C’est Aquilino Morelle qui va dévoiler le
pot-aux-roses. C’était en avril 2014, cet ex-conseiller de François
Hollande (il était l’une des plumes des discours présidentiels) venait
de quitter l’Élysée après la révélation de ses liens présumés avec
l’industrie pharmaceutique et de sa passion pour les chaussures bien
cirées. Dans la presse, il accusait l’entourage du chef de l’État
d’avoir monté toute l’affaire pour l’éliminer politiquement parce qu’il était trop à gauche. « Les Français ont voté pour le discours du Bourget, pas pour le programme des Gracques, dit il, ce sont leurs idées qui sont aux commandes tout simplement !
Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l’Élysée, en est membre.
Emmanuel Macron, je n’en sais rien, peut-être. Mais il n’a pas besoin
d’y adhérer ; il est totalement en symbiose avec eux ». Et de conclure : « Oui, c’est bien leur programme qui est appliqué
aujourd’hui. Un programme pour lequel les Français n’ont pas voté ».
Mais qui sont ces gens dont parle Aquilino Morelle ? Le nom « Gracques » a été donné à deux
frères et hommes d’État romains Tiberius et Gaius Gracchus renommés pour
leur tentative infructueuse de réformer le système social romain
(espérons que leurs contemporains aient le même succès !)
« Les Gracques » d’aujourd’hui, c’est un
petit groupe d’hommes d’affaires, de hauts fonctionnaires et
d’intellectuels qui s’activent depuis 2007 dans les coulisses du pouvoir
pour convertir la gauche française au libéralisme. Pour la plupart, ils
occupent des postes haut-placés, souvent dans des banques, des
compagnies d’assurances, des fonds d’investissement. Tous ont fait au
moins l’ENA ou HEC. Anciens du PS, pour beaucoup d’entre eux, ils ont
peuplé les cabinets ministériels des années 1980 et 1990, servant les
socialistes « modernes », Rocard surtout mais aussi Jospin,
Fabius, Bérégovoy ou Strauss-Kahn. Quand la droite est revenue au
pouvoir, ils ont déserté le service de l’État pour rejoindre (ah ! le
pantouflage !) le monde de l’entreprise. Ils y ont gagné beaucoup
d’argent mais sans jamais abandonner tout à fait la politique.
Aujourd’hui, ils sont dans les coulisses du pouvoir et ils ont des
ramifications qui vont jusqu’au plus haut sommet de l’État.
Il est quasiment certain que c’est
Jean-Pierre Jouyet qui a cofondé ce groupe semi-clandestin. L’ASPEN et
la NED ont déterminé son cadre idéologique (lire «
Macron ciblé par la CIA ? »). Voici ce qu’il dit à propos de l’action des Gracques à
l’occasion de l’élection présidentielle de 2012 et ensuite. Lisez bien,
car c’est tout simplement époustouflant :
« L’approche des Gracques entre les deux tours, celle d’un
rapprochement des réformistes et des sociaux-démocrates, était
préconisée aussi par Ségolène Royal. Elle n’a pas fait l’unanimité au
PS. J’en ai pris acte. Nicolas Sarkozy m’a demandé de m’occuper de l’Europe. J’ai constaté que ce n’est un enjeu ni de droite ni de gauche, mais qu’il répond à un impératif national. J’observe qu’il s’est lancé dans une politique de réforme que les Gracques appelaient de leurs vœux. (!!!) Je
remarque que l’homme a l’énergie nécessaire pour les mener à bien et
qu’il est loin de la caricature de l’ultralibéral qu’on avait dessinée
de lui ». Jouyet laudateur de Sarkozy !
On y trouve des gens comme Roger Godino, Guillaume Hannezo, Gilles de Margerie, Ariane Obolenski, François Villeroy de Galha, Erik Orsena, Denis Olivennes directeur général d’Europe 1 et Lagardère Active (Paris-Match, JDD, Newsweb), Matthieu Pigasse,
responsable-monde des fusions acquisitions (fusac) et du conseil aux
gouvernements de la Banque Lazard dont il est directeur général délégué
en France. Il est propriétaire et président des Nouvelles Éditions
Indépendantes qui contrôlent le magazine Les Inrockuptibles et Radio Nova
et actionnaire du groupe Le Monde et du Huffington Post. Bernard Spitz,
président de la Fédération française de l’Assurance regroupant la
Fédération française des sociétés d’assurance et le Groupement des
entreprises mutuelles d’assurance. Il préside également le Pôle
International et Europe du MEDEF. Mathilde Lemoine,
macro-économiste Group Chief Economist chez Edmond de Rothschild Group
et membre du Haut Conseil des Finances Publiques… et il y en a d’autres
du même calibre.
Et qui participent aux travaux des Gracques ? Cohn Bendit et… Macron !
Les économistes
Ce sont les mêmes que ceux de François Hollande !
Les économistes qui conseillent Macron
aujourd’hui, sont les mêmes, exactement les mêmes, que ceux qui
conseillaient Hollande en 2012. Ils faisaient partie du premier cercle
et se nommaient le « groupe de la Rotonde ». Il y avait Jean
Pisani-Ferry , le boss, Philippe Aghion, Élie Cohen, Gilbert Cette,
Jean-Hervé Lorenzi, les porte-flingues et… Emmanuel Macron.
On ne change pas une équipe qui gagne.
C’est tout naturellement que l’Élysée demande à Pisani-Ferry, en
janvier 2017, de prendre en charge le programme et les idées du
mouvement de Macron. Et ce sont les mêmes fantassins qui vont
l’épauler : Cohen, Cette, Lorenzi, Aghion.
Mais, arrêtons-nous, un instant, sur Pisani-Ferry, l’alpha du groupe, pour bien comprendre la doctrine et les enjeux.
Jean Pisani-Ferry n’est pas n’importe qui
et son influence sociale libérale européiste est grande dans le milieu.
Il est un fervent défenseur d’un gouvernement mondial de l’économie au
même titre que Jacques Attali. Il a été commissaire général de France
Stratégie (ex-commissariat au Plan) de mai 2013 à janvier 2017.
Auparavant il a été directeur du Centre d’études prospectives et
d’informations internationales, conseiller économique de Dominique
Strauss-Kahn et de Christian Sautter au ministère de l’Économie, des
Finances et de l’Industrie, président délégué du Conseil d’analyse
économique mis en place par Jospin, expert pour la Commission européenne
et… le FMI. Autant dire qu’il est calibré.
Cependant, on ne peut cerner
correctement cet économiste sans citer le cercle de réflexion
« Bruegel » qu’il a cofondé il y a quelques années…
Le think-tank Bruegel (sis à Bruxelles)
est un centre de recherche qui couvre l’ensemble du champ des politiques
économiques. Il est dirigé et financé sur la base d’un système de
gouvernance associant des États membres de l’Union Européenne et des
multinationales dont Areva, Deutsche Bank, Deutsche Telekom, EDF, Ernst et Young, Erste Bank Group, GDF Suez, Goldman Sachs, Google,
Microsoft, Novartis, Pfizer, Renault, Samsung, Syngenta, etc. Président actuel Jean-Claude Trichet ex-président de la BCE. Membre d’honneur d’Aspen France (Jouyet en est le
président d’honneur), membre du comité de direction du groupe Bilderberg
et président en exercice du groupe européen de la commission
Trilatérale. Il est membre du conseil d’administration de EADS où il
représente… les actionnaires. Pour l’universitaire Frédéric Lebaron,
Jean-Claude Trichet « est le plus célèbre et le plus influent d’entre
tous » les experts issus de l’inspection des finances, le vivier de
Jouyet. Président d’Honneur Mario Monti, ex-commissaire européen et ex-président du groupe européen de la Commission Trilatérale. La boucle est bouclée. Nous sommes ici au cœur du réacteur des idées
que Hollande et Macron ont puisées pour définir leur politique économique.
Les soutiens
Les grandes fortunes de France choisissent Macron.
« Je lui ai fait rencontrer des
milieux d’affaires, on a eu des réunions en Angleterre et il y aura des
contacts directs entre Emmanuel Macron et la présidence des États-Unis » disait son mentor le richissime rocardien feu Henry Hermand.
Mais Macron va aussi être présenté au
« Tout-Paris » par Jean-Pierre Jouyet, son parrain, qui dispose d’un
carnet d’adresse aussi gros qu’un Larousse. Jouyet a épousé en seconde noce Brigitte
Taittinger (le champagne), ex-PDG des parfums Annick Goutal et
actuellement directrice de la stratégie de Sciences-Po. Les témoins du
mariage furent François Hollande et feu Christophe de Margerie, le PDG
de Total. 12ème patron du CAC 40. Quand on saura que Jouyet a
été nommé en 2008, par Sarkozy, président de l’Autorité des marchés
financiers (AMF) et que tous les patrons du CAC 40 sont venus le voir
dans son bureau, on aura tout dit…