Qui ne risque rien n'est rien… sur le chemin de Damas, alors que les opinions ont cédé face aux faits…
on ne le dit assez : un âge n'en chasse pas un autre, tous les âges qu'on a vécu coexistent à l’intérieur de soi, ils s'empilent, et l'un prend le dessus au hasard des circonstances.

samedi 6 février 2021

6-Février : "La mort en face"… Robert Brasillach, le poète assassiné






Robert Brasillach, le poète assassiné

Robert Brasillach, lors de son procès

La mort en face
6 février 1945

Si j'en avais eu le loisir, j'aurais sans doute écrit le récit des journées que j'ai vécues dans la cellule des condamnés à mort de Fresnes, sous ce titre. On dit que la mort ni le soleil ne se regardent en face. J'ai essayé pourtant. Je n'ai rien d'un stoïcien, et c'est dur de s'arracher à ce qu'on aime. Mais j'ai essayé pourtant de ne pas laisser à ceux qui me voyaient ou pensaient à moi une image indigne. Les journées, les dernières surtout, ont été riches et pleines. Je n'avais plus beaucoup d'illusions, surtout depuis le jour où j'ai appris le rejet de mon pourvoi en cassation, rejet pourtant prévu. J'ai achevé le petit travail sur Chénier que j'avais commencé, j'ai encore écrit quelques poèmes. Une des mes nuits a été mauvaise, et le matin j'attendais. Mais les autres nuits, ensuite, j'ai dormi bien calmement. Les trois derniers soirs, j'ai relu le récit de la Passion, chaque soir, dans chacun des quatre Évangiles. Je priais beaucoup et c'est la prière, je le sais, qui me donnait un sommeil calme. Le matin, l'aumônier venait m'apporter la communion. Je pensais avec douceur à tous ceux que j'aimais, à tous ceux que j'avais rencontrés dans ma vie. Je pensais avec peine à leur peine. Mais j'essayais le plus possible d'accepter.
Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes




Au berceau de l’enfant Honneur
On a vu deux fées apporter
Deux présents pour l’enfant Honneur
Le courage avec la gaieté.

- A quoi, dit-on à la première,
Sert un présent comme le vôtre ?
– Presqu’à rien répond la première
A donner du courage aux autres.

- L’autre, dit-on à la seconde,
N’est-il pas de trop pour l’Honneur?
– Un enfant, répond la seconde,
A toujours besoin d’une fleur.

Robert Brasillach (30 janvier 1945)


*   *    *

6 février 1945 à 9 heures du matin

Robert Brasillach à Maître Isorni :
« Vous savez, j’ai parfaitement dormi ! »

À 8 heures 30, devant les grilles du Palais de Justice, se forme le cortège des six voitures noires qui doivent conduire à Fresnes les personnes requises par la loi et l’usage pour l’exécution. Tout le long du parcours un important service d’ordre constitué par des gardiens de la paix armés de mitraillettes. Aux abords de Fresnes, le service d’ordre est beaucoup plus dense. Dans l’allée de la prison des gardes mobiles font la haie. Nous attendons quelques instants avec les différentes personnalités devant la grille d’accès au grand couloir qui mène à la détention.

À 9 heures juste, nous nous rendons, suivis d’un peloton de gardes mobiles, à la division des condamnés à mort. Le commissaire du gouvernement François ouvre la porte de la cellule de Robert Brasillach et lui annonce d’une voix sèche que son recours en grâce a été rejeté.

Je pénètre à ce moment dans sa cellule avec Maître Mireille Noël et l’aumônier. Robert Brasillach nous embrasse tous les trois. Puis il demande à rester seul avec l’aumônier. Deux gardiens viennent lui retirer ses chaînes. Après sa confession et quelques minutes d’entretien avec le prêtre il me fait appeler ainsi que Mademoiselle Noël. Il me donne alors ses dernières lettres qu’il a préparées pour sa mère, pour sa famille, pour ses amis, pour Mademoiselle Noël et pour moi-même.

Il me donne également les manuscrits des poèmes écrits en prison et une feuille contenant quelques lignes avec ce titre : « La mort en face ». De temps en temps il me regarde avec un bon sourire d’enfant. Il avait compris, dès hier, que ce serait pour ce matin.

« Vous savez, me dit-il, j’ai parfaitement dormi ! »

Comme il doit revêtir son costume civil à la place du costume du condamné à mort qu’il porte, Mademoiselle Noël se retire et je demeure seul avec lui.

« Oui, restez près de moi », me dit-il.

Il me montre la photographie de sa mère et celle de ses deux neveux.

Il les met dans son portefeuille et m’exprime le désir de mourir avec ces photographies sur son cœur. À ce moment, il a une légère défaillance, il pousse un soupir, et des larmes coulent de ses yeux. Il se tourne vers moi et dit, comme s’il voulait s’excuser : « C’est un peu naturel. Tout à l’heure je ne manquerai pas de courage. Rassurez-vous ».

Il s’habille alors tranquillement, avec beaucoup de soin, refait la raie de ses cheveux devant sa petite glace, puis, songeant à tout, retire d’une miche de pain un petit canif et une paire de ciseaux qu’il y avait dissimulés et qu’il me remet. Il m’explique : « pour que personne n’ait d’ennuis ».

Il range ses affaires personnelles dans un grand sac. À ce moment, il a soif. Il boit un peu d’eau dans sa gamelle. Puis il achève sa toilette. Il a le pardessus bleu qu’il portait au procès. Autour de son cou il a passé un foulard de laine rouge.

Il demande à s’entretenir avec Monsieur le Commissaire du Gouvernement Reboul.

Celui-ci s’avance. Il est raidi par l’émotion, le visage tourmenté, d’une grande pâleur.

D’une voix sourde, Brasillach lui fait alors la déclaration suivante :

« Je ne vous en veux pas, Monsieur Reboul, je sais que vous croyez avoir agi selon votre devoir ; mais je tiens à vous dire que je n’ai songé, moi, qu’à servir ma patrie. Je sais que vous êtes chrétien comme moi. C’est Dieu seul qui nous jugera. Puis-je vous demander un service ? »

Monsieur Reboul s’incline. Robert Brasillach continue :

« Ma famille a été très éprouvée, mon beau-frère est en prison, sans raison, depuis six mois. Ma sœur a besoin de lui. Je vous demande de faire tout ce que vous pourrez pour qu’il soit libéré. Il a été aussi le compagnon de toute ma jeunesse ».

Le commissaire du Gouvernement lui répond : « Je vous le promets ».

Robert Brasillach lui dit pour terminer : « Consentirez-vous, Monsieur Reboul, à me serrer la main ? »

Le commissaire du Gouvernement la lui serre longuement.

Robert Brasillach m’embrasse une fois encore. Il embrasse également Maître Mireille Noël qui vient de rentrer et lui dit : « Ayez du courage et restez près de ma pauvre sœur ».

Il est prêt. Il ouvre lui-même la porte de sa cellule. Il s’avance au devant des personnalités qui attendent et leur dit : « Messieurs, je suis à vos ordres ».

Deux gardes mobiles se dirigent vers lui et lui passent les menottes. Nous gagnons le grand couloir de la sortie. En passant devant une cellule, d’une voix claire, Robert Brasillach crie : « Au revoir Béraud ! » et, quelques mètres plus loin : « Au revoir Lucien Combelle ! ».

Sa voix résonne sous la voûte, au-dessus du bruit des pas.

Lorsque nous arrivons à la petite cour où attend la voiture cellulaire, il se retourne vers Mademoiselle Noël et lui baise la main en lui disant : « Je vous confie Suzanne et ses deux petits ». Il rajoute : « C’est aujourd’hui le 6 février, vous penserez à moi et vous penserez aussi aux autres qui sont morts, le même jour, il y a onze ans ».

Je monte avec lui dans la voiture qui va nous conduire au fort de Montrouge. Il s’est assis, impassible, en me prenant la main. À partir de ce moment, il ne parlera plus.

Le poteau est dressé au pied d’une butte de gazon. Le peloton, qui comprend 12 hommes et un sous-officier, nous tourne le dos. Robert Brasillach m’embrasse en me tapotant sur l’épaule en signe d’encouragement. Un sourire pur illumine son visage et son regard n’est pas malheureux. Puis, très calme, très à l’aise, sans le moindre tressaillement, il se dirige vers le poteau. Je me suis un peu détaché du groupe officiel. Il s’est retourné, adossé au poteau. Il me regarde. Il a l’air de dire : « Voilà… c’est fini ».

Un soldat sort du peloton pour lui lier les mains. Mais le soldat s’affole et n’y parvient pas. Le maréchal des logis, sur ordre du lieutenant essaye à son tour. Les secondes passent… On entend la voix du lieutenant qui coupe le silence : « Maréchal des logis !… Maréchal des logis !… ».

Robert Brasillach tourne lentement la tête de gauche à droite. Ses lèvres dessinent un sourire presque ironique. Les deux soldats rejoignent enfin le peloton.

Robert Brasillach est lié à son poteau, très droit, la tête levée et fière. Au-dessus du cache-col rouge elle apparaît toute pâle. Le greffier lit l’arrêt par lequel le pourvoi est rejeté.

Puis, d’une voix forte, Robert Brasillach crie au peloton : « Courage ! » et, les yeux levés : « Vive la France ! ».

Le feu de salve retentit. Le haut du corps se sépare du poteau, semble se dresser vers le ciel ; la bouche se crispe. Le maréchal des logis se précipite et lui donne le coup de grâce. Le corps glisse doucement jusqu’à terre. Il est 9 heures 38.

Le docteur Paul s’avance pour constater le décès. L’aumônier et moi-même le suivons et nous inclinons. Le corps est apparemment intact. Je recueille, pour ceux qui l’aiment, la grosse goutte de sang qui roule sur son front.

Fait à Paris le 6 février 1945,

Jacques Isorni, avocat à la Cour d’Appel


Pierre Fresnay




En 1944, Robert Brasillach, arrêté et emprisonné à Fresnes, est condamné à mort pour ses écrits dans Je suis partout. Ne se faisant aucune illusion sur le résultat des recours déposés par son avocat ou de la demande en grâce signée par les plus grands écrivains français et adressée à DeGaulle, il attendait son exécution dans sa cellule. Les Poèmes de Fresnes ont été écrits dans cette prison alors que l’auteur n’avait ni stylo ni papier. Il avait réussi à se procurer une plume qu’il cachait dans une pipe et du papier qu’il arrachait d’un carnet. C’est par son avocat que ces poèmes sont sortis de Fresnes.


*  *   *


La tombe de Robert Brasillach
au cimetière de Charonne ce 6 février 2021



Le 6 février 1945 Robert Brasillach était fusillé, victime des vagues de l'Épuration… L'avocat général Philippe Bilger retrace le parcours de Robert Brasillach ainsi que son procès dans son livre : "20 minutes pour la mort, Robert Brasillach : le procès expédié" publié aux éditions du Rocher.

Un procès qui n'a duré que 6h et dont le délibéré a pris 20 minutes (du jamais vu) pour aboutir à la sentence de mort. 20 minutes pour tout revoir, tout peser, tout analyser. Bref, 20 minutes pour rien, car tout était déjà décidé bien avant l'heure :
"… rien, jamais, ne parviendra à justifier cette froide résolution mise en œuvre par une cour d'exception et validée par un général de faire disparaitre un esprit, une âme, une vie de la surface de la France."

Messes





 

*   *    *



TRADITIONNELLEMENT, depuis maintenant près de quarante ans, la première semaine du mois de février est pour moi l’occasion d’un pèlerinage. Pèlerinage non pas en un lieu mais dans une œuvre. Dans l’œuvre de Robert Brasillach. À l’aventure, par monts et par vaux, selon le conseil de Montaigne, par sauts et par gambades, je pérégrine sur les sentiers des phrases qui tombent souvent si juste, au détour des tournures heureuses, le long des formules tracées au cordeau, je replonge dans les romans, essais et poèmes de l’auteur de Notre avant-guerre, et dans les essais et biographies consacrés à cet écrivain maudit, fusillé le 6 février 1945, au fort de Montrouge. Voilà donc soixante-dix ans déjà.

ÉCRIVAIN MAUDIT, ÉCRIVAIN HONNI

Je sais comme il est difficile de parler publiquement de Robert Brasillach [1], excepté dans les milieux autorisés, c’est-à-dire ceux qui ne le sont pas par le Saint-Siège de la bienpensance, sous peine d’être considéré comme un horrible fasciste, un monstre faisant l’apologie des pires crimes contre l’humanité, alors qu’il ne s’agit que d’évoquer, avec une bienveillance admirative, la mémoire d’un écrivain d’immense culture, d’un érudit de talent et de conviction, qui fût devenu, cela ne fait de doute pour personne, un intellectuel de premier plan, si les circonstances et les hommes ne l’avaient empêché de continuer de vivre.

Fauché par des balles françaises à l’âge de trente-cinq ans seulement, Robert Brasillach était loin d’avoir réalisé toutes les potentialités de son intelligence, toute la puissance de sa force créatrice, bien qu’au moment de sa mort, il fût déjà à la tête d’une œuvre grande, forte, originale et variée. Ce qui me peine, m’attriste, m’horripile et me révolte le plus dans l’histoire de l’auteur de Comme le temps passe, c’est que soixante-dix ans après sa mort, il continue de faire figure de coupable absolu, définitif, impardonnable. Rebatet a été republié, Céline suscite des débats, voire des controverses… Brasillach est maintenu enseveli dans un silence total. Il fut condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi, il demeure ignoré et interdit par les ennemis de l’intelligence.

Car, s’il est une qualité qui fut la sienne, et qui le plaça au-dessus de tous ses camarades de la rue d’Ulm, ou de l’Action française, ou de Je suis partout..., c’est bien son intelligence. Comme souvent les jeunes gens suprêmement intelligents, Robert Brasillach fut un jeune homme à la fois studieux et désinvolte, travailleur et dilettante, érudit et rieur, grave et léger. Pétri de culture antique et classique, il publie, à vingt-deux à peine, un ouvrage consacré au poète latin Virgile [2]. C’est un essai qui annonce, résume et condense, les thèmes de sa vie et de son œuvre : le soleil, l’été, la chaleur, la Méditerranée, la terre et les morts, l’exaltation de la vertu de jeunesse, l’amitié, le goût des joies simples, la beauté de la nature, les plaisirs que procurent les voyages... Robert Brasillach est tout le contraire d’un intellectuel triste et tourmenté. Pour lui, l’intelligence est une joie. La culture coule en lui comme un vin de soif. Les savoirs et les connaissances, il les fait siens sans souffrance ; sans travail.

LE PRINCE DE LA JEUNESSE

Dans son essai (cité en note), Pascal Louvrier consacre quelques belles pages à cette période de la jeunesse de Robert Brasillach, classes préparatoires au lycée Louis-le-Grand puis scolarité à l’École normale supérieure. Ce sont des années de formation, de découvertes, d’émulation et d’insouciance. « Le 23 novembre, Robert pénètre pour la première fois dans la grande cour bordée d’arbres du lycée Louis-le-Grand. À l’intérieur de cet édifice gris et sale, il va faire la connaissance de jeunes gens promis à un bel avenir : José Lupin, Fred Sémach, Roger Vailland, Jean Beaufret, Lucien Paye, Jacques Talagrand connu aujourd’hui sous le pseudonyme de Thierry Maulnier. Il y rencontre surtout “une petite brute à la blouse noire de paysan avec une ceinture”, Maurice Bardèche [3], qui épousera sa sœur Suzanne, et deviendra son “frère de jeunesse”. La première impression que Maurice eut de Robert fut pourtant bien mauvaise. Il trouva horribles ses lunettes rondes en fer, et probablement aussi son visage poupin, qu’une enfance et une adolescence paisibles avaient su préserver des scories de l’existence... »

Robert Brasillach
Ne nous lassons pas de redécouvrir, sous la plume de Pascal Louvrier [4], quelques passages de ce merveilleux livre qu’est Notre avant-guerre : « Maurice Bardèche aide également Robert à travailler avec logique. Il lui apprend à lire Proust et Barrès. Et, lorsqu’ils ont un peu de temps libre, ils partent ensemble découvrir Paris, ses “petites gens”, ses métiers, des commerçants, ses lieux insolites. Leur déambulation joyeuse les conduit, sans qu’ ils l’ aient vraiment décidé, aux Halles, rue Mouffetard ou boulevard Montmartre, enfin partout. ... “Nous découvrions le Paris matinal, celui qui nous était le plus secret, avec ses cris, ses montagnes de légumes, l’odeur fraîche des boutiques ouvertes, les viandes en tas, les poissons gris et blancs. Par les beaux jours de printemps, se dessinaient ainsi devant nous la Seine entre les livres, les petites églises rouillées, la ville grise et unique...” écrira plus tard Robert dans Notre avant-guerre. [...]


Robert boit la vie telle qu’elle se présente. Sans ordre, sans “compétence”, il savoure les joies simples que chaque quartier de la capitale offre. Relisons une fois encore la minutieuse description qu’ il fait de ces moments intenses dans Notre avant-guerre. “Je me rappelle comme les plus beaux moments de ma vie cette soirée où nous revenions de l’annonce faite à Marie, à l’Œuvre, en nous arrêtant pour gober des huîtres et boire du vin blanc, dans les rues en pente de Montmartre. Je me rappelle la veille du 14-Juillet où nous allions dans les bals de la colline Sainte-Geneviève, en 1927, boire du vin rouge à quatorze sous le verre, rue Mouffetard, sous les lampions roses et bleus, au son des accordéons et des violons fringants”. »

UN POÈTE ROMANCIER, CRITIQUE ET JOURNALISTE

N’en déplaise à tous ceux qui le détestent — certainement parce que même mort, ils le redoutent ! —, Robert Brasillach est un très grand écrivain, un auteur majeur, et même si — pourquoi pas ? — certains peuvent regretter quelques-uns de ses excès journalistiques ou lui reprocher quelques-unes de ses diatribes, on ne peut nier le plaisir que donne la lecture de ses livres, un plaisir juste né de l’émotion littéraire que procurent les phrases lorsqu’elles sont marquées au sceau du style, et qu’en évoquant des éléments de l’histoire personnelle de l’auteur, elles parviennent à remuer l’histoire intime, réelle ou rêvée, du lecteur.

C’est là le propre du poète, et du “danger” qu’il court à devenir son propre poème. Robert Brasillach est un poète. Sa personnalité est le produit de ses mots. Il est un poète qui a commis des essais, des critiques littéraires, des romans, des poèmes et des articles politiques. Et si on le lit avec attention et intelligence, donc avec bienveillance, on découvre que même dans ses articles les plus furieux, c’est toujours, d’abord et avant tout, le poète qui est à la manœuvre. Il y a poésie dès lors que les mots dépassent la pensée. Lorsque les mots suivent la pensée et sont à sa traîne, ils ne composent bien souvent qu’une bouillie langagière laborieuse et sans éclat. Mais lorsque les mots mènent la danse, la pensée bouillonne, s’exalte, tourbillonne, s’affole et va, souvent involontairement, vers des endroits par elle insoupçonnés. Lorsque les mots sont animés par l’énergie de la poésie, ils produisent de la pensée qui se prend parfois au piège de la violence verbale qui la construit. C’est dans cet esprit qu’il faut lire Brasillach, même le Brasillach politique.

POURQUOI L’ONT-ILS ASSASSINÉ ?

C’est la raison pour laquelle une question ne cesse de me tarauder : a-t-on foncièrement, humainement, politiquement, le droit de fusiller un homme pour ce qu’il a écrit ? A-t-on le droit de le fusiller pour ses textes, de quelque nature qu’ils soient, et qui forment un tout qui s’appelle une œuvre. Céline, c’est bien sûr le génial Voyage au bout de la nuit mais c’est aussi, qu’on le veuille ou non, le non moins génial Bagatelles pour un massacre. De la même façon, Rebatet, c’est et Les Décombres ou Mémoires d’un fasciste et Une Histoire de la musique...

Oui, a-t-on le droit de mettre un terme à la vie d’un écrivain véritable ? Que les vainqueurs le condamnent à une peine de prison parce qu’il s’est engagé aux côtés des vaincus, je veux bien encore l’admettre. Mais qu’on l’assassine ? Certainement pas ! Au reste, s’agissant de Robert Brasillach, son exécution était bien un assassinat sordide, éhonté, scandaleux. Instruction bâclée, production de pièces truquées (la prétendue photographie où l’on a voulu voir un Brasillach en uniforme allemand), parodie de procès, demande de grâce rejetée avec mépris par De Gaulle... Tout montre qu’on a voulu se débarrasser de Robert Brasillach, dans la précipitation et l’urgence, avant que le scandale du projet d’exécution de ce grand écrivain n’éveillât les consciences. Il leur fallait un mort illustre, un mort emblématique. Le malheur a voulu que ce fût Robert Brasillach.

Malheur pour lui, pour ses proches, pour la littérature du XXe siècle. Car Robert Brasillach, plus encore que les idées politiques, aimait avant tout et par-dessus tout la littérature. La sienne et celle des autres, dont il savait parler avec pertinence et admiration. Dans les douze volumes des Œuvres complètes de Robert Brasillach, plus de deux mille pages sont consacrées aux seuls écrits critiques [6]. Citons au moins un extrait : dans un article consacré à L’homme à cheval (Gallimard 1943) de Pierre Drieu La Rochelle, Robert Brasillach écrit ce passage savoureux : «... Cette ordonnance est bien savoureuse. Ce qui la rend plus savoureuse encore, il faut le dire tout de suite, c’est le style. La littérature de l’armistice nous a valu un nombre consternant de romans ou d’essais écrits par des analphabètes soudain possédés dont ne sait quel démon. On a précipité sur le papier, denrée rarissime, des élucubrations ahurissantes, auprès desquelles les romans à dix sous des anciennes collections littéraires semblent des merveilles de goût et de psychologie. Des retraités alcooliques ont consigné leurs réflexions sur la crise de moralité qui n’était au vrai, pour eux qu’une crise de l’apéritif. Des jeunes gens un peu montés en graine ont mis en scène leurs émois dans une langue directement empruntée aux prospectus pharmaceutiques. Et soudain, dans ce navrant désert, un livre, un vrai livre. Un style où se mêlent l’élégance, la passion, l’allure, et une certaine sécheresse fiévreuse où Drieu la Rochelle me semble avoir tout à fait exorcisé les musiques romantiques qui laissaient encore chez lui comme des souvenirs de Barrès... » On aimerait citer tout l’article, et tant d’autres, généreux et incisifs, cultivés et éblouissants, qualificatifs qui sont la marque de Brasillach. De tout Brasillach !

Lecteurs de RIVAROL, il n’est qu’une façon aujourd’hui de rendre hommage à Robert Brasillach, d’honorer sa mémoire, c’est de le lire et de le faire lire. À vos bibliothèques !

Jean-Philippe ROBIQUET

Notes :

1. En 1989, un jeune intellectuel courageux, Pascal Louvrier, a commis un essai sur Brasillach : Brasillach, L’illusion fasciste, préface d’Alain Griotteray, Éditions Perrin. C’était un ouvrage critique, au sens littéraire du terme, non pas haineux mais nuancé et sympathique. La préface d’Alain Griotteray — à l’époque homme politique affichant des opinions marquées très à droite mais immunisé par son action dans la résistance — qui fut très certainement pour Louvrier une manière d’Ausweis littéraire, commença par les phrases suivantes : « Il faut un beau courage, aujourd’hui, pour oser ouvrir de nouveau le “dossier “Brasillach”. Il y a quelques temps, pour avoir voulu, elle aussi, entreprendre cette tâche, Anne Brassié a reçu son lot d’opprobre. Elle avait prétendu, l’inconsciente, rédiger une biographie et non un acte d’accusation. C’est que notre temps, qui se veut ouvert à toutes les opinions, est en fait d’un conformisme hallucinant. Il a mis en œuvre, dans le domaine des idées, la célèbre formule prêtée à André Citroën : “Choisissez la couleur de voiture que vous voulez à condition qu’elle soit noire.” En 1950, Roger Nimier pouvait dans Les Épées, tracer le portrait d’un milicien somme toute sympathique. Je ne sais s’il aurait pu se permettre une telle audace de nos jours. Et je ne suis pas certain, pour tout dire, que la célèbre pétition pour le recours en grâce de Robert Brasillach, si elle devait circuler à présent, recueillerait autant de noms, et autant de noms prestigieux. Que l’on prenne le temps d’y réfléchir un peu et l’on mesurera que la liberté, dont beaucoup se gargarisent, n’ est qu’ une marge qui se rétrécit au gré des conformismes. » Que dirait et qu’écrirait Alain Griotteray aujourd’hui s’il vivait encore et qu’il constaterait la situation dramatique de la liberté d’expression dans la société française de ce début du XXIe siècle ?
2. Présence de Virgile
3. Maurice Bardèche, que les anciens lecteurs de RIVAROL connaissent bien, et qui publia, avec Brasillach, en 1935, une magistrale Histoire du cinéma.
4. Parce qu’il se trouve que pour préparer ma chronique, c’est le sien que j’eus envie de relire...
5. Club de l’Honnête Homme, de 1963 à 1966. Édition réalisée par Maurice Bardèche. Certains textes de Brasillach ont été volontairement exclus.
6. De nombreux articles critiques n’ont pas été retrouvés.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire