas, on ne rencontre pas (trop souvent) comme partout ailleurs dans le monde de gamins addicts de leur smartphone !… Le voyageur de passage subira aussi, à un degré infiniment moindre, les méfaits de l'embargo. Il ne pourra jamais mettre à jour ses applications sur un Iphone… Avant son départ, il ne pourra s'enquérir du cours de la livre syrienne, les applications smartphones donnant les cours de change restent bloquées à 2011. Pendant son séjour, il ne pourra jamais avoir accès à son compte bancaire, pour une simple consultation de position ou contacter son gestionnaire. Les cartes bancaires ne pourront nulle part être utilisées, il faut donc obligatoirement se munir de liquidités en dollars pour les frais de séjour… Bien plus grave, l'embargo frappe aussi les médicaments, qui font gravement défaut dans les hôpitaux. Tous les médicaments apportés de l'étranger pour en faire don aux dispensaires et œuvres humanitaires seront bienvenus !







دمشق سوق الحميديه بوظه بكداش مطعم ابوالعز


"Bakdash" [بوظة بكداش], le fameux glacier du souk al-Hamidiyeh




















Le souk al-Hamidiyeh c'est aussi le paradis de la mode…


Dans les souks adjacents…




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29 mai 1945 : la toiture du souk al-Hamidiyeh [سوق الحميدية دمشق] garde les traces indélébiles des bombardements  de l'aviation française

Au souk al-Hamidiyeh l'Histoire interpelle aussi lorsqu'on lève les yeux… Au souk al-Hamidiyeh tout Français informé ne pourra que ressentir une émotion particulière chaque fois qu'il l'arpentera… Intrigué par cette toiture, tout au long du souk, transpercée il aura interrogé son guide ou abordé au hasard un commerçant pour savoir l'origine de cette voûte métallique transformée en passoire. C'est alors qu'il aura appris que cela est l'œuvre indélébile de l'aviation française, datée d'un 29 mai 1945… Ce 29 mai 1945, alors que DeGaulle présidait le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) son représentant à Damas donne l’ordre à ses troupes de prendre Damas. La Banque de Syrie et la direction de la police sont investies. La ville est bombardée pendant 36 heures d'affilée. On dénombre plus de 400 morts et des centaines de blessés. Une partie de la ville est détruite par ce bombardement, dont le parlement syrien et le quartier environnant. Le reste du pays subit les mêmes violences.

Il fallut attendre encore plus d'un an, le 17 avril 1946 pour que l'indépendance de la Syrie fût proclamée… Les conditions dramatiques qui ont précédé cette accession à l'indépendance provoqua la déconsidération définitive de la France aux yeux des pays arabes. Elle mit aussi en évidence l’incapacité des dirigeants français, DeGaulle tout particulièrement, à instaurer pacifiquement de nouveaux rapports de souveraineté avec les pays encore sous domination française.
Plus de 70 ans après, la toiture transpercée du souk al-Hamidiyeh rappelle cette imbécile agression française aux milliers de Damascènes qui chaque jour le parcourent…
Cette agression française n'était pourtant pas la première. Déjà le 20 octobre 1925, le général Gamelin et ses troupes avaient dévasté tout un quartier légèrement au sud du souk al-Hamidiyeh, un district depuis - et encore aujourd'hui - officiellement dénommé "al-Hariqa" [الحريقة], "La Brûlée". L'aviation de DeGaulle n'avait fait qu'étendre le périmètre de "La Brûlée" ! Du "bon boulot" ! Le "bon boulot" décidément une tradition bien française en Syrie… Stupéfiante continuité de DeGaulle à Hollande… Si DeGaulle a laissé personnellement bombarder Damas, Hollande n'a agi en Syrie que par procuration, déléguant ses basses œuvres à ses protégés takfiris. Cela ne constitue nullement circonstances atténuantes. De toute façon il était lui aussi déterminé à bombarder la Syrie. Seul Obama l'en a empêché.


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Près de la Citadelle, sortie ouest du  souk al-Hamidiyeh,  la statue équestre de Saladin…


Tout à côté du "Bakdash" [بوظة بكداش] un escalier vous conduira à un bar-restaurant en terrasse
d'où vous aurez tout loisir de contempler la Citadelle et les minarets des Omeyyades…
Mais attention : grosse arnaque (c'est vraiment très exceptionnel à Damas)…
Faites-vous bien préciser les prix avant de vous asseoir et consommer !








… retour, plus tard dans la soirée !




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Près de la mosquée des Omeyyades, à l'Est du  souk al-Hamidiyeh, le tombeau de Saladin…








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Le trait rouge délimite le périmètre de "La Brûlée", "al-Hariqa" [الحريقة], ravagée le 20 octobre 1925…
L'aviation de DeGaulle, président du GPRF, étendra la zone sinistrée au nord vers le souk al-Hamidiyeh, le 29 mai 1945.

Pour l'Histoire :

Anne Bruchez : "La fin de la présence française en Syrie : de la crise de mai 1945 au départ des dernières troupes étrangères"

École spéciale militaire de Saint-Cyr (ESM) et École militaire interarmes (EMIA) : L'Armée française et la Grande Révolte druze (1925-1926)

Prise de Damas en 1920 par le général Goybet : Récit d'Henri Goybet ; Presse du Monde et reportage de l'Illustration


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Autres étapes parmi les derniers voyages de "solidarité avec le peuple syrien"
de la Communauté syrienne de France






vendredi 27 décembre 2019

Dans le silence de Deir Mar Moussa al-Habashi… avec la Communauté syrienne de France



Pour la première fois en octobre 2017, la Communauté syrienne de France s'aventurait sur les pentes orientales de l'Anti-Liban à la frontière du désert syrien jusqu'au monastère Deir Mar Moussa al-Habashi [دير مار موسى الحبشي] (monastère de Saint Moïse l'Abyssin), dans le district d'An-Nabek… Silence des pierres…
 Que nous puissions accéder sans risques - et sans escorte - dans cette zone était une preuve manifeste supplémentaire de la reconquête de son territoire par la Syrie légitime sur les envahisseurs djihadistes… En effet, si les bâtisses de ce monastère en pierres locales se fondent dans le paysage, son environnement sécuritaire est resté longtemps ces récentes années tout aussi flou… C'est avec une immense joie que nous devions y retourner lors de notre dernier voyage en ce mois d'octobre 2019…

Le monastère Deir Mar Mousa al-Habashi serait-il le lieu spirituel  sacré le plus magique de Syrie ?  Ici, dans ce haut lieu saint, nous allumerons une bougie… En cet incroyable monastère byzantin de Saint Moïse l'Abyssin s'enflammera notre foi… sur ses pentes, devant chaque pierre, au sein de chaque bâtisse, dans le silence de son sanctuaire catholique syriaque…

Là où s'impose un silence de bon aloi…


Visitons les lieux… Une visite se veut d'abord découverte de lieux, mais comment ne pas nous interroger quant à ceux qui les ont occupés, dans le lointain ou tout récemment… Construit à l'origine au milieu du VIème siècle le monastère était en grande partie en ruine quand en 1982 Paolo Dall'Oglio, un jeune jésuite italien alors âgé de 27 ans, s'éprend du lieu et décide de s'y établir…  Le fougueux Paolo Dall'Oglio élabore alors un généreux projet de restauration et de refondation du monastère…  En 1984, il est ordonné prêtre en rite syriaque catholique… Les travaux de restauration se poursuivent… La vie reprend dans le monastère. Une nouvelle étape est franchie en 1992 quand Paolo Dall'Oglio fonde une nouvelle communauté monastique, une communauté religieuse œcuménique mixte, la Communauté al-Khalil (en arabe "l'ami de Dieu"), du nom biblique et coranique du patriarche Abraham. Cette communauté se donne pour axe principal le dialogue islamo-chrétien… Arrive 2011 et le terrorisme islamiste… Les choix politiques "ambigus" et "confus" de l'Italien Paolo Dall'Oglio qui  n'hésite pas à prôner une intervention armée internationale contre son pays d'adoption, la Syrie, lui valent dès 2012 un arrêté d'expulsion auquel il n'obtempèrera que sur injonction de son évêque…


Paolo Dall'Oglio

Suivent alors quelques mois d'errance, avec de probables retours en Syrie jusqu'au samedi 27 juillet 2013. Paolo Dall'Oglio revient en Syrie après avoir traversé la frontière turque. Il se rend à Raqqa, alors occupée par les djihadistes de l'État islamique. Son intention aurait été de négocier la libération de journalistes retenus en otages. Dès le lundi 29 juillet 2013 les djihadistes exécutent l'un de ses accompagnateurs alors que le sort du jésuite reste incertain. Sans donner de preuves, La Croix affirme dans un article daté du 6 novembre 2017 - selon le témoignage d'un djihadiste marocain récemment fait prisonnier - que le prêtre aurait été assassiné par les islamistes dès les jours suivant son enlèvement… Paolo Dall'Oglio, un personnage fougueux et complexe… Gardons-nous de juger… Qu'une visite des lieux et les interrogations qu'elle pose soit une incitation à des recherches plus approfondies… Seuls s'imposent respect, silence, prières…
… En juillet 2017, l’Œuvre d’Orient a appelé les autorités syriennes et internationales à retrouver les traces du père Dall’Oglio, ainsi que des deux évêques orthodoxes Mgr Boulos Yazigi et Mgr Yohanna Ibrahim, enlevés la même année à Alep… 



Deir Mar Moussa al-Habachi [‏دير مار موسى الحبشي], le monastère de Saint Moïse l'Abyssin, se dresse à environ 90 km au nord de Damas à 13 km de Nebek. Une petite route conduit au pied de la falaise où est perché Mar Moussa. Il faut alors grimper les escaliers de pierre une vingtaine de minutes. Une montée agréable et aisée… Un funiculaire - à condition qu'un contact préalable ait été établi avec les moines -  devrait permettre aux plus paresseux d'y accéder… Après avoir été longtemps désaffecté, le monastère a repris vie à la fin du XXe siècle et abrite une petite communauté religieuse œcuménique double de rite syriaque occidental (8 moines et moniales et 2 novices en 2010) qui prône le dialogue des religions et veut renouer avec la tradition des moines hospitaliers… 













Un funiculaire devrait permettre d'accéder au monastère…
































Deir Mar Musa 01
Vue du monastère


Deir Mar Musa 08
Vue du bâtiment le plus ancien du monastère























L'église du monastère abrite de belles fresques qui datant du XIème au XIIIème siècle…









Deir Mar Moussa : détail de la fresque représentant le Jugement dernier, les élus sont conduits par les premiers martyrs Étienne et Jacques
photo : Henri Pidoux


Frescoes, Monastery of Saint Moses the Abyssinian, Mar Musa or Deir Mar Musa al-Habashi, Nabk, approximately 80 kilometers north of Damascus, Syria - 1
Une des fresques du monastère



Deir Mar Musa2
Fresque restaurée à l’intérieur de l’église

Deir Mar Moussa al-Habachi

Daech affirme avoir tué le Père Paolo Dall’Oglio après son enlèvement en 2013

Le Père Paolo Dall’Oglio était enlevé il y a quatre ans à Rakka

La Croix (15 novembre 2018) : Le mystère d'une disparition… Qu’est-il arrivé au père Paolo en Syrie ? une enquête de Jérémy André, envoyé spécial de La Croix à Rakka, Rome, Paris et en Turquie

Triste personnage, illuminé et tordu, selon certains habitants d’Alep qui l’ont bien connu, et à leur grand malheur… « … Seul l’ancien provincial de la Compagnie de Jésus au Proche-Orient au moment des faits, le père Victor Assouad, veut bien parler. Il déplore "un manque de volonté au niveau politique". Tout le monde a intérêt à ce que la lumière ne soit pas faite, admet-il. Le père Paolo, fondateur de la communauté Al-Khalil, avait pris son indépendance par rapport à la Compagnie de Jésus. Son engagement radical pour les révolutionnaires en Syrie avait choqué, même un ami de trente ans comme le père Victor. Mais à la curie jésuite à Rome, on regrette aujourd’hui qu’il soit ainsi plongé dans l’oubli. "Combien de temps faut-il attendre pour faire son deuil ?", demande ce chrétien de Syrie devenu romain – le chemin inverse de Dall’Oglio… »


Le père Paolo Dall’Oglio (à gauche), devant le monastère de Mar Moussa, le 25 avril 2008.
Crédit : Ed Kashi/VII/Redux/REA

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Autres étapes parmi les derniers voyages de "solidarité avec le peuple syrien"
de la Communauté syrienne de France