Qui ne risque rien n'est rien… sur le chemin de Damas, alors que les opinions ont cédé face aux faits…
on ne le dit assez : un âge n'en chasse pas un autre, tous les âges qu'on a vécu coexistent à l’intérieur de soi, ils s'empilent, et l'un prend le dessus au hasard des circonstances.

dimanche 16 octobre 2016

Bassam TAHHAN : "Adonis : à quand la nobélisation de l'immense poète ?"









Le prix Nobel de littérature 2016 aurait pu couronner le poète syrien Adonis, un des favoris des critiques et des parieurs pour succéder à la Bélarusse Svetlana Alexievitch…

Si l'Académie avait choisi de couronner une œuvre engagée, son choix aurait pu se porter sur Adonis, considéré comme l'un des plus grands poètes arabes contemporains. Il a récemment publié des entretiens particulièrement polémiques sur l'islam politique, après un essai au vitriol sur les Printemps arabes, dévoyés selon lui par leur coloration confessionnelle…



Pour son 50e anniversaire, le Prix littéraire de la Fondation Prince Pierre de Monaco a couronné le poète et essayiste franco-syrien Adonis (86 ans). Son nom est revenu régulièrement à l'approche de la proclamation du Prix Nobel de littérature, décerné le 13 octobre. La dotation de la récompense monégasque s'élève à 15 000 euros.

Créée en 1951, cette distinction a couronné par le passé nombre d'écrivains prestigieux, parmi lesquels Julien Green, Patrick Modiano, Hector Bianciotti, Jean Starobinski, Andreï Makine, Dominique Bona, ou encore Pascal Quignard.

Adonis est né en 1930 en Syrie, près de Lattaquié, au sein d'une famille alaouite. À l'adolescence, il écrit ses premiers poèmes et prend pour pseudonyme Adonis, du nom de l'amant d'Aphrodite. Depuis ses activités littéraires n'ont cessé de se développer.

Il publie ses premiers recueils au début des années 1950 et créé la revue Chi'r (« Poésie ») à Beyrouth, où il s'est réfugié. Quelques années plus tard, il fait un séjour à Paris où il rencontre de nombreux écrivains qu'il traduira par la suite ; parmi eux, Yves Bonnefoy et Pierre Jean Jouve. Au début des années 70, il est professeur à l'université et enseigne à Beyrouth puis à Paris, avant de devenir fonctionnaire international chargé de problèmes culturels arabes.

Mystique païen

Son œuvre (importante par le nombre de publications et l'écho qu'elle recueille) se focalise essentiellement sur le questionnement des cultures et des langues arabes et sur son rapport à la sensualité, à travers la célébration de l'amour et du corps de la femme. En témoigne notamment son recueil choral Histoire qui se déchire sur le corps d'une femme, traduit en 2008 au Mercure de France, comme la plupart de ses livres. On peut y lire le vers suivant: « Le corps n'est que l'éclat de l'invisible éternité. »

Ce mystique païen, comme il se définit lui-même avait déclaré récemment à Télérama : « J'attends de la poésie la même chose qu'on attend d'un amour, l'épanouissement à l'infini. » Et son credo a toujours été : « Mes désirs / C'est de rester l'étranger rebelle / Et d'affranchir les mots de l'esclavage des mots. »

Parmi ses derniers ouvrages traduits en français, citons le recueil Jérusalem (au printemps 2016), son essai Violence et islam (paru l'an dernier) et le dernier volume de sa trilogie al-KhitâbLe Livre»).

Ces derniers temps, Adonis a publié de nombreuses tribunes dans la presse française et étrangère, où il dénonce sans relâche les errances et les dangers de l'islamisme. Il vit près de Paris depuis une trentaine d'années.

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En 1926, l'écrivain égyptien non-voyant Taha Hussein fait exploser une véritable bombe en rejetant l'idée selon laquelle la période préislamique fut qualifiée d' "époque de l'ignorance". En fait, les textes islamiques critiquent violemment cette période et les récits des chroniqueurs ne nous ont apporté que de petites histoires et quelques poèmes, pourtant l'écriture arabe existait bel et bien et depuis plus de mille ans avant l'islam. Les recherches archéologiques ont fourni des éléments montrant, depuis plus de trois mille ans, la place des Arabes au proche-Orient. Des textes cunéiformes assyro-babyloniens, qui remontent à plus de 800 ans av. J.-C., parlent des royaumes et des reines des Aribi (Arabes). Les villes, habitées entièrement ou majoritairement par les Arabes, comme Pétra, Philippopolis, Palmyre, Hatra, Doura Europos, Bostra, Hauran, Maïn, Saba, Teima, Al-Hira et des dizaines d'autres ont laissé des souvenirs éclatants ; ce qui ne laisse aucun doute sur l'existence d'une civilisation arabe. Comment ce monde, construit sur (et entre) les civilisations antiques de la Mésopotamie et de l'Egypte, aurait-il versé dans cette "ignorance" ? Comment cette société arabe où se développent les premières écritures, la poésie, les observations scientifiques de l'univers, les questions métaphysiques, une réflexion sur la vie (dont les traces écrites existent depuis trois mille ans av. J.-C.), ce monde partagé entre zoroastriens, hébreux, chrétiens, philosophes, polythéistes dont les cultes s'exprimaient déjà par l'art (sculpture, peinture, musique, chant, danse), comment ce monde, subitement, serait-il devenu "ignorant" ?
Cette civilisation, les écrits des historiens et géographes, comme Eratosthène (IIIe s.), Ptolémée (IIe s. apr. J.-C.), Pline l'Ancien (Ier s. apr. J.-C.), Strabon (Ier s. av. J.-C.) et d'autres, la confirment, et même les textes bibliques (pourtant partiaux quant à ce qui sort du nationalisme hébreux) ne nient pas cette vérité. D'autres historiens contemporains considèrent même que cette civilisation existait avant les anciennes civilisations gréco-romaine, byzantine et perse. Dans l'introduction à son "Histoire naturelle", Pline l'Ancien découvre trois régions : l'Arabie Pétrée (du nord-ouest du Sinaï à la Transjordanie), l'Arabie Déserte (y compris le désert de Syrie), l'Arabie Heureuse (l'actuel Yemen). Dans ces régions, on peut diviser les Arabes en nomades du désert et en citadins. Les nomades n'avaient pas de lieu fixe et vivaient principalement de l'élevage ; la razzia (ou pillage éclair) faisait aussi partie de leurs activités. Par contre, les citadins comme les Sabéens, les Nabatéens, les Palmyréniens, les Ghassanides, les Hirittes et autres royaumes, contrôlaient de vastes territoires et vivaient, en paix ou en guerre, soit indépendants, soit agissant comme protecteurs pour le compte des grands empire de l'époque (Perse, Romain, Byzantin, etc.). Ces citadins travaillaient principalement dans le commerce, de l'Inde à la Méditerranée. Leurs caravanes convoyaient l'encens, la gomme la myrrhe, la soie, la résine, les pierres fines, toutes marchandises précieuses venant du Yémen ou du Hedjaz, et la chose écrite. Elles étaient souvent accompagnées et protégées par les tribus arabes du Nord.
La présence culturelle des empires mentionnés ci-dessus a enrichi considérablement les traditions culturelles propres aux Arabes. Grâce à ces contacts et échanges, mais aussi à l'ouverture sur les mondes, à un esprit particulièrement inventif, les Arabes ont poussé très loin l'évolution de leur culture. En ces temps, la poésie, la musique, la danse devinrent le symbole d'une prospérité qui permit à l'esprit de s'affirmer.
A la fin du VIe s. et au début du VIIe s., juste avant l'apparition de l'islam, la plupart des Arabes étaient donc juifs, chrétiens et païens, leurs villes vivaient dans une certaine opulence ; la Mecque était un grand centre commercial, religieux et culturel. C'est la tribu des Quraysh (prépondérante parmi les Arabes de la région) qui était maîtresse de la Mecque depuis le Ve s. Au niveau politique, elle était parfaitement et démocratiquement structurée. Abd Al-Mutalib, grand-père du Prophète, était l'un des principaux responsables de la ville. Ceux-ci organisaient deux foires annuelles qui leur permettaient de contrôler les échanges et de gérer l'enceinte sacrée entourant la Ka'ba, au centre de la cité, pour tirer profit des pèlerinages polythéistes accompagnant les foires. La Ka'ba était (avant la récupération musulmane) un temple orné de plus de 300 sculptures (idoles), elle servait de lieu de culte aux païens. Les visiteurs des foires n'étaient pas uniquement arabes ; ils étaient aussi perses, romains, byzantins et autres. Les Mecquois contrôlaient la route caravanière (la route des aromates) et organisaient chaque année deux grands voyages commerciaux vers le Sud et vers le Nord. Plus de 1 500 chameaux (ce qui était grand pour l'époque) s'ébranlaient à chaque voyage ? A cette prospérité économique s'ajoutait une vie culturelle intense. Au temps des foires, de grandes animations musicales et de danse s'organisaient, les rencontres et les concours poétiques faisaient partie du calendrier. Les grands poèmes du Souk A'kath (les Mu'allaquates) étaient chantés et suspendus sur les murs du temple.
Les chanteuses et chanteurs arabes, perses, byzantins, avec leurs instruments, et en particulier le oud (luth), se produisaient dans toute la ville, sur les places des marchés, chez les nobles (leurs mécènes), et dans les cabarets.
L'orientaliste Georges Farmer ("The History of Arabian Music", p. 10-12) écrit qu'en plus de leur système musical, les Arabes utilisaient le système de Pythagore ; que nombreux étaient les rois, princes et nobles qui pratiquaient la musique et le chant ; que la musique jouait un rôle déterminant chez ceux qui prophétisaient et qu'à cette période, le harem clos n'existant pas, la liberté de la femme était égale à celle de l'homme. Parmi les dizaines de noms connus, on peut mentionner le nom d'Al-Khanssa qui chantait ses poèmes avec accompagnement musical, ainsi que la mère de Hatem Al-Taay. Le grand poète Al-A'sha, dont l'un des poèmes est devenu mu'alaqua, était connu sous le nom de "Sanajet al-arabe" (Harpiste des Arabes), et parcourait chaque partie de la péninsule pour chanter et jouer de son instrument. Des dizaines d'autres faisaient comme lui ; cette tradition sera reprise par des poètes chanteurs espagnols et français qu'on appellera plus tard les troubadours.
En réalité, les Arabes de cette époque (sauf les monothéistes) avaient compris qu'il n'y avait pas de vie (sous forme de survivance individuelle) après la mort, donc ils se sont intéressés à vivre leur présent, à aimer, à danser, à écouter de la musique et à chanter, sans oublier le vin (qu'ils produisaient et faisaient aussi venir de très loin). Grâce à la prospérité économique et à un mode de vie hautement culturel, la poésie et le chant existaient dans chaque maison. C'est dans cette ambiance que le Prophète Mohamed est né en 570.

Que s'est-il donc passé ?

Abd Allah, le père de Mohamed, meurt avant sa naissance. Sa mère décède quand il a six ans. Mohamed voit survenir, en 578, la mort de son grand-père, son protecteur, le puissant Abd Al-Muttalib ; il a huit ans. C'est Abu Talib, son oncle et chef de clan des Hashimites, qui l'adopte. Mais Abu Talib, pour des raisons financières, n'est plus capable de continuer à assumer ses responsabilités dans la ville. Le pouvoir économique des proches de Mohamed se trouve diminué énormément. Son grand-père étant bigame, c'est vers la tribu de l'autre épouse, ses demi oncles, que ce pouvoir se déplace : Al-Abbas, les Bani Umayya, la branche la plus riche et la plus puissante des Quraysh, mais aussi la plus cultivée dont le grand chef était Abu Sufyan (né vers 565). Mohamed vit alors la pauvreté et la perte du pouvoir. Tout laisse à supposer, contrairement à la légende populaire, qu'il est déjà lettré et assez brillant. Il commence à voyager et à travailler, dès l'adolescence, dans le commerce. A l'âge de 25 ans, il se marie avec une dame veuve et très riche (Khadija) pour qui il travaillait et il continue à faire prospérer ses affaires. En 610, Mohamed ressent que Dieu se manifeste par l'intermédiaire de l'ange Gabriel : c'est la Révélation. Après trois ou quatre ans de silence, il annonce publiquement l'islam. Dans les grandes foires de la Mecque, c'est en prose rimée, comme tous les prophètes de l'époque, qu'il déclame le message divin. Les visiteurs ne s'y intéressent pas, ils préfèrent écouter la poésie et les récits des poètes chanteurs que les paroles de Dieu. Parmi ces ménestrels, Al-Nadhr Ibn al-Hareth connaît un succès certain et attire tout le public. Ce dernier (selon le chroniqueur Al-Mas'udi) a appris à chanter et à jouer du oud à Al-Hira en Irak (Etat arabe sous protectorat perse). Il raconte dans ses chants les épopées des anciens empires et les grandes histoires d'amour. Donc le message du Prophète ne passe pas ; c'est la solidarité collective des Mecquois et leur culture arabe qui empêchent les progrès de l'islam.
En 619, Mohamed perd d'abord Khadija, sa femme et soutien financier, et ensuite Abu Talib, son oncle et soutien politique. C'est une nouvelle situation dans laquelle le Prophète se trouve très affaibli. Il comprend alors que sa réussite dépend des rapports de force, autrement dit qu'il lui faut trouver des alliés. Ses contacts avec les tribus de Al-Taïf (ville au sud de la Mecque) ont échoué. Mais le Prophète trouve des alliés à Yethreb, ville habitée par les Arabes juifs des Bani Quryza, des Bani al-Nadhir et des bani Qaynuqa et les Arabes idolâtres des tribus des Khazradj et des Aws. Les monothéistes contrôlent la vie économique et administrative (politique) de la ville et menacent l'existence des polythéistes Mais les deux tribus des Khazradj et des Aws ne s'entendent pas. Il leur faut un personnage capable de les unifier pour affronter les Juifs. Mohamed accepte ce rôle. En 622, il émigre avec ses compagnons (à peine une centaine) vers Yethreb. Il réussit à unifier les deux tribus en les faisant entrer dans l'islam. Au début, il vit en paix avec les juifs ; plus tard, il les combat et les chasse de la ville qui devient alors Médine. D'autres contacts ont lieu : il s'agit des bédouins qui adoptent l'islam, renoncent au nomadisme et se sédentarisent à Médine. Celle-ci devient la capitale des musulmans, une place importante de regroupement humain et un centre militaire. C'est en cette période qu'est instituée la guerre pour la gloire de Dieu (djihad). Le Prophète, dont la puissance militaire n'a pas d'égale en Arabie, organise des expéditions contre les caravanes mecquoises, puis de petites guerres contre les Quraysh, les juifs et d'autres.
Cependant, tous les moyens étaient utilisés pour détruire la culture arabe. Les sourates du Coran et du hadith interdisent la sculpture, la peinture, la musique et attaquent violemment les poètes. Dans la sourate 26, connue sous le nom Les Poètes, versets 224-226, comme dans la sourate 31 appelée Luqman, versets 6 et 7, le texte sacré critique violemment les poètes chanteurs arabes et leur promet un châtiment douloureux. Cette interdiction de la musique est exprimée aussi par la bouche du Prophète à travers ses hadiths dont certains parlent de châtiment pour ceux qui sifflent et battent les mains pour faire de la musique. D'ailleurs, chez les musulmans, le sifflement est considéré comme l'œuvre du diable. Al-Ghazali, dans son livre intitulé Ihya ulum al-din, mentionne certains de ces hadiths (voir vol.2, p. 246)
Iblis fut le premier à moduler la lamentation et le premier qui a chanté ;
Chaque personne qui élève la voix pour chanter, Allah lui envoie deux diables sur ses épaules pour le frapper de leurs talons jusqu'à ce qu'il se taise.
Dans le livre Sahih Al-tirmithi (vol. 1, p. 241), on trouve que le Prophète a maudit le chant et les chanteurs.
En plus, le Prophète n'a pas hésité à légitimer l'acte de verser le sang des poètes chanteurs. Parmi ceux-là, Al-Nadhr Ibn Al-Hareth : il fut capturé et assassiné par les soldats de Mohamed en mars 624. Quelques années plus tard, il ordonne la mort de trois chanteuses : Sarah, Qarina et Arnab (voir la chronique d'Al-Tabari, vol. 3, p. 116-118).
En 630, il dirige une armée de 10 000 soldats et entre, presque sans combat, à la Mecque (c'était une ville de commerce respectée par tous ceux qui l'utilisaient, elle n'avait pas de vrais soldats). Il détruit toutes les sculptures autour et à l'intérieur du sanctuaire parce qu'elles représentent les divinités des païens. Pour s'assurer que cette ville n'aura plus d'influence culturelle, il interdit le chant et la musique ainsi que la poésie, sauf celle qui le flatte ou flatte l'islam. En même temps, il chasse les poètes de la ville et permet de verser le sang de certains poètes comme Ka'ab et Bujair (fils du grand poète Zuhair ibn Abi Salma, auteur d'une mu'laqua). Au bout de quelques semaines, Bujair, épuisé, se rend et se convertit ; son frère résiste beaucoup plus longtemps mais, harcelé, ne pouvant faire confiance à personne, il se rend lui aussi et achète sa liberté par ses odes à Mohamed. Il devient impossible aux artistes et aux intellectuels de dire ce qu'ils pensent. La Mecque devient une petite bourgade sans aucune importance politique ni commerciale ni culturelle.
Mohamed meurt en 632, la lutte pour le pouvoir commence, trois de ses quatre successeurs (connus sous le nom Al-Khalafa al-Rashidun ou les orthodoxes) sont assassinés. Ces quatre successeurs continuent cette même politique, d'un islam dur et strict. Le premier calife, Abu Bakr, considérait comme parfaitement naturel que la musique soit définie comme un "plaisir non autorisé". Plus grave : Al Tabari rapporte que ce même Abu Bakr a donné son approbation à Muhajir (gouverneur du Yémen) pour couper les mains et arracher les dents des deux chanteuses Thabja al-Hadramiyya et Hind bint Yamin pour qu'elles cessent de jouer ou de chanter.
Cette position à l'égard de la musique a été confirmée par les quatre grandes écoles qui dominent la vie musulmane. Il s'agit des écoles Malékite, Hanafitte, Shafi'itte et Hanbalitte. Encore aujourd'hui, un "chef" religieux intégriste algérien, Ali Belhaj, déclare : "Je n'écoute pas de musique parce que la Charia l'interdit".
Que s'est-il donc passé ? C'est phrase par phrase, mot par mot au long de dizaines de grands ouvrages qu'il faut reconstituer le drame. C'est en refusant d'accepter comme une évidence, comme une chose correcte, comme la seule chose à faire, un assassinat (que les enfants intègrent comme juste, en apprenant l'épisode par cœur, en récitant le texte sacré) que la vérité se dessine au prix d'un dépassement du tabou. Comme dans toutes les histoires humaines, on retrouve le vieil antagonisme "culture forte ou pouvoir fort". Il est intéressant de se poser cette question inutile : où en serait le monde aujourd'hui, quelle musique pratiquerions-nous si, au VIIe s., un ordre militaire qui rêvait de conquêtes n'avait pas dévasté une culture millénaire ? Il est tout aussi intéressant mais très utile de se demander pourquoi le processus de destruction devrait continuer ? Au nom de quoi, au nom de qui ?




 
De l’avis de l’islamologue, Mactar Seck la musique fait partie de la vie de l’être humain. Son caractère licite ou illicite dépend de l’orientation qui en est faite. Aussi, il soutient que l’islam est pour la musique qui véhicule des messages positifs.
Quelle est la position de l’islam par rapport à la musique ?

La musique fait partie de la vie depuis l’antiquité. La preuve, on parle de musique orientale, africaine, occidentale. L’Islam est une religion globale, qui parle de tout et qui touche à la matérialité et à la spiritualité. Dans la spiritualité, il y a l’aspect musical. Chez les soufis, le rythme joue un grand rôle, et qui dit rythme, n’est pas loin de la musique, du son.
Peut-être, c’est la perception actuelle de la musique qui pose problème. Avant l’islam, le folklore jouait un rôle prépondérant, et dans ce folklore, il y avait le rythme, qu’il s’agisse de la musique, de la danse. Toute chose qui rythme la vie en général, a le sens musical. Quand l’islam est arrivé, le problème ne s’est pas posé parce que cela faisait partie de la culture islamique. Avec la propagation de l’islam jusque dans de grands pays comme la Perse, la musique jouait un grand rôle dans la civilisation islamique.
Si l’on étudie l’islam en Andalousie (l’Espagne actuelle), on se rend compte que l’islam allait de paire avec la musique. A cette époque et jusqu’à présent, les grands intellectuels notamment les écrivains, les poètes étaient de véritables musiciens. En Andalousie, il y a des chansons rythmées par la musique. On trouve aussi ce genre de musique au Maroc. Donc la musique fait partie de la vie. En Arabie Saoudite, pays qu’on peut considérer comme le centre culturel de l’islam, la musique joue un grand rôle même s’il y a des différences au plan instrumental et des objectifs avec le monde occidental. C’est vous dire que l’islam n’est pas contre la musique. Nous les islamologues ou soi-disant prêcheurs, nous avons des sujets à développer, une mission envers la société et nos coreligionnaires. Les autres ont aussi leur mission. Par le biais de la musique, ils véhiculent un ou des messages. On n’a jamais attaqué la musique et la danse.
Où se situe donc le problème ?

C’est durant ces quarante, trente voire vingt dernières années que le débat s’est posé. Et cela fait partie de la lutte que des islamistes-djihadistes mènent contre l’occident, et comme celui-ci combat aussi l’islam.... Cette frange veut balayer tout ce qui est occidental dans le monde islamique. Or, les gens doivent comprendre qu’il y a dans chaque société deux tendances : les modérés qui acceptent la modernité et les autres avec leur mentalité archaïque qui rejettent tout.
La musique est l'un des dons que Allah a faits à l'homme. Par elle, ce dernier peut louer et remercier son Créateur, mais aussi exprimer son émotion, ses joies et ses peines. Si le chant jouait un grand rôle dans le culte de Allah, la musique instrumentale, elle aussi y avait une place de choix. Non seulement, elle accompagnait les chanteurs, mais elle complétait aussi leurs chants. Il n'est donc pas surprenant que du début à la fin des Écritures, il soit très souvent question de la musique instrumentale et vocale en rapport ou non avec le vrai culte. (Gen.4/21.31/27,I Chroniques 25/1, Apocalypse:18/22.)
La première fois que la Bible parle de la musique, c'est à propos du monde antédiluvien, au cours de la septième génération des descendants d'Adam. Elle déclare: "Jubal" fut la souche de tous ceux qui manient la harpe et le chalumeau." Il peut être question ici de l'invention des premiers instruments de musique ou de l'apparition d'une sorte de profession musicale. - (Gen.4/21).
Il semble que dans les temps patriarcaux cet art faisait partie intégrante de la vie des gens comme en témoigne le fait que Laban voulait fêter le départ de ses filles et de Jacob en musique. (Gen. 31:27). La délivrance opérée à travers la Mer Rouge et les retours victorieux de Jephté. David et Saül furent célébré par des chants et des mélodies - Exode 15:20, 21.
Sur la base de recherches menées dans le monde entier, Kurt Sachs est arrivé à la conclusion que "les choeurs et les orchestres attachés au temple de Jérusalem témoignent d'une instruction, d'une habilité et d'une connaissance musicale élevée". Il ajoute:"il est important de se rendre compte que la musique du Moyen Orient antique était tout à fait différente de ce qu'en ont dit les historiens du 19ème Siècle (...) Quoique nous ne sachions pas quel son produisait la musique ancienne, nous avons des preuves suffisantes des sa puissance, de sa dignité et de sa maîtrise."

Au XXe siècle, l'Islam est un vaste monde, dont les liens avec la musique sont variables. D'un point de vue technique, le noyau médiéval arabo-irano-touranien de l'Iraq abbasside a induit les actuelles musiques arabes, de l'Iran et de la Turquie, tandis que la musique de l'Inde peut leur être apparentée par l'existence de modes heptatoniques. Mais avec l'islam du Sud-Est asiatique, de l'Indonésie, de l'Afrique noire ou de l'Amérique, on perd tout lien avec les traités musicaux de l'islam médiéval. On peut donc distinguer la musique de l'islam de la musique des musulmans.
Les chants propres à l'islamisme dépassent évidemment le cadre de l'appel à la prière et du Coran sans atteindre le volumineux répertoire des autres religions monothéistes. Il existe néanmoins des chants de pèlerinage, des récits sur la vie du prophète, d'innombrables chants à tendance religieuse, et des répertoires propres aux mois du jeûne (ramadhân) ou du deuil chez les chiites (muharrâm), avec, dans ce dernier cas, des cérémonies spécifiques (tachabî en Iraq, âzâdârî en Iran) ou des représentations scéniques (taziyè).
la psalmodie
On peut considérer que la psalmodie est à mi chemin entre le chant et la parole. L'accent y est surtout mis sur le rythme, tandis que le ton est monotone et répétitif. Alors que ce style continue à être encore en vogue dans les autres grandes religions, la Bible laisse entendre que son usage était limité au chants de deuil. Ainsi, David psalmodia un chant funèbre en l'honneur de son ami Jonathan et sur le Roi Saül. (II Samuel 1:17; II Chronique 35:25; Ezechiel 27:32:32:16). De fait la psalmodie n'est préférable à la mélodie de la musique ou à la modulation et à l'accentuation du discours verbal que pour le chant de deuil ou la lamentation.
L'islam et la musique
La musique islamique est la musique religieuse musulmane, chantée ou jouée en public ou en privé. La musique islamique est issue d'une vaste région géographique qui s'étend de l'Asie centrale à l'Atlantique constituent les branches d'une même famille musicale ayant pris naissance dans les foyers culturels du Proche-Orient et du Moyen-Orient1. L'Afrique sub-saharienne et les Philippines méridionales possèdent aussi d'importantes communautés musulmanes, mais ces zones ont moins d'influence sur la musique islamique. Toutes ces régions étaient reliées par le commerce bien avant les conquêtes islamiques du XIe siècle et il est probable que les styles musicaux aient, tout comme les marchandises, traversé les frontières. Comme l'Islam est une religion multiculturelle, l'expression musicale de ses adhérents est différente et variée. Les modèles musicaux indigènes de ces pays ont formé peu à peu une musique dévotionnelle appréciée par les musulmans contemporains. L'attitude des branches sunnites et chiites différe à l'égard de la musique. La première affiche une interdiction mais une grande tolérance dans les faits, la seconde au contraire favorise la musique mais l'interdit dans les fait. Cette attitude contradictoire provient de l'influence exercée par les confréries soufies, souvent adeptes de rituels liés à la musique (dhikr et sama'). Certains musulmans pensent que seul le chant est permis/licite (halal), et que les instruments sont interdits (haram). Ainsi, il existe une forte tradition de chant a cappella emprunt de Mélisme. Il n'y a pas une musique islamique mais plusieurs selon les traditions des pays d'adoption. La musique arabe classique n'est pas identique à la musique islamique car elle est profane. De plus, les Turcs Seldjoukides, une tribu nomade convertie à l'Islam, ayant conquis l'Anatolie (actuelle Turquie), et instauré le Califat (formant ainsi l'Empire Ottoman), ont également eu une forte influence sur elle mais la musique ottomane est elle aussi profane. Il en va de même pour la musique persanne, par contre, on y retrouve les mêmes modes (Maqâm ou Dastgah). En dépit de ses multiples apparences, cette musique, qui appartient à la tradition orale, présente certaines caractéristiques communes, surtout dans l'art de la musique savante de l’Islam ; cela est moins évident dans les musiques ethniques, où les particularités régionales sont marquées. Cet art revêt des réalités esthétiques voire ethnomusicologiques variées marquée par le thème unificateur de l’Islam, lequel s’est principalement exprimé en langue arabe
En 1926, l'écrivain égyptien non-voyant Taha Hussein fait exploser une véritable bombe en rejetant l'idée selon laquelle la période préislamique fut qualifiée d' "époque de l'ignorance". En fait, les textes islamiques critiquent violemment cette période et les récits des chroniqueurs ne nous ont apporté que de petites histoires et quelques poèmes, pourtant l'écriture arabe existait bel et bien et depuis plus de mille ans avant l'islam. Les recherches archéologiques ont fourni des éléments montrant, depuis plus de trois mille ans, la place des Arabes au Proche-Orient. Des textes cunéiformes assyro-babyloniens, qui remontent à plus de 800 ans av. J.-C., parlent des royaumes et des reines des Aribi (Arabes). Les villes, habitées entièrement ou majoritairement par les Arabes, comme Pétra, Philippopolis, Palmyre, Hatra, Doura Europos, Bostra, Hauran, Maïn, Saba, Teima, Al-Hira et des dizaines d'autres ont laissé des souvenirs éclatants ; ce qui ne laisse aucun doute sur l'existence d'une civilisation arabe. Comment ce monde, construit sur (et entre) les civilisations antiques de la Mésopotamie et de l'Egypte, aurait-il versé dans cette "ignorance" ? Comment cette société arabe où se développent les premières écritures, la poésie, les observations scientifiques de l'univers, les questions métaphysiques, une réflexion sur la vie (dont les traces écrites existent depuis trois mille ans av. J.-C.), ce monde partagé entre zoroastriens, hébreux, chrétiens, philosophes, polythéistes dont les cultes s'exprimaient déjà par l'art (sculpture, peinture, musique, chant, danse), comment ce monde, subitement, serait-il devenu "ignorant" ? Cette civilisation, les écrits des historiens et géographes, comme Eratosthène (IIIe s.), Ptolémée (IIe s. apr. J.-C.), Pline l'Ancien (Ier s. apr. J.-C.), Strabon (Ier s. av. J.-C.) et d'autres, la confirment, et même les textes bibliques (pourtant partiaux quant à ce qui sort du nationalisme hébreux) ne nient pas cette vérité. D'autres historiens contemporains considèrent même que cette civilisation existait avant les anciennes civilisations gréco-romaine, byzantine et perse. Dans l'introduction à son "Histoire naturelle", Pline l'Ancien découvre trois régions : l'Arabie Pétrée (du nord-ouest du Sinaï à la Transjordanie), l'Arabie Déserte (y compris le désert de Syrie), l'Arabie Heureuse (au nord de la péninsule). Dans ces régions, on peut diviser les Arabes en nomades du désert et en citadins. Les nomades n'avaient pas de lieu fixe et vivaient principalement de l'élevage ; la razzia (ou pillage éclair) faisait aussi partie de leurs activités. Par contre, les citadins comme les Sabéens, les Nabatéens, les Palmyréniens, les Ghassanides, les Hirittes et autres royaumes, contrôlaient de vastes territoires et vivaient, en paix ou en guerre, soit indépendants, soit agissant comme protecteurs pour le compte des grands empire de l'époque (Perse, Romain, Byzantin, etc.). Ces citadins travaillaient principalement dans le commerce, de l'Inde à la Méditerranée. Leurs caravanes convoyaient l'encens, la gomme la myrrhe, la soie, la résine, les pierres fines, toutes marchandises précieuses venant du Yémen ou du Hedjaz, et la chose écrite. Elles étaient souvent accompagnées et protégées par les tribus arabes du Nord. La présence culturelle des empires mentionnés ci-dessus a enrichi considérablement les traditions culturelles propres aux Arabes. Grâce à ces contacts et échanges, mais aussi à l'ouverture sur les mondes, à un esprit particulièrement inventif, les Arabes ont poussé très loin l'évolution de leur culture. En ces temps, la poésie, la musique, la danse devinrent le symbole d'une prospérité qui permit à l'esprit de s'affirmer. A la fin du VIe s. et au début du VIIe s., juste avant l'apparition de l'islam, la plupart des Arabes étaient donc juifs, chrétiens et païens, leurs villes vivaient dans une certaine opulence ; la Mecque était un grand centre commercial, religieux et culturel. C'est la tribu des Quraysh (prépondérante parmi les Arabes de la région) qui était maîtresse de la Mecque depuis le Ve s. Au niveau politique, elle était parfaitement et démocratiquement structurée. Abd Al-Mutalib, grand-père du Prophète, était l'un des principaux responsables de la ville. Ceux-ci organisaient deux foires annuelles qui leur permettaient de contrôler les échanges et de gérer l'enceinte sacrée entourant la Ka'ba, au centre de la cité, pour tirer profit des pèlerinages polythéistes accompagnant les foires. La Ka'ba était (avant la récupération musulmane) un temple orné de plus de 300 sculptures (idoles), elle servait de lieu de culte aux païens. Les visiteurs des foires n'étaient pas uniquement arabes ; ils étaient aussi perses, romains, byzantins et autres. Les Mecquois contrôlaient la route caravanière (la route des aromates) et organisaient chaque année deux grands voyages commerciaux vers le Sud et vers le Nord. Plus de 1 500 chameaux (ce qui était grand pour l'époque) s'ébranlaient à chaque voyage ? A cette prospérité économique s'ajoutait une vie culturelle intense. Au temps des foires, de grandes animations musicales et de danse s'organisaient, les rencontres et les concours poétiques faisaient partie du calendrier. Les grands poèmes du Souk A'kath (les Mu'allaquates) étaient chantés et suspendus sur les murs du temple. Les chanteuses et chanteurs arabes, perses, byzantins, avec leurs instruments, et en particulier le oud (luth), se produisaient dans toute la ville, sur les places des marchés, chez les nobles (leurs mécènes), et dans les cabarets. L'orientaliste Georges Farmer ("The History of Arabian Music", p. 10-12) écrit qu'en plus de leur système musical, les Arabes utilisaient le système de Pythagore ; que nombreux étaient les rois, princes et nobles qui pratiquaient la musique et le chant ; que la musique jouait un rôle déterminant chez ceux qui prophétisaient et qu'à cette période, le harem clos n'existant pas, la liberté de la femme était égale à celle de l'homme. Parmi les dizaines de noms connus, on peut mentionner le nom d'Al-Khanssa qui chantait ses poèmes avec accompagnement musical, ainsi que la mère de Hatem Al-Taay. Le grand poète Al-A'sha, dont l'un des poèmes est devenu mu'alaqua, était connu sous le nom de "Sanajet al-arabe" (Harpiste des Arabes), et parcourait chaque partie de la péninsule pour chanter et jouer de son instrument. Des dizaines d'autres faisaient comme lui ; cette tradition sera reprise par des poètes chanteurs espagnols et français qu'on appellera plus tard les troubadours. En réalité, les Arabes de cette époque (sauf les monothéistes) avaient compris qu'il n'y avait pas de vie (sous forme de survivance individuelle) après la mort, donc ils se sont intéressés à vivre leur présent, à aimer, à danser, à écouter de la musique et à chanter, sans oublier le vin (qu'ils produisaient et faisaient aussi venir de très loin). Grâce à la prospérité économique et à un mode de vie hautement culturel, la poésie et le chant existaient dans chaque maison. C'est dans cette ambiance que le Prophète Mohamed est né en 570.
Que s'est-il donc passé ?

Abd Allah, le père du Prophète Sidna Mohamed, meurt avant sa naissance. Sa mère décède quand il a six ans. Mohamed voit survenir, en 578, la mort de son grand-père, son protecteur, le puissant Abd Al-Muttalib ; il a huit ans. C'est Abu Talib, son oncle et chef de clan des Hashimites, qui l'adopte. Mais Abu Talib, pour des raisons financières, n'est plus capable de continuer à assumer ses responsabilités dans la ville. Le pouvoir économique des proches de Mohamed se trouve diminué énormément. Son grand-père étant bigame, c'est vers la tribu de l'autre épouse, ses demi oncles, que ce pouvoir se déplace : Al-Abbas, les Bani Umayya, la branche la plus riche et la plus puissante des Quraysh, mais aussi la plus cultivée dont le grand chef était Abu Sufyan (né vers 565). Mohamed vit alors la pauvreté et la perte du pouvoir. Tout laisse à supposer, contrairement à la légende populaire, qu'il est déjà lettré et assez brillant. Il commence à voyager et à travailler, dès l'adolescence, dans le commerce. A l'âge de 25 ans, il se marie avec une dame veuve et très riche (Khadija) pour qui il travaillait et il continue à faire prospérer ses affaires. En 610, Mohamed ressent que Dieu se manifeste par l'intermédiaire de l'ange Gabriel : c'est la Révélation. Après trois ou quatre ans de silence, il annonce publiquement l'islam. Dans les grandes foires de la Mecque, c'est en prose rimée, comme tous les prophètes de l'époque, qu'il déclame le message divin. Les visiteurs ne s'y intéressent pas, ils préfèrent écouter la poésie et les récits des poètes chanteurs que les paroles de Dieu. Parmi ces ménestrels, Al-Nadhr Ibn al-Hareth connaît un succès certain et attire tout le public. Ce dernier (selon le chroniqueur Al-Mas'udi) a appris à chanter et à jouer du oud à Al-Hira en Irak (Etat arabe sous protectorat perse). Il raconte dans ses chants les épopées des anciens empires et les grandes histoires d'amour. Donc le message du Prophète ne passe pas ; c'est la solidarité collective des Mecquois et leur culture arabe qui empêchent les progrès de l'islam. En 619, Mohamed perd d'abord Khadija, sa femme et soutien financier, et ensuite Abu Talib, son oncle et soutien politique. C'est une nouvelle situation dans laquelle le Prophète se trouve très affaibli. Il comprend alors que sa réussite dépend des rapports de force, autrement dit qu'il lui faut trouver des alliés. Ses contacts avec les tribus de Al-Taïf (ville au sud de la Mecque) ont échoué. Mais le Prophète trouve des alliés à Yethreb, ville habitée par les Arabes juifs des Bani Quryza, des Bani al-Nadhir et des bani Qaynuqa et les Arabes idolâtres des tribus des Khazradj et des Aws. Les monothéistes contrôlent la vie économique et administrative (politique) de la ville et menacent l'existence des polythéistes Mais les deux tribus des Khazradj et des Aws ne s'entendent pas. Il leur faut un personnage capable de les unifier pour affronter les Juifs. Mohamed accepte ce rôle. En 622, il émigre avec ses compagnons (à peine une centaine) vers Yethreb. Il réussit à unifier les deux tribus en les faisant entrer dans l'islam. Au début, il vit en paix avec les juifs ; plus tard, il les combat et les chasse de la ville qui devient alors Médine. D'autres contacts ont lieu : il s'agit des bédouins qui adoptent l'islam, renoncent au nomadisme et se sédentarisent à Médine. Celle-ci devient la capitale des musulmans, une place importante de regroupement humain et un centre militaire. C'est en cette période qu'est instituée la guerre pour la gloire de Dieu (djihad). Le Prophète, dont la puissance militaire n'a pas d'égale en Arabie, organise des expéditions contre les caravanes mecquoises, puis de petites guerres contre les Quraysh, les juifs et d'autres. Cependant, tous les moyens étaient utilisés pour détruire la culture arabe. Les sourates du Coran et du hadith interdisent la sculpture, la peinture, la musique et attaquent violemment les poètes. Dans la sourate 26, connue sous le nom Les Poètes, versets 224-226, comme dans la sourate 31 appelée Luqman, versets 6 et 7, le texte sacré critique violemment les poètes chanteurs arabes et leur promet un châtiment douloureux. Cette interdiction de la musique est exprimée aussi par la bouche du Prophète à travers ses hadiths dont certains parlent de châtiment pour ceux qui sifflent et battent les mains pour faire de la musique. D'ailleurs, chez les musulmans, le sifflement est considéré comme l'œuvre du diable. Al-Ghazali, dans son livre intitulé Ihya ulum al-din, mentionne certains de ces hadiths (voir vol.2, p. 246). Iblis fut le premier à moduler la lamentation et le premier qui a chanté ; Chaque personne qui élève la voix pour chanter, Allah lui envoie deux diables sur ses épaules pour le frapper de leurs talons jusqu'à ce qu'il se taise. Dans le livre Sahih Al-tirmithi (vol. 1, p. 241), on trouve que le Prophète a maudit le chant et les chanteurs. En plus, le Prophète n'a pas hésité à légitimer l'acte de verser le sang des poètes chanteurs. Parmi ceux-là, Al-Nadhr Ibn Al-Hareth : il fut capturé et assassiné par les soldats de Mohamed en mars 624. Quelques années plus tard, il ordonne la mort de trois chanteuses : Sarah, Qarina et Arnab (voir la chronique d'Al-Tabari, vol. 3, p. 116-118). En 630, il dirige une armée de 10 000 soldats et entre, presque sans combat, à la Mecque (c'était une ville de commerce respectée par tous ceux qui l'utilisaient, elle n'avait pas de vrais soldats). Il détruit toutes les sculptures autour et à l'intérieur du sanctuaire parce qu'elles représentent les divinités des païens. Pour s'assurer que cette ville n'aura plus d'influence culturelle, il interdit le chant et la musique ainsi que la poésie, sauf celle qui le flatte ou flatte l'islam. En même temps, il chasse les poètes de la ville et permet de verser le sang de certains poètes comme Ka'ab et Bujair (fils du grand poète Zuhair ibn Abi Salma, auteur d'une mu'laqua). Au bout de quelques semaines, Bujair, épuisé, se rend et se convertit ; son frère résiste beaucoup plus longtemps mais, harcelé, ne pouvant faire confiance à personne, il se rend lui aussi et achète sa liberté par ses odes à Mohamed. Il devient impossible aux artistes et aux intellectuels de dire ce qu'ils pensent. La Mecque devient une petite bourgade sans aucune importance politique ni commerciale ni culturelle. Mohamed meurt en 632, la lutte pour le pouvoir commence, trois de ses quatre successeurs (connus sous le nom Al-Khalafa al-Rashidun ou les orthodoxes) sont assassinés. Ces quatre successeurs continuent cette même politique, d'un islam dur et strict. Le premier calife, Abu Bakr, considérait comme parfaitement naturel que la musique soit définie comme un "plaisir non autorisé". Plus grave : Al Tabari rapporte que ce même Abu Bakr a donné son approbation à Muhajir (gouverneur du Yémen) pour couper les mains et arracher les dents des deux chanteuses Thabja al-Hadramiyya et Hind bint Yamin pour qu'elles cessent de jouer ou de chanter. Cette position à l'égard de la musique a été confirmée par les quatre grandes écoles qui dominent la vie musulmane. Il s'agit des écoles Malékite, Hanafitte, Shafi'itte et Hanbalitte. Encore aujourd'hui, un "chef" religieux intégriste algérien, Ali Belhaj, déclare : "Je n'écoute pas de musique parce que la Charia l'interdit". Que s'est-il donc passé ? C'est phrase par phrase, mot par mot au long de dizaines de grands ouvrages qu'il faut reconstituer le drame. C'est en refusant d'accepter comme une évidence, comme une chose correcte, comme la seule chose à faire, un assassinat (que les enfants intègrent comme juste, en apprenant l'épisode par cœur, en récitant le texte sacré) que la vérité se dessine au prix d'un dépassement du tabou. Comme dans toutes les histoires humaines, on retrouve le vieil antagonisme "culture forte ou pouvoir fort". Il est intéressant de se poser cette question inutile : où en serait le monde aujourd'hui, quelle musique pratiquerions-nous si, au VIIe s., un ordre militaire qui rêvait de conquêtes n'avait pas dévasté une culture millénaire ? Il est tout aussi intéressant mais très utile de se demander pourquoi le processus de destruction devrait continuer ? Au nom de quoi, au nom de qui ?
Être musicien ou artiste est généralement méprisé par une frange de la génération plus âgée des croyants musulmans.Les paroles du Prophète (QSSSL), condamnant les artistes enclins à imiter l'œuvre du Créateur, n'ont pas toujours été interprétées comme un rejet pur et simple de tout art figuratif. Ils ont été nombreux parmi les islamologues à n'y voir que la condamnation d'une intention prométhéenne ou idolâtre. A la question de savoir si l'art figuratif est interdit ou toléré en islam, il est aisé de répondre, sans la moindre hésitation, que cet art peut parfaitement s'intégrer dans l'univers de l'islam pourvu qu'il n'oublie jamais ses propres limites.
La musique était une préoccupation d'Avicenne dans l'affinement du goût et développement affectif. Avicenne s'est en effet intéressé à la musique, qu'il considérait comme nécessaire à l'enfant. Dès le berceau, lui-même s'endormait au son de quelque mélodie. Cela prédispose l'enfant à apprendre la musique par la suite, et cette éducation du goût s'affinera au cours de l'étape suivante où l'élève apprendra la poésie simple, à la prosodie facile, qui ravit son âme et la transporte et l'incite en outre à aimer la vertu.(source)
Le Baron Bernard Carra de Vaux rapporte, dans le même ordre d'idées, cette anecdote, dans son livre "Les penseurs de l'Islam". : " Un soir quelqu'un frappa à la porte d'Ibrahim Mocouly. On le fit entrer. C'était. un vieil aveugle. Le musicien le reçut fort courtoisement et céda même à sa prière de lui faire entendre quelques morceaux de sa composition. A son grand étonnement il se vit critiqué avec une sévérité qui le surprit mais contre laquelle il ne protesta pas, les remarques et les observations qu'il venait d'essuyer lui paraissant parfaitement justes. A son tour, il pria son hôte de jouer et de chanter quelque chose. Ce qu'il entendit alors dépassait tellement tout ce qu'il avait l'habitude d'entendre ou de jouer lui-même qu'il en demeura stupéfié. Il sortit de la pièce pour savoir si son épouse et ses enfants avaient aussi bien que lui saisi la mélodie extraordinaire. Quand il revint, il ne retrouva plus le vieillard. Personne cependant ne l'avait vu sortir ; niais tout le monde avait perçu son' chant... Mocouly comprit alors qu'il avait reçu la visite de Satan en personne.
Phénomène assez récent, plusieurs formations contemporaines ont approché le thème de Dieu, de la Foi religieuse par la musique, à l'instar des adeptes du soufisme.
Que ce soit à travers le rap, la chanson pop, ces nouvelles expressions musicales se répandent rapidement grâce à internet et des concerts de proximité dans les pays de la ghorba. Citons Sami Yusuf qui a été diffusé à Trafalgar Square (à Londres), Companions of True Unity.


Liens :
Mactar Seck, islamologue : « L’Islam est pour la musique qui véhicule un message positif »

La musique est-elle permise en Islam… ?

La musique musulmane : des origines à la mort d'Ali

Musiques en Afghanistan

- “La musique arabe avant l’apparition de l’Islam” (conférence le vendredi 28 octobre 2016 à 20h00)
Cette conférence, qui retrace l'histoire de la musique arabe dès la période qui précède le christianisme et jusqu'au milieux du VIIe s. de notre ère, sera donnée par le musicologue irakien Ali KHEDHER.
- Musique et poésie (vendredi 2 décembre 2016 à 19h30)
Une rencontre, en français et en arabe, avec des musiciens et des poètes, on écoute, on parle avec eux, on ferme les yeux pour entendre la voix d'un Orient qu'on voudrait heureux. Avec la participation des Wesam Al-Azzawy, Hawa Djabali, Shams et d'autres…
- Essai de formulation de l'athéisme arabe, dans ses racines et dans son actualité (conférence le vendredi 27 janvier 2017 à 20h00)
Ceux là mêmes qui furent capables d'initier l'abstraction algébrique, la dialectique entre la loi de la nature et la pensée humaine, la longue philosophie de l'absence, et la poésie, et la ferme destruction de la représentation et du symbole, s'interrogent aujourd'hui sur la suite: même les reflets ont des supports physiques. Que trouve-ton sur la voie du dévoilement ? Cette réflexion sera mise en mots par l'écrivain algérien Hawa Djabali




dimanche 9 octobre 2016

Jean-Michel Vernochet, Youssef Hindi : "Syrie: vers la guerre mondiale"






Youssef Hindi s'entretient avec Jean-Michel Vernochet à propos de la situation en Syrie, à l'occasion de la sortie en librairie de son dernier ouvrage : "Retour de flamme, chroniques de cinq années de guerre coalisée contre la République Arabe Syrienne"…


Ces chroniques, comme leur nom l’indique, ont été rédigées au fil des événements. Textes engagés, ils n’ont pas été remaniés a posteriori et se trouvent par conséquent publiés à l’état natif. Pour qui est familier des arcanes du Printemps syrien et de la guerre inexpiable que livrent les occidentalistes à la Syrie et au régime laïc de Damas, ces pages apparaîtront comme singulièrement prémonitoires. Elles montrent en effet combien les révélations fracassantes surgies dans la presse ces derniers mois étaient en réalité connues de longue date. Par exemple pour ce qui est du rôle d’Ankara, de Riyad, de Doha, de Paris, le Londres et de Washington dans le financement, l’encadrement, le renseignement et le soutien logistique des factions rebelles, mercenaires et internationalistes, combattant sur le sol syrien. Mais il aura fallu cinq années de guerre et que la crise syrienne s’exporte hors du Levant, impactant l’Europe tout entière — vague terroriste et déferlante migratoire — pour que la parole finisse par se libérer de la tyrannie consensuelle qui la muselait. Ce qui à présent semble aller de soi était, au moment où ces pages furent écrites, autant d’incongruités taxées de conspirationnisme. Reste l’ultima ratio, à savoir que les objectifs géopolitiques poursuivis dans le monde musulman eurasiatique par la démocratie impériale judéo-protestante, expliquent à eux seuls la manipulation extensive des opinions publiques et la destruction programmée des États récalcitrants à se fondre dans le grand chaudron du marché unique planétaire.

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« Depuis plus de cinq ans, Le Monde nous annonce la chute imminente de ce qu’il appelle ‘le régime de Damas’, assimilé à une seule personne : Bachar al-Assad, ‘dictateur sanguinaire’, ‘fils de dictateur’, ‘nouvel Hitler’, ‘nouveau Staline’, etc. seul responsable des 300 000 victimes d’une guerre civile qu’il aurait inventée lui-même pour conserver le pouvoir ! Depuis plus de cinq ans, le quotidien essaie de nous vendre la fiction d’une rébellion, sinon d’une ‘révolution’ armée et constituée de ‘groupes modérés’, laïcs, voire démocratiques. Depuis plus de cinq ans, l’ensemble de la rédaction du Monde est mobilisée par la production idéologique du ‘politiquement correct’ concernant la Syrie, sa guerre civilo-régionale et ses acteurs internationaux ».

15 aout 2016




vendredi 7 octobre 2016

Une Europe qui porte des fruits chrétiens : 7 octobre 1571… la bataille de Lépante…



Signe du Ciel : le 7 octobre est l'anniversaire de la bataille de Lépante - la plus formidable raclée jamais infligée aux Ottonans - mais aussi l'anniversaire de la naissance du président Vladimir Poutine ! Difficile de ne voir là qu'une simple coïncidence ! Ayons Confiance !

7 octobre 1571…  Bataille de Lépante… Le Monde chrétien, réunissant les flottes vénitiennes, espagnoles et papales autour de la Sainte Ligue, affronte l’Empire ottoman et sa puissante flotte…


La bataille de Lépante, imaginée par le peintre flamand Andries van Eertvelt en 1622
(Attaque de plusieurs galères turques contre une galéasse vénitienne)





La Basilique Notre Dame de la Victoire à Saint-Raphaël — devenue à présent Notre Dame du Rosaire — tout comme la fête liturgique instituée par le pape saint Pie X commémorent la victoire de Lépante.

Au XVI° siècle, le Souverain Pontife Pie V avait demandé aux catholiques de confier à la Vierge Marie l’issue de cette bataille navale. La victoire de Lépante, le 7 octobre 1571, est un jalon incontournable dans l’histoire de l’unité européenne.

Fort de ce patrimoine historique qui n’est pas sans résonance contemporaine, l’Association  les Amis de la Basilique Notre Dame de la Victoire, créée en 2010, veut développer une réflexion et une action sur divers thèmes afin d’apporter sa modeste contribution à la compréhension des enjeux culturels et religieux de l’Europe du XXI° siècle.


LA BATAILLE DE LÉPANTE


Cette bataille est la plus célèbre que les Chrétiens aient jamais gagnée sur mer. Elle fut donnée dans le détroit qui est entre les petites îles de Cursolari, autrefois les Échinades, et la terre ferme, environ à soixante milles du promontoire…

Les Turcs ayant mouillé à Lépante apprirent que les Chrétiens en quittant Corfou, venaient sur eux à pleines voiles. Ils avaient si mauvaise opinion de la flotte Chrétienne, qu’ils ne s’imaginèrent pas qu’elle eût assez de hardiesse pour leur présenter le combat.
Leurs généraux néanmoins alarmés par ce bruit, envoyèrent en diligence des barques dans tous les ports de ce golfe pour y chercher des matelots et des soldats, et firent embarquer ce qu’ils avaient de cavaliers. Bientôt après, on leur rapporta que la flotte Chrétienne avait déjà gagné au-dessus de l’île de Céphalonie. Les Turcs levèrent promptement les ancres, pour fermer le passage aux Chrétiens. La flotte Ottomane commandée par Ali Bâcha, était composée de deux cens galères, et de près de soixante-dix frégates et brigantins. Celle des Chrétiens était composée de deux cent dix galères, de vingt-huit grands navires d’équipage, et de six galéasses garnies de grosse artillerie. La fleur de la noblesse d’Italie était dans cette armée, et plusieurs d’entre eux s’étaient déjà signalés à la guerre…




D. Juan d’Autriche, frère naturel de Philippe II roi d’Espagne, était généralissime de l’armée ; et Marc-Antoine Colonne, général de la flotte du Saint-Siège, avec pouvoir de commander absolument en l’absence de D. Juan. Venieri était général de la flotte Vénitienne. Les Chrétiens sortirent du port Alexandrin le 2 du mois d’octobrev1571 et s’élargirent dans le golfe de Lépante. Les barbares qui avaient pendant la nuit gagné au-delà du golfe, mouillèrent à Galengo ; les Chrétiens qui s’étaient plus avancés, jetèrent les ancres entre Pelata et les îles Cursolaires. Les deux flottes quittèrent leurs postes au point du jour du lendemain, sans le savoir de part ni d’autre. Ainsi elles se trouvèrent engagées à donner bataille. Les Chrétiens partagèrent leur armée en quatre corps. L’aile droite était composée de cinquante-quatre galères, et commandée par André Doria. Augustin Barbarigo était à la tête de l’aile gauche, avec un pareil nombre de galères. D. Juan d’Autriche s’était réservé le corps de la bataille, composé de soixante-et-un vaisseaux, et avait à ses côtés Venieri. Le fils du duc d’Urbin joignit la capitane de la flotte du Saint-Siège, monté sur celle du duc de Savoie ; et Alexandre de Parme joignit celles des Vénitiens, sur la capitane de la république de Gênes. Pierre Justsniani, qui commandait les galères de Malte, et Paul Jourdain, étaient aux deux extrémités de cette ligne, Le marquis de Sainte-Croix avait un corps de réserve de soixante voilés, pour soutenir ceux qui plieraient les premiers. Jean de Cordoue précédait toute l’armée avec une escadre, de dix vaisseaux, pour aller à la découverte ; et les six galéasses Vénitiennes étaient une espèce d’avant-garde. Les deux armées se trouvèrent séparées par les îles Cursolaires à soleil levé. Quelque temps après les Infidèles parurent à peu près dans le même ordre de bataille, sinon qu’ils n’avaient point de corps de réserve, et qu’ils avaient plus étendu leur ligne, qui était, selon leur coutume, courbée en forme de croissant. Hali était au milieu de l’armée, monté sur la capitane opposée directement à celle de D. Juan d’Autriche. Pertau était à côté d’Ali sur une autre galère. Louchali et Siroch, qui commandaient les deux ailes, avaient en tête Doria et Barbarigo.




Les deux armées n’étant éloignées que de douze milles, D. Juan fit donner le signal pour combattre, en faisant arborer l’étendard qu’il avait reçu à Naples de la part de Sa Sainteté. L’image de Jésus-Christ sur la Croix, brodée sur cet étendard, ne fut pas sitôt déployée, que toute l’armée la salua avec de grands cris de joie. Alors tous les officiers donnèrent le signal de la prière, et toute l’armée à genoux adora l’image sacrée de Jésus-Christ. C’était un spectacle assez surprenant de voir tous ces soldats armés pour combattre, et ne respirant que le carnage, se prosterner devant le Crucifix, et demander à Dieu la grâce de vaincre les Infidèles. Cependant les deux flottes s’approchaient, et celle des Turcs était poussée par un vent favorable, mais qui tomba un peu avant qu’on eût commencé le combat. Aussitôt il se releva tant soit peu en faveur des Chrétiens, et porta la fumée de leur artillerie dans l’armée Ottomane : de sorte qu’on regarda ce changement comme une espèce de miracle, et comme un secours envoyé du Ciel. Le 7 d’Octobre les deux armées étant à la portée du canon, on fit un si grand feu de part et d’autre, que l’air fut tout obscurci. Après qu’on se fut vaillamment battu pendant trois heures avec un avantage égal, la victoire commença de favoriser l’aile gauche des Chrétiens, commandée par Barbarigo, qui coula à fond la galère de Sirocho, lequel fut tué en se défendant comme un lion. Sa mort jeta la consternation dans les galères qu’il commandait, qui vivement pressées par celles de Venise, s’enfuirent vers la côte. Le bruit de la victoire répandu dans l’armée des Chrétiens, parvint jusqu’à dom Juan d’Autriche, qui se battait contre le gênerai Hali, et qui commençait à remporter l’avantage. Les Espagnols ayant quelque jalousie de ce que les Vénitiens avaient donné le branle à la victoire, firent à nouveau feu sur la capitane, tuèrent Hali, montèrent dans sa galère, et en arrachèrent l’étendard. Dom Juan fit alors crier Victoire ; et ce ne fut plus là un combat, mais un horrible massacre des Turcs, qui se laissaient égorger sans se défendre. Dork qui commandait l’aile droite, n’ayant pas assez de vaisseaux pour faire un front égal à ceux de Louchali, gagna la mer avec toutes ses galères. Louchali le poursuivant, invertit quelques vaisseaux Vénitiens dont il se rendit maître, et voulut ensuite attaquer le gros de l’armée Chrétienne ; mais ayant aperçu que Doria et le marquis de Sainte-Croix s’efforçaient de tenir sur lui, il s’enfuit à toutes voiles suivi de trente galères : le reste de ses vaisseaux fut pris ou coulé à fond. Pertau, sans être connu, s’échappa dans un esquif au travers des galères Chrétiennes.

Les Turcs perdirent plus de trente mille hommes dans cette bataille, une des plus sanglantes pour eux qu’ils eussent donnée depuis le rétablissement de leur empire. Les Chrétiens firent cinq mille prisonniers, entre lesquels se trouvèrent les deux fils de Hali, et se rendirent maîtres de cent trente galères Ottomanes : plus de quatre-vingt-dix-sept se brisèrent contre la terre, ou furent coulées à fond, ou consumées par le feu. Près de vingt mille esclaves Chrétiens recouvrirent la liberté ; et le butin fut très considérable, parce que ces barbares venaient de piller les îles et de prendre plusieurs vaisseaux marchands. Les Chrétiens y perdirent huit mille hommes, dont le plus considérable fut Barbarigo, commandant de l’aile gauche, lequel après avoir enfoncé l’aile droite des ennemis, reçut un coup de flèche dans l’œil, dont il mourut quelque temps après. Le combat dura depuis cinq heures du matin jusqu’au soir. L’obscurité et la mer qui devint grosse, obligea les vainqueurs à se retirer dans les ports les plus proches, d’où on envoya des courriers au Pape, à la République de Venise, et à tous les princes Chrétiens, pour leur faire part d’une si heureuse nouvelle.

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7 octobre 1571 : bataille de Lépante,
les flottes espagnole et vénitienne anéantissent la flotte turque


Bataille navale de Lépante, à proximité du golfe de Patras en Grèce.

La Sainte Ligue composée de l'Espagne, de Venise et des États pontificaux du pape Pie V, et à une échelle moindre de Gênes et de d'autres États italiens, ainsi que des chevaliers de Malte, bat les turcs à Lépante, près de Corinthe. La flotte de plus de 200 navires est sous le commandement de Don Juan d'Autriche, frère du roi d'Espagne Philippe II et fils naturel de Charles Quint. Ce sont près de 100 000 hommes qui s'affrontent dans les deux camps. Les Turcs du Sultan d'Istanbul, Selim II Mast, sont écrasés. L'amiral Ali Pacha est fait prisonnier et décapité. Cette défaite marque un coup d'arrêt à l'avancée turque sur la Méditerranée. Un jeune soldat espagnol est blessé au combat et perd sa main gauche. Il s'agit d'un certain Cervantès.

Cette bataille marque un tournant dans la stratégie navale. En effet, c'est la première fois que les galères sont opposées (à grande échelle) à une flotte plus manœuvrante et armée de canons. La démesure de l'affrontement en fait un événement inouï : on dénombre 7 500 morts chez les chrétiens, 30 000 morts ou blessés et 8 000 prisonniers chez les Turcs, 15 000 forçats chrétiens libérés de leurs fers ; 117 navires, 450 canons et 39 étendards sont pris aux Turcs.
Vaisseaux de l'époque : consulter Navistory

Paul Véronèse : Bataille de Lépante

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La fête catholique de Notre-Dame du Rosaire a été instituée pour célébrer la victoire à Lépante en 1571. Elle est fixée au 7 octobre depuis 1913.

Notre Dame du Rosaire est une des dénominations de la Vierge Marie, ce nom a été notamment donné à la Vierge Marie lors des événements de Fatima en 1917.

Le rosaire est une variante de chapelet utilisée par les catholiques. C'est un grand chapelet consacré à la Vierge. Il tire son nom du latin ecclésiastique rosarium, qui désignait la guirlande de roses dont la Vierge était couronnée. Une légende veut que le rosaire ait été donné à Saint Dominique (1175-1221) par la Vierge Marie. Le chapelet utilisé est un collier composé de cinq dizaines de petits grains appelés Ave, précédées chacune d'un grain plus gros appelé Pater. Partant de l'un des grains plus gros, une branche terminale comporte trois petits grains (Ave), un gros (Pater) et un crucifix. Les appellations Ave et Pater correspondent au premier mot de la version latine des prières récitées.
Le roi d'Espagne Philippe II pratiquait beaucoup la dévotion du Rosaire, à laquelle il attribuait sa victoire contre les musulmans lors de la bataille de Lépante en 1571. À la suite de cette victoire, attribuée à l'intercession de la Vierge, la fête de Notre-Dame de la Victoire fut localement fixée au 7 octobre, date anniversaire de la bataille de Lépante. En 1913, le pape saint Pie X l'étendit à l'église universelle. Cette fête se nomme à présent Notre-Dame du Rosaire.




mardi 4 octobre 2016

Ian Smith, le héros que n'a pas su opposer l'Algérie à l'infâme trahison de DeGaulle…


Le sinistre sieur Mugabe a accédé à la présidence tournante de l'Union africaine… Face aux tristes heures longtemps encore promises au Zimbabwe, cette Rhodésie heureuse qui n'existe plus, comment ne pas avoir une pensée pour son héros d'antan, Ian Smith… Comment ne pas évoquer cet autre pays qui n'existe plus, l'Algérie de notre enfance ?…

C'est ainsi qu'avec beaucoup d'amertume les enfants d'Algérie reçoivent encore toute évocation du "Lion de Rhodésie", le courageux Ian Smith qui un peu plus tard infligea aux partisans défaits de l'Algérie française une douloureuse leçon de modestie… Pourquoi donc, dès que la trahison et la collusion de DeGaulle avec le FLN fut devenue évidente, l'Algérie de la fin des années 50 n'a pas su se donner son Ian Smith ? Faire sécession.

Un projet de sécession germa pourtant, mais bien tard… Le général Raoul Salan aurait précisément été arrêté le 20 avril 1962 alors qu'enfin, acquis à la vision de Jean-Jacques Susini, il s'apprêtait à négocier ce projet… Dès lors, c'est le général Paul Gardy (beau-père de Roger Degueldre) qui assuma le commandement d'un projet ne visant plus qu'une plate-forme territoriale en Oranie… Y participèrent de nombreux jeunes… souvent des étudiants de l'Algérois… Des jeunes souvent ulcérés des formes que prenait en ville, notamment à Alger, le combat d'éléments hors contrôle de l'OAS… Des éléments qui se bornaient souvent à interdire certains quartiers d'Alger à tout ce qui ressemblait à un Arabe… Qui flinguaient tout individu au teint un tant soit peu basané… à Bab-el-Oued y furent victimes en même tant que des Arabes, d'autres Méditerranéens, Espagnols ou Maltais trop bronzés… Des tueurs gardiens d'un bout de trottoir… Parfois accompagnés de filles, telles ces élèves-professeurs du CREPS de Ben-Aknoun qui couvraient la fuite des tueurs en récupérant et dissimulant leurs armes… Une folie dont l'initiative provocatrice avait été donnée par des gaullistes, tel ce procureur militaire, gaulliste inconditionnel, qui flinguait de sang-froid Noël Mei, un gamin de quinze qui affirmait des convictions qui ne plaisaient pas au juge-bidasse… Folie de ces aviateurs ivres qui de retour de beuverie rencontrant par hasard un petit groupe des jeunes ne respectant apparemment pas le couvre-feu aux environs de leur domicile tiraient dans le tas, tuant Robert Boissières, 20 ans et blessant certains de ses compagnons voisins d'immeuble…

Faire sécession ? Les motivations, les tentatives de ceux qui auraient voulu une sécession autant de points forts du roman de Jacques Roseau, Le 113e Été… Une œuvre romancée certes, mais comment mieux approcher une réalité aussi complexe, diverse, hésitante, foisonnante des contradictions inhérentes à chacun de nous… Jacques Roseau a été mon ami, à Alger, j'ai ensuite continué à le fréquenter lors de mes rares séjours en France… Jacques Roseau était aussi l'ami de Robert Boissières :
"Robert Boissières, mon vieux copain de l'association des lycéens, un métropolitain originaire de Toulouse, qui s'était lui aussi donné corps et âme pour que se concrétise la belle espérance du 13 mai, a été abattu […] d'une rafale dans le dos. Il collait une affiche. Il avait vingt ans." (Jacques Roseau in Le 113e Été, page 351)
Quand Jacques Roseau évoque ainsi le souvenir de son vieil ami de lycée, Robert Boissières, il ne se doute pas que cette folie meurtrière qu'il dénonce devait se répercuter encore longtemps, jusque sur la terre française de l'exil… et le frapper lui-même… Jacques Roseau fut sans doute le dernier mort de l'Algérie française, abattu à Montpellier par des nervis se réclamant d'on ne sait quelle cause obscure, c'était le 5 mars… 1993.

Sans trop me tromper, je crois pouvoir dire que Jacques Roseau, enfant d'Algérie, aimait par-dessus tout son vrai pays : l'Algérie et ses compatriotes de là-bas… pour lesquels il consacra de toute son énergie, au sein du Recours, la défense des intérêts moraux et matériels… C'est son pays l'Algérie et ses compatriotes qu'avant tout il aimait… Pour son action il négocia, certains diront qu'il se compromit, avec le pouvoir, avec Chirac notamment… Un rapprochement ou compromission, si l'on y croit, qui en fait ne se justifiaient que par le mépris dans lequel il tenait ce pouvoir… Il ne s'agissait ni de rapprochement ni de compromission mais de se servir sans complexe de ce pouvoir scélérat auxquels les siens - les nôtres - devaient tant de malheurs.

Dans Le 113e Été, Jacques Roseau, se souvenant des dernières heures sombres d'Alger, avait osé écrire :
 “Assassiner les Arabes, c’est un peu nous assassiner, assassiner l’Algérie de nos villages, assassiner nos rêves”
Mais en même temps il faisait dire par l'un de ces héros, de Novi, son village :
"Moi, je ne partirai jamais. Même s'il y a l'indépendance, je reste. Franchement, vous nous voyez, en France, sans nos musulmans ?" (Jacques Roseau in Le 113e Été, page 316)
Rester malgré tout après une indépendance acquise par la capitulation de DeGaulle face au FLN ? Ou anticiper cette indépendance par une sécession ?

Il était alors bien tard… Le général Salan avait été arrêté… Avait alors germé ce projet de plate-forme territoriale en Oranie… Quitter Alger pour se battre pour un projet tardif mais cohérent séduisit ainsi de nombreux jeunes… Ceux-là furent accueillis en plusieurs points du bled d'Oranie, dans les Groupes mobiles de sécurité (GMS)… Ces groupes composés de supplétifs musulmans, des Harkis, et encadrés par des officiers et sous-officiers expérimentés qui pour la plupart avaient combattu en Indochine… Mais il était bien tard, et le projet de plate-forme territoriale d'évidence ne pouvait aboutir… Le repli devenait inéluctable… D'abord sur les côtes près d'Oran, avant l'exode… La mission des Groupes mobiles de sécurité (GMS) qui avaient pu rejoindre les environs immédiats d'Oran, notamment à Bou-Sfer, n'était désormais plus que d'organiser et d'envoyer des convois vers les bases de Harkis, telle celle de Mostaganem, pour récupérer ceux qui restaient isolés à la merci du FLN… Des vies de Harkis purent être ainsi sauvées… mais aussi au prix de la vie de ceux qui Musulmans ou Européens tentaient de venir à leur secours… et qui disparurent à jamais… Certains des survivants embarquèrent à Mers-el-Kébir pour Toulon, avant d'être transférés dans la misère de camps où ils devaient croupir de longues années… D'autres se retrouveront dans les prisons à DeGaulle… … L'exil.
Ian Smith, lui, eu le bonheur… et l'honneur de ne jamais connaître l'exil… S'il vécut ses dernières heures au Cap ce ne fut que parce qu'il avait décidé d'y aller,  pour se soigner. Ses cendres purent être dispersées, chez lui, à Gwenero, en sa Rhodésie.
Longtemps je suis resté sévère envers mes compatriotes… Quelle immaturité politique ! Plutôt que de scander sur des casseroles "Algérie française" pourquoi n'ont-ils pas osé basculer dans une rupture envers cette France qui les rejetait ? Pourquoi n'ont-ils pas su assumer leur destin chez eux, eux seuls ?

Ce n'est que récemment que j'ai vraiment compris. Ian Smith était un Britannique. D'une vieille famille d'origine écossaise. Un Britannique de souche, diraient aujourd'hui certains. Jacques Roseau, bien que né à Novi comme Ian Smith était né à Selukwe au sud de Salisbury, était français de souche… Mais la plupart de ces Français d'Algérie étaient des néo-français, des descendants d'immigrés espagnols, portugais, italiens, maltais, grecs… Juifs séfarades. Des néo-Français qui s'étaient donnés, à la France. Des Français qui avaient bâti un pays neuf, pour la France. Des Français qui avaient combattu avec Napoléon III, pour la France. Des Français qui avaient combattu lors de deux guerres mondiales, pour la France. Bref des Français qui avaient tout donné, à la France… Chacun sait que dans toute relation c'est celui qui donne le plus qui s'attache le plus… dès lors faire sécession c'était se déjuger. Renier un dévouement, renier un attachement, renier un passé encore trop récent.

Pour qu'une volonté de sécession eût pu l'emporter il aurait fallu attendre encore une ou deux générations de plus. Une assimilation profonde des Français d'Algérie aux souches de la nation française. Et cela n'est pas un paradoxe. Une sécession n'aurait pu venir que d'une génération déjà installée dans une routine franc-souchienne, ayant donné à la France infiniment moins que ses pères… Une génération affranchie de la servitude de celui qui a donné… Une génération libre et sans complexe… Sans doute, ma génération si elle avait été déjà aux commandes l'eût pu…

Quant à la France qui avait tout reçu d'eux, ces Français d'Algérie, elle n'en avait plus que faire de ceux-là, ces Martinez, Lopez, Fernandez, Bensoussan… On l'a vu ailleurs, en Indochine, en Afrique noire comme au Maghreb et en Algérie : la grande spécialité de la France est de promettre, compromettre, se démettre - autrement dit trahir puis abandonner tous ceux qui auront cru en elle et auront tout donné pour elle, la France. Mais comment reprocher à cette France son ingratitude ? L'ingratitude est une vertu immunitaire, garante de l'autonomie de celui qui a reçu. Seule de l'Au-delà peut venir une éventuelle récompense. Le bouddhiste le sait et en est convaincu. Le catholique comme le musulman devraient le savoir… bien que parfois une charité trop ostentatoire attende une récompense plus immédiate, une reconnaissance sociale… Vertu de l'ingratitude qui vaut autant pour l'individu que pour une nation. La France ne serait plus elle-même si elle n'avait pas su être ingrate. C'est toute la vertu d'un DeGaulle. Haineux, menteur, traître, capitulard, criminel compulsif mais qui a ainsi su entrer dans la légende des grands hommes d'État !


Ian Smith
« Si Smith eût été un homme noir,
je dirais qu'il aurait été le meilleur Premier ministre que le Zimbabwe a jamais eu. »
Morgan Tsvangirai, Premier ministre du 11 février 2009 au 11 septembre 2013,
président fondateur du Mouvement pour le changement démocratique (MDC),
candidat aux élections présidentielles en 2002 puis 2008 contre Robert Mugabe.


Ian Smith, le lion de Rhodésie
article extrait de  Rivarol, n° 3173 daté du 29 janvier 2015

Jean-Claude Rolinat vient de consacrer, aux éditions Pardès, un livre extrêmement intéressant à Ian Smith qui fut l’héroïque défenseur de la Rhodésie blanche. On sait ce qu’est devenue la Rhodésie aujourd’hui. Elle ne porte au demeurant plus le nom de Rhodésie, mais celui de Zimbabwe. Des colons massacrés et chassés, un effondrement économique, un leader, Mugabe, à moitié, si ce n’est totalement fou, une dictature miséreuse. Pauvre Rhodésie… Comme l’écrit Rolinat, « corruption, concussion, prévarication et népotisme sont monnaie courante ».


IL ÉTAIT UNE FOIS LA RHODÉSIE

À l’origine de la Rhodésie, il y avait un homme ambitieux, courageux, diplômé d’Oxford, né en juillet 1853 en Angleterre, qui va donner son nom au pays dont il financera la conquête : Cecil John Rhodes. Il rêvait de l’unité de la “race” germano-anglo-saxonne et de la création d’ une fédération blanche d’Afrique australe comparable à celle du Canada et fut Premier ministre de la colonie autonome du Cap (Afrique du sud). Cet incroyable aventurier avait un projet qui ne se réalisa pas : joindre par rail Le Caire au Cap ! Voici ce qu’est la « triste histoire de la Rhodésie », le pays perdu des « Lions au cœur fidèle » : Les Rhodésiens refusèrent, en 1922, par référendum, de rejoindre l’ Union sud-africaine créée en 1910, et élurent, l’année suivante, leur premier gouvernement autonome. Les cinq ans de la Seconde Guerre mondiale seront l’occasion pour les Rhodésiens de prouver leur attachement à la Couronne. Ils fournirent à l’Empire britannique, proportionnellement à leur population, le plus grand nombre de volontaires. La Rhodésie accepta, au lendemain de la guerre, d’adhérer à la Fédération d’Afrique centrale regroupant avec elle les protectorats de Rhodésie du Nord et du Nyassaland, futurs Zambie et Malawi indépendants. Mais déjà le terrorisme noir devenait menaçant et le Foreign Office se préparait, déjà, à lâcher les Blancs.

Il est vrai que le problème démographique était dramatique. Pour l’ensemble de la Fédération, 8,7 millions de Noirs pour 291 000 Blancs, regroupés essentiellement en Rhodésie du Sud (chiffres de mai 1962). Difficile de tenir tête dans ces conditions. La règle du “cens”, selon laquelle seules les personnes disposant d’un certain revenu pouvaient voter, impliquait que pour un peu moins de neuf millions d’habitants, il y avait à peine 100 000 électeurs, dont 90 % étaient Blancs. Le 31 décembre 1963, la Fédération finit par exploser, des États indépendants se constituèrent, dont, nous l’avons vu, la Zambie et le Malawi. Et la Rhodésie poursuivit sa route, courageusement durant 17 ans, fière et indépendante, jusqu’à la trahison de Margareth Thatcher.

IAN SMITH, L’ENFANCE D’UN CHEF

Ian Smith est né le 8 avril 1919, dans une petite ville située au sud de Salisbury. Ses parents étaient des colons d’origine écossaise. Il eut l’enfance privilégiée de tous les petits Blancs de l’Afrique anglaise. Jean-Claude Rolinat, grand voyageur devant l’Éternel, et qui connaît bien ces contrées décrit les soirées magnifiques qu’il vécut et que forcément Ian Smith vécut : « Le ciel était tout constellé d’ étoiles qui scintillaient sur le pourpre incroyablement doux des nuits africaines. Telles des coiffures rasta, les acacias du bush se détachaient en ombres chinoises et projetaient d’étranges formes animales. Animaux qui, gnous, zèbres, impalas, kudus, mêlés les uns aux autres, broutaient paisiblement tant qu’un prédateur carnassier ne troublait pas leur quiétude. Le jour, des oiseaux tournoyaient dans un ciel d’un bleu limpide ». Superbe description ! Bravo, Jean-Claude !

IAN SMITH, LA GUERRE…

On a vu que la Rhodésie fournira, lors de la guerre, la proportion de combattants la plus forte de tous les pays du Commonwealth pour sauver l’Angleterre. 6 500 Blancs serviront la Couronne ainsi que 1 700 Noirs. Ian Smith, pilote, participera à la bataille d’El Alamein. Il sera grièvement blessé, le 4 octobre 1943, quand son avion s’écrase au décollage. Bilan : une paupière paralysée, une joue artificielle qui donneront à son visage l’allure d’un masque immobile, à peine éclairé par un sourire un peu figé. Six mois plus tard, à son retour de l’hôpital des grands brûlés du Caire, ses compagnons qui n’ont pas oublié son enthousiasme, son courage, sa volonté, sa persévérance à s’acharner sur ses objectifs, organiseront une formidable fête en l’honneur de son retour parmi eux. Mais la guerre n’était pas finie pour lui. Il reprit le combat. Le 22 juin 1944, son Spitfire est touché, au-dessus de la vallée du Pô, par la Flak allemande. Il s’éjecte derrière les lignes ennemies et sera caché durant cinq mois par des paysans anti-fascistes. À cette occasion, il trouvera le moyen d’apprendre la langue italienne…

IAN SMITH ENTRE EN POLITIQUE ET MÈNE LA RHODÉSIE VERS L’INDÉPENDANCE

Auréolé du prestige de sa participation à la Deuxième Guerre mondiale, d’un charisme considérable qui l’avait conduit à être un leader étudiant avant la guerre, il se lance en politique. Il est élu député en juillet 1948. En désaccord avec la politique du Premier ministre (juif) Roy Welensky, il fonde son propre parti, le Rhodesian Front (RF) qui va remporter les élections de décembre 1962. Il va accéder au poste de ministre du Trésor. Mais les temps sont sombres. Le secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, Rab Butlet, déclare : « la Grande-Bretagne serait d’accord pour accorder l’indépendance à la Rhodésie du Sud ». C’est une déclaration de guerre à la minorité blanche… Ian Smith, qui entre-temps, a pris la tête du cabinet, est un partisan déterminé des droits du peuple blanc de Rhodésie. Il refuse tout transfert immédiat et radical de droits politiques à la majorité noire de la population, comme l’exige le gouvernement de Sa Majesté. Mais la Rhodésie n’est pas encore indépendante. Ian Smith décide de forcer le destin. Il organise un référendum. Avec 58 091 suffrages, essentiellement blancs, contre 6 096 suffrages hostiles à l’indépendance, il reçoit un soutien massif pour négocier avec Londres. Le Premier ministre britannique était alors le travailliste Harold Wilson. La rencontre ne se passa pas bien. Le 7 mars 1965, les élections générales apportent une victoire éclatante au Rhodesian Front de Ian Smith, qui rafle la totalité des cinquante sièges de députés blancs du Parlement. Mais Harold Wilson continua à exiger le « one man, one vote » (un homme, une voix). L’impasse était totale. Encouragés par le gouvernement britannique, les mouvements nationalistes et terroristes noirs s’agitaient. Ian Smith décida de sauter le pas. Il signa, comme chef du gouvernement de ce qui restait encore une colonie, l’indépendance unilatérale de la Rhodésie, faisant ainsi de ce pays un État souverain. La Rhodésie fut mise au ban des nations… Seule l’Afrique du Sud, alors blanche, l’Angola et le Mozambique, alors portugais, reconnurent la jeune République…

IAN SMITH VA TENIR TÊTE AU MONDE ENTIER PENDANT QUINZE ANS

Ian Smith avait déclaré : « Nous pouvons être un petit pays, mais nous sommes un peuple déterminé. Nous avons porté un coup pour la préservation de la justice, de la civilisation et du christianisme ». Le combat fut rude. Les objectifs du Premier ministre sud-africain, Vorster, n’étaient pas les mêmes que ceux de la Rhodésie. Après tout, la population blanche de la Rhodésie ne représentait que 5 % de la population totale. Le jeu pour les défendre en valait-il la chandelle ? Vorster exigea le transfert du pouvoir de la minorité blanche à la majorité noire. Refus d’Ian Smith… Vorster décida la diminution des transactions avec la petite Rhodésie. Ian Smith ne recula pas. Vorster retira le contingent de police sud-africaine qui appuyait la police locale rhodésienne contre l’action de la guérilla. Ian Smith ne recula pas davantage… Le Premier ministre britannique tenta alors (en décembre 1966) un étrange coup de poker. Il proposa à Ian Smith d’incorporer totalement la Rhodésie à la Grande-Bretagne ! Refus d’Ian Smith, soutenu par ses concitoyens.

Quant à la signification de ce conflit, le grand journaliste français, Raymond Cartier, écrira, à propos de l’Angleterre : « L’Angleterre soutient que la Rhodésie n’est pas indépendante. Elle réclame donc des sanctions contre une partie d’elle- même ! Elle demande aux Nations-Unies, tribunal partial et haineux, de ruiner les Rhodésiens pour les châtier. Tel est le degré d’abdication auquel est tombé le plus grand empire de tous les temps ! » C’est le moins qu’on puisse dire. Quel gâchis ! La Rhodésie était riche, aujourd’hui elle est misérable. Une croissance de 16,6 %, rien qu’en 1971 ! Il y avait 6 500 fermiers blancs à l’époque, qui assuraient, à eux seuls, 60 % du revenu agricole du pays : tabac, canne à sucre, coton, maïs, élevage. Le thé, pour ne prendre que cet exemple, cultivé sur les hautes terres, donnait un rendement de 5 000 tonnes par an et faisait vivre 11 000 travailleurs noirs et leurs familles. Exportateur de nourriture sous Ian Smith, le Zimbabwe la mendie aujourd’hui sous le règne de Mugabe… En janvier 2014, faute de moyens, le programme alimentaire mondial (PAM) fut contraint de réduire les rations destinées à la moitié de la population zimbabwéenne. Quelle décadence de ce merveilleux pays ! Quel gâchis !

ET PUIS, CE FUT LA FIN DE LA RHODÉSIE

Pendant près de quinze ans, entre la première proclamation de l’indépendance en 1965 de la Rhodésie, par Ian Smith et la seconde, en 1980, celle du Zimbabwe, le peuple rhodésien résista aux assauts d’un total approximatif de 50 000 guérilleros. Les mouvements terroristes, dont les instructeurs étaient cubains, tchèques, soviétiques, chinois étaient armés par ces pays : des kalachnikovs, des missiles sol-air, des RPG, des mortiers. Le massacre sauvage de familles obligea nombre de fermiers blancs à quitter leurs exploitations. Comme cela se produira plus tard en Afrique du Sud. Mais jamais Ian Smith et son Rhodesian Front ne perdirent, nous dit Jean-Claude Rolinat, « la confiance du petit peuple des Rhodies ». Mais la situation devenait intenable. Sans le soutien de la mère-patrie, que faire ? Des réunions eurent lieu, en présence du président sud-africain Vorster et du secrétaire d’État américain, Henry Kissinger. Ils voulaient, ainsi que les nationalistes africains présents, que le pouvoir, tout le pouvoir, leur soit transmis, de suite. Ian Smith déclara : « Si j’acceptais la règle de la majorité, ce serait absolument désastreux pour la Rhodésie. Je pense que ce serait la fin de notre civilisation. Ce serait une victoire des communistes au détriment du monde libre ». Mais il dut céder.

Le 2 septembre 1979, pour la dernière fois, le drapeau vert, blanc, vert, frappé des armoiries rhodésiennes, descendit de son mât Cecil Square à Salisbury. Le nouvel emblème rouge, blanc, vert, la bande verticale noire portant l’oiseau mythique du Zimbabwe, était hissé sur le grand stade de Salisbury. C’était la triste fin. Le 4 décembre 1982, le tyran Mugabe retirait son passeport à l’ancien Premier ministre Ian Smith « parce qu’il faisait campagne contre son pays ». Le ministre de l’Intérieur, Sydney Sekeramayi, déclarait quant à lui, visant Ian Smith et les Blancs : « La seule façon de s’en prendre efficacement à un serpent, c’est de lui couper la tête ». Ils passèrent bien entendu aux actes. La minorité blanche se sentait de plus en plus menacée, notamment après le massacre du jeudi 26 novembre 1987, de seize blancs dont des femmes et enfants dans une ferme tenue par des missions chrétiennes. Depuis, l’exode n’a pas cessé. La folie paranoïaque de Mugabe y contribue évidemment.

Ian Smith avait déclaré : « moi vivant, jamais un Noir ne dirigera ce pays », ajoutant « sans les Blancs, l’Afrique ne peut pas fonctionner. Les politiciens noirs ne savent bien faire qu’une seule chose : s’accrocher au pouvoir ». Il meurt le 20 novembre 2007, à l’âge de 88 ans, quarante-deux années après la proclamation de l’indépendance de la Rhodésie.

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Héros de la Deuxième Guerre mondiale, pilote de la Royal Air Force et Premier ministre de la Rhodésie pendant 15 ans… À la tête de sa minorité blanche, Ian Douglas Smith a résisté au monde entier, subissant les retombées des sanctions décrétées par l’ONU et victime d’une guérilla sanguinaire soutenue par le camp sino-soviétique. Il fallait un homme pour nous parler de ce grand oublié de l’histoire : Jean-Claude Rolinat vient de signer un Ian Smith chez Pardès.

Présent : Les partisans de Ian Smith le considèrent comme un symbole de résistance et d’intégrité, tandis que ses opposants le décrivent comme un « raciste invétéré ». Aujourd’hui, tout en reconnaissant la position privilégiée que les Blancs avaient sous Smith, plusieurs observateurs ont noté qu’avec le recul, de nombreux Noirs le préféraient à Mugabe. Au final son principal adversaire n’a-t-il pas été, davantage que les tiers-mondistes et leur soutien soviétique, l’Occident ?

Jean-Claude Rolinat : Cet homme, aujourd’hui bien oublié, incarna pendant 14 ans l’indépendance « blanche » en Rhodésie, petit pays qui se battait quasiment seul contre tous. Fermier très « british » mais né sur place [– on aurait dit en Algérie un « Pied-noir » –] ancien pilote courageux de la Royal Air Force pendant la Deuxième Guerre mondiale, il se lança en politique dès juillet 1948 en devenant le plus jeune député au Parlement de Salisbury, la capitale (aujourd’hui Harare). Il grimpa les échelons de la hiérarchie politique jusqu’à devenir Premier ministre de la Rhodésie du Sud en avril 1964, succédant à Winston Field. Les chefs coutumiers, au cours d’une grande « Indaba », adoubèrent son programme indépendantiste, qui se concrétisa le 11 novembre 1965 par la proclamation effective de cette souveraineté sans l’accord, bien entendu, de la « métropole ».

La Grande-Bretagne militait, déjà, pour la remise des affaires au pouvoir noir. Smith n’était pas « raciste », il voulait simplement préserver la présence de plus de 250 000 colons blancs qui étaient loin d’être tous des gros et riches fermiers, comme voudrait le faire croire la légende anticolonialiste, histoire quelque peu comparable, au final, à la tragique odyssée des « pieds-noirs ». D’ailleurs quand Ian Smith, lâché par l’Afrique du Sud des Afrikaners qui voulait se ménager les opinions des pays frontaliers, comprit que la pérennité de la présence blanche passait par un accord avec les Noirs, il n’hésita pas à confier les manettes du pouvoir aux modérés africains, tel l’évêque Abel Muzorewa. Mais, comme le suggère votre question, le mondialisme veillait au grain, si je puis dire… Américains et Britanniques obligèrent, moins d’un an plus tard – nous étions en 1979 –, Smith et Muzorewa à négocier avec les terroristes marxistes du Front patriotique de Robert Mugabe et Joshua N’Komo.

La petite Rhodésie ne pouvait plus tenir seule : à ses frontières le Mozambique portugais, un allié, était tombé en 1975 entre les mains du FRELIMO à la suite de la « Révolution des œillets » à Lisbonne, et le « géant » sud-africain, soit dit en passant un colosse aux pieds d’argile, comme on le verra plus tard, l’abandonnait pensant ainsi, à tort, se sauver lui-même.

La guerre contre les terroristes avait tout de même coûté 4 127 victimes civiles et 1 124 policiers et militaires, pour un bilan estimé à 10 000 rebelles tués. Chiffres à rapprocher avec ceux de la population blanche, 278 000 personnes en 1976 au pic du colonat, plus ou moins 20 000 aujourd’hui. Un fait à remarquer, les Noirs qui représentaient, en gros, pas loin de 50 % des effectifs de la police et de l’armée, n’ont jamais trahi ni déserté.

Présent : Quelles étaient les relations de Smith avec le gouvernement de Pretoria ?

Jean-Claude Rolinat : Lors de la proclamation unilatérale d’indépendance le Portugal, en raison de ses provinces d’outre-mer d’Angola, de Guinée et du Mozambique, soutint immédiatement le gouvernement de Salisbury, tout comme celui de Pretoria, au nom d’une sorte de solidarité « blanche » d’exclus, de victimes d’un embargo généralisé appuyé par les Occidentaux, une fois de plus complices des Soviétiques. Et puis les relations de solidarité s’affaiblirent, laissant la place progressivement à l’égoïsme du pouvoir « pâle » de Pretoria. Il ne l’emportera pas en paradis, si je puis dire, comme le démontrera la suite de l’histoire…

Présent : À l’inverse d’une majorité de Rhodies, Ian Smith ne s’est pas enfui de Rhodésie. Comment se sont passées les dernières années de sa vie ?

Jean-Claude Rolinat : Après l’accession au pouvoir de Mugabe en février-avril 1980, Ian Smith et ses 19 députés du Rhodesian Front devinrent les farouches opposants au dictateur Mugabe. En juillet 1987, les Blancs perdirent cette représentation parlementaire spécifique, négociée lors des accords de Lancaster House de décembre 1979 – une sorte « d’accords d’Évian en moins pire » – et les massacres de fermiers isolés recommencèrent. Progressivement, en raison d’un exil constant, la population européenne diminua. Le coup de grâce fut donné dans la décennie 2000, avec la nationalisation et l’expropriation de la plupart des domaines agricoles, ce qui entraîna immédiatement une chute des exportations et… la famine !

En 1997, Ian Smith publia ses mémoires, The Great Betrayal, et dut subir les avanies du régime stalinoïde de Robert Mugabe : retrait de son passeport, refus d’inscription sur les listes électorales et, au final, en 2006, occupation de sa ferme de Shurugwi… Veuf, ayant perdu son fils Alec, « le lion au cœur fidèle » quitta définitivement son pays natal pour s’installer au Cap (RSA), chez sa belle-fille née d’un premier mariage de sa femme, Janet. Il est mort le 20 novembre 2007, non sans avoir tiré « un coup de chapeau » à Nelson Mandela, un leader africain il est vrai moins revanchard que le sinistre Mugabe. On chuchote, au Zimbabwe, que beaucoup regrettent la « période des Blancs », surtout les anciens qui peuvent comparer les deux époques. Les cendres de Ian Douglas Smith ont été dispersées sur son domaine de Shurugwi, là où il aimait se ressourcer dans le calme apparent des grandes nuits africaines.


Qui suis-je ? Ian Smith par Jean-Claude Rolinat. Éditions Pardès, 44 rue Wilson, 77 880 Grez-sur-Loing - Tél : 01 64 28 53 38 - 12 euros.

Article extrait de Présent n° 8277 du mercredi 21 janvier 2015

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Le Bourricot : Éd. IDées : "Pour une critique positive"… après "L'Algérie pacifiée sur un plateau d'argent !"  … L’oubli dans lequel est aujourd’hui confiné Jean-Jacques Susini témoigne, si besoin était, une fois de plus de la victoire et de la force d'un Régime stérile, incapable d'imagination et d'innovation au service du peuple de France !… …

Le Point : Les États-Unis auraient apporté leur soutien à l'OAS en 1962 - Pour les services secrets suisses, les États-Unis auraient poussé l'OAS à s'entendre avec l'aile modérée du FLN par l'intermédiaire de Jacques Chevallier, ancien maire d'Alger et ancien secrétaire d'État à la Défense, Jean-Jacques Susini, le numéro deux de l'OAS, derrière le général Raoul Salan et le colonel Jean Gardes.
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On pourrait tout autant s'étonner de cet afflux massif des "Pieds-Noirs"
dans le pays qui leur a fait la guerre !


lundi 3 octobre 2016

Alep sous le feu de la propagande occidentale pro-terrorisme djihadiste…




Alep renaîtra de ses cendres

Depuis plusieurs semaines, radios, télévisions et journaux parisiens se déchaînent pour tenter de sauver Alep de l’horreur : une reconquête par l’armée gouvernementale syrienne. Quotidiennement, un déluge de propagande pilonne nos oreilles, nos yeux et notre intelligence collective. La première figure de cette orwellisation collective consiste à inverser la situation militaire opérationnelle : Alep n’est pas occupée par des groupes salafo-jihadistes (les mêmes qui commanditent les attentats à Paris et ailleurs), mais est assiégée par les forces nationales du « régime de Bachar la-Assad » ! Deuxième torsion du réel : la rébellion « modérée », voire « laïque » et « démocratique » – à savoir les égorgeurs de la Qaïda en Syrie – résiste vaillamment à Gengis Khan, ses Tartares syriens, russes, iraniens et hezbollahiz. Enfin, des dizaines de milliers de femmes et d’enfants meurent, tous les jours, sous les tapis de bombes… Bigre, voilà qui est effectivement préoccupant !

Dans ce concert de propagande et de désinformation, une fois de plus Le Monde tient la corde1. Depuis les beaux quartiers de Beyrouth, son correspondant Benjamin Barthe témoigne : « Déluge de feu russo-syrien pour briser Alep – Très meurtriers, les bombardements visent à anéantir la rébellion et à décourager la population ». Chapeau : « Bombarder, encercler, affamer. Pendant des mois, des années, sans discontinuer. Jusqu’à ce que l’ennemi, à bout de forces, décide de baisser les armes et d’évacuer la zone qu’il défendait ».

Première « information » du Monde : les mêmes groupes terroristes, qui égorgent Chrétiens, Alaouites, Kurdes, Druzes, Sunnites loyalistes et autres en Syrie depuis plus de quatre ans, « défendent » Alep. C’est une nouvellev! Remarquons au passage, que si chasseurs et drones de la Coalition américaine mènent des « frappes », le plus souvent « chirurgicales » et « ciblées », comme ce fût le cas dernièrement sur l’aéroport de Deir ez-Zor, tuant plus de 90 soldats syriens quelques heures seulement après la signature du cessez-le-feu, les avions russes et syriens – quant à eux – bombardent avec une cruauté sadique indifférenciée et sans limite, comme l’aviation alliée le fît sur les villes et villages de Normandie en 1944, puis sur Dresde et d’autres villes allemandes dénuées de tout intérêt stratégique…

Deuxième affirmation du Monde : « le régime syrien mène (…) une guerre d’étouffement, lente et cruelle, qui convient bien à l’armée loyaliste, patchwork de milices et d’unités régulières, aux capacités offensives limitées ». Benjamin Barthe connaît-il des guerres qui soient rapides, non cruelles, sinon douces et généreuses ? Sait-il seulement ce qu’est vraiment une guerre civile, civilo-régionale, civilo-internationale ? Quant aux « capacités offensives limitéesv», il devrait aller plus souvent sur le terrain pour constater la reconfiguration technique des trois corps de l’armée nationale syrienne, équipée des matériels russes et chinois les plus modernes. Du reste, quelques paragraphes plus bas, Benjamin Barthe cite des « armes sophistiquées »… Faudrait savoir !

Effectivement, l’armée syrienne a des alliés qui ont décidé de l’aider – quelle horreur ! – à reconquérir la totalité de son territoire national. Quant aux mercenaires tchétchènes, chinois, maghrébins, européens et particulièrement français : pas un mot. Silence absolu aussi sur l’acheminement d’armes et de mercenaires financés par l’Arabie saoudite et d’autres ploutocraties du Golfe avec l’aide de plusieurs services-actions occidentaux !

Troisième appréciation du Monde, très symptomatique du niveau culturel de la corporation des « journalistes » modernes : « la technique aux relents moyenâgeux… » Ignorance ou précipitation, notre envoyé spécial permanent à Beyrouth emploie – ici – le qualificatif scabreux de… « moyenâgeux » pour mieux nous persuader que la guerre de libération menée par l’armée syrienne et ses alliés nous fait régresser vers l’une des périodes les plus obscures de l’humanité ! Période de mille ans qui s’étend du Vème au XVème siècle, le Moyen-âge porte certainement mal son nom, mais un honnête homme un tant soit peu cultivé devrait savoir que cette époque charnière connût plusieurs révolutions techniques et intellectuelles essentielles à l’histoire du monde. Les médiévistes Jacques Le Goff et Johan Huizinga ont écrit là-dessus quelques livres définitifs que Benjamin Barthe ferait bien de se procurer…

Enfin, la fiction la plus malhonnête du Monde : « Alep-Est, le fief des insurgés (…) peuplé de 250 000 habitants ». Les experts militaires occidentaux les plus sérieux estiment le nombre des « insurgés » des quartiers Est de la ville à environ… 15 000. Les mêmes sources confirment que les civils sur place n’excèdent pas le nombre de 20 000 et se composent de deux catégories : ceux qui se sont ralliés aux djihadistes et ceux qui sont retenus contre leur volonté afin de servir de boucliers humains aux vaillants « insurgés ». Lorsque 49 d’entre eux ont voulu dernièrement emprunter les couloirs humanitaires ouverts par l’armée syrienne, ces derniers ont été froidement exécutés par les mêmes « insurgés ». Pour nombre de ces «vcivilsv», affirme un officier supérieur d’un service européen de renseignement, « il serait plus juste de parler d’otages… » C’est tout dire.

Alors pourquoi tant d’énergie à vouloir nous vendre cette imposture d’une bataille de « Stalingrad à l’envers », pour reprendre les termes d’un ambassadeur de France ? Ce dernier commence à douter – mieux vaut tard que jamais – des bienfaits des orientations de la politique étrangère de François Hollande, dont « tout le monde dans la région, se soucie comme d’une guigne… », ajoute-t-il dubitatif. Vu dernièrement dans les étranges lucarnes, notre ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault répondant à l’équipe d’une chaine audiovisuelle de service public : « il faut que cesse cette tuerie dont les images vues à la télévision sont insupportables ! » Depuis quand un ministre de la République fonde-t-il ses propos sur « des images vues à la télévision » ? S’il restait à s’en convaincre, on atteint le fond…

Trois raisons fondamentales peuvent expliquer cette propagande panique, bête et méchante. Alep, cette bataille de Stalingrad remise sur ses pieds, où l’armée syrienne poursuit courageusement la reconquête de son territoire national, anticipe une double défaite : celle des mal nommées « révolutions arabes » à travers lesquelles Washington espérait mettre au pouvoir les Frères musulmans dans plusieurs capitales arabes ; celle de l’axe OTAN, Israël et pays du Golfe cherchant à faire de la Syrie ce qu’il a fait de l’Irak et de la Libye notamment, en fragmentant les États-nations de la régions en autant de micro-États purifiés ethniquement et religieusement. C’est tout le « Grand-Moyen-Orient » de Condoleezza Rice, l’ancienne secrétaire d’État de George W. Bush – repris par les administrations Obama successives – qui se retrouve par terre.

Au bout du compte, le bilan s’avère particulièrement désastreux pour les pays occidentaux, à commencer pour les États-Unis. Le néo-sultan Recep Erdogan se détache progressivement de l’OTAN et lorgne en direction du Groupe de Shanghai ; la Méditerranée n’est plus une mer occidentale (prochetmoyen-orient.ch du 12 septembre). Comme elle vient de la faire à Djibouti, la marine de guerre chinoise s’installe durablement à Tartous ; enfin, Vladimir Poutine impose son agenda et un « Yalta régional » au monde entier sans que personne ne soit en mesure de faire quoi que ce soit. Last but not least, l’Iran peut se targuer d’être redevenue la grande puissance régionale aux Proche et Moyen-Orient.

Encore bravo Messieurs Obama, Cameron, Juppé, Fabius et Hollande ! Quant au Monde, on comprend qu’il perde quotidiennement annonceurs, abonnés et lecteurs. Hubert Beuve-Méry, André Fontaine, Jacques Fauvet, réveillez-vous, ils sont devenus fous ! Tout cela est proprement pathétique, ouvrant des boulevards à d’autres Brexit, Trump et compagnie… Pour ne pas sombrer dans un complet désenchantement, on ne saurait que trop conseiller de lire et relire Jacques Le Goff, les autres grands médiévistes et les Pères de l’Église, de même que l’une des dernières livraisons de l’éditeur Pierre-Guillaume de Roux : De l’influence des intellectuels sur les talons aiguilles, du merveilleux Roland Jaccard. Bonne lecture et à la semaine prochaine…

Richard Labévière
3 octobre 2016
1 Le Monde du 29 septembre 2016.


Proche et Moyen-Orient.ch  Observatoire Géostratégique - Alep : Déluge de propagande…